IV
Les Hellénistiques :
LA KOSMOPOIIA
Le texte :
Je t’invoque, toi qui enveloppes tout l’univers, en toute langue, en tout dialecte, en la façon dont t’a chanté d’abord celui que tu as établi et qui a reçu de toi toute l’autorité souveraine, HELIOS ACHEBYKRÖM, de qui la louange est aaa, ééé, ôôô, car c’est grâce à toi qu’il a été glorifié comme le producteur des choses de l’air, puis des étoiles à la figure étincelante, et comme le créateur, par la lumière divine, du monde, iii aaa ôôô, dans lequel toi-même, tu as tout partagé, SABAÖTH ARBATHIÖ ZAGOURE;
Voici quels sont les premiers anges apparus : ARATH, ADÖNAIE, BASEMON/IAÖ.
Le premier ange crie dans la langue des oiseaux « araï », ce qui signifie : « malheur à mon ennemi! » et tu l’as établi sur les Punitions. HELIOS te (le) chante dans la langue des hiéroglyphes Laîlam, et en langue hébraïque par le même nom « Je suis (36 lettres) », ce qui signifie : « Je te précède, Seigneur, moi qui me lève sur la barque, le disque solaire, grâce à toi ». (Car) ton nom magique est en égyptien ALDABIAEIM (9 lettres).
Celui qui apparaît sur la barque, accompagnant le soleil dans son lever, est un renard cynocéphale. Il te salue, en sa langue propre, par ces mots : « Tu es le nombre de l’année ABRASAX ».
Et celui qui est de l’autre côté (de la barque), le faucon, te salue en sa langue et crie vers toi pour obtenir sa nourriture : hi hi hi hi hi hi hi, tip tip tip tip tip tip tip.
Et le dieu aux neuf métamorphoses te salue en langue hiératique MENEPHÖIPHÖTH, ce qui signifie : « Je te précède, Seigneur ».
Ayant dit, il applaudit trois fois et Dieu rit sept fois : ha ha ha ha ha ha ha. Et, pendant que riait Dieu, il naquit sept dieux qui enveloppent le monde. Ce sont les dieux qui apparurent en premier.
1 – Au premier éclat de rire de Dieu, Phôs (la Lumière) parut et illumina l’univers. Il devint le dieu de la domination et du feu (Besum berithen bério).
2 – Dieu éclata de rire une seconde fois et tout devint eau. Au bruit, la Terre poussa un cri d’appel et s’éleva en masse ronde, et l’eau se divisa en trois parties. Un dieu parut, qui reçut le commandement sur l’abîme, car, sans lui, l’eau ni n’augmente ni ne se tarit. Son nom est Eschakléo. Car tu es, toi, ôéai, tu es l’Etre : béthellé.
3 – Alors que Dieu se proposait d’éclater de rire pour la troisième fois, par sa colère apparut Nôus (l’Entendement) tenant en mains un cœur. Il fut appelé Hermès, il fut appelé Sémésilam (l’atmosphère).
4 – Dieu éclata de rire pour la quatrième fois, et il apparut Genna, tenant la semence. Elle fut appelée Badètophôth Zôthaxathôs (celle qui conserve ou renaît toujours).
5 – Dieu rit pour la cinquième fois et, tout en riant, s’assombrit et il apparut Moïra tenant en mains une balance pour manifester qu’en elle réside la justice. Mais Hermès entra en rivalité avec elle, disant : « C’est en moi que réside la justice ».
Dieu dit : « De vous deux naîtra la justice, mais l’humaine sera sous la domination de Moïra ». Et ce fut elle qui reçut le sceptre du monde, elle dont le nom en forme d’anagramme est grand, saint et illustre (49 lettres).
6 – Il éclata de rire pour la sixième fois et montra une grande joie. Et il apparut Kairos, tenant le sceptre qui signifie la royauté, et ce dieu remit au dieu premier-créé le sceptre. Celui-ci le prit et dit : « Tu seras près de moi, toi qui t’es revêtu de la gloire de Phôs » (36 lettres).
7 – Dieu ayant éclaté de rire pour la septième fois, il naquit Psyché, et tout en riant Dieu pleura.
