LE TRAITRE ET L’OTAGE 1

Le 18 décembre 1995, Jean-Charles Pichon a donné une conférence aux étudiants en informatique de l’I.U.T. de Nantes. Voulant les amener à réfléchir à des questions métaphysiques abstraites et ardues, il a opté pour un style familier, d’où jaillissent des formules percutantes et parfois étonnamment prémonitoires…


LE TRAITRE ET L’OTAGE

(Première partie)


 

Je vais parler de mon expérience, comme les vieux. Je ne parle presque jamais de mon expérience, parce que l’expérience ce n’est pas aussi clair, aussi évident, aussi efficace qu’on le croit. En effet, pour parler de son expérience, il faudrait partir de quelque chose. Un psychanalyste partira de l’enfance, des rêves, il expliquera les déboires et les chances de la vie par le fait que les parents ont divorcé, ou qu’on a aimé sa mère, ou qu’on a voulu tuer son père, à la manière de Freud. C’est une façon de voir les choses, c’est un départ.

D’autres partiront d’un fait, d’une période. Par exemple, aujourd’hui, à peu près tout l’enseignement que vous recevez part de la Révolution française; ce qu’il y a eu avant la Révolution, ça n’a pas beaucoup d’intérêt : les rois étaient des salauds, les hommes étaient de pauvres gens qui suivaient les rois, donc ça ne devient intéressant qu’à partir de la Révolution française.

D’autres partiraient de leur mariage, de leur première enfance… On part toujours de quelque chose. L’expérience ne va pas à l’infini. Alors maintenant quand on croit dans le gène, on peut partir du moment où on a été un crocodile ou un diplodocus, mais c’est aussi partir de quelque chose.

Non seulement il faut un départ à l’expérience, mais il faut un fil, un processus en quelque sorte. On ne va pas se mettre à raconter anecdote sur anecdote, ça ne donnera rien. Il faut dire : j’ai été élève, puis j’ai été étudiant, puis journaliste, puis commerçant, puis ouvrier, et comment, pourquoi, etc.

Alors il faut chercher une sorte de continuité, et il faut un procédé : c’est toujours par un procédé qu’on atteint à un processus. Le procédé du savant n’est pas le procédé du philosophe, ou du prêtre, par exemple.

Et encore, ça ne suffit pas. Il faut un départ à l’expérience, il faut un processus pour en parler, et puis il faut une fin : pourquoi? Pourquoi est-ce que je vous raconte ça : est-ce que je suis tellement admirable, tellement intelligent, tellement beau, spirituel? Et puis si je ne suis pas tout ça, à quoi bon mon expérience? Si mon expérience ne m’a pas conduit à être quelqu’un de remarquable, ce n’est pas la peine de vous la donner en exemple.

Alors, voyez-vous, l’expérience n’est pas finalement une chose simple, c’est une chose parfaitement inutile, puisqu’il faut lui donner un départ, un processus et une fin.

C’est parce que je ne peux pas parler de mon expérience que je cherche toujours un sujet de départ pour mes conférences. Alors j’entends quelque chose et je me dis : tiens, je pourrais parler de ce sujet-là. J’ai parlé depuis un an des sujets les plus divers : de l’arbre et de la forêt, de la fiction et de la vie, et là, je voulais parler – je vous en parlerai quand même, je ne veux pas vous décevoir – je voulais vous parler du traître et de l’otage. Mais je m’aperçois qu’avant de vous parler du traître et de l’otage, il faut dire beaucoup de choses, qui préparent le sujet.

Il y a quinze jours encore, je n’avais pas de départ, pour cette conférence. Et puis, comme toujours, ça m’est venu : c’est une émission, très mauvaise, d’Edern Hallier, le romancier fumiste, qui a fait une émission à la télé; il a invité cinquante personnes tout-à-fait notables aujourd’hui dans les médias. Le sujet qu’il avait choisi, c’était « Prier ou croire ». Ça a été lamentable et j’essaierai de vous dire pourquoi. Il est vrai que le sujet était bien trouvé. Parce qu’Edern Hallier est un homme très malin, tout de même. Et c’est vrai que c’est un sujet qui peut intéresser aujourd’hui, surtout les jeunes, parce qu’ils sont à l’entrée d’un long chemin, et que le problème est bien de savoir s’ils vont choisir de lutter ou de prier, d’attendre, de quémander, de désirer, d’exiger, ou alors de se battre, de lutter : ou on demande des sous, ou on fait la grève pour obtenir des sous.

Ça m’a rappelé ce qu’Edern Hallier n’a pas pensé à dire : deux mots, deux formules qui m’ont beaucoup aidé au cours de ma vie, et qui me semblent très remarquables; l’une est du poète romantique Théophile Gautier; parlant des dieux, il dit : « Ce sont les rêves de l’humanité ». Et puis, une trentaine d’années après, le philosophe Henri Bergson a dit une chose tout aussi remarquable : « L’homme est une machine à faire les dieux ». Et c’est vrai, surtout pour celui qui ne croit pas aux dieux : il y a une machine, des machines, ça s’appelle des religions, notamment, mais aussi des sectes, des groupes, des schismes. L’homme est une machine à faire les dieux; si l’homme ne faisait pas les dieux, et bien ils ne seraient pas là. Et l’homme est combiné pour faire les dieux. C’est-à-dire que son cerveau fonctionne un peu comme un ordinateur. Et aujourd’hui, après avoir essayé d’adapter l’intelligence à l’ordinateur et avoir échoué, on aimerait bien avoir des hommes faits un peu comme des machines, qui ne se trompent pas, qui font bien leur travail et qu’on peut jeter après usage.

Est-ce que les dieux sont les rêves de l’humanité, auquel cas on n’y peut rien, les rêves nous arrivent comme ça – mais on peut prier pour que le rêve soit beau, qu’il ne soit pas un cauchemar? Ou alors l’homme est vraiment une machine à faire les dieux et il faut se battre, il faut combiner, il faut « machiner » pour obtenir quelque chose. Par exemple, si le dieu est un dieu de Liberté, l’Esprit libre, on va se battre pour obtenir la Liberté. Si c’est un dieu d’Amour, comme le Christ, on se battra pour que l’Amour soit universel.

De telle sorte que ces deux paroles, de Gautier et de Bergson, approfondissent le propos d’Edern Hallier : « croire ou prier ». Seulement, en fin de compte, on est obligé de se poser une question encore plus simple. Parce que le rêve, on sait que ce sont des images qui défilent dans la tête, pendant la nuit; et puis ce sont des symboles qui font les machines : des symboles mathématiques, chimiques, physiques. Alors, est-ce qu’il faut vivre pour des images, est-ce qu’il faut vivre pour des symboles?

Et surtout, pourquoi est-ce que cette image est là? Pourquoi pas une autre? Pourquoi est-ce que j’ai rêvé de citrons et de pamplemousses la nuit dernière, et pas de betteraves et de choux-fleurs? Et puis de la même manière, si je suis une machine, pourquoi est-ce que cette pièce se trouve là? Pourquoi est-ce que mon cerveau est là, mes pieds là, pourquoi est-ce que la faculté de la marche est dans mes pieds et la faculté de saisir dans mes mains?

Pourquoi cela est-il là? Pourquoi cela est-il là plutôt qu’une autre chose?

Pourquoi cette image qui va faire mon rêve, pourquoi ce symbole qui me fait machine? C’est la question que pose Martin Heidegger. Il dit que c’est la clé de toute métaphysique, il n’y a pas d’autre question à se poser que celle-là.

En réalité, il pose la question, il n’y répond pas. Il n’y répond pas, je crois, parce qu’on ne peut pas y répondre lorsqu’elle est posée comme ça. Elle est beaucoup trop vague. Elle n’entraîne pas de réponse, mais d’autres questions. Qu’est-ce que cela? Qu’est-ce que c’est, être (l’existence du rêve n’est pas l’existence de la machine)? On est amener, fatalement, à répondre : être, c’est passer. La vie n’est qu’un passage. Ou alors, c’est se passer. Une grande douleur, ou une grande jouissance, cela se passe. Et être, c’est être quelque chose qui passe ou quelque chose qui se passe. La machine passe, elle s’use. Et pourtant, au niveau de la machine, il se passe quelque chose en même temps que cette machine passe.

Le rêve aussi passe. Il passe très vite, et pourtant il se passe quelque chose dans le rêve, qui peut vous hanter pendant des mois. Certains rêves ne s’oublient pas aisément.

Alors, quand on a dit : qu’est-ce que cela?, et bien c’est un rêve, c’est une image, c’est un symbole, c’est une machine; quand on a dit : qu’est-ce c’est, être?, c’est passer ou se passer, il reste encore une question : c’est le d’Heidegger. Pourquoi cela est-il plutôt qu’une autre chose? Qu’est-ce que c’est que ? Où est-ce, ? Vous me direz : le verre, il est sur la table, ou alors dans l’espace.

Tout à l’heure, je vous parlais de la Révolution française, ou bien du rêve que j’ai eu la nuit dernière, et bien on dira que ça s’est passé dans le temps. On ne peut pas dire qu’un rêve se passe dans l’espace. Et pourtant il se passe quelque part, il se passe dans le temps; il y a eu un avant, il y a eu un après le rêve.

Là, j’ai l’air de faire des antinomies, des dialectiques : l’espace et le temps, ça se passe ou ça passe, c’est une image ou symbole. En réalité, ce n’est jamais ça, parce qu’il y a toujours un troisième facteur qui intervient.

Ce qu’a découvert Lacan, c’est que, quand le médecin est devant son malade, le malade va lui donner des images, par exemple des images de ses rêves, s’il s’agit d’un psychanalyste; ou alors il va y avoir des symboles, qu’il va trouver dans ses livres de médecine, qui vont lui donner le remède à employer. Mais, dit Lacan, il y a forcément quelque chose entre les deux, parce que ce qui existe, ça ne peut pas simplement être une image ou un symbole. Cette chose qui est entre les deux, il l’appelle un symptôme. On peut considérer le cas du malade sous une forme imagée ou sous une forme symbolique, mais elle est d’abord ce symptôme-là : le malade souffre, le malade a des angoisses, le malade ne peut pas boire certaines choses, il souffre d’allergie – il ne peut pas boire de l’eau (ou de l’alcool).

Alors, il y a trois choses : c’est un triangle qui est en question.

De la même manière, je vous dirai que l’espace et le temps n’existent pas. Ou du moins ça existe d’une manière imagée ou symbolisée, mais on ne sait pas ce que c’est que le temps, on ne sait pas ce que c’est que l’espace. Et en fin de compte, celui qui a le plus approfondi en savant le problème, Einstein, il a eu, à un moment de sa vie, l’idée qu’il pourrait y avoir un espace-temps qu’il aurait appelé la 4ème dimension, et qui aurait été la seule réalité en somme. Et puis après il s’est aperçu que ce n’était pas si simple que ça… Mais enfin, disons qu’il peut y avoir cet espace-temps, qui est une image ou un symbole. Or dans la réalité, personne n’a jamais vu l’espace, personne ne l’a jamais représenté au-delà des trois dimensions. Il n’y a pas de temps non plus qu’on puisse mettre dans une boîte – ou alors c’est un temps particulier, c’est le temps cyclique. Evidemment le temps cyclique dure un certain temps : le mois dure le mois, le jour dure le jour, mais ce n’est pas ce que l’on entend par le temps. Je ne vais pas vivre un cycle prédéterminé : je ne sais pas le temps que durera ma vie. Donc je ne peux pas couper ma vie en tranches et dire : il y a douze ou quatre saisons dans ma vie. Beaucoup s’y sont essayé. Les Chaldéens disaient qu’il y a sept âges dans la vie. En fait, on ne peut pas ramener le temps de sa vie à un cycle. Par contre, on le ramène à la durée. C’est-à-dire que cette chose qui existe, existe pendant un certain temps.

De la même manière, l’espace – que j’ai laissé tomber un peu en disant qu’on ne peut y atteindre – on peut y atteindre tout de même : cette table, je peux la mesurer. Elle a une étendue. L’étendue, je sais ce que c’est. Et entre cette table et celle-ci, je peux dire qu’il y a un certain espace; ça s’appelle un intervalle, ce qu’il y a entre les étendues. Donc, comme il y a eu deux temps, le cycle et la durée, il y aura deux espaces : l’étendue et les intervalles entre les étendues. Mais c’est tout ce que je peux dire.

Vous voyez combien les plus simples questions, lorsqu’on essaye de les appliquer à la vie quotidienne, deviennent complexes.

Alors, qu’est-ce qu’on va répondre à la question d’Heidegger quand on a dit tout ça? On s’aperçoit qu’il y a trois réponses possibles.

Ou bien je dis que cela est là plutôt qu’une autre chose parce que ça a toujours été là. Il y a toujours dans la vie d’un pays un moment où le peuple l’emporte (c’est la République romaine, c’est la République française, c’est la République américaine); il y a toujours un moment où les peuples se débarrassent des rois et des princes; et puis il y un moment, au contraire, où les peuples reviennent aux rois et aux princes. Parce que c’est comme ça.

Ou bien je vais dire, et ça c’est la position scientifique, qui peut être scientiste seulement d’ailleurs, c’est là plutôt qu’une autre chose parce que ça doit être comme ça. Il y a une loi derrière qui m’indique que ça ne peut pas être autrement. C’est apparemment très rassurant, mais ça ne tient pas le coup. Il y a eu moment où on a cru, on a dit, on a affirmé que la loi disaient que les pareils, les semblables, sont ceux qui se rapprochent, qui s’unissent. Il y a une sympathie et une antipathie entre les choses. Et ce qui se rapproche, c’est ce qui s’accorde, ce qui est bien ensemble. Et par exemple, au 2ème siècle avant J.-C., il y a eu d’énormes traités de philosophie, depuis Aristote, pour démontrer cela, que c’étaient les semblables qui se rapprochaient et les contraires qui se distinguaient, qui s’éloignaient. C’était une loi enseignée à des milliers de gens. Et puis on s’est aperçu, quelques siècles après, après l’invention du zéro entre autres, et donc l’invention du positif et du négatif, on s’est aperçu que ce n’était pas du tout ça : quand les choses sont semblables, elles se repoussent. Si les choses sont contraires, un pôle plus et un pôle moins, alors ça s’accorde, ça se soude. Ce sont les contraires qui s’attirent et les semblables qui se chassent. La loi avait été complètement renversée. Prenons un autre problème qui s’est posé pendant longtemps aux hommes (à propos de « passer ») : quand y a-t-il passage, quand n’y a-t-il pas passage? Quand y a-t-il passage, quand y a-t-il impasse? Pendant longtemps, et on voit ça tout au long de la Bible notamment, on a dit : c’est bien simple, mes yeux me le montrent, je vais passer la porte quand elle sera ouverte; si elle est fermée, je ne passe pas. Je passe dans le discontinu. Ça a encore tenu un certain temps, et puis déjà avant le Christ, des philosophes, des savants ont dit : mais non – et maintenant on le sait encore mieux avec l’électricité : ce qui passe, c’est ce qui est continu dans le fil. Vous coupez le fil, ça ne passe plus. L’ouverture fait l’impasse. La loi est complètement renversée. Je pourrais continuer les exemples, il y en a des centaines. Les conclusions d’Einstein ne sont pas celles de Newton. Celles de Newton ne sont pas du tout, malgré ce qu’on dit, celles de Galilée, et Galilée n’avait pas du tout les mêmes conclusions que Copernic, qui lui-même avait une vision du monde bien différente de celle de Ptolémée. On annonce quelque chose, on l’affirme, et puis on s’aperçoit que c’est le contraire. Il y a un exemple qui va peut-être vous frapper plus, parce qu’on en parle beaucoup, c’est le pendule de Foucault. C’est un pendule qui semble bouger sur un cercle qui semble immobile. Seulement, le pendule ne bouge pas vraiment, puisqu’il oscille toujours dans le même plan : c’est une oscillation, ce n’est pas un mouvement. Le pendule n’est pas transporté ailleurs. Et le cercle qui semblait immobile est mobile. On le montre en saupoudrant le cercle de sable et l’on s’aperçoit que le pendule chasse le sable en oscillant, tout autour du cercle. C’est-à-dire que puisque le pendule ne bouge pas, c’est le cercle qui bouge. Et on dit qu’il bouge à cause du troisième mouvement de la Terre; la Terre tourne sur elle-même, elle déplace le cercle qu’elle porte. A l’opposé de ce qu’on croyait d’abord, c’est le pendule qui est immobile et c’est la pendule qui bouge. […] Il n’y a pas une loi qui ait tenu plus de cinq siècles.

Illustration Pierre-Jean Debenat

Il reste une troisième réponse : cela est là, parce que ça peut toujours être comme ça. Les probabilités montrent qu’il y aura un pourcentage statistique pour que la chose advienne, se passe. Mais on dira aussi que ça va très loin, parce que ça pose le problème des jeux. Ce n’est plus une science. On ne peut pas s’expliquer le monde avec des symboles. Mais ce sont des jeux. Je vous ai dit : lutter ou croire, et bien la lutte n’est qu’un jeu. Et c’est parce que c’est un jeu qu’il y a une technique de combat. Donc, s’il faut lutter, je joue; je combine des coups, des parties. Et il n’y a pas un jeu, vous m’entendez, depuis le saute-mouton (qui joue des 2), jusqu’à des jeux beaucoup plus complexes (qui jouent de 60 comme la vache dont je vous parlerai peut-être), il n’y a pas un jeu qui ne soit une machine, extrêmement précise, avec ses règles précises, mais surtout ses possibilités, ses probabilités, ses chances et ses malchances – et ses insuffisances bien sûr.

Alors je vais commencer de vous parler de l’otage et du traître. Mais je vais vous en parler d’une manière un petit peu détournée, plus historiquement que philosophiquement.

Je vous disais tout à l’heure qu’au début de toute conférence, de tout problème et de toute discussion, il y a un départ; après il y a un processus et une fin, mais il y a d’abord un départ. Il y a deux départs essentiels, importants, auxquels on n’échappe pas.

Il y a le départ que j’appellerai originel, original : l’origine de la chose. Ce n’est pas toujours facile à déterminer. Est-ce que l’origine de la vie, c’est l’enfant qui naît, est-ce que c’est le fœtus, est-ce que c’est le spermatozoïde et l’ovule, est-ce que c’est le gène? Je n’en sais rien. Si c’est ma naissance, c’est 1920. Si c’est le fœtus, ça pourrait être 7-8 mois avant, si c’était la jonction du spermatozoïde et de l’ovule, ça pourrait être la rencontre de mon père et de ma mère 4 ans plus tôt, si c’est le gène – moi j’ai toujours cru que j’avais surtout les gènes de mon grand-père paternel – alors là, mon origine est de 1860 -70, etc.

Mais il y a un autre départ. Je l’appellerai le nouveau, la nouvelle. Quand j’entends dire, quand je reçois la lettre, il y a effectivement le départ de quelque chose. La lettre me dit telle ou telle chose, me donne un devoir, une mission, me fait part d’une affectation, m’établit à un poste, à un emploi, me donne des nouvelles, de quelqu’un ou de quelque chose. Ce nouveau, on sait quand il commence. Pour l’enfant, c’est, on peut dire, la puberté, ou la fin de l’adolescence. Là, il est vraiment un être nouveau, positionné avec ses nouvelles caractéristiques, sa fonction sociale, ses défauts, ses vertus, etc.; sa taille, sa dimension, la qualité de son sang, de son cerveau, les prémonitions, les allergies : l’être nouveau est là. Et tout ce dont nous prétendons connaître le départ, c’est ça : on parle de son origine ou bien de sa nouveauté.

Entre les deux il y aura autre chose, qu’on appellera ce qui est particulier, spécial, à cet être-là. Par exemple, entre l’origine, que ce soit la naissance, le fœtus ou le sperme, et l’être nouveau, il y a eu des tas de particularités, qui peuvent être différentes pour chacun. L’âge de raison sera à 7 ans pour l’un, à 6 ans pour l’autre. Il y a bien eu prise de conscience d’une particularité dans l’âge de raison. Ça va même plus loin que ça, c’est vraisemblablement et presque toujours l’âge où l’enfant quitte la première enfance, « le paradis vert des amours enfantines », comme dit Baudelaire (et Edgar Poe dit la même chose); la première enfance qui est un peu le monde des dieux, le monde où, dit Edgar Poe, on ne rêve pas, parce que les rêves sont des reproductions de ce qu’on a gardé de l’avant-naissance, du monde des dieux. C’est après que l’adulte va en faire des rêves, c’est-à-dire des chimères, quand il aura perdu le sens de la première enfance. Mais très vite, vers 5-6 ans, l’enfant est chassé du monde naturel, on le chasse du vert profond de la première enfance. On va le plonger dans le jaune, généralement : le jaune des murs, de l’argile, des cours d’école, des villes. Il va passer du vert au jaune. Et en même temps, il perdre à peu près tout contact avec le monde des dieux, le monde de la réalité, le monde des fleurs, le monde des parfums, des odeurs, le monde du ciel, de la mer, de ce qui existe. Parce qu’il lui faut s’adapter à un autre monde qui est le monde social, le monde du jaune. Et en même temps on va lui arracher un bien encore plus précieux, qui est sa croyance en son origine.

Illustration Pierre-Jean Debenat

Je vais vous donner quelques exemples qui se rapprochent le plus de ma vie. Dans un livre[1] j’ai dit à quel point j’ai vécu l’enfance d’un Edgar Poe, d’un colonel Lawrence, d’un Jean Genet et aussi d’un assassin comme Nilsen, le tueur anglais qui avait tué douze personnes. Et bien, nous avons tous eu la même enfance et le même drame enfantin. Edgar Poe, ses parents morts à quelques mois d’intervalle alors qu’il avait deux ans, et il a été élevé par M. Allan; et il a cru pendant un certain temps qu’il était le fils d’Allan. C’était un homme très riche, Edgar Poe était sûr qu’il était l’héritier de cette fortune. Et puis il a découvert que c’était son père adoptif, qui ne l’aimait pas tellement, et qu’il n’aurait pas l’héritage. C’était un petit peu un bâtard. C’est terrible quand on découvre ça à 5-6 ans.

Le colonel Lawrence, lui, croyait qu’il était le fils d’un lord. Et lui aussi on l’a arraché à sa campagne, à ses ruines – il aimait bien les ruines, les vieilles maisons, les traces des splendeurs passées. Et en même temps qu’on l’arrache de là pour le mettre au collège, il découvre que lui aussi est un bâtard, et qu’en fait il y avait eu un jeu plus ou moins suspect entre les parents.

Jean Genet, lui, a découvert vers cet âge-là qu’il était un enfant de l’Assistance Publique, que sa mère l’avait mis sur le parvis d’une église et que la femme qui l’élevait n’était pas sa mère, mais une nourrice de l’assistance sociale.

Moi, ça semble moins dramatique. C’est comme Nilsen. Nous avons été élevés magnifiquement par un être merveilleux (je vous parlais tout à l’heure de mon grand-père paternel, une sorte de héros à mes yeux). Mon père avait été déclaré tuberculeux et je dus être tenu éloigné de mes parents. Ce n’est qu’en entrant à l’école que je découvris que mon grand-père n’était pas mon père, n’était pas mon support réel. Il avait bien fallu qu’à 5-6 ans on m’arrachât à la merveilleuse nature du Croisic, à la mer, aux rochers, à la fée, à la sorcière, à l’église, etc., pour me mettre dans l’argile, dans le jaune des collèges de Saint-Nazaire.

Nilsen, c’est la même chose : son grand-père est mort et il a été dans un milieu très sordide, parce que sa mère avait abandonné le père, et pour dire la vérité, c’était une putain.

Ce sont des chocs épouvantables. Mais ces chocs qui, vraiment, scindent l’enfance en deux, mettent d’un côté l’Eden et de l’autre l’exil, le rejet, cela aide effectivement à se faire une personnalité curieuse. On peut devenir un meurtrier, comme Nilsen, et on peut devenir un grand poète comme Edgar Poe. On peut devenir un homme qui a une vie intellectuelle un peu particulière, comme moi. Mais ça entraîne forcément quelque chose de particulier, qui n’est pas seulement là à 5 ou 6 ans, mais qui va vous suivre toute votre vie. Vous allez être un être particulier, parce qu’il vous est arrivé cette chose particulière quand vous aviez 6 ou 7 ans. Ça n’a rien à voir avec la psychanalyse, parce que ça se combine géométriquement ces choses, ce n’est pas du domaine de la philosophie, c’est le plus simple qui soit à exprimer.

Et je vais commencer ma figure, parce que je vais vous faire une figure aujourd’hui, et rien d’autre. Je pourrais faire des discours numériques, nombrés, j’ai choisi le plus simple. Je vais dire que l’origine c’est là[2]. C’est l’enfant. La naissance, si vous voulez. Certains, aussi bien Edgar Poe que Jean Genet disaient qu’avant la naissance on était « bébé-ange ». Maeterlinck a dit la même chose, ainsi que Saint John Perse, et ça s’explique parce que, au terme de leur vie, ils sont revenus à l’avant-naissance. Même le tueur Nilsen : pourquoi, disait-il, est-ce que j’étrangle mes victimes? Je crois que c’est un vestige des traditions Thugs, ou alors des Assassins, une secte musulmane; donc il cherchait une origine avant sa naissance, et c’est ce qu’ils font tous. Ça c’est l’origine. Nous voyons qu’à un autre moment, il y a ce que j’ai appelé  la nouvelle – après la puberté, par exemple, ou bien après l’adolescence. Enfin, ici vous avez l’enfant et vous avez le début. Pourquoi cela est-il là plutôt qu’une autre chose? N’oubliez pas le deuxième membre de la phrase : il est important. C’est-à-dire pourquoi être élu? Pourquoi, parmi des millions de spermatozoïdes, un seul va-t-il se perdre dans l’ovule? L’élu. A l’origine est l’élu, celui qu’on a élu pour une mission particulière. Ici, ce n’est pas tellement la nouvelle en elle-même qui est importante, c’est le facteur qui a apporté la lettre.

Et ce facteur, il arrive toujours. Généralement à la fin de l’adolescence. C’est le premier amour, par exemple. Mais ça peut être un bon professeur, ça peut être le grand ami de cœur… Mais il y a un facteur qui intervient et qui va vous permettre de lire la lettre. J’ai connu le temps, au Croisic, où le facteur ne se contentait pas de remettre la lettre. Si elle était adressée à un vieillard, un demi-aveugle, il entrait, il décachetait l’enveloppe et lui lisait la lettre. Là, vraiment, il la délivrait. Ça c’était le bon facteur.

Dons l’enfant élu ou le facteur. Ça commence toujours par l’un ou par l’autre, ou du moins, par l’un, et après par l’autre. Il y a, si vous voulez, un moment où vous commencez d’être, et puis un moment où vous commencez à croire comprendre pourquoi vous êtes au monde; c’est-à-dire à connaître votre mission. A recevoir la lettre qui vous assigne à telle fonction. Ce facteur va conditionner la vie. Mais l’enfant aussi, c’est l’élu qui conditionne la vie. Ils se rencontrent quelque part. J’ai dit la puberté, l’adolescence, ça pourrait être d’autres moments de la vie : ça pourrait être le premier poème, ça pourrait être le premier crime, le premier diplôme. Je vous disais : le premier amour; ça pourrait être le moment où l’enfant devient père, où il « fait » l’enfant. Mais enfin, il y a ces deux lignes, qui semblent nous suivre toute notre vie, et qui se rencontrent à certains moments, où, en somme, on est bien dans sa peau. Ça veut dire quoi? Que je suis physiquement en état, solide, mais en même temps, conscient, lucide de mes pouvoirs, de mes facultés, de mes facteurs internes. Je suis moi-même le symptôme. Je lie en moi l’image que je donne aux autres et le symbole des symboles par lequel je suis. Je suis le JE qui agit et le MOI qui a conscience d’être. Ça se rencontre là. Et nous allons voir qu’historiquement ça se passe comme ça.

Historiquement, il se passe quelque chose de très curieux. Dans un cycle de 2000 ans, il y a deux ou trois grandes machines qui ont fonctionné pendant ce temps-là. Je vais vous parler de l’ère chrétienne – on la connaît assez bien. Il y a une machine qui s’est appelée « Les quêtes du Graal ». Elles ont pour origine le Christ, puisque le Graal, au départ, c’est le sang royal – le sang réal –, qui donnait la joie, le bonheur, à la messe, à la communion, dans le ciboire, le vase où il y avait le sang (qui n’était que du vin, bien sûr, mais du sang transposé en vin). C’était le sang du Christ. Une lance lui avait percé le flanc, au moment de sa mort sur la croix, et le sang fut recueilli dans une urne, dans un vase que prit Joseph d’Arimathie. Le Graal, c’était cela : c’était ce sang rédempteur, contenu dans le ciboire. Donc c’est parti de l’an 0. Et ça a fini en 1260 parce que, à ce moment-là, toutes les histoires du Graal sont écrites. Il n’y en aura pas après. Ça a été écrit sur deux siècles à peu près, du 11ème ou 12ème au 13ème. Il y a eu une quête de Chrétien de Troyes, une quête de Burons, de Galaad, (écrite par des moines cisterciens vers 1250). Elles racontent toujours ce qui s’est passé autour de 600, à peu près, entre 620 et 720. Elles nous disent qu’un fils de roi, élu donc, Gauvain, venu de la lointaine Germanie, est arrivé au pays de Galles, au château du roi Arthur et des chevaliers de la Table Ronde. Donc il est allé de l’est vers l’ouest. Les commentateurs disent souvent : c’est une image pour dire la marche du soleil. Je veux bien… Ce qui est sûr, c’est que quand il trouve le Graal, dans un château, il voit des choses qu’il ne comprend pas. Mais comme c’est un brave, un héros et pas du tout un intellectuel, il ne se pose pas de questions. Il voit une lance rompue, deux vases…

Et puis il y aura Burons, qui va surtout raconter la quête de Perceval. Perceval sera d’abord un compagnon de Gauvain, qu’il tuera en duel (selon une autre tradition). Et Perceval, c’est l’hésitant. Il ne comprend pas. Mais lui se pose des questions : pourquoi la lance rompue, pourquoi les deux vases?

Gauvain, c’est l’enfant du premier âge, qui ne quitte pas sa famille. C’est étonnant de lire ses aventures, notamment chez Chrétien de Troyes. Gauvain rencontre des tas d’hommes, des tas de femmes. Mais l’homme c’est un oncle, la femme c’est une tante, une cousine. Il ne quitte pas sa famille.

Perceval est sans doute le fils d’un roi, certains disent le fils de Lancelot, mais ce n’est pas sûr, il ne sait pas lui-même. Il sait qu’il est de sang royal, mais il voudrait bien qu’on lui donne un royaume, une principauté, une fonction.

Il était avec Gauvain, il va être avec Galaad, il va le suivre jusqu’en Orient. Parce que Gauvain est l’élu, l’enfant qui ne se pose pas de questions, qui se bat contre tout le monde. Perceval, lui, pose des questions aux ermites qu’il rencontre. On lui dit : c’est le Poisson de l’eucharistie, le Graal; ou bien : c’est toi-même, ce que tu as de mieux en toi. Chacun lui donne une réponse différente.

Le troisième héros, Galaad, arrive à la Table Ronde alors que le roi est déjà mort, et que le sang ne peut pas le guérir – le roi pêcheur, pas le roi Arthur, le roi qui pêche des poissons, le roi mérovingien, venu des pays de la mer. Personne n’a trouvé le Graal, sauf Gauvain qui l’a vu et qui n’y a rien compris. Galaad dit : « Je vais y aller, parce qu’il se peut que ce soit le vase le plus important ». Les autres sont scandalisés. Ils ne comprennent plus rien. Mais comme Galaad est le seul qui arrache l’épée qui est enfoncée dans le rocher, comme il ose s’asseoir dans le fauteuil de Judas, comme c’est un magnifique adolescent…

Mais il ignore son origine, il ne sait pas qui sont ses parents : c’est le facteur par excellence, celui qui va faire les choses. C’est l’ouvrier. Et lui va aller de l’ouest (l’Irlande) jusqu’en Orient. Et quand il trouvera le Graal, il verra qu’en effet il ne contient rien, ou qu’il contient tout. Et qu’on l’appelle le Saint Graal parce que ce qu’il contient n’est rien, c’est-à-dire que ça grée à tous. Chacun y met ce qu’il veut.

Voilà ce que racontent les Quêtes du Graal. Mais en même temps, vous allez avoir (et je le cite, parce que c’est incompréhensible apparemment), 360 ans avant l’origine, vous avez déjà une nouvelle, un essai d’expliquer, de délivrer un message, et ce sera le début de l’alchimie : on ne fera pas de l’or, on fera des teintures d’or et d’argent pour faire de la fausse monnaie (ce sont des faux monnayeurs, au départ, les alchimistes), jusqu’en 620, où un homme, qui s’appelle Etienne d’Alexandrie, a écrit un livre qui est l’Opuscule de l’Or. Il décrit l’or comme un composé de genre et d’espèce. C’est-à-dire l’aspect de la chose, et le joint entre les feuillets de l’ardoise ou du bloc d’or. Et cet aspect, il l’appelle le premier délit, parce qu’il manque toujours un aspect : c’est la pierre enterrée, la face qui est dans la terre, on ne la voit pas; il manque un aspect à la chose pour qu’on la voie bien. Mais quand on a arraché l’or, on découvre qu’il n’est fait que de feuillets unis par des joints. C’est ce qui deviendra la question du genre et de l’espèce, qui va hanter tout le Moyen Age et qui nous hante encore aujourd’hui – aujourd’hui ce sont les genres sexuels et les espèces monétaires…

Donc il y a eu un temps où il s’est passé quelque chose. Et puis ça va disparaître, pendant un long temps, jusqu’en 1800 exactement. Un long temps où l’on va déplorer la perte de l’or, de la pierre philosophale, la matière merveilleuse. Et jusqu’en 1800, les alchimistes vont faire des spéculations, à partir des espèces, pour essayer d’expliquer pourquoi ça a disparu, et tenter de retrouver – finalement on ne retrouvera rien, on fera des poudres d’or qui seront très proches des teintures primitives, et en fin de compte on recréera de la fausse monnaie, comme au 3ème siècle avant J.-C.

Ici vous avez un problème tout de même extraordinaire : vous avez les deux raisons d’être, on peut dire, de la quête pendant 2000 ans. C’est-à-dire que les Graals d’une part, l’alchimie de l’autre, sont contenus l’un dans l’autre, puisque vous avez ici 12 siècles et là vous avez 2160 ans, mais ça fait vraiment le tour de ce qu’on peut dire sur l’Amour : depuis les prophètes de l’Amour, depuis Platon (-360), jusqu’à l’éclatement du couple, quand le mariage n’est plus une institution divine devant le prêtre, mais devient légale devant le maire et un curé de campagne. Et puis le divorce est permis, on reste le temps qu’on peut rester. C’est un autre monde. Je ne critique pas, comprenez bien, je raconte l’histoire. Un moment, l’Amour est interdit : on ne s’aime plus. On se déchire entre homme et femme, quand l’amour part, quand l’amour est passé. Alors on se déchire, ou bien on en sort, c’est le divorce. On a choisi la Liberté contre l’Amour.

Et en même temps, les peuples se déchirent, se haïssent. Il y a toujours un peuple mâle et un peuple femelle qui se haïssent. Cette histoire-là n’est pas seulement contenue dans un dieu comme le Christ ou le Bouddha, mais elle est dans l’atmosphère, on vit ce climat depuis 2000 ans. On l’a créée, on l’a formulée jusqu’au 7ème siècle, et ensuite on s’est aperçu que c’était vide, qu’il n’y avait rien dedans, que c’était un rêve, comme dit Théophile Gautier, « un rêve de l’homme », après bien d’autres, mais que ça n’avait pas de réalité.

Je pourrais vous raconter l’histoire de la Bible, l’histoire de Sumer, vous verriez que c’est toujours le même schéma. Par exemple ici, vous avez quatre instruments qui sont employés par les trois chevaliers : Gauvain, Perceval, Galaad. Il y a la coupe, bien sûr. Mais la coupe, c’est aussi ce qui coupe. Et en fin de compte, Galaad, qui a un blason vierge, puisqu’il est orphelin, va dessiner sur son blason la croix de sang, il aura coupé, partagé le blason. Et depuis, tous les blasons le seront. Et puis la coupe, c’est mettre dans le vide un espoir de possibilité, de probabilité. Donc, c’est les deux choses à la fois, la coupe : c’est la coupe qui contient et la coupe qui vide. Ce n’est pas la même chose. Ce n’est pas le même Graal.

Et puis il y a la table. Galaad, c’est un jaque. Ce qu’on appelle un jaque au Moyen Age, c’est quelqu’un qui n’a pas de terre. C’est l’homme du peuple. Mais ce jaque, d’où tient-il son nom? Il le tient du mot jacut. Et le jacut, c’est ce qu’on appelait la Table d’Hermès, la Table d’Emeraude, c’est-à-dire la table qui contient les lois de Moïse. Ça n’a rien à voir avec la Table Ronde, autour de laquelle les chevaliers se réunissaient. Il y a deux tables.

Vous avez la coupe, vous avez la table. Vous avez l’épée, bien sûr. Mais l’épée de l’un sera d’estoc, elle pénétrera comme la lance dans le flanc du Christ, et pour l’autre elle sera des ciseaux. Ce que ne comprenait pas Gauvain, c’est le point où la lame devient ciseau.  Elle n’est plus d’estoc, mais de taille.

Et puis enfin, il y a l’arche, qui est toujours là. Mais l’arche, c’est le pont qui enjambe le cours d’eau pour Gauvain, et pour Galaad, c’est la nef, le bateau qui va l’emmener jusqu’en Orient. Et arche veut dire les deux : le pont et la nef.

Et bien si je remontais un peu avant dans l’Histoire, je vous montrerais que ça a toujours existé depuis 6000 ans. La coupe s’appelait chaudron dans les traditions celtes. Ce qui contient ou ne contient pas. L’épée est toujours là, ou le couteau. L’arche, c’était l’arche de Moïse ou l’arc-en-ciel de Noë, etc.

Bien. Nous allons faire une pause.

Jean-Charles Pichon

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[1] « Du nouveau chez les Gémeaux ». Inédit.

[2] Ne disposant pas d’enregistrement vidéo de cette conférence, je laisse au lecteur le soin de se représenter la figure en question…

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