La Forme Vide
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L’attrait de l’abîme
Rappelons-nous le problème de base sur lequel se bâtit cette confection d’inventaire, ou le paradoxe, plutôt, qui provisoirement, l’a simplifié transformé en « règle du jeu » sans pour autant le résoudre. Le même accomplissement qui détruit la maintenance parfait la complétude; si bien que nulle plénitude ne pourrait se maintenir, ni même celle d’un dieu.
C’est un paradoxe non moins rigoureux, quoique tout contraire, que pose la Forme Vide au terme de la quête (et en son recommencement). Naturellement, un scientifique ne le posera pas dans les mêmes termes qu’un mythologue; mais, s’ils le vivent l’un et l’autre, il est à parier qu’ils le ressentent semblablement.
Comment un même système peut-il être fermé, interdisant le passage, et ce passage même (comme de la mort au paradis, le purgatoire)?
Dès le début de son livre, Laborit répond : on ne peut transformer un système fermé en système ouvert, une « entité individuelle régulée » en un servomécanisme, qu’en incluant l’entité dans un niveau d’organisation supérieure – ou dans un plus vaste ensemble. Mais il ajoute qu’alors, c’est ce plus grand ensemble qui doit se présenter comme un système fermé.
Tout au long de son livre, La nouvelle grille, il insistera sur la notion qu’en ce passage, de l’entropie rationnelle au Retour irrationnel il ne peut y avoir de « hiérarchie de valeur » comme du pire au mieux ou comme du faux au vrai, mais seulement cette « hiérarchie de fonction » que tous les systèmes vivants permettent d’observer.
Point davantage n’y a-t-il de niveaux de valeur dans l’Echappement de l’horloger ou du musicien entre la « syncope » de la dent du rouage ou de la note sautée et la récurrence, le feed-back qui, nécessairement s’ensuit.
Mais il faut avouer que, jusqu’aux dernières années, tous ceux qui ont tenté de s’attaquer au problème (y compris Yeats ou Breton) n’ont pas su s’arracher à la notion de valeur, et que du reste Laborit lui-même n’y parvient pas, puisqu’on le voit préférer une trilogie à l’autre : l’hermétique « conscience, connaissance, créativité » à la républicaine et aérienne : « liberté, égalité, fraternité ».
Lorsque se rencontrent – et c’est seulement de puis l’entre deux guerres – des hommes entièrement livrés au vertige de la Forme Vide, inventorieurs du néant, il apparait assez que, d’abord, c’est ce refus de la valeur qui les rejette non de tel ensemble social mais de tous les ensembles à la fois : la société qu’on dira « bonne », mais aussi bien la « mauvaise » (des gens du peuple) ou simplement de la « bonne santé », sinon de la plus primitive.
Rimbaud – de nouveau lui! – avait, le premier, montré l’exemple, en fuyant vers le double néant du négoce le plus banal, « le plus nul », et des déserts éthiopiens. En assumant le néant parfait, le plus rigoureux, de l’esprit. Mais, en effet, trop parfait, ce vide ne laisse pas de trace, sinon, au retour de l’infirme, les délires de l’agonie.
Cinquante ans plus tard, d’autres téméraires joueront le même jeu, dont les œuvres, fragmentairement, nous restent, pour nous dire l’inconcevable attraction de l’abîme, son paradoxal inventaire.
Le refus des valeurs sociales : la matrice
Vers le temps où Mme Yeats cessait de recevoir des Visiteurs les messages qui permettraient à son mari de dessiner ses figures, un autre anglais, le colonel Lawrence, héros de la libération du peuple arabe, renonçait à son titre, à sa légende et à son œuvre, ces « Sept Piliers de la Sagesse » dont il avait rêvé de faire l’un des grands livres de l’humanité.
Outre des lettres et une traduction d’Homère, il n’écrira plus rien jusqu’à sa mort, treize ans plus tard, sinon le petit livre de La Matrice, qui conte une tout autre aventure. Car, sous le nom de Smith, Lawrence, comme Rimbaud, a recommencé sa vie, non pas dans les sables de l’Abyssinie mais au plus profond de la vulgarité, de la bêtise épaisse, de l’autorité servile. Il a choisi le sort du soldat de deuxième classe dans l’armée britannique.
Je dis : comme Rimbaud. Il abandonne bien davantage. Le poète français est inconnu, il ne peut se faire héberger par l’un de ses amis parisiens, démuni de fonctions comme d’honneurs. Il ne fait que préférer à un vagabondage dans les villes d’Europe un vagabondage africain. En même temps que son nom, Lawrence quitte famille, argent, faveurs, gloire – des armes et de l’écriture, toutes les raisons sociales qu’un homme, en 1923, peut se trouver d’exister.
Puis, Rimbaud n’a choisi que la solitude, et ce dut être, à tort ou à raison, par exigence de liberté. Ne dépendant de personne, il assume un destin que nul ne lui envie. Le soldat Smith choisit la foule d’une caserne et la pire contrainte, l’obéissance aveugle aux ordres d’un butor. Loin de fuir la société hors de la société, il la fuit en y pénétrant au plus profond, au cœur, jusqu’au point où, privé de tous ses privilèges, l’état d’être social révèle son horreur, dans la conscience de l’être, son abjection sinon.
Cette évasion par l’intérieur caractérise toutes les quêtes qui, de Lawrence jusqu’à Beckett, inventorient le système fermé, l’information/structure, la Forme – Vide, effectivement, de tout contenu, mais non isolée d’éventuels contenants.
Le refus des valeurs traditionnelles : le Grand Jeu
Lawrence dénude la société de ses valeurs prétendues, mais il respecte la raison. On peut dire que c’est elle, et ses bons assesseurs, la rigueur et l’humour, qui sauvent Smith du désespoir. Quand il quittera l’armée, deux mois avant sa mort, il sera toujours soldat, ayant dix fois refusé tout autre condition, mais il écrira de nouveau, il possédera sa petite maison, patiemment reconstruite et ornée, il sera l’ami des plus grands écrivains de son époque et de sa race : Thomas Hardy, Bernard Shaw et, bien sûr, Yeats. Il aura même conquis ses libertés sexuelles, d’homosexuel et de masochiste selon sa légende. Cela se passait à la veille de la dernière guerre, alors que mouraient aussi les initiateurs du Grand Jeu : une revue littéraire dont le numéro 4 n’avait jamais paru, mais aussi un mouvement métaphysique dont l’importance, de jour en jour plus évidente, passe celle du dadaïsme et du surréalisme (si l’on retranche de celui-ci ses exclus : Vaché, Crevel, Artaud…).
Sous le nom de « simplisme », le Grand Jeu avait débuté dès les années 1923/1924, à Rouen, par la rencontre de deux étudiants d’une quinzaine d’années. Il éclatera huit ans plus tard, par un dépassement interne de toutes les prétentions socialisantes, philosophiques, littéraires, comme l’un de ses fondateurs, Roger Gilbert-Lecomte, l’avait prévu : « Au sauvage dont la conscience est indistinctement éparse dans la nature s’oppose l’individu proclamant « Je suis Moi » et se repliant sur soi-même, pour que, réellement incarné dans sa personnalité, connaissant ses limites et se niant comme tel, puisse naître « l’homme à trois yeux » qui, dépassant l’individu, sera en vérité la Conscience cosmique » (Grand Jeu, N°3).
Des deux fondateurs du mouvement, René Daumal et Gilbert-Lecomte, ni le génie littéraire ni la science ésotérique ne distinguent l’un plutôt que l’autre, bien que le premier soit le plus connu, par ses poèmes et son récit inachevé : Le mont Analogue, qui raconte la quête d’un certain nombre de voyageurs-symboles.
C’est au reste cet aspect littéraire de son œuvre qui a pu rapprocher Daumal, d’abord, du Surréalisme de Breton; c’est son aspect ésotérique qui, à partir de 1932 le rapprochera des sectes initiatiques, et fera de lui, finalement, un disciple de Gurdjieff.
Le chemin de Gilbert-Lecomte est autre, qui n’a jamais quitté la ligne de faîte, le pourtour de la révolution intérieure, permanente, en laquelle il voit le seul remède possible à l’abîmation de l’homme occidental ».
Essentiellement seul, malgré l’amitié qui le lie à Daumal, il caractérise cette maladie de l’homme occidental par un « certain quant-à-soi qui n’est autre, à mieux y regarder, qu’une complaisance certaine à soi-même » (Lettre à Jean Puyaubert, in Correspondance).
« Il faut changer le sens de toute notre activité, prendre une attitude tellement nouvelle qu’elle bouleverse notre nature de fond en comble » écrit-il dans La force des Renoncements. L’Avant-Propos du numéro 1 de la revue a déjà dénommé ce bouleversement : « la nécessité de faire le vide en soi ».
Les 4 numéros de la revue « Le Grand Jeu » ont été publiés en un volume aux Editions Jean-Michel Place (1977
Dans la dizaine d’années qui sépare ce numéro 1 de sa propre mort solitaire, Gilbert-Lecomte n’aura que tendu à cet abîme : par les disciplines intellectuelles de « l’inattention », du « désintérêt », de la « destruction », puis les terribles concrétudes que seront la misère absolue, la drogue et ses délires, la maladie.
