Septembre 2000
Limoges
Une conversation à bâtons rompus, qui peut parfois sembler décousue, pleine de détours, mais qui, finalement, nous fait assister à la genèse d’un poème.
Quel est le titre général que tu vas donner à tous ces ouvrages?
Le rire du Verseau, ou l’univers du Verseau. Plutôt le rire du Verseau.
Et si je ne me trompe pas, tu étais parti de la question de Heidegger?
C’est ça. C’est toujours elle qui est en question. Si on traite d’un objet, on ne s’occupe pas de l’objet, en fin de compte, ça peut être n’importe quoi. Le problème c’est : pourquoi cela est-il là plutôt qu’une autre chose? C’est le seul problème que se pose l’homme. Ça c’est clair et net. Ce n’est jamais que cette question-là.
Cette question est intemporelle, dans sa formulation.
Oui, elle prétend être intemporelle, universelle, éternelle, etc.
Toi, tu vas étudier les diverses croyances, c’est-à-dire pourquoi cette chose est là, et pas autre chose, à ce moment-là.
Tous les mots de la question sont ambigus. Là, ça peut être maintenant, et ça peut être ici. Dans l’espace ou dans le temps. Le pourquoi aussi peut être ambigu : comment cela a été fait, ou bien pour quel objet, pour quel but? Quant à l’objet lui-même, finalement, cela, je me suis rendu compte qu’on ne le connaissait que de l’extérieur, par ses aspects : c’est un nombre, un vocable ou une figure; ou alors de l’intérieur, comme un jet, comme un jeu, un objet ou un sujet, etc. Mais on ne connait pas la chose en soi, bien entendu, ou alors, si on la connait en soi, ce sera comme genre, par opposition aux espèces. On ne peut connaitre soi que de l’intérieur, on ne connait l’objet que de l’extérieur. Si on ne connait soi que de l’intérieur, ça ne signifie pas grand-chose, parce que, notre intérieur, on dit que ce sont des pensées, des sensations, mais en fin de compte, c’est un foie, c’est une rate, c’est un cœur, des reins, ça n’intéresse pas l’homme de foi; ou au contraire, ce qui est extérieur, c’est ce qui est vu, ce qui est perçu, mais ce n’est pas l’objet en soi.
Donc on ne connait l’objet que de l’extérieur, on ne connait le sujet que de l’intérieur. Si on dit question, c’est le passé ou l’avenir qui est en question, si on dit objet, c’est l’objet ou le sujet, c’est le jet; et si on dit l’autre pourquoi, ce qui va advenir, et bien on sait que ce sera toujours une absence en fin de compte. C’est la présence qui devient absente; ou alors, dans le domaine métaphorique, dans le domaine illusoire, chimérique, l’absence qui deviendrait présence. Mais on s’occupera peu de cet aspect de la question. On pense plutôt à la présence qui disparait, parce que ça semble se passer comme ça. Ça se passe aussi de l’autre façon, puisqu’une croyance naît d’une croyance morte, mais enfin ça justement on ne peut pas en tenir compte. La phase récurrente – dont on a besoin – pour espérer, pour croire, nous gêne quand même. La seule qui nous semble logique, c’est celle qui va du passé au devenu, à la disparition du passé. Voilà. Ce sont les six hypothèses que lève la question.
Je ressens ça comme une approche du Réel.
Oui, sauf que déjà, dès le départ, cette approche du Réel bifurque en approche de la chose, cela : pourquoi cela est-il là? Evidemment, ça se greffe sur l’objet. L’objet devient un prétexte. On ne s’occupe pas de l’objet, on se demande pourquoi il est là. Mais, en réalité, la quête générale est obligée de sortir de cette quête particulière. C’est-à-dire l’objet, son sens et le lieu où il se trouve.
Pour quelqu’un qui ne connaitrait rien à tous ces domaines, quelle définition donnerais-tu de l’objet?
Et bien, justement, il y a beaucoup de dialectiques fausses, et celle de l’objet et du sujet est une dialectique fausse, secondaire, parce que l’objet et le sujet traitent du jet. Le jet, c’est le je, c’est le genre, la généralité, le gène. C’est la chose en soi, par opposition à ce qu’on connait de la chose extérieure, c’est-à-dire l’aspect. Mais l’objet et le sujet sont tous les deux ou des jets distincts l’un de l’autre, ou bien des jections, des injections, des surjections, etc.