A la vue de Psyché, Dieu siffla et la Terre s’éleva en masse ronde et enfanta le serpent pythien qui sait d’avance toute chose. Dieu l’appela Ilillou (répété quatre fois), puis Ithôr (lumière étincelante), Phôchô, Phôbôch.
A la vue du dragon, Dieu, saisi de frayeur, fit claquer sa langue et, à ce claquement de langue, il apparut un individu armé qui est appelé Danoup Chratôr Barbali Barbith.
A la vue du guerrier, Dieu fut de nouveau saisi d’épouvante, comme s’il avait aperçu un être plus fort (que lui) : il craignit que la terre n’ait excrété un dieu. Jetant les yeux vers la terre, il dit Iaô, et de l’écho (du nom) naquit un dieu, qui est le seigneur de tous.
Danoup entra en rivalité avec lui, disant : « C’est moi le plus fort », mais Dieu lui dit : « Toi, tu es né du claquement de langue, lui de l’écho. Vous dominerez l’un et l’autre sur toute Nécessité.
De ce moment le dieu (double) fut appelé Danoup Chrâtor Berbali Balbith Iaô.
Seigneur, je reproduis ton image par les sept voyelles, viens à moi, écoute-moi, a éé èèè iiii ooooo uuuuuu ôôôôôôô.
« Quand le dieu sera venu, baisse les yeux et écris ce qu’il dit, ainsi que son propre nom, qu’il te donne. Et qu’il ne sorte pas de ta tente avant de t’avoir dit exactement ce qui te concerne ».
Dans une variante, il est dit que, ayant nommé Danoup Chrâtor Berbali Balbith Iaô, Dieu lui donna puissance sur les neuf dieux et fut appelé Bosbéadii. Puis, quand il eut fait de même pour les sept planètes, il fut appelé :
Aéèiouô Eèiouô Eiouô Iouô, Ouô, Uô O
Ouôiéèa Uôiéèa, Oiéèa, Iéèa, Eèa, Ea A
7 + 6 + 5 + 4 + 3 + 2 + 1 = 28 (2 fois).
Quant à son nom le plus grand, il contient 27 lettres (à la fin Iaô). Sous une autre forme : à la fin les 7 : aéèiouô.
Premier commentaire
Les figures de la divinité s’établissent à quatre niveaux :
a) les 3 dans les 4
En sa quadrilogie fondamentale : le louangeur HELIOS ACHEBYKRÖM et la louange aaa ééé ôôô, le monde partagé iii aaa ôôô et la partageur SABAOTH ARBATHIAO ZAGOURE, l’Etre seulement triple, car le partageur est aussi le louangé.
Les 3 sont :
1) Créateur louangeur, Hélios,
2) partageur louangé, Sabaoth Arbathia Zagouré ou aaa ééé ôôô,
3) créé partagé, iii aaa ôôô.
Mais les 4 sont eux-mêmes dédoublés dans les 3, en 2 signifiés ou formes et 2 non-signifiés;
puis les 2 signifiés sont formulateur (Hélios) et partageur (Sabaoth), par le Nom et le Nombre,
les 2 non-signifiés sont la substance du langage ou la louange : aaa ééé ôôô, et la substance de la matière ou le créé : iii aaa ôôô.
Aux deux Formes : le nom et le nombre s’opposent les deux substances : le langage et la matière.
La trilogie est alors :
1) Celui qui nomme,
2) Celui qui partage,
3) L’informe, dont sera tiré le formulé : aaa ééé ôôô ou iii aaa ôôô, selon le sens, composé des 4 voyelles : a, é, i et ô ou des 4 facteurs : l’inversible, les 2 interchangeables et l’immuable (le Vivant, la Semblance et la Roue d’Ezéchiel, en tant que trilogie).
D’une autre manière, les composants du formulé sont donc 7 (4 + 3) et les composants de l’informulé 9 : aaa ééé ôôô ou iii aaa ôôô.
b) les 4 dans les 3
Au niveau des Anges primordiaux, le texte ne permet pas de décider s’ils sont 3 : Arath, Adonaié, Basemon Iao, ou 4 : Araï, le Singe, le Faucon et Iao.
S’ils sont 3 :
Arath est Araï, en même temps que Laïlam, le Disque solaire et Aldabiaiem (les 4 composants de la 1ère personne),
Adonaié est l’ange de la 2ème personne, le Dialecticien, singe et faucon,
Basemon Iaô est l’ange des métamorphoses (9), c’est-à-dire l’informulé, à la fois langage et matière, l’éternel Vivant.
S’ils sont 4 :
2 sont prédécesseurs : Arath et Iao, leur nombre est 9;
2 ne sont pas prédécesseurs : le renard cynocéphale et le faucon, leur nombre est 360 (le nombre de l’année) et 14 (7 X 2).
Les 4 sont ici : la voie directe et la voie inversée, comparables à aaa ééé ôôô et à iii aaa ôôô, le Singe et le Faucon d’une part, Arath et Iao de l’autre,
puis le continu (le disque solaire, l’année) et le discontinu (le Faucon, en ses deux fois 7; Iao en ses métamorphoses).
Nous savons, par les 4 Qualités d’Aristote, que le continu (l’humide) et le discontinu (le sec) se rattachent à l’Eau et à la Terre, et que les deux voies, croissante et décroissante, se rattachent au chaud et au froid, c’est-à-dire au Feu et à l’Air.
Les Anges sont donc à la fois les 3 Personnes et les 4 Eléments.
c) 4 + 3, dans la succession
Au niveau des entités :
Lumière est Phôs; Eau est Eshakléo; Air est Nous; Terre est Genna.
Mais, dans les 3 : Moïra/Hermès est à la fois la Balance et le Sepher (ou Sophia), constitutifs de la 1ère personne; Kairos, le Souverain, est aussi Phôs, celui qui vainc; Psyché, la Vierge en pleurs, exprime la miséricorde en même temps que le sentiment : la nature qui charme.
Rattachés à l’astrologie, les 4 premiers dieux se succèdent dans le sens de la précession :
le Sagittaire (Phôs), le Scorpion (Eshakléo), la Balance (Nous), la Vierge terrestre (Genna);
les 3 derniers dieux se succèdent sans le sens zodiacal :
le Cancer (Hermès), le Lion (Kairos) et la Vierge de Bien (Psyché).
Le retournement du sens est en Genna (de la Balance à l’Hermès).
d) 4/3 dans le simultané
Comme le temps se retourne dans la Vierge Genna, de la Lumière Kairos à l’Hermès, la réalité se partage en Psyché, l’autre Vierge, dans les 4 Pythons, le symbole de Hermès, et les 3 Clartés, nées de Hairos-Phôs : Ithôr, Phôchô et Phôbôch.
C’est ensemble qu’ils surgissent de la Vierge éplorée et c’est ensemble qu’ils sont nommés, 4 fois du même nom les Pythons et de 3 noms différents le Reflet.
Le temps n’évolue plus dans aucun des deux sens. Il se répète comme le Jour, l’Année ou l’Ere dans la statique de la Datation.
Ce point nous est confirmé par les deux dernières formulations de Dieu : le claquement de langue et l’écho.
Le dernier dieu, Iao, se retrouve être l’ange aux 9 métamorphoses (les 7 + 2) en recouvrant l’ensemble des entités.
Si je considère les 4 niveaux comme les 4 lieux possibles de l’Etre : sa manifestation divine, son apparence angélique, les entités de sa durée et les dates de sa datation, l’ensemble de l’Etre est comme le Jour, l’Année (les 360 jours), l’heure (les 3 600 secondes) ou le Cercle (les 360 degrés), mais surtout comme le Mois, de 4 semaines. Chaque semaine contient les 7 jours, comme chaque « saison » de l’ère divine les 7 entités.
L’ensemble vaut alors : 7 X 4 = 28 ou, plutôt, 28 – 1 (l’Etre même) : les 27 noms de Dieu;
l’Etre est 4; les Anges sont 4; les rires sont 7; les Pythons et les Clartés, 7; le Recouvreur est (4 + 1 = 5) : Danoup Chrâtor Barbali Balbith Iao :
4 + 4 + 7 + 7 + 5 = 27.
Si je considère les 3 mouvements de l’Etre : les deux sens et le cens comme successifs, l’ère se partage en 3 phases, de 120 sur 360, et chaque phase recouvre 9 entités :
3 X 9 = 27.
L’époque
Aussi bien les derniers livres de la Bible que les historiens romains du 1er siècle avant notre ère donnaient quelque deux siècles à « l’absence des dieux ou de Dieu » : de -400 à -200 le livre des Maccabées et 175 ans Varron, de -385 à -210.
Du cœur de cette période, vers -275/-265, sont datés : « la fin de la Thora » par les juifs, la mort du dernier prêtre Tcheou par les Chinois, le deuxième concile bouddhiste, le plus rationaliste, par les Indiens, la destruction des derniers temples, comme d’Apollon à Delphes, par les Grecs, etc.
Les dernières entités qui survivent alors : le Tao, le Nous, le Logos, la Sagesse du bouddhisme ou Hermès-Toth ne sont guère que l’Ultime Connaissance, but des savants et des technites plutôt que divinité. Aussi les divers peuples lui rattachent-ils toujours un Grand Ancien, considéré comme l’initiateur de la Science : l’un des Sept Sages en Grèce, le Bouddha ou Lao tseu, sinon Hermès, Toth ou le « prince » Houang-ti, identifiés à des hommes.
Presque à l’égal de ces fondateurs sont honorés ceux qui ont transmis leur message : Tchouang tseu ou Pétosiris, Nectanébo ou Démocrite, au début de l’époque rationaliste : -400/-350.
Mais, à partir de -230/-210, une nouvelle entité paraît : « Hermès trois fois nommé », qui n’a plus rien d’humain. Au nom de cet Hermès Trois Fois Maître ou Trismégiste vont être écrites des œuvres entièrement nouvelles, connues sous le nom d’hermétiques et qui se multiplieront jusqu’aux grandes gnoses du 2ème siècle après Jésus-Christ.
Tous ces traités ont le même but : la formulation d’un autre ésotérisme, mais les méthodes en sont infiniment diverses. Celui-ci traite des 12 lieux et des 7 sorts; celui-là des 12 signes et des 7 planètes. Des ouvrages établissent d’étranges correspondances entre :
– les 12 signes et les parties du corps humain (le livre sacré d’Hermès à Asklépios),
– les 7 planètes et les fleurs (le texte de Salomon),
– les 15 étoiles fixes et les pierres précieuses (texte de Mashalla),
– les 15 étoiles et les 7 planètes, etc.
La plupart de ces ouvrages ne sont connus que par des traductions très postérieures, du 3ème au 5ème siècle, et l’on ne peut décider de leur fidélité au texte primitif.
C’est ainsi que le Liber Hermetis du British Museum (version latine), la synthèse la plus complète de ces traités, fut presque certainement traduit d’un choix de textes grecs, qui lui-même n’était pas antérieur au 5ème siècle après Jésus-Christ. Il couvre donc quelque sept siècles d’hermétisme.
Les 12 lieux sont ici partagés en 36 décans, assimilés à des démons qui ont domination sur les 7 planètes.
« En outre, ils (les fils des Décans) engendrent des astres qui leur servent de sous-ministres et ils ont des serviteurs et des soldats. D’eux proviennent les destructions des êtres vivants et le fourmillement de bêtes qui gâtent les fruits de la terre ».
Ni cette démonologie ni cette attestation d’une pollution universelle ne peuvent être antérieures au 2ème siècle avant notre ère, non plus que postérieures au 1er siècle, où disparaissent les technites et leurs inventions : turbines à vapeur, automates, navires monstrueux, piles, paratonnerre, engrenages divers.
En effet, le catalogue des astres (les étoiles brillantes) témoigne de l’ancienneté de cette partie de l’ouvrage, car il ne correspond pas aux conclusions de Ptolémée (touchant à l’Harmonie universelle) mais aux conclusions de Hipparque (-167/-127) et même, pour 31 étoiles, aux estimations des astronomes Timocharis et Aristyle (-270).
S’il fallait donner un seul créateur à l’hermétisme pré-chrétien, ce serait sans doute Bolos le Démocritien (vers -200). Nommé aussi Bolos de Mendes, cet esprit universel a précédé tous les grands mythologues des 2ème et 1er siècles : Ennius, Carnéade, Varron, etc. Comme on ne prête qu’aux riches, il n’est guère de physica, de mystica, de traités sur les rapports entre les plantes et les astres, de traités d’alchimie primitive (la recherche de la matière ou substance commune) dont l’origine ne lui soit rapportée. De rares textes qui portent sa marque ou sa signature, la plupart sont traitent des forces polarisantes : affinité/répulsion; ils portent témoignage de la mysticité la plus ardente, révolutionnaire pour l’époque.
Quant à la Kosmopoiia, la date en demeure des plus imprécises.
Mais, pour la plus ancienne version (de Leyde), découverte à Thèbes en même temps que deux « traités de teintures » écrits par la même main, on en fixe la date entre le début du 3ème siècle et sa fin. On donne pour transcripteurs successifs de l’ouvrage : Bolos le Démocritien, puis Anaxilos (28 av. J.-C.).
De fait, la triple mention des 36, des 27 (36 – 9) et des 7 rattache le texte aux plus anciennes parties du Liber hermetis (-200/-170). Son originalité – la préférence donnée à une chronologie démoniaque sur une chronologie zodiacale – interdit qu’il puisse être postérieur à Hipparque. Enfin, les noms des dieux-anges (Araï, Adonaïé, Iao) et des dieux-démons (Phôs, Nous, Genna, Kairos) le rattachent également au 2ème siècle avant notre ère, bien que des additions (Abraxis) soient certainement postérieures.
Dans les recettes chimiques qui l’accompagnaient, et dont l’une au moins est certainement de Bolos, on lit cette phrase d’introduction : « Oui, je viens moi aussi en Egypte, j’y apporte la science des vertus occultes afin que vous vous éleviez au-dessus de la curiosité multiple et de la matière confuse ».
Suit le récit de la quête des « livres cachés » dans le Temple, que Bolos – ou le chercheur inconnu – ne peut lire aussi longtemps qu’il n’a médité la formule : « Une nature est charmée par une autre nature, une nature vainc une autre nature, une nature domine (contient) une autre nature ».
On ne peut attribuer de manière certaine la Kosmopoiia au Démocritien. Mais l’ésotérisme des 3 Natures est la clé de toute son œuvre connue en même temps que l’une des clés les plus visibles de la partie trinitaire de la Kosmopoiia :
Si les anges ne sont que 3, l’un domine (Araï), le second charme (Adonaié), le troisième vainc (Basemon Iao). Des 3 derniers dieux-rires, l’un contient (Moïra/ Hermès), le deuxième vainc, comme Phôs lui-même (Kairos) et la troisième déesse charme (Psyché). Ce sont enfin, non définis, les trois Reflets nés de Psyché, ainsi que la Trinité de l’Etre en Dieu.
Si l’on se souvient que les Mania ou termes de Platon se plaçaient sous l’invocation des 4 dieux élémentaux et que les 3 natures recréent les 3 d’Ezéchiel :
la nature qui possède ou tient : la chose même, la Roue,
la nature qui vainc : la chose différente, le Vivant,
la nature qui séduit en reflétant mais aussi divise et sépare : la même chose, la Semblance,
on comprend mieux ce que sont les 7 rires de Dieu :
le Chaud, l’Humide, le Sec et le Froid, selon Aristote, d’une part;
la chose même (dans le Même) et les deux polarités, d’attraction et de répulsion (dans l’Autre).
Mais ce sont aussi les 7 planètes, 7 des 12 signes et les 7 degrés de toute durée (selon Platon et Lie tseu).
Le rire
Plus que ces arguments – logiques ou analogiques – un caractère du texte lui impose pour date le tout début du 2ème siècle avant notre ère. Car, si du 5ème au 2ème siècle il n’est plus guère question des dieux (et pas question du tout de leur consacrer un hymne aussi étrange), à partir de -150, le monde hellénistique éclaté et Rome désormais toute puissante, il ne sera plus question de rire ainsi des dieux.
Le rire est la vraie date du texte.
Ce Dieu informel en 9 voyelles (ou en 27), ces rires de Dieu qui se trouvent être le Feu, l’Eau, l’Air, la Terre Première, ce claquement de langue et cet écho qui organisent l’univers, ce Serpent et ce Guerrier qui épouvantent l’Etre, ils ne sont imaginables à aucune autre époque, depuis le panthéisme d’Homère jusqu’à l’ésotérisme byzantin ou chi’ite, le panthéisme ludique des libertins.
Aristote est sérieux; saint Augustin est grave. Les disciples du premier ne sont que des pédants; les précurseurs du second des hommes illuminés (y compris les plus purs poètes de l’Amour : Caton, Catulle, Ovide ou Luc).
Le rire naît du désastre : il ne le précède pas. Il précède la Foi et ne peut la suivre.
Ezéchiel ne riait pas, si étranges que fussent les faces des Vivants, les Roues et les Semblances; Platon jouait dans le Timée mais sans s’interdire la prise au sérieux, fût-ce de la bande de Moebius ou de ses jeux numériques. Lie tseu sourit souvent, de la bêtise humaine, de l’amour-propre de l’un et de la naïveté de l’autre, mais son appareil demeure pesant.
L’auteur – ou les auteurs – de la Kosmopoiia s’amuse – ou s’amusent. Ils s’enivrent des jeux de lettres et de nombres. Ils donnent leur appareil, d’abord, pour insensé, car on ne peut parler de l’Etre d’une manière sensée, mais cette folie ne les gêne pas, car le sérieux de la science a montré sa limite, en ce temps où le vieux monde s’effondre (le Grec, l’Hellénistique, le Carthaginois) sans cesser de discuter sérieusement les trouvailles de ses destructeurs : le technite, le politicien, le savant.
La merveille est que, sous le sarcasme, la rigueur de l’architecture demeure sans faille, la précision, parfaite des nombres et des noms.
C’est ainsi que l’appareil ne joue pas seulement des 4 et des 3 en chacun de ses niveaux; mais il n’est que ce jeu, en ses 4 niveaux : (4 X 7 = 28) – 1, et en ses structures :
– l’Etre même, le Cercle de 360° ou de 36 décans,
– la Croix aux quatre termes,
– la Dialectique, diversifiée à l’infini, des informulés et des formulés, de la louange unificatrice et du partage, des Eléments et des Natures, de la statique et de la dynamique, du plus et du moins, des deux sens du temps, de la répétition et de la diversité, du discontinu et du continu, par le simple jeu des 4 et des 3.
L’une de ces dialectiques est purement numérique : les 7 de la matière (3 + 4) et les 9 de la métamorphose des formes(3²). Elle architecture l’appareil tout entier (contenu dans le Cercle et polarisé par la Croix) :
a) l’appareil des 7 :
b) l’appareil des 9 :
Les deux appareils donnent le même nombre : 27.
(7 X 4) – 1 ou 9 + 9 + 4 + 4 + 1.
Et c’est-à-dire qu’un cycle étant choisi : la Grande Année, l’Ere précessionnelle ou la période des 180 ans, son partage en 27 phases recouvrira les deux appareils :
1) dans la Grande Année de 25 920 ans :
25 920 ans/27 = 960 ans,
la Grande Année se partage
– soit en 3 X 8 640 ans, à raison de 960 ans X 9 : 9 entités par huit millénaires,
– soit en 4 X 6 480 ans, à raison de 3 ères de 2 160 ans par « saison » de six millénaires.
2) dans l’Ere de 2 160 ans :
2 160 ans/27 = 80 ans,
l’Ere se partage
– soit en 3 X 720 ans, à raison de 80 ans X 9 : 9 entités par période de 720 ans,
– soit en 4 X 540 ans, à raison de 3 « mois » de 180 ans par saison de cinq siècles.
3) dans la période de 180 ans :
180/27 = 6,666 ans,
la période se partage
– soit en 3 X 60 ans, à raison de 6,666 X 9 : 9 entités par phase de 60 ans,
– soit en 4 X 45 ans, à raison de 3 « petites périodes » de 15 ans par saison de 45 ans.
Tout cycle formulant l’Unité temporelle, le calcul ne vaut pas seulement pour les 960 ans, 80 ans ou 6,666 ans, mais aussi bien pour les 11 520 ans (960 X 12) ou pour 6,666/12 = 0,555, etc., dans les deux sens, à l’infini.
D’où le rire.
Il ne naît pas de l’étrangeté de la construction, dont l’une des Personnes de Dieu (le partageur) est précisément l’architecte, mais de la vanité de l’homme, inconscient du partage et qui toujours se flatte soit de prolonger ce qui s’achève, soit d’avancer le terme de ce qui se continue. L’homme est puissant : il peut se donner des chefs, mais ce sont là des élections que compensent un claquement de langue ou son écho.
Si bien qu’elles n’ont de sens, vers la caducité, qu’en la durée humaine, non pas dans le temps de Dieu, différent à ce point qu’il ne daigne même plus être le Créateur.
Ce que l’appareil apporte
On peut voir au premier coup d’œil ce que l’appareil de la Kosmopoiia doit à ceux d’Ezéchiel, de Platon et de Lie tseu. Avant tout : les 4 et les 3, mais aussi la répartition cardinale des 4 : au nord-est, au nord-ouest, au sud-ouest, au sud-est; puis, l’imbrication de la trinité à la fois en chacun des 4 et dans l’ensemble de la quadrature, elle-même contenue en chacun des 3.
Plus profondément, on peut dire que l’appareil n’apporte aucune révélation qui ne soit suggérée dans les trois précédents. Mais il en développe les apports de telle sorte qu’ils semblent originaux.
Ce sont particulièrement : l’asymétrie des seuils, la dualité des sens, la diversité des figures.
a) l’asymétrie des seuils
Elle est notable chez Platon : les 900 et les 1 260 dans l’ère précessionnelle ou les diamètres chevauchants des cercles inscrits, ainsi que chez Lie tseu : les 7 et les 9. Mais elle ne se révélait alors que dans la partie inférieure de l’appareil. Ni le nombre des générations divines ni la Mutation et le Grand Commencement ne semblaient concernés par cette asymétrie.
Les 7 et les 9 de la Kosmopoiia la soulignent en haut comme en bas, interdisant de situer les seuils centraux au 1/2 (entre 0 et 1) ou au doublement 2 (comme entre 1 et 4).
Plus précisément, nul calcul unique ne paraît convenir aux 4 Lieux.
La suite des nombres entiers ou de leurs inverses rend compte de l’univers des dieux en Dieu et de l’univers de la répétition (des Pythons et des Reflets); mais elle ne tient pas compte des deux autres univers.
Au contraire, les deux équations pythagoriciennes : (q – 1)/q et q/(q – 1) rendent compte des univers des Anges et de celui des Rires, mais non pas des deux autres.
b) la dualité des sens
Elle n’est que suggérée chez Ezéchiel et proclamée chez Platon, nominalement dans le Politique, numériquement dans le Timée.
Dans la Kosmopoiia, elle est clairement définie : deux Anges sur quatre sont prédécesseurs, et non moins précisément nombrée : le nombre des prédécesseurs est 9.
Si, donc, le partage en (4 X 7) – 1 est à prendre dans le sens direct des signes (le sens des aiguilles d’une montre), le partage en 3 X 9 est à prendre dans le sens inverse.
C’est en même temps que les signes se succèdent zodiacalement et précessionnellement.
Les deux cercles inscrits ne tournent pas dans le même sens, ce que Platon n’avait pas clairement précisé, le laissant à deviner au lecteur.
c) la diversité des figures
Elle ne peut être plus grande qu’en Ezéchiel (jusqu’à 144) sans être à l’infini, comme par les puissances de 2, 3 et 4 chez Platon. Mais le jeu de la Kosmopoiia : 28 – 1 d’une part et 2 X (4 + 9) + 1 de l’autre, en jouant de – 1 et de + 1, conduit à la fois au nombre : 27, ainsi qu’à l’infini des puissances : 36 = 6⁶, 49 = 7⁷, etc., entre 2/1 et 1/0, et à l’infini des deux équations : (q – 1)/q de ½ à 1 et q/(q – 1) de 1 à 2.
Car l’appareil n’impose jamais le nombre (3 et 4) sans donner toute sa part à l’informel : aaa iii ôôô, l’Ange des métamorphoses, le dieu des métamorphoses, les deux fois 27 voyelles du Nom total de Dieu, etc.
Si le semblable, le Miroir ou la chose identique séparent les corps, le Même est comme la qualité du Sec chez Aristote : il conduit à l’hétérogène, à la diversité des formes.
Si le contraire rapproche les corps, l’Autre est comme l’Humide chez Aristote : il conduit à l’homogène, à l’indiscernabilité du Yin ou de la matière substantielle.
Mais une telle prétention est une absurdité. Il est trop évident que, distinguées, les formes ne peuvent être qu’autres; indistinctes, fondues dans le Même.
Dès lors, une autre distinction s’impose entre l’Indifférent et l’Afférent.
Dans l’afférence, les mêmes choses séparent et les choses contraires rapprochent. Le Même est comme le Sec, et l’Autre comme l’Humide.
Dans l’indifférence, la chose même unifie, elle rassemble et associe; la chose différente – et indifférente – s’isole et se laisse dissocier. Le Même est comme l’Humide et l’Autre comme le Sec.
Ce qui ne fut qu’une dialectique : le Même et l’Autre, puis une trilogie, la chose même, la même chose et la différence, est devenue une quadrature :
Il faut inventer une autre trinité.
Nous savons que ce sera celle des 3 natures d’abord, puis celle de la Trimurti en Orient (Vichnou, Brahma, Civa), celle des Trois Personnes : le Père, le Fils et l’Esprit à partir de Nicée.
L’Amour
Ainsi se résume l’histoire de quatre siècles (- 580/ – 180), vécus dans le messianisme, puis l’utopie de l’Amour, et dans l’éloignement des dieux. Comme par un retournement de la dialectique verticale : Nord/sud à la dialectique horizontale : Orient/Occident.
Au plan idéologique : du Même et de l’Autre à l’Afférent et à l’Indifférent.
L’appareil de la Kosmopoiia rejoint le précis d’Ezéchiel. Comme la Vision, il ne traite des 3 que par les 4, et des 4 que par les 3. Et les 3 dont il joue sont encore la Roue (les 360°), la dialectique de la Semblance et la diversité de la Vie. Mais, sur ces 3, les 4 se fondent : les deux Mêmes et les deux Autres. La seule réalité des Anciens : la chose même est devenue le mal par excellence : l’Indifférence, de sorte que le dernier soutien des technites : le Logos, l’Etre en soi, s’abolit.
Dieu est louangeur (partagé) ou partageur (loué), mais il ne crée plus : il formule, par la louange, par le partage, par le rire, le claquement de langue, l’écho. Il est redevenu le dieu magicien qui a précédé le Taureau.
Sans doute, en -220/-180, le démiurge n’est pas mort, ni Baal ni le Taureau. Ce ne sera qu’en -105 que Marius ôtera le Minotaure des enseignes. Et ce sera seulement le panthéon des empereurs qui exclura des 12 toute figure taurique.
Pour ou contre le chaldéen se battent encore le Séleucide Antiochos III, leur adversaire, et le Macédonien, leur défenseur; ou Carthage et Rome. Les plus longues guerres de l’Antiquité ne prendront fin qu’en -146, par la destruction de la Macédoine, de Corinthe et de Carthage entre autres.
Deux siècles passeront avant que l’Amour ne s’incarne sous la figure de l’Attendu : le Bouddha de Charité ou le Christ. Mais, déjà, le nouveau métier est formulé, où les fils qui tissent les destins des hommes ne sont plus le Même et l’Autre mais le Contraire et le Semblable, unis dans le Prochain.
Jean-Charles Pichon