Reste la question : quel est ce vide d’où surgirait le renouveau, la merveilleuse récurrence? Lecomte ne le cherche ni dans les sables d’Ethiopie ni dans la souveraine tyrannie d’une discipline militaire. Mais c’est le temps où, encore méconnu, le docteur Jung travaille à révéler une nouvelle approche de la divinité : l’archétype non-causal. De cette autre recherche, celle de Gilbert-Lecomte n’est pas très éloignée :
« Il est un univers onirique réel et commun à toutes les consciences. Il possède ses lois propres et ses drames éternels. Ce qui rêve quand on dort se meut dans ce domaine inconnu comme le corps fait dans l’espace quand on veille » (L’horrible révélation… La Seule? G.J.I.).
Les mots-clés de l’apôtre du Vide demeurent, d’un bout à l’autre, « révélation », « révolution ». Il faut les prendre pour similaires.
La Révolution est ici celle des planètes et des astres : le cycle complet qui précisément définit, limite la structure fermée de Laborit. Englobante (du Vide, du Zéro), cette Forme est également recouvrante, révélante : elle revoile les fausses logiques de l’homme occidental par le manteau, le voile, de l’opaque réalité.
La Révolution nécessaire, a dit Lawrence, n’est pas le refus de la Tyrannie, de l’Oppression, c’est l’écrasement de l’individu. Elle n’est pas, dit Gilbert-Lecomte, le faux éclaircissement scientiste, qui ne révèle rien de la nature des choses, c’est au contraire l’opacité du rêve qui nous cache les dieux; plus loin : l’opacité de la mort.
Qui dit mieux?
Le refus des valeurs morales : les cahiers de Rodez
La chaîne est ininterrompue, toujours. On l’a montré pour les Machines célibataires, de Poe à Baudelaire, Carroll, Mallarmé, Villiers de l’Isle-Adam, Jarry, Duchamp, Roussel, Leiris (qui se connaissent)[1][1]. On l’a vérifié pour les grandes Figures ésotériques, de Wronski à Yeats par Sain-Yves d’Alveydre (le lien/Lytton). Toute acausale ici, la chaîne se reconstitue. Le supplice de Gilbert-Lecomte, de 1932 à sa mort, prend la suite de l’abîmation de Lawrence/Smith (1923/1932), puisque les quatre dernières années du martyr de l’absolu le verront apaisé et presque « sauvé ». Quand meurt Roger Gilbert-Lecomte, un autre martyr prend sa succession : Antonin Artaud, comédien et poète.
A tort opposerait-on cette distinction apparemment majeure : Rimbaud d’abord, l’ancêtre, puis Lawrence et Gilbert-Lecomte choisissent librement leur destin : nul ne les contraint à fuir dans un exil sans motif, un engagement ridicule, l’esclavage de la drogue. Mais Artaud n’a pas le choix : on le jette à l’asile où il restera dix ans. Ce serait oublier que, dès son premier texte publié, ses Lettres à Jacques Rivière, il revendique le droit à « sa » maladie, faisant même de ce mal plutôt que d’un quelconque talent la marque de son « élection » parmi les hommes.
Artaud s’est voulu malade (pendant une dizaine d’années, comme de 26 à 36 ans); il l’a été, pendant encore dix ans, comme de 1937 à 1946. Qu’a-t-il fait de cette Forme Vide, souhaitée, puis totalement vécue? Une œuvre à ce point particulière que le médecin d’Artaud pourra l’ignorer, jusqu’à se plaindre de l’oisiveté de son malade, « prétendument poète, mais qui ne travaille jamais ».
De son reniement de la religion chrétienne, aux Pâques 1945, à sa sortie de l’asile, un an plus tard, ce grand paresseux aura rempli de notes, de confessions, d’aphorismes et de poèmes en prose 106 cahiers de cent pages, 10 600 pages de cahiers, et dessiné une vingtaine de figures, les « Grands Dessins », qui, tous, sont des approches archétypales de l’Inventaire.
En même temps ou dans le même espace que la description la plus précise, ligne à ligne, trait par trait, de la Forme Vide…
Ce n’est pas que le Fou ne se réfère pas aux nombres et aux vocables. Après tout, il écrit et nombre. Ainsi que Rimbaud sur les Voyelles et les Couleurs, ainsi que Lawrence, l’ancien archéologue d’Ur, ainsi que Daumal et Gilbert-Lecomte, et ainsi que tous les auteurs célibataires, Jarry ou Roussel, il se fonde sur les Evènements de l’Histoire, il connaît l’ère précessionnelle de 2160 ans (seul Yeats lui donnera deux fois 1050 ans), dont il date l’invention d’Hipparque (128 avant J.C.). Il en identifie les phases à celles de tous les cycles (mensuels, annuels) d’une part, aux phases de la vie humaine de l’autre. Mais aussi aux œuvres maîtresses du dernier siècle, aux couleurs, aux parfums, aux goûts, aux parties d’un tramway et à ses dessins les plus réussis.
Lawrence avait synthétisé toutes les structures dans les Sept Piliers, et Lecomte, après Daumal, dans les sept – dix – Voyageurs. Artaud invente, s’invente, six Filles (lui, septième) : Yvonne, Caterine, Naneka, Anie, Cécile, Ana, identifiées tantôt à six – ou douze – de ses dessins, tantôt à des fleurs, des parfums, des œuvres surréelles (de Rimbaud, de Mallarmé, de Jarry, etc.), tantôt à n’importe quoi, qui lui est « passé par la tête ». Mais ses Filles sont nées de lui, le dieu/Artaud, de son « caca », de son sperme, de son « cu » (sans l). Car ce n’est pas l’esprit d’Artaud qui est Dieu, recréateur de son monde, de son univers propre, c’est son corps le plus matériel, en ses fonctions – ou sa fonction – la plus primaire : ce qui « sort » de la Forme Vide en archétypes, structures, filles, datations (de la seule vie d’Artaud) après y être entré sous forme de reliefs, de vestiges, de substances à rejeter, à vomir ou chier.
La violence, la primarité, la barbarie même des vocables préférés ici (cu, caca) chez l’un des écrivains les parfaits, précis, esthètes du 20ème siècle, et le dérisoire simplification des nombres : les SIX filles, chez l’un des historiens/mathématiciens les plus surprenants du siècle (Abélard, Héliogabale) démontrent à l’évidence que l’univers d’Artaud est figuré, que son monde est le Figure Seule, la Forme Vide de tout contenu.
Au reste, quand il décrit comment il compose sa Forme Vide (et il ne fait rien d’autre que décrire cette œuvre se faisant), que dit-il, sinon la lente avance d’un esprit fou dans un monde complètement étranger à la Valeur? Un exemple : il y en a mille.
« Les choses sont sens dessus dessous, commencement ni fin, passé ou avenir » (il a tenté de dire qu’elles n’ont ni avant ni après et, plusieurs fois, rayé ces mots).
« On devient, on apprend ce qu’on savait, et l’on apprend toujours. Oui, papa, c’est ainsi que sont les choses, m’a dit ma fille Caterine ».
Si Artaud quitte la forme vide, de ses dessins ou du seul texte descriptif, il déraille, il se dénature, il retombe fou. Ce n’est pas assez dire, comme dans le cas de Lawrence, que « dès qu’il valorise il ment », ni, comme dans le cas de Lecomte, que, « dès qu’il se justifie il cesse d’être ». Dès qu’Artaud pense qu’il sait, il ne sait plus; dès qu’il se croit assez raisonnable pour qu’on le sorte de l’asile, il prouve qu’il est malade (le fou ne dit jamais qu’il est fou); s’il cesse de dessiner et de décrire ses dessins, il dit n’importe quoi. Ce qui sauve Artaud? Ses Filles. Car il peut les nommer, les décrire, les associer à d’autres archétypies, à d’autres chronotypies, mais elles demeurent vides de sens, indéfendables, injustifiables, immorales (nées du caca et du sperme) et totalement irrationnelles. A ce prix, elles sont créatrices et, par elles, Moi-Artaud, leur créateur.
La Forme Vide est absolue ici, pourra-t-on croire. La Figure Seule est atteinte, par des aphorismes tels que : « la sublimation ne se fait pas dans le cu conçu comme le fond de l’être mais par le travail de l’être sans fond ni cu insondable et dont le cu n’est qu’un passage milieu sans milieu mais toujours par le travers » (sans doute en février 1946). « Cu » est ici pour « cul » mais également pour « cru », le producteur de la seule production concrète de l’homme : la merde, mais aussi l’effet de la croyance, dont le double sens était contenu dans le Ka créateur des anciens Egyptiens, entre le Ba de la vertu et l’Akh de la Vérité.