En fait le sujet et l’objet n’existent en eux-mêmes que par leur mouvement. L’objet, on peut dire qu’il est déplacé, le sujet mue, il se transforme. Le change est extérieur dans un cas et intérieur dans l’autre. C’est tout ça qui est contenu dans l’idée de genre, depuis le Moyen Age. L’objet, c’est la chose, ce que le Moyen Age appelait la chose, c’est-à-dire quelque chose de limité et d’individuel, par opposition au réel, qui n’est pas personnel et qui n’est pas limité. (…)
La chose est vue abstraitement dans la question d’Heidegger, mais dès que tu la vois concrètement, elle devient un élément de jeu et le jeu va ouvrir la même dialectique, c’est-à-dire que le jeu en lui-même est triple : il y a une donne, une partie et un enjeu; mais, au cours des âges, qu’on considère les jeux de table ou des jeux extérieurs à la table, on trouve qu’ils jouent, en fin de compte, ou bien d’une nomination, d’un vocable, ou bien d’un nombrage, ou bien d’une figuration. Par exemple, les trois jeux de table, ça a été les échecs, puis les dés, puis les cartes. Il y a une nomination de pièces (tour, etc.), puis il y a le nombrage des dés et puis il y a la figure des figures des cartes. Il y a 3 aspects d’un côté, dans la succession, ou bien il y a 3 phases dans le jeu, la donne, la partie et l’enjeu. Et on retrouve les 6. Alors, quand tu as en face de toi ces deux conceptions de la chose, la chose pensée, conçue ou la chose jouée, agie, tu es obligé de faire appel à d’autres mots, pour y voir clair. En fin de compte, les 2 tu les appelles le même et l’autre, au plus simple; mais ce même et cet autre, ils sont positionnés, l’un d’un côté, l’autre de l’autre, et alors il faut chercher entre eux des relations, ou bien ils peuvent s’interpénétrer, s’atteindre, se modifier et on doit parler de passage. Et dans la Préface, je parle surtout de ça, des relations et des passages. Je n’avais pas tous les mots quand j’ai écrit le livre, aujourd’hui je m’aperçois que les relations jouent entre autres des articles : les articles, ce sera le féminin et le masculin, abstraitement, le le et le la, dans la grammaire – ça peut être le neutre dans d’autres langues –, l’article c’est aussi ce qui est concret ou ce qui est abstrait : tu peux parler d’article d’un inventaire ou d’article d’un raisonnement. Et, en troisième position, l’article est toujours à faire. C’est la brocante ou la bricole.
Si tu joues des passages, il faut bien passer par des axes. Alors ou bien tu vas vers quelque chose pour y accéder, mais le mot accès a un autre sens, qui est la crise, ou bien c’est l’accueil. L’accueil peut être le refuge et puis l’hôte reçu et l’hôte recevant. Ou bien c’est l’accent que tu mets sur l’un ou l’autre, qui est aussi un axe. Donc tu auras 3 relations, 3 passages, 3 articles, 3 axes.
Mais cela est très confus, parce que les uns utilisent le langage des autres. L’homme de foi utilise le langage de l’homme de raison. Il ne faudrait pas parler de foi et de raison, il faudrait parler d’exercices et d’exemples. La foi se fonde sur des exemples, sur des modèles sacrés, et la raison se fonde sur des exercices, des expériences. Or le savant, il lui manque terriblement de positionner ces choses, il invente des choses – des isotopes par exemple – c’est-à-dire qu’il fait comme s’il y avait une station qui n’existe pas dans l’application mathématique : on invente des positions pour suppléer à l’exercice sacré manquant. Ou bien on invente les exercices spirituels de Loyola, c’est-à-dire qu’on essaye de créer un exercice propre à la foi, un mouvement dans la foi, mais un mouvement qui est irréalisable puisqu’il ne peut pas être hérétique, il ne peut pas être en dehors, il ne peut pas être particulier, donc ça sera des exercices liés à un dogme. Dans un cas, tu crées le système qui n’est plus de la science, dans l’autre tu crées du dogme qui n’est plus de la foi. Le dogme est aussi systématique que le système scientiste, et la prétention scientiste est aussi du domaine de la croyance. Alors on est dans la confusion complète.