Si le passage d’un système fermé aux autres, d’une « information/structure » aux ouvertures de la structure à l’information, fut la Hiérarchie/discipline pour Lawrence, nombrable et nommable cependant, le Verbe interne, irrationnel, rêvé, archétypal pour Gilbert-Lecomte, encore nommable, on voit qu’il n’est plus pour Artaud que le caca et le cu, l’indémontrable et inchiffrable Ka (les innombrables pouvoirs répartis dans les Kérubim, les Chérubins, les Djinns, de l’antique Sumer, de l’angéologie chrétienne, de l’Islam) : non plus même les 12 – tribus, apôtres, ou imâms – mais les 6 d’Artaud, tellement plus simplifiés!
Artaud meurt en 1948, deux ans après sa sortie de l’asile. Qu’est-ce qui commence alors, afin que la chaîne ne soit pas brisée, tentant d’aller plus loin, d’une manière plus décisive, dans la décision de la Forme Vide et Récurante, le Cycle et le Feed-back, comme dira Alfred Korzybski en 1950, l’année de sa mort (« le rôle du langage dans les processus préceptuels »), toujours l’Echappement de Jules Verne?
L’écriture des Textes pour rien, de Samuel Beckett.
[1][1] Les précis ridicules, Jean-Charles Pichon, éditions Cohérence
La mort et l’homme
Le dernier grand dessin d’Artaud porte ce titre, il date sans doute d’avril 1946 (le poète sera libéré en mai, c’est-à-dire que le cycle de la quête délirante est achevé), et l’on n’en trouve pas moins de trois descriptions différentes, dans les cahiers 92, 93 et 96. Le commentaire le plus complet, qui réunit tous les autres, dit : « Ce dessin est une sensation qui a passé en moi comme on dit dans certaines légendes que la mort passe.
Et que j’ai voulu saisir au vol et dessiner absolument nue.
Le mouvement de la mort réduit à ses os essentiels
sans plus.
Un homme qui tombait dans le vide et en tombant a volé à un autre homme les boîtes de souffle de ses poumons.
Quelque chose comme un tic tac d’horlogerie réduit à son insecte simple, hors l’ample horloge qui serait tombée où?
Et cet insecte c’est la mort dont l’homme est tombé comme une règle droite,
comme la règle vertébrale d’une droite perdue aussi par un mort qui passait.
Veine, une seule veine et pas deux,
et autour de la veine la page blanche,
veine extirpée d’une conscience,
trame d’un seul battement de cil… »
Artaud dira aussi que ce dessin se situe « à ce point de l’espace du temps où un souffle de derrière le cœur tient l’existence et la suspend », qu’il faut le regarder deux fois, dont une de très près, pour y trouver « cette sensation comme d’un décollement virtuel d’un décollement de la rétine que j’ai eue en détachant le squelette d’en haut, de la page, comme une mise en place pour un œil ». Et ces notations rappellent par plus d’un trait Le scarabée d’or, de Poe, que Carrouges considère comme la première des Machines Célibataires (le fil tendu par l’œil du mort qui doit permettre la découverte du trésor).
Mais, pour le reste, tout le texte semble décrire ces autres Textes pour rien que Beckett doit écrire à la même époque (il les dira terminés en 1950) et qui sont le dernier ouvrage non théâtral de l’Irlandais.
En ces 13 textes, celui qui parle – ou celle? – a tenté l’épreuve du souvenir d’abord. Ce fut, pour Lawrence, Gilbert-Lecomte, Artaud, le vestige, le relief des grandes œuvres du Passé. Mais, ici, l’Histoire s’abolit, et toutes les histoires et légendes, tandis que l’homme tombe dans la mort, de plus en plus bas.
Non. Le lieu, s’il est un lieu dans le temps, serait plutôt un vide, une anfractuosité au sommet d’une montagne, où l’homme a donc dû monter. C’est dans un cercle surélevé que le maudit se tourne et se retourne sans cesse, cherchant l’issue,
« Si je disais, là il y a une issue, quelque part il y a une issue, le reste viendrait. Qu’est-ce que j’attends donc, pour le dire, de le croire? Et que signifie, le reste? »
avant de comprendre – d’admettre – que cette Forme Vide est seuil, entrée/sortie, la fin/début du cycle, là où la dent du rouage sera sautée, pour que le tic tac d’Artaud devienne tac tic…
Nous le découvrirons un jour, le fondement de tant de paroles, le relief/vestige ou souvenir – ce que le corps fut en sa vie (clochard place de la Bastille ou bien au Père-Lachaise) – il est aussi relief/rebord. Cette parade/parage est aussi ensemble des parures. Mais la Figure Seule ignore les mots et leurs jeux. Elle ignore même la Voix qui continue de vibrer en elle, le questionneur du vide, l’être-parole, pour lequel même le Vide se doit d’être jugé, « aux audiences de je ne sais quelle cause », dit Beckett.
Car l’important n’est pas le nom – les noms – des parties en cause, plus que la nature de la mémoire oubliée, plus que la définition de l’issue vainement recherchée. Mais peut-être est-il en cette trilogie : le souvenir sans signe, le seuil impossible, l’étrange dialectique d’un procès dont on ignore les raisons, qui rejoint, encore une fois, la dialectique éternelle de l’Akh (le signe ou le vrai, l’En-soi) et du Ba (appareillant, dialecticien comme le bien ou la vertu, en même temps que procédurier).
Non seulement le Signe (sa mémoire ou son oubli), le Seuil (l’entrée/la sortie), l’Appareil du procès n’ont pas à être mieux définis, mais ils sont eux-mêmes les seules définitions dont ait besoin l’inventaire, comme une Figure ne se définit que par sa formulation, ses limites et la dialectique la plus courte : un sens vectoriel ou l’autre, ou la longueur et la largeur, ou le dedans et le dehors, etc.
Il n’est pas besoin d’être grand clerc en ésotérisme pour reconnaître dans ces 3 de Beckett les 3 non-platoniciens de Gilbert-Lecomte et de René Daumal, mais également les 3 Aspects de tout objet : le nombre, la figure et le vocable (quoique d’une manière toute différente), puisque la Dialectique de Beckett n’est pas celle d’Artaud (Dieu et le diable) ou de Lecomte ou de Lawrence ou de Rimbaud.
Il est, dit Beckett sans cesse, il n’est pas; il pleut, il ne pleut pas, la voix se tait, elle ne se tait pas… Ainsi, la Dialectique – différente en chaque F.V. – est toujours cette dialectique même : entre les valeurs de la Société (données pour véritables, morales ou efficaces) et les valeurs de l’individu dénudé, du Moi de Lecomte, du Moi-Dieu d’Artaud, de l’aveugle-manchot-cul-de-jatte-sourd-paralysé de Samuel Beckett.
Non moins différentes, les issues (entrée/sortie) ont pu se nommer Discipline chez le soldat Smith, Drogue chez Lecomte, Folie chez Artaud. Elles sont, chez Beckett, l’extrême clochardise électronique pour l’entropie matérielle, l’Entrée dans la Forme Vide (banlieue, délivre, parage) et le théâtre le plus sophistiqué pour Sortie de la F.V., le début de toute récurrence (parures et ensemble des parures : parade).
Le fait est qu’après les Textes pour rien, Beckett n’écrira plus que pour le théâtre, et que ses pièces : En attendant Godot, Fin de partie, Oh! Les beaux jours, etc., ne tendront jamais qu’à un vide mieux cerné, hanté par des clochards de plus en plus ioniques ou entropiques : Malone, Molloy toujours, les mendiants en chapeau melon et gants troués du Père-Lachaise ou de la place de la Bastille, dans les derniers Textes pour rien.
Mort éternelle et/ou parfaite? Il faut choisir. Ou bien ne le faut-il pas?
Cela non plus n’est pas nouveau. Ce même besoin d’une complétude maintenue, d’une perfection qui dure est ce qui jette Rimbaud mais aussi Lawrence, Artaud non moins que Lecomte aux abîmes de la F.V. Avoir été pour quelque chose, disent-ils tous. Ne pas avoir été pour Rien. Mais ce Rien, disait déjà l’étrange philosophe médiéval, que serait-il sinon ce qui n’est pas, l’inexistence? Comment parlerais-je de l’inexistence? Comment la craindre? demande aussi Montaigne. Quand elle sera là, je n’y serai plus.
La Forme Vide est autre chose : une absence, un rien qui existe, information/structure de Laborit, neurone du neurobiologiste, caisson psychanalytique du montreur de dauphins. D’où la nécessité du rebord, du relief, d’une entrée/sortie en bordure, ou de cent sorties/entrées, comme autant de pendeloques au bord d’un lustre…
2
Brimborions et Pendeloques
Pour admirables qu’elles soient, ces œuvres déconcertent, elles peuvent décevoir, et ce n’est pas à cause de leur puissant tragique, de leur quête insensée. Il s’agirait plutôt de la naïveté que Gilbert-Lecomte avoue, dont il se targue : « Le Grand Jeu prétend susciter dans la philosophie une révolution analogue à celle, cosmographique de Copernic, et lancer la conscience sur l’immense trajectoire de l’Acte conscient à travers les modes innombrables de la pensée. » (Œuvres complètes, tome I, p; 152).
Ces » modes de la pensée » sont tout, sauf innombrables : telle est la naïveté. Sans quoi comment se pourrait-il qu’ils se retrouvent plus qu’analogues, presque semblables, dans des machines ou des figures aussi diverses? Exactement : autour de Formes Vides aussi dépareillées – un peu comme des pendeloques autour d’un lustre…
Du fond de ses drogues et de ses états sur-conscients Gilbert-Lecomte lui-même les recense, les inventorie sans fin, comme Lawrence/Smith du fond de sa matrice. Elles sont, ces loques qui pendent, aussi bien les clochards du théâtre de Beckett que les Filles d’Artaud. Mais elles sont non moins les peintures d’Escher, les fugues de Bach, les séries de Gödel, en leurs « motifs » rigoureusement répétés. Sans quoi comment Hofstadter eût-il écrit son livre, fait de ces seules ressemblances?
Il s’agit tellement bien, ici et là, des mêmes choses, nommées, nombrées ou figurées diversement, que le poète rattache ses Filles, tout au long de ses cahiers, aux poèmes ou aux fleurs, aux couleurs ou à ses dessins, aux pièces d’un tramway, aux évènements de l’Histoire, sans plus de gêne que Saint-Yves d’Alveydre ou Yeats les signes zodiacaux ou les évènements de l’Histoire, les notes ou les couleurs, etc., aux structures qu’ils se sont choisies.
Ce n’est pas une particularité de notre époque. Aux Spécialités de Balzac, conquis par Wronski,, ou aux démons du Saint Antoine de Flaubert, aux Traditions de Blake et de Renan, aux pendeloques de notre F.V. répondent les analogies de la Cène de Cyprien ou de Virgile de Toulouse, il y a quinze siècles, les Idées de Platon, les Eléments de la Vision d’Ezéchiel, les Nombres des arches des Noë de la Bible et de « L’homme qui a vu », il y a trois mille et quatre mille ans. Correspondent, nous y viendrons, les Symboles de l’Apocalypse du pseudo-Jean.
Nous y viendrons aussi : ces pendeloques peuvent être décomptées 64 = 43, ou 12 : 4×3, ou 4+3=7, etc. En aucun cas elles ne se présentent comme innombrables, et surtout pas en ces F.V. qui font l’objet de tout inventaire, entrées/sorties de l’inane information/structure. Mais, pour l’instant, il est question de comprendre comment – ou d’admettre que – des brimborions de si peu de valeur (12 du zodiaque ou 64 du Yi King) à la fois posent et résolvent en quelque sorte à la fois le problème rationnel de Korzybski, de Laborit, de Lilly, de Hofstadter : le système fermé ne livre passage qu’au niveau supérieur d’information/structure (lui-même un univers fermé), et le problème théosophique de l’ésotérisme universel : il n’est de passage dans le monde des Idées, des Catégories, des Archétypes, qui ne se présente comme un SAUT, de ce nombre naturel à cet autre, ou de cette orbite à cette autre, ou de ce système à cet autre; c’est-à-dire, dans les deux cas, d’une Forme Vide à l’autre.
Quel que soit le nom donné à un tel « saut », on voit bien qu’il ne peut se tenter qu’à partir d’une entrée/sortie rationnelle ou d’une fanfreluche[1][1] mythologique, si bien que la première est comme la seconde, ou que la seconde définit suffisamment la première. Mais il reste que, si Artaud cesse de croire à ses Filles ou Lawrence à ses Piliers, Laborit à ses 3 cerveaux et à ses 4 comportements, Daumal à ses Voyageurs ou Yeats à ses Facultés, Korzybski à ses 4 niveaux, ou Hofstadter à ses 3 aspects de l’objet, etc., ils s’abolissent dans l’instant, dévorés par la Forme Vide.
Car, sans le suffrage, le Purgatoire devient éternel : il ne se distingue plus de l’enfer. Sans l’information mythique, l’ion n’est plus que le dernier état de la matière, le neurone ne fonctionne plus. La pendeloque, ici, est l’escalier même qui permet de franchir l’intervalle – l’espace – qui sépare les niveaux l’un de l’autre. Escalier/saut, relief/Relief, que formule le terme : Echappement. En son absence, comme dans le cas où la voûte s’effondre, comblant l’intervalle, le révolté, le fou, le désespéré n’a plus qu’à se laisser mourir, ce qui est le sort de tous les hommes, et à se laisser mourir pour RIEN, ce qui est le sort des damnés.
Dans les Textes pour Rien, le clochard de la place de la Bastille bouge encore, ses jambes, ses bras, la main, quand il mendie. Mais, dans le grand trou, la mort, quelque autre ne mendierait-il pas? Un souvenir, une issue, une procédure? Ou Lawrence, les jeunes du Grand Jeu (et tous les jeunes révoltés qui suivent), Artaud et tous les fous de 1986, chacun en abîme choisi?
De dos ou de face, de ce profil droit, de ce profil gauche, se représentant distinct, passé, à venir, ailleurs, comme le malheureux insomniaque se tourne et se retourne dans le lit… Je le répéterai en vain après Job, Empédocle ou le musulman Rumi : j’ai été cet enfant, cet adolescent, cet adultère, une Pierre, un Oiseau, un Serpent, un Arbre. Recommençant à nouveau, comme chaque jour, l’inventaire.
Au-delà des fanfreluches, des brimborions, des pendeloques, recherchant la permanence (maintenance et complétude) des Lois…
[1][1] Lorsque j’écris le mot, il ne présente pour moi aucun sens particulier. Je n’ai pas encore lu les pertinentes analyses que Alfred Glauser et Claude Gaignebet font des Fanfreluches antidotées de Rabelais, le plus prodigieux inventorieur du 16ème siècle.
3
La première application :
le Même et l’Autre
La 1ère Loi s’applique ainsi, en son paradoxe double : à chaque niveau du lustre, les pendeloques sont différentes, elles sont les mêmes; d’un niveau du lustre à l’autre, elles sont les mêmes, elles sont différentes, et les niveaux les mêmes, différemment, différents de la même manière.
Examinons.
a) si elles sont les mêmes, elles font la distinction, la discontinuité, la différence; il n’est pas de chose même qui ne se modifie;
b) si elles sont différentes, contraires ou opposées, elles font la continuité, l’alliance, l’analogie. Les altérités se reconnaissent comme de mêmes choses.
Nous avons dit, succinctement, que toutes les pendeloques se ressemblent, au cœur même de leurs différences : Piliers et Voyageurs, Filles et Clochards. Nous ne l’avons pas démontré.
Or, pour ne prendre que les F.V. qui se formulent de Mme Yeats à Beckett, ou de 1923 à 1950, et le précurseur, Rimbaud en Ethiopie, nous voyons que toutes les F.V.
a) jouent de l’ouest vers l’est, et plus spécialement de l’Irlande vers l’Ailleurs, ou à l’inverse, l’Ailleurs étant ici, symboliquement ou concrètement, l’Islam,
b) jouent de la Volonté (d’absolu) vers le Masque, dans la terminologie de Yeats, ou du Masque vers la Volonté d’absolu. Tandis que, bien sûr, parallèlement et simultanément, l’Esprit créateur fait l’Œuvre … jusqu’où le permet le Corps du destin.
Il est aisé de le vérifier.
Artaud est venu du théâtre, non seulement comme comédien mais comme théoricien de la scène (L’homme et son double, le « théâtre de la cruauté »); Beckett y va, si droitement que Textes pour Rien est son dernier texte non théâtral. Or, dès le début de sa Vision, Yeats a précisé l’origine de sa terminologie si particulière : la commedia dell’arte. « Le metteur en scène ou Daïmon propose à son acteur un scénario traditionnel, le Corps du destin, et un Masque ou rôle aussi différent que possible de son Ego naturel ou Volonté, il lui laisse le soin d’improviser par l’entremise de son Esprit créateur le dialogue et les détails de l’intrigue ».
L’Esprit créateur, ainsi, s’oppose au Corps du destin, qu’il complète cependant, comme le particulier complète le général; le Masque recouvre la Volonté, en même temps qu’il la contredit, comme l’artifice le naturel.
Mais l’ensemble des Cahiers de Rodez n’est que l’histoire de ce combat entre l’E.C. et le C.D., et de la victoire du premier sur le second, ou du Poète sur le Fou. Quant aux Textes pour Rien et à tout le théâtre ultérieur de Beckett, ils seront essentiellement l’histoire de l’implication du naturel dans l’artifice et l’inverse, en sorte que l’un ne peut être sauvé que par l’autre.
Les exemples donnés par Yeats pour illustrer les 28 phases de sa machine n’en laissent d’ailleurs jamais douter : ésotéristes ou créateurs, de Dante à Nietzsche, de Swedenborg à Gabriele d’Annunzio, par les grands romantiques anglais, allemands ou russes, ces pendeloques sont des marionnettes, les inventeurs de la Comédie (divine, humaine) sinon de grands comédiens eux-mêmes, à diverses distances des Quatre Facultés, selon que l’une ou l’autre domine.
Si, néanmoins, je choisis cette communauté : le Théâtre, entre nos Formes Vides, qui ne voit pas qu’elle m’échappera tout aussitôt? Elle serait à l’origine des Cônes de Yeats, au terme des Textes pour Rien, elle engloberait toute la vie sociale d’Artaud, resterait absente de la vie de Smith (sinon de celle du colonel Lawrence) et des dix dernières années de Gilbert-Lecomte.
Il en serait de même si je faisais des termes topologiques : Irlande/Islam une autre communauté. Sans doute, Irlande est comme le lieu de rencontre géométrique de Lawrence, de Yeats, de Beckett (et de bien d’autres mythologues ésotéristes, que Yeats n’oublie pas, de Swift à Synge); plus étrangement, Dublin est le point de départ du martyre d’Artaud : « Ayant été déporté d’Irlande en 1937, pour avoir provoqué une émeute à Dublin… »
Sans doute, l’Islam achève la vie de Rimbaud, il est au début de celle de Lawrence, hante Gilbert-Lecomte et, par Guénon d’une part, les surréalistes de l’autre, ne peut être étranger aux phantasmes d’Artaud, notamment à son obsession d’être poursuivi de la haine de certains spirites ou sectaires, comme on le constate dans les Lettres de Rodez.
Mais, là encore, qui ne voit que les deux pôles échappent sans cesse au quêteur d’une communauté, tantôt origines tantôt fins, celui-ci ou celui-là, sinon trop présents ou accidentels, englobants, exceptionnels, à la limite de l’absence, etc.?
A la différence d’une communauté trop assurée, mais insituable ou innommable : la F.V. même, sa vacuité, son échappement, sa récurrence, entre les Clochards et les Filles, les Facultés, les Voyageurs…, c’est au contraire à partir d’une communauté toute formulée : théâtre, Irlande/Islam, que se concrétisent le mieux les divergences qui interdisent la confusion entre les diverses figures.
C’est donc, une fois encore, comme en application des lois de polarité : l’autrement qui associe (le yang anima), la même chose qui dissocie (le yin animus).
4
La deuxième application :
le contenant et le contenu
Il ne serait pas impossible de formuler autrement l’application précédente :
a) A un niveau donné, les pendeloques différentes présentent un caractère commun, que formule une figure commune : au niveau d’Artaud, Caterine, Anie, Cécile sont Filles; au niveau de Beckett, Molloy et Malone Clochards. En A, 1, 2, 3, etc. sont A1, A2, A3.
Mais, isomorphes, les pendeloques Filles – ou Clochards ou Voyageurs ou Piliers – demeurent spécialisées : la Puissance n’est pas le Courage; si Caterine fait le 1er dessin, c’est Neneka qui fait le deuxième.
b) L’isomorphisme des silhouettes fait la spécialisation du niveau : l’un est celui des Piliers, l’autre des Filles, le troisième des Clochards : a, b, c, se distinguent de a’, b’, c’ parce que les premiers sont de l’ensemble I, les deuxièmes de l’ensemble II.
Pourtant, tous les niveaux : I, II, III comportent le même jeu de nombres (3 et 4, essentiellement) et il n’est jamais impossible – à condition de ne pas leur chercher une formulation commune – de montrer comme les Facultés recouvrent les Eléments, ou ceux-ci les Qualités, celles-ci les Sciences.
Composés ou illustrés des pendeloques similaires ou isomorphes, les niveaux sont donc eux-mêmes comparables, dans l’indicible. On peut tous les décrire comme une Forme Vide, fermée mais ouverte au seul point de passage, fermée sur soi-même comme un cycle, un cercle, une horloge, ouverte comme le minuit du jour ou le dernier jour de l’année, qui n’élimine pas ce jour, cette année, sans faire naître le cycle suivant, non plus vécu comme du jeune au vieux, du principe à sa destruction, mais connu comme certain dès l’origine, puisqu’il ne fera que répéter l’Ancien, en ses heures dans le jour ou ses mois dans l’année.
C’est ici même que le vestige/relief du Jour ou de l’Année passés (la dernière seconde, la dernière heure) achève le cycle, l’accomplit, et que cet accomplissement devient la circonférence, le rebord, le Relief excroissant du cycle suivant, où le récurage se fait récurrence. Différemment : où le plus petit, le négligé, l’exception, se fait le plus grand, l’englobant de toutes les pendeloques – et à l’inverse.
Or, c’est ici, précisément, que nous sautons de la 1ère Loi, de Polarité, à la 2ème, de Contenance, mais aussi de nos F.V. « littéraires » à de tout autres syncopes, échappements, récurrences, où les pendeloques se nomment « facteurs subatomiques », ions et structures informatiques, « synapses » et « axones », ADN et ARN, etc.
C’est en physique nucléaire le paradoxe du spin ½, formulation toute partielle d’un des 4 facteurs qui définissent la particule, mais qui recouvre tout le jeu des localisations électroniques que décrit le principe d’exclusion de Pauli : deux particules que définissent les mêmes facteurs ne peuvent coexister sur une même orbite.
C’est en macrobiologie le paradoxe de l’ARN, produit annexe de l’ADN mais qui recouvre la chaîne ADN tout entière, la « lit » et la « traduit ». Un peu comme, entre cent postes dans une industrie, le psychanalyste de service est celui qui décide de l’acceptation ou du refus pour TOUS les membres du personnel.
En mathématiques, le Tout peut être, à l’infini, une série de factorielles inverses. Cet infini pourtant s’arrête à une certaine constante (e-1) équivalente à une factorielle : 12/7. Etc.
A la différence des pendeloques : Filles, Clochards, Piliers dans les F.V. littéraires, mais non sans ressemblance avec les clés : Théâtre, Irlande/Islam dans les mêmes Formes Vides, ces porte-clés scientifiques présentent une double isomorphose.
a) chacun d’eux peut être pris tantôt comme un contenant (de la lecture/traduction de l’ADN, de la série des factorielles inverses à l’infini, de toutes les séquences orbitales d’une particule de spin ½), tantôt comme un contenu : l’ARN, du « ribosome » dont il n’est qu’une partie, la constante (e-1) d’une série de constantes déterminées, ou le nombre factoriel 12/7 comme inclus dans la suite : 12/1, 12/2, 12/3, 12/4, etc.
b) chacun d’eux, en tant que contenant, se présente comme le terme, l’achèvement d’une série ou d’une succession, qui recouvre exactement ce que j’ai nommé l’Ecart, que Yeats nomme le parcours de l’ouest vers l’est et Laborit la chaîne thermodynamique; c’est-à-dire qu’il ouvre à l’objet l’Entrée de la Forme Vide;
chacun d’eux, en tant que contenu, se présente comme une partie d’un élément tout autre, que j’ai nommé le Suffrage, que Yeats nomme le parcours de l’est vers l’ouest et Laborit la chaîne informatique. On peut y voir une sortie de la Forme Vide, essentiellement par récurrence ou feed-back.
C’est alors que le spin1/2 se renverse en spin 2, le « fermion » en « boson » et la série de Pauli en une série toute différente, qui se peut rattacher à la succession de Mendeleieff, en terminant par l’hydrogène (2n² = 2).
C’est alors que 0 = 0/x, terme de la série des factorielles inverses et de la durée de tout corps radioactif, en la sommation 12/7, se transforme en son inverse : x/0 = ∞, départ d’une suite tout autre : de 12/0 à 12/12 ou de l’infini à l’Unité, où 12/7 n’est qu’une fraction parmi d’autres.
C’est alors que l’ARN n’est plus seulement une lecture de la chaîne ADN, mais aussi une partie – la partie catalysante – de l’ensemble « ARN/protéine » qu’on nomme « ribosome » et que le simple passage de l’ARN charge en effet de protéine et, plus spécialement, d’enzymes, eux-mêmes catalyseurs, etc.
Plus brièvement : le contenant a pour fonction de ne plus rien contenir et c’est ce qui se passe au terme des séries de spin ½ ou de la série des factorielles inverses ou de l’ADN. En cette dissolution se situe ce que nous avons nommé l’Entrée dans la F.V.
Mais, alors, le contenant se transforme en contenu, qui, tout de suite cesse d’être contenu en la F.V. et commence d’exister par soi-même. Un peu comme, d’une boîte d’allumettes vide, on fera l’élément premier, la première brique d’une tout autre construction.
Le contenant ne pouvant être que vide, en la Figure Seule, le contenu ne peut que se tenir en dehors, exclu.
Ainsi peut-on se figurer ce que la 2ème Loi ne présentait que comme un calembour : pour que le recouvrement topologique ne soit pas une perte (une cache), il faut en faire, par le feed-back ou le retour, un recouvrement comptable;
Pour que le découvrement final, au terme d’une série, ne soit pas une perte, une casse, un découvert comptable, il faut en faire, par l’inversion du contenant au contenu, l’objet d’une découverte.
En termes de lecture, cette découverte sera toujours l’effet d’une épellation et ce recouvrement/retour sera toujours l’agent, le motif d’une révélation, ces deux mots disant du reste parfaitement ce qu’ils ont à dire : écartement de la peau ou remise du voile. Utilisables par ceux qui n’auraient pas compris, ou mal aimé, les vocables : Ecart et Suffrage…
5
La troisième application :
ordonnancement et passage
La 1ère Loi permet d’écrire et de reconnaître les pendeloques d’une F.V. donnée; mieux : d’attribuer à chaque F.V. les brimborions, clés, porte-clés qui lui reviennent : ce qui est de la chose même et de la chose autrement, de la même chose et de l’autre chose : les INSCRIPTIONS propres à cette figure-là.
La 2ème Loi permet de décrire et de se figurer la F.V. même, toute entrée ou sortie en somme, en tant que contenant non recouvrant ou contenu découvert, en tant que cette perte absolue : le zéro et ce gain non moins absolu : l’infini. Elle formule les FINS (et les MOYENS).
La 3ème Loi déborde le cadre de la F.V., de ses pendeloques et de son issue : entrée/sortie. Elle traite non seulement du Contenant avant qu’il soit complètement vide mais du Contenu alors qu’il existe de son existence propre, hors de la F.V. Elle traite donc, essentiellement, d’elle-même, la loi de passage, de l’Autel plein à la Caverne vide ou à l’inverse. En une sorte d’auto-référence, comme lorsque Georges Perec décrit un peintre se peignant peignant un peintre se peignant, etc. Ou comme toute politique s’épuise à juger le politique politiquant (bien dans le parti, mal en dehors), l’informatique s’illumine d’informer de l’informatique, etc.
Ne traitant que soi-même passant de ce lieu-ci à ce lieu-là, la 3ème loi n’est que mot d’ordre, numéro d’ordre, figure ordonnée avant tout. L’Ordre peut s’imposer par l’expérience : ainsi de l’ordonnancement des 3 polariseurs qui laissent passer, ou ne laissent pas passer, la lumière, ou comme les couleurs, les notes se succèdent effectivement dans leur gamme propre, ou comme l’adolescence suit l’enfance, etc.
A l’inverse, l’ordonnancement est le fruit de l’artifice quantique : 1 précède 2 qui précède 3, ou lundi, janvier vient d’abord, mardi, février ensuite, dans la semaine ou dans l’année.
Si pourtant quelqu’un ou quelque chose traverse la semaine ou l’année, lundi, janvier seront derrière lui quand il abordera mardi ou février. Il vieillira dans le sens inverse de l’ordonnancement calendérique, non pas de l’Avenir au Passé (ce jour va être, il fut), mais du devenu (le jeune) au devenir (le vieux, le mort que je vais être). Quand donc quelqu’un s’efforce de contenir à la fois le Temps calendérique et sa propre durée, il se trouve dans le cas d’une autre série, qui tend vers l’Unité – sans jamais l’atteindre – et s’en éloigne, sans l’avoir atteinte.
Cette série joue des 2/3 de l’Unité à Pi/4 ou 22/28, dans le rythme 1 – 1/3 (= 2/3) + 1/5 – 1/7 + 1/9 – 1/11 + 1/13 – 1/15, dont la sommation est Pi/4, équivalent à 22/28, à l’infini.
Jouant de ses 6 (Filles) Artaud ne résout pas le problème, ou ne le résout que pour les 2 premières : Caterine et Neneka, fragmentairement; relativement, il saura ce que symbolisent, ce que créent – ou non – Yvonne et Cécile; mais il ne décidera jamais ce que formulent Anie et Ana, que, pour finir, il dira « à naître ».
Au contraire, Yeats obtient un ordre satisfaisant avec ses 4 Facultés; de même que le physicien nucléaire avec ses 4 Facteurs (même si l’un se fait sans cesse de contenant à contenu ou à l’inverse); aussi le macrobiologiste avec les 4 bases de l’ADN : ACGT et les 4 bases de l’ARN : ACGU.
Mais, alors, le macrobiologiste jouera, différemment, de la » structure tertiaire » des enzymes, où « g » formule « gauche », « d » « droite » et « t » ce qu’il est, le physicien nucléaire jouera des 3 « spins » ou du positif, du négatif et du neutre (neutron), Yeats inventera, outre le Primaire et l’Antithétique, la dialectique du double sens de l’un à l’autre, de l’autre à l’un.
Il faudra pourtant se rappeler que la 3ème Loi impose un ordonnancement unique, tel que le polariseur B doit se situer entre A et C (pour que la lumière passe), mais qu’elle autorise au moins ces deux sens : ABC et CBA. Il pourrait donc s’ensuivre qu’une succession de deux ordonnancements se présente soit comme une répétition du sens : ABCABC, soit comme une inversion de ABC à CBA.
Dans le premier cas, nous nous trouverions dans l’hypothèse d’une succession « calendérique », telle que : lundi, mardi, mercredi… compose un ordonnancement immuable, indéfiniment répété. Et, de même, au niveau supérieur : janvier, février, mars… comme se succèdent les Filles autour du lustre « Artaud » ou les Piliers autour du lustre « Lawrence ».
Dans l’autre cas, nous nous retrouverions dans l’hypothèse scientiste, qu’illustrent les exemples du spin, du ribosome, ou de la sommation (e-1) de l’immuable succession : 1 + 1/2 + 1/6 + 1/24…, mais où tel spin (au ½), tel ribosome ou (e-1) se positionne soi-même dans un tout autre ordonnancement, de la succession des spins, des ARN ou des enzymes, des constantes irrationnelles.
Exemple : la macrobiologie des « neurones rétiniens » partage aujourd’hui ceux-ci dans l’inventaire trilogique : l’excitation visuelle ou le « décollement de la rétine », le nombrement quantitatif de l’excitation, sa figuration (centripète ou centrifuge, centrée ou excentrée).
Mais la macrobiologie des cellules cervicales partagera, dans le cadre des Trois Cerveaux, les cellules du Cortex en : Simples ou dialectiques, dites « captrices de contraste », complexes (signifiantes/signifiées), sensibles aux signaux éclairés ou obscurs, ou hypercomplexes, qui réagissent aux droites, aux cercles, etc.
Il est clair que les deux inventaires jouent d’une même trilogie : le Signe (ou le nombre), l’Appareil (l’excitation ou l’inversion), le Seuil, de perception ou d’usage. Mais il ne l’est pas moins que l’inventaire des neurones rétiniens ne se peut identifier à celui des cellules du cortex, car l’un et l’autre se positionnent à des niveaux différents. Le scientifique dira volontiers, devant ce problème, qu’à un niveau donné, les structures dénommées (ou pendeloques) apparaissent contingentées, dans un ordre nécessaire, et que, d’un niveau à l’autre, toute succession ne peut être que contingente, hasardeuse.
Mais nous verrons que le degré de liberté de l’heure, dans le jour, demeure lié au positionnement de l’heure dans la saison (quart de l’année) ou celui de la saison, et donc du mois, au positionnement de l’année dans un cycle « supérieur », de l’activité solaire, etc. La fonction du neurone rétinien est-elle vraiment indépendante de la nature de la cellule cérébrale?
Le scientifique a peur de cette question.
L’ésotériste ne la craint pas. Car le déterminisme ou le contingentement calendérique se reconnait dans la vie d’un homme, où la succession des penderilles enfantines n’est pas indépendante de la succession des penderilles de l’homme tout entier (la première détermine la seconde dans l’optique psychanalytique, ou à l’inverse dans une optique religieuse). Si les ordonnancements du neurone rétinien ne sont pas indépendants des ordonnancements de la cellule du cortex, ce serait à dire que ceux des facteurs de l’électron, dans le cadre du spin ½, ne le sont pas de ceux des spins, ou que ceux d’un enzyme donné ne le sont pas de ceux des enzymes. Comme 12/7 ou (e-1) permettent le jeu des factorielles inverses, mais qu’une autre fraction (12/9) ou une autre constante (Pi) ne le permettent pas.
Dans un sens ou dans l’autre, comme direct ou précessionnel, l’ordonnancement des pendeloques à un niveau (de Lawrence) ou à un autre (d’Artaud) serait lié à l’ordonnancement des niveaux ou des F.V., comme de Lawrence à Gilbert-Lecomte, puis de Lecomte à Artaud. Serait la suite : Lawrence – Grand Jeu – Artaud – Beckett comme la succession Caterine – Yvonne – Neneka – Cécile ou Molloy – Malone – Pozo – le héros de Fin de Partie dont j’oublie le nom, dans une infinie auto-référence?
Les phases d’un cycle, ou les degrés dans un niveau donné, seraient-ils que des copies de cycles ou de niveaux?
Les conséquences analogiques en seraient incalculables, l’ordonnancement vérifié dans l’association de pensées se répétant aux plus hauts niveaux de la Foi. Puisque A, B, C étant donnés, je ne puis revenir de C à A sans passer par B, le Retour du Christ, envisagé par de nombreuses sectes – dans le cycle de deux mille ans – ne peut ramener qu’aux croyances médiévales : le Christ-Roi et l’Inquisition, comme on le voit d’ailleurs par le fanatisme des Intégristes. Ou bien, si j’entends par « Christ » non pas ce dieu particulier : Jésus-Poisson, l’Icthus mais le Dieu éternel, maître des cycles et renaissant lui-même tous les 2160 ans, il ne renaîtra pas – dans le Paraclet ou l’Esprit, le dieu suivant – sans que l’humanité soit passée par le culte de l’Antéchrist, comme l’ont su tous les prophètes.
Dans les deux cas (dieu contenu ou Dieu Contenant, pendeloque ou F.V.) l’ordonnancement est celui-là :
a) Jésus – le dieu des Inquisitions – l’athéisme – l’Inquisition…
b) Christ éternel – le déclin éternel des dieux, l’Antéchrist médiéval – l’athéisme – le nouvel Antéchrist – une nouvelle formulation du dieu, dans le Christ éternel.
Mais la 1ère succession (de pendeloques) s’offre comme entrées/sorties dans ce cycle-là : chrétien. La 2ème succession (des Formes Vides) s’offre comme l’ordonnancement précessionnel des ères cycliques, entrées/sorties elles-mêmes dans une Grande Année de 26000 ans : l’ère glaciaire.
Aussi bien le jeu mythologique que le jeu neurobiologique, aussi bien le jeu métaphysique que le mathématique ne ramènent qu’à l’isomorphisme de la 3ème Loi : puisque la Maintenance entre les Complétudes ne réside pas dans le Même (mode ou fonction des éléments, des phases, des cycles), elle doit résider dans l’Autre, la localisation des altérités, l’ordre de leur succession, quelle que soit leur diversité apparente. De cette mort ou de cette F.V. on ne sortirait que par un ensemble régulé, ordonnancé – dans le seul sens possible d’une récurrence rigoureuse, immuable à tous les niveaux, en toute mort.
Si nul écartement, détour, ne mène qu’à cet autre écart : la partition, de cette partition, de cette quadrilogie il faut partir pour retrouver en sens inverse les Trois Aspects de l’objet, ou le Seuil, l’Appareil et le Signe, les trois Arts de Boèce, les trois natures de Bolos, les trois « fonctions » de Dumézil, etc.
Nulle autre âme ne survivra à ma mort propre que cette localisation de mes souvenirs, de mes espoirs de survie ou de rachat, et des procédures que Quelque Chose dosera, en fonction de mes écarts et de bien d’autres suffrages ou élections. Exactement comme le ribosome surmonte l’ADN, l’informatique la thermodynamique, la série de sommation Pi/4 la série de sommation (e-1). Ou comme cette pendeloque à zéro (devenue F.V.) est surmontée par cette F.V., à l’infini, devenue pendeloque d’un autre cycle.
V
Les Manèges
1
La disposition
On pourrait établir un très bref générique :
les lois de polarité ont dominé, en croissance, depuis l’électra de Thalès jusqu’à l’électromagnétisme de l’époque 1900,
les lois de finalité, de peuplement/dépeuplement, ont cru en importance depuis les citadins de Sumer jusqu’aux Tribus de Moïse; elles ont décru ensuite, jusqu’à l’abolition des Tribus (le temps de Thalès ou d’Ezéchiel). Elles sont à peu près ignorées de nos jours, sauf des quêteurs inventoriaux et des chercheurs fondamentaux, moins dissemblables qu’on pourrait le croire,
les lois de passage, oubliées depuis de nombreux millénaires, ne renaissent qu’aujourd’hui, timidement encore ou à peine esquissées par les nouvelles sciences et des arts inédits, dont j’ai donné quelques exemples.
D’autres temps eurent d’autres lois, ou bien les mêmes, qu’on nommait autrement. Ces mêmes lois établirent d’autres figures, continues ou discontinues, les peuplèrent et les dépeuplèrent, y ouvrirent des passages tout de suite refermés.
A d’autres Formes Vides pendirent les mêmes silhouettes mobiles et variables que nous avons entendu nommer : Piliers ou Filles, Clochards ou Pèlerins, Factorielles inverses ou Facteurs, Bases ou Synapses, etc.
Ou bien, à de mêmes Formes Vides pendirent des silhouettes différentes, dressées aussi autour du cadran de l’horloge ou du contour du mandala :
les animaux divins du Livre des Morts égyptien : le Crocodile, le Serpent, le Faucon, le Cynocéphale, l’Ibis,
ou les 30 oiseaux d’Attar, dont 22 seulement parlèrent, 10 se présentèrent, 12 furent interpellés (7 étant communs aux deux groupes), sous le patronage de la Huppe,
les nostalgies et les repentirs qui hantent les bords du Purgatoire médiéval,
mais également les Anges qui parcourent les grandes salles d’Alain de Lisle et de Bernard Silvestris, au 12ème siècle,
les métamorphoses d’Empédocle le grec et de Rumî l’islamique : la Pierre, le Poisson, l’Oiseau, l’Ange,
mais également celles des dieux d’Hésiode, d’Ovide et de Nonnos.
D’autres temps auront d’autres lois, qui seront les mêmes. Et la même Forme Vide, parée tout autrement, de planètes à découvrir ou de grands galactiques, monstrueux comme des gargouilles mais réguliers comme les heures d’un beffroi flamand.
Il fallait bien qu’une m’apparût avec ses pendeloques. Ce furent trois visions, pareilles et pourtant différentes, où se pourraient reconnaître les visions d’Ezéchiel, de Nuysement et de Yeats mais que, certes, ni l’un ni l’autre n’eussent reconnues pour siennes.
Les Manèges.
2
Les Visions
la première
Un instant je me crus pris dans une ronde, mais j’en rompis bientôt le cercle. Je vis mieux les silhouettes qui m’avaient entouré : l’une semblait venir vers moi mais elle regardait en arrière, je ne voyais pas son visage; une autre s’éloignait sans me quitter du regard; d’autres encore poursuivaient la danse, une jambe ici, une jambe là, certaines les yeux tournés vers moi, d’autres non.
Puis je fis un de trop, les figures s’abolirent, ou je les vis autrement.
Elles devaient toutes être semblables : la diversité seulement de leurs postures m’avait abusé.
la deuxième
La deuxième vision fut d’un grand manège qui tournait en plein centre d’une plaine recouverte d’un dais ou d’un ciel nuageux. Tout d’abord je ne pus dénombrer les figures pendues au dais de bronze – ou de fer ou de bois – ni les distinguer clairement. Quand le manège tourne très vite, elles ne figurent plus, ensemble, qu’une seule silhouette, un gros pilier de brume qui tournerait sur soi-même, comme l’esprit non éveillé en son aveuglement introverti. Puis, le manège ralentit et je vis que les figures étaient plusieurs (10 ou 12).
Il ralentit encore. Je distinguais que les figures, nombreuses mais semblables, ne sont pas seulement pendues, mais qu’elles se dressent, comme sur la pointe du pied, au sommet d’une boule qui tourne sans arrêt à sa propre vitesse, que le manège aille vite ou non. Si bien que chaque sphère ne présente de la figure, successivement, que l’une ou l’autre de ses quatre faces.
Elle-même, la figurine, est comme l’un de ces mobiles faits de trois éléments : la tête, le torse (et les bras), le bas du corps (et les jambes). C’est-à-dire qu’elle ne s’expose jamais entièrement au regard, mais qu’elle montre tantôt le profil d’une tête, le torse de face et le bas du dos, tantôt la tête de face, le torse du profil droit, les jambes en profil gauche, ou bien différemment les trois parties du corps. Ce tournoiement incessant est même ce qui fait croire, d’abord, à des figures différentes.
Puis, je vis que chaque silhouette, apparemment déterminante de sa vitesse propre, ne l’est en fait que du mouvement de la sphère qui la porte. Ou que, du moins, il en est ainsi quand la figure parait vivante. Morte, elle ne commande plus à rien, le mouvement de la sphère fait tout son mouvement. Mais, que la figure détermine ou qu’elle soit déterminée, cela parait ou devient sans importance, lorsqu’on se recule.
Le recul, en effet, permet d’embrasser non plus un manège, mais dix, trente, soixante – j’en comptais soixante-quatre à un certain moment – dans un unique regard. Considérant alors l’ensemble de la plaine, je crus voir que certains manèges portent un plus grand nombre de figurines mortes. Quand celles-ci l’emportaient, le manège s’arrêtait, un temps plus moins long, avant de repartir, dans l’autre sens; si bien que tous les manèges ne tournaient, avec ensemble, ni à la même vitesse ni dans le même sens. Peut-être se tenaient-ils, comme sur la dent d’une roue, au-dessus d’une sphère considérable, que je ne pouvais considérer.
Mais, comme j’imaginais cela, ma deuxième vision s’embruma. Je ne la vis plus que confusément, puis je cessai de la voir. Comme toujours après un rêve, l’obscurité me recouvrit.
la troisième
Tout n’était plus que jour et nuit, ombre et clarté, vu et non vu. En un moment de jour mais de moindre lumière, où le soleil ne m’aveuglait pas, où le crépuscule tardait, je vis plus clairement la voûte de matière indistincte à laquelle chaque manège se tient lui-même pendu; et je vis les manèges alors – sept, huit – comme les pendeloques d’un plus énorme jeu, qui tourne lentement et où je suis aussi une silhouette pendue, sinon, peut-être, un manège.
Du moins, quelque observateur pourrait-il me voir ainsi, l’imaginant assez grand ou assez éloigné de la plaine pour considérer l’ensemble tournoyant. Pour moi, je me sens seulement ce mobile partagé qui m’offre au vent tantôt de face quant au visage et de dos quant à la croupe, tantôt de profil ici ou là. Mais l’illusion me reste que je meus librement une sphère qui me porte et dont le ralentissement m’annoncera ma mort.
Car les manèges eux-mêmes meurent et se renouvellent, sans que je puisse nettement dire si ce destin est libre ou s’il est imposé. Quand ils virent sous un ciel clair, scintillants dans la clarté, ils me semblent plus nombreux, aussi nombreux que les reflets qui les animent et les peuplent. Quand le ciel s’assombrit, dépourvus de ces éclats, ils m’apparaissent semblables et rares, comme des piliers décapités parmi des ruines grecques.
Mais n’est-ce point précisément parce que leurs mouvements se ralentissent que les manèges se ressemblent soudain, faisant la plaine moins peuplée ou, qui sait?, le ciel plus sombre? N’est-ce point parce qu’ils accélèrent qu’ils cessent de se ressembler, diversifiant l’ensemble comme s’ils se multipliaient? Je ne le sais pas. Je ne veux dire que ce que j’ai vu.
Simplement, l’idée m’est venue, comme les idées viennent en rêve, étonnantes, effrayantes, que, beaucoup plus grand et plus éloigné, ou plus petit et plus proche, un autre témoin me voit tantôt comme un manège sur une plaine si étendue que je ne peux la concevoir, tantôt sur une place si réduite que je ne saurais l’imaginer, comme l’un des aspects du mobile que, dans ma première vision, je regardais danser, sinon bien moins encore : le scintillement rapide ou lent que produit en tout ensemble l’alternance éphémère ou durable des contraires.
Moi-même, ce lointain géant ou ce nain immédiat, puisque, en dépit de tous les raisonnements annexes, je ne fus que ce voyeur…
3
Note
A peu près tous les exemples cités dans cette Confection reconduisent aux 12 : ou le produit 3×4 ou le numérateur de 12/x. Cependant les figurines et les manèges conduisent jusqu’aux 64. Comment expliquer cette dissonance (ce n’en est pas une pour l’informaticien)? Partagés en leurs trois parties (le haut, le centre et le bas), silhouettes et manèges disposent des cardinaux, auxquels, nécessairement, elles et ils offrent les 12 postures : 4 à chacun des 3 niveaux. Mais cela n’est vrai que pour les Mouvements. Les Effets qu’ils produisent s’ils sont 4 pour la tête, ou pour les chapiteaux, seront 16 ou 4² pour la tête et le torse, 64 ou 4 puissance 3 pour l’ensemble de la figure.
Différemment, on pourrait dire que les Effets jouent non seulement des 12, mais de leur tiers : 4, car ils recouvrent nécessairement les 3, et de leur produit par 4 : 48, car ils ne sont jamais qu’une phase dans le mois lunaire, une saison dans l’année, etc.
4+12+48 =64.
Mais c’est là une manière de compter peu habituelle à l’homme.
Au contraire, dès le niveau du certificat d’études, un écolier saura comment on peut passer d’une mathématique linéaire aux mathématiques de puissance (logarithmiques). Il admettra que :
2×2=4,
4×4=16,
16×16=256,
etc.
Son professeur, peut-être, l’amusera en lui montrant l’équivalence de cette série avec une autre, bien différente :
1+3=4,
4+12=16,
(16+48=64),
64+192=256,
etc.,
bien que la première procède du doublement des facteurs : 2, 4, 8,16 et la seconde de leur triplement : 1-3, 4-12, 16-48, 64-192, pour aboutir au même quadruplement : 4, 16, 64, 256.
Plus tard seulement, six ou sept ans plus tard, l’étudiant saura voir en de tels paradoxes le fondement le mieux éprouvé de la Mathématique des Ensembles. Par exemple, dans l’exemple ci-dessus, la démonstration du théorème (ou succession de symboles) : (2n) ⁿ, déduit d’un premier terme : 1+N=2n
et d’un dernier :
2n puissance n-1 + (1+N) = (2n).
4
Des projections et des relations
L’élève commencera de comprendre – c’est ce qu’on appelle : devenir adulte – pourquoi la mer n’est qu’une droite à l’horizon et cette grosse vague qui le submerge lorsqu’il s’y noie, ou pourquoi les peintures d’Escher et les dessins de Vinci (entre autres) se transforment de l’abstrait au concret, selon que le regard de l’observateur s’en rapproche… jusqu’à l’illusion d’un « décollement de la rétine », comme le dit Artaud.
L’expérience de l’anamorphose peut se faire plus quotidienne. D’un mobile lancé à une certaine vitesse (auto ou train), l’observateur verra le paysage se mouvoir dans le sens du mobile au plus lointain et dans le sens contraire au plus proche, c’est-à-dire le monde et ses objets tourner à sa droite et à sa gauche, comme deux manèges.
Mais le vieillard seul, peut-être, se penchant sur sa vie, pourra y reconnaître d’autres applications des (2n) ⁿ, d’autres horizons devenus tempêtes, d’autres anamorphoses et d’autres tournoiements. C’est alors le moindre de ses sentiments et la plus extrême de ses passions qui lui apparaîtront comme de telles constructions, aménagements ou manèges. Plutôt que d’avoir vécu dans la réalité, il aura le souvenir de n’avoir traversé que des « projections », dont il ne saura plus dans quelle mesure elles lui furent imposées ou il en fut l’auteur.
A la dialectique « jeune », dont il sera loin : complétude et maintenance, se sera
substituée la duade différente : indépendance et liberté.
Car il ne pourra pas se demander : y fus-je pour quelque chose ou non? sans se poser l’autre question, infiniment tragique : y fus-je ou non? C’est-à-dire : le JE même, sur lequel je me fonde, n’ai cessé de me fonder, est-il moins projectif, est-il moins illusoire que ce qu’il croit réel, objectivement certain? Il reconnaîtra bien vite, s’il est un peu sincère, que, dans l’événement, le sentiment ou la passion, le JE fut rarement inclus, s’il le fut même quelquefois.
C’est peut-être la plus grande révolution de la logique depuis Kant, toute entière imputable à la Relativité, que les 3 Jugements du philosophe se sont faits les 3 Relations : le catégorique l’inclusion : j’y suis, le disjonctif l’exclusion : je n’y suis pas, l’hypothétique l’intersection (entre ce que je crois, reproduis et deviens et ce qui est).
Je n’aurais pas conté mes visions des manèges, bien fragmentaires auprès des expériences de Lawrence et du Grand Jeu, d’Artaud et de Beckett, si je n’y avais vu un exemple typique de diverses projections non dissociables des 3 relations.
Or, il n’est pas un des figures décrites dans cette confection d’Inventaire qui, d’une certaine manière, ne dise une projection reliée à une relation définie (sinon à des relations diverses, comme le Même de Platon au JE inclus et l’Autre de Platon au JE exclu, ou comme l’Autel de Yeats au dieu inclus et sa Caverne au dieu exclus, etc.). Pour autant que nous le sachions, fut-il quelque Parcours ou Voyage sumérien, homérique, médiéval, qui n’ait couru ainsi de quelque Projection à quelque Relation; ou, intérieur, du JE exclu au JE inclus?
Mais, bien sûr, le jour vient, dans la vie d’une cité ou d’une culture sinon dans la vie d’un homme, où la dialectique de la liberté prime celle, naïve – et sans doute native – de l’accomplissement. Car, si l’Objet n’est pas saisi par l’inventaire, s’il existe hors de JE et que mes confections n’en peuvent pas juger d’une manière certaine, que peut-il être en soi? Quel pouvoir ai-je sur lui, ou lui sur moi? Ses aspects ou figures me deviennent accessoires, et presque insupportables ces pendeloques, ces brindilles que j’avais nommées JE.
Si je ne puis m’arracher à quelque relation, j’en veux une où je m’inscrive. Si je ne peux m’empêcher de juger, de conce-voir, il me faut un jugement autre que disjonctif, un aspect de l’objet qui ne soit une figure. Un Voyage, un Procès, tout autre que l’Inventaire.
Le théologien, le savant, le mathématicien interviennent alors. Les purs théoriciens. Voient-ils plus loin ou plus avant? Cernent-ils mieux, ou plus exactement, ce qui est? Ce sont des questions pratiquement irrésolues. Du moins ne peut-on, même, les poser, avant d’avoir analysé les méthodes qu’ils utilisent, la structure, l’ossature de leur interrogation.
Tout simplement : de quoi s’agit-il?
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