L’objet qui me semble échapper à cette confusion, c’est la gare, parce que la gare… [Allusion au récit Un handicapé gare de Nantes, paru dans la revue « Les portes de Thélème] Au départ c’est l’île, c’est l’île que nous sommes tous. Nous sommes en nous-mêmes, et nous cherchons des communications, des correspondances avec l’extérieur, mais autour c’est la mer, c’est le vide, et donc on ne peut pas faire de correspondances, sinon par la lettre dans la bouteille… Alors que la gare, elle, n’est que correspondances. La gare est une île avec correspondances. A ce moment-là, tu peux jouer, tu peux montrer les paradoxes du passage et de la relation, c’est-à-dire que tu ne peux aller que du contenu au contenant et jamais à l’inverse. Le contenu est plus grand, plus dense, plus massif que le contenant, donc ne pouvant aller que du contenant au contenu, je vais toujours du moins au plus, et tu rejoins une prétention rationnelle, curieusement. La loi découle des paradoxes.
A ce moment, il te manque quelque chose, il te manque le texte, le mot; il te manque quelque chose qui ne sera ni de la question ni du jeu, qui prétendra répondre à la question et qui prétendra immortaliser le jeu : c’est le poème, en fin de compte. [Voir L’univers du Verseau, dans la rubrique « Les 4 poèmes] Mais ça, je ne l’avais pas vu très clairement à l’époque, je cherchais – enfin je l’avais trouvé sans le nommer, parce que je ne nommais pas le poème, mais je nommais les images, le vocabulaire des images, les textes d’abord, les livres, les machines… et puis d’autre part les paradoxes qui font mouvoir les machines. C’est-à-dire les concepts d’une part et les analyses de l’autre. Les concepts qui sont eux-mêmes ou hypothétiques ou analytiques, ou synthétiques et, à l’intérieur, les analyses qui sont aussi triples, depuis les débuts de la psychanalyse.
Et là encore tu tombes sur une confusion, tu tombes sur des tableaux incomplets, parce qu’il manque toujours quelque chose, pour accomplir ton raisonnement jusqu’au bout… Jusqu’au jour où j’ai pensé à la ribambelle. Parce que dans la ribambelle, tu as d’une part la totalité des acceptions de ribambelle, c’est-à-dire un nombre de danseurs, le mot lui-même, qui veut dire balance et ruban, et puis la figure de la ribambelle. Mais si tu prends la figure, elle est elle-même triple : tu as la feuille, tu la plies, tu fais des trous, tu déploies et c’est la dentelle. Le pli, le trou et la dentelle sont contenus, en quelque sorte, sous le nom de figure, entre le mot et le nombre.
Mais, comme la gare était en dehors de l’île, la ribambelle est un ensemble de mots particuliers, qui ne sera pas vrai dans d’autres circonstances. A ce moment-là, n’ayant toujours pas le troisième terme, le poème, tu vas essayer de trouver une synthèse entre la gare et la ribambelle. Apparemment, il n’y en pas du tout. Sauf que les deux jouent de l’ouverture et de la fermeture, ou du contenant et du contenu. Tu peux trouver des éléments communs. oui, le troisième élément, c’est les nombres qui sont fixes, constants, ou bien variables, et puis c’est les ronds, le carré, c’est la ligne, la droite, et l’objet recherché c’est la quadrature du cercle. Or elle est démontrée par Platon; moi j’ai trouvé des nombres quadrants, c’est le 5 fixe et le 7 libre, c’est le 864 par exemple, qui peut faire un carré d’un cercle. Mais la quadrature est quelque chose d’aussi extérieur que la ribambelle ou la gare. C’est ce qui est mis dehors. C’est l’illustration du texte, ce n’est pas le texte lui-même.
Alors, étudiant tout ça, tout ce que j’ai fait dans ces cinq livres, j’étais arrivé à un tableau, pour contenir les 9 éléments dans les 3 verticaux, et les 9 dans les 6, et je me suis demandé : pourquoi ce tableau? Pourquoi les 9 dans les 6? J’ai découvert que tout ce que j’avais décrit, c’était une bouteille, tantôt pleine, tantôt vide, le dehors, le dedans, le contenu, le contenant. Puis en analysant le contenant, la bouteille pleine est debout, elle est fermée, ou bien elle est ouverte, elle est couchée, elle est vide. A ce moment-là, il y a 23 éléments de combinaisons. Mais, à partir de la bouteille, j’ai été amené à démontrer les figures faites par les droites, c’est-à-dire les chevrons, ou bien la croix centrale; et puis, de la croix centrale un sens crée un autre cercle qui est inscrit, et puis un autre qui est circonscrit : en somme, pourquoi la bouteille se remplit ou se vide.
Et à ce moment-là je me suis rendu compte que je ne pouvais pas en parler sans parler de l’ouverture et de la fermeture, du debout et du couché, du courbe et du droit. Je me suis aperçu que je devais parler de la bouteille comme d’une porte, ouverte ou fermée, et en même temps comme d’une poignée, qu’on serre ou qui contient; ou tu serres l’épée, ou tu contiens le manipule. Imposte ou manipule. Et puis, voulant résumer tout cela, je me suis aperçu que je parlais toujours du même, l’objet même, ou bien de l’objet parmi les autres, ou des autres en général, de la bête en soi, entre son entrée et sa sortie, et du jeu, le jeu du jardin, de l’harmonie de l’univers, à travers les saisons, les âges, etc.
Arrêté à cette idée de bête et de jardin, de même et l’autre, surtout avec l’idée de poignée de porte précédemment, je devais être amené à l’idée d’union, d’union possible et de serrement de mains, par exemple le serment du Jeu de Paume. Mais il est certain que les mains ne sont pas unies, elles sont séparées aussi, et heureusement, donc il faut qu’elles soient jointes et qu’elles soient disjointes. Quand elles sont jointes, elles font impasse, quand elles sont disjointes elles font passage : ce qui était bon devient mauvais, ce qui était mauvais devient bon.
C’est comme ça que je suis arrivé au dernier objet : c’est l’habit.
Je reprends ce qu’on disait ce matin. Ces choses, ces objets, tu les as trouvés, ils te sont venus ou tu les as cherchés?
Oh, je les ai cherchés, mais chercher ça ne rime à rien puisque, en fin de compte, je vois que les objets, quand je les trouve, ils sont étrangers à ma quête. La gare était extérieure à l’île, la ribambelle était extérieure au problème que me posait le vocabulaire des images, la quadrature est extérieure, par sa définition même, au carré et au cercle. Donc, quand l’objet survient, il survient comme un démenti presque à tout ce que tu avais cherché. Bien sûr, tu cherchais une correspondance dans l’île, mais tu ne la trouves que dans la gare, qui n’est pas l’île. Tu cherches une sorte de rapport de contenance et de contenu entre les mots, mais en fait, tu trouves la ribambelle, qui est un cas très particulier. Tu cherches une troisième figure au cercle et au carré, et ce n’est pas une troisième figure, c’est un rapport de nombres, pas de figures, etc. La chose survient comme quelque chose d’autre, inattendue, paradoxale. Et d’ailleurs l’objet peut être donné avant la quête : la terrine, par exemple, qui caractérise bien l’idée du même, la chose qui se passe dans l’objet même, par opposition à l’objet dans les autres, dans les chemins, cette distinction entre la terrine et le chemin, je l’avais déjà presque avant que je ne pense toute cette quête. [La terrine fait son apparition dans Un homme en creux, puis est analysée dans Le petit métaphysicien illustré] Et je ne la comprenais pas clairement. L’objet est là, bien sûr, il peut être perçu avant ou après, mais il pose différemment le problème. Et en fin de compte, l’objet n’est qu’un objet, il ne peut pas faire la généralité, il ne peut pas expliquer le réel, ou même illustrer le réel, il est en dehors. Il faut trouver quelque chose qui est commun à l’île et à la gare, et il n’est pas évident que c’est la bouteille, alors que c’est la bouteille. Il faudrait quelque chose qui joue à la fois des concepts et des ribambelles, et il n’est pas évident non plus que c’est la roulette, avec son cadran et son aiguille. Et il n’est pas évident non plus que la quadrature, c’est le problème de l’habit. L’objet t’est imposé. Ou bien tu le vois – mais tu peux le voir sans le comprendre – ou bien tu le conçois vaguement, ou tu peux le concevoir sans le voir.
Ce qui est sûr, c’est que la raison et la foi se fondent sur l’objet, sur la chose, mais vus différemment; c’est-à-dire que pour la foi, l’objet est dans Dieu, dans le réel, et pour la raison, le sujet à ce moment-là contient les créations qu’il se fait de Dieu. (…)
Il faut bien comprendre que le sujet et l’objet ne sont pas une dialectique au niveau des autres, parce que c’est une dialectique intérieure au jet. C’est ça qui est très difficile à comprendre. Les gens confondent, parce qu’ils croient que quand ils ont résolu une dialectique, ils ont résolu les autres. Ce n’est pas du tout sûr. J’ai mis beaucoup de temps à comprendre que l’objet et le sujet sont de l’ordre du genre, et pas des aspects, pas des espèces.
Voir la chose de l’extérieur ou la concevoir de l’intérieur, c’est tout à fait différent. Or, de l’intérieur, elle est sujet – sujet dans l’objet – mais, en même temps, l’objet tu le vois de l’extérieur, tu vas le voir par ses aspects. C’est tout à fait autre chose.
En fin de compte, l’eau, le pain ou le vin, tu peux en parler, tu les fabriques. Mais, si tu parles du sang et du corps, c’est tout à fait autre chose, c’est beaucoup moins saisissable. C’est insaisissable. (…)
D’une certaine manière – on prétend que c’est Cantor qui l’a trouvé – mais moi j’imagine que Pascal sait déjà cette chose extraordinaire, que d’une infinité d’objets, tu peux tirer d’autres infinités… à l’infini! De l’infinité des nombres, tu vas tirer l’infinité des pairs, qui sont contenus dans les nombres. Mais ça, Pascal le sait. Il ne l’a peut-être pas formulé mathématiquement, mais ça ressort de tout ce qu’il a écrit. Donc, l’infini n’est pas limite. Il est scindable en une infinité de parties. Alors que l’Un, l’Unité n’est pas saisissable non plus. Elle est, indiscutablement, mais elle n’est pas saisissable parce que tu ne sais jamais, quand tu dis « un », si tu veux dire la totalité de ses parties, ou ce qui va régir le genre. Il y a le 1, u n, et puis il y a le nombre. Et ce sont deux choses tout à fait différentes. Donc l’unité est duelle et l’infini n’est pas l’infini, alors… (…)
Pour moi il y a 5 nombres. Il y a N et n, dont Poincaré traite : N = n + 1, pour expliquer les puissances, et que moi je traite d’une autre façon avec la série des moyennes : n = N = 1 sur 2, mais qui, dans les deux cas, indiquent un plus ou un moins. Et les 3 autres nombres, ils sont très étonnants, parce que c’est 1, x, 0. Or, 1, x et 0, c’est à la fois des nombres, ce sont des figures, cercle, croix ou verticale et ce sont des lettres. Et ça va plus loin, parce que quand tu analyses le 0, par exemple, il est clair que nous jouons de trois 0 constamment aujourd’hui : il y a le 0 relatif, qui fait le positif et le négatif, tu as le 0 qu’on dit absolu, en thermodynamique, c’est-à-dire le froid après lequel tout éclate, et puis tu as le 0 de Planck, qui est un nombre infiniment petit, puisque c’est 6 puissance -27, et qui est le point où la position et le mouvement devraient se confondre, bien que évidemment, ils ne se confondent pas. Tu as trois 0 totalement différents : un 0 relatif, un 0 absolu et un 0 quantique, en quelque sorte. Mais ça ne nous gêne pas. On joue de ces nombres comme si c’était certain. Il n’y a aucune certitude dans tout ça. Ce sont des objets. Ce ne sont pas seulement des aspects, ce sont des objets. O, 1, x ne sont pas des aspects, puisqu’ils sont les 3 aspects à la fois (lettre, figure et nombre). Ce sont vraiment des objets. Alors que N et n sont des mouvements, ou des passages, des relations entre les objets. Donc, même dans les nombres, tu retrouves le même jeu!
Dans l’approche du réel, je tente de saisir des objets et de les étudier, jusqu’à présent, sous une forme dialectique …
Et trilogique tout de suite.
Je voulais en arriver à la trilogie, qui est quand même…
Elle est partout. En fait l’objet est trilogique, il n’est pas dialectique. Il est trilogique, puisqu’on ne le connait que par ses aspects, ses sens, mais ça sera toujours trilogique.
Ce qui veut dire que, à l’intérieur de la trilogie, vont se développer des dialectiques.
C’est pourquoi tu arrives aux 6, d’ailleurs. Mais dans la suite des nombres, tu auras 6 qui multiplient 2 puissance quelconque – 2² pour commencer, ça fait 24, tu as 2 douzaines. Ou bien tu joues des trilogies dans les trilogies et à ce moment-là tu as 36, tu as 3 zodiaques, 36 structures. Et moi, je pense qu’on peut, de même qu’il y a produit ou somme entre les nombres, on peut continuer : 24 + 36, c’est 60, le nombre de l’Unité de Sumer. Ou bien 24 qui multiplient 36 donnent 864, le nombre auquel j’aboutis de différentes façons, parce que c’est e-1, c’est le cycle moins l’unité, c’st un cycle quadrant qui fait le cadrage entre le cercle et le carré, etc.
Et mes poèmes aussi font – enfin les questions, les poèmes et les jeux reconstruisent ces mathématiques, 24, 36 et puis le produit de 24 et de 36, ou leur somme. Mais ça, ça fait partie des jeux, c’est comme ça, mais pourquoi? Je n’en sais rien. Je ne vois pas l’intérêt de se demander pourquoi, d’ailleurs. On cherchait le comment, on trouve le comment. Si on cherche le pourquoi, ça va être autre chose. A ce moment-là, on va trouver la presse ou la pulsion, on va trouver les tableaux, les tablatures, les tables. On retrouve toujours la même chose, les tables sont 3 : il y a la Table des Lois, il y a la Table Ronde et puis il y a la Table colorée, la Table d’Emeraude, par exemple. Et ce sont des objets que tu ne peux pas distinguer l’un de l’autre, ils peuvent se suivre dans l’Histoire, mais tu ne peux pas ramener l’un à l’autre; et en même temps, tu as les 4 tablatures d’une part, l’établi ou l’étable, selon que l’on veut se nourrir ou créer, et puis les tableaux, qui sont, au Moyen Age, le plus petit : tavelle, pour dire la petite table, ou bien tapon, tampon, qui bouche. Et en fait, c’est le champion ou la pioche, si vous voulez. Ou la vrille et le tire-bouchon. Ce qui fait le trouve ou ce qui le comble. Etc.
Il n’y a pratiquement pas de mot usuel, qui nous serve à un métier quelconque, il n’y a pas de mot qui ne comporte ce jeu des 2, 3, des 4 avec une rigueur hallucinante.
Au Moyen Age, les saintes, quand elles ont dit réel ou chose, elles savaient ce qu’elles disaient, ce qu’elles voulaient dire, mais qui est-ce qui a régi l’évolution des mots accès, tavelle, tapon, depuis mille ans? Ça s’est fait comme ça. Personne ne l’a fait. Donc ça échappe à l’homme. Ça a évolué de cette manière-là et pas d’une autre. (…)
Du réel, nous ne saisissons que l’évolution, le mouvement, le changement des choses. C’est-à-dire le jet, les jets.
Et c’est par là que tu as commencé.
Et c’est par là que j’ai commencé.
Par l’étude des cycles, à partir des années 50.
Oui, mais sans savoir du tout ce que je faisais à ce moment-là. En réalité, ma chance incroyable, c’est que j’ai commencé par une machine parfaitement correcte et indiscutable, que ‘appelle machine facultante ou facultative, fondée sur les facultés, qui était une synthèse des 4 et des 3. Les 4, c’étaient les 4 états de la chose, c’est-à-dire extension, condensation, condition, libération, et, d’autre part, 3 lieux, 3 vertus, 3 personnes, Je-moi, Je-tu, Je-lui, ou l’entendement, la passion et la sensation. Et le jeu des 4 à travers les 3 m’imposait les 6 facultés. C’était l’Objet même, l’objet en soi. Il m’a fallu, après, 40 ans pour analyser les machines factrices que les hommes ont inventées, ou la plupart d’entre elles. Mais l’étrange, c’est qu’il y a en ce système, au départ, cette machine facultative, et puis j’ai bafouillé là-dessus pendant 10 ans, parce que je sentais que c’était primordial. D’ailleurs ça stérilisait ma vie, ça la bloquait, elle devenait systématique. Ça explique en partie que je n’aie pas fait pour mes enfants tout ce que j’aurais pu faire, ni pour mes femmes d’ailleurs. Ça donnait certainement aux autres le sentiment d’un égoïsme forcené. J’étais obsédé par cette machine, dont je sentais absolument la réalité, mais qu’on ne peut pas appliquer à longueur de journée sans devenir à moitié fou… Jusqu’au jour où j’ai trouvé la terrine. Brusquement, la terrine m’a révélé que je n’avais dit que l’objet en soi, l’objet même, mais qu’il y avait aussi l’objet dans l’autre.
A ce moment-là, j’ai abandonné mon système pour m’ouvrir aux astrologiques, alchimiques, quête du Graal, Pentateuque, Kabbale, etc.
Mais l’accumulation des machines factrices m’a montré une autre façon d’approcher la chose, mais n’a pas résolu non plus le problème. De toute façon, il ne pouvait pas se résoudre en passant d’une méthode à une autre, tu changes de méthode et c’est tout.
Alors, il restait l’idée d’une synthèse qui était les grandes machines sacrées qui, effectivement – le Livre de l’homme qui a vu, le Pentateuque, l’Apocalypse, le Coran – arrivent, avec des nombres tout à fait étranges, comme le 19, à une sorte de synthèse des 7 et des 12.
Il y avait certainement d’autres façons d’approcher ces machines, et on les approche, entre autres, par les paradoxes. Et à la fin, particulièrement depuis un an, depuis que je suis ici, vraiment il n’y a plus que des objets : la bouteille, la poignée, la porte, la bête, le jardin, l’habit, etc.
On ne voit pas ce que ça apporte à première vue. On se dit : bon, c’est un jeu parmi d’autres. Ce jeu, tout le monde le refuse. C’est un jeu et une question, toujours, un jeu qui relance la question. Les hommes de foi rejettent la question, rejettent ma manière de traiter la question, parce qu’elle est forcément hérétique à un moment donné, et elle remet en cause le dogme. Et les savants refusent le jeu qu’ils trouvent dérisoire, indigne de la science, donc tous refusent ma démarche.
Qui est une démarche préparatoire au Verseau…
Ça ne peut être que ça, c’est évident. La Liberté est indiscutablement une conception, et c’est aussi un ensemble d’objets : la preuve, c’est qu’au cours des âges, on lui a donné une forme d’objets – d’objets ou de personnages – mais les personnages, en quelque sorte, avaient pour mission de ramener un objet à l’autre. Il y a eu l’arbre et puis il y a eu Bacchus ou Dionysos, mais Bacchus et Dionysos avaient pour mission de ramener l’arbre à la vigne, au vin, ou bien à la tragédie, au jeu. Ensuite il y a eu les quêteurs du Graal, Galahad surtout, qui avaient pour objet de ramener la bouteille à l’urne, et l’urne… à quoi? Et bien, à ce que contient l’urne : est-ce que c’est un liquide, est-ce que c’est – ce que je crois aujourd’hui – l’odeur même, l’odorat, plutôt ce qu’on sent que ce qu’on voit ou qu’on entend. C’est comme ça : il y a eu l’arbre, il y a eu Dionysos, il y a eu le licnon, le casque et le panier, il y a eu l’urne, il y a eu les quêteurs de l’urne, il y a l’urne aux voix aujourd’hui. (…)
Ça a l’air de traiter toujours des mêmes objets, mais ça en traite tout à fait différemment; tantôt comme un choix, tantôt comme une totalité. Ou comme une présence, ou comme une absence. (…)
Il y a un poème que j’ai fait cet été : Ou bien ou bien.
Hasardeux nécessaire ambigu le poème
ne sera pas donné sans que le soit tout être
sans que dans l’œuf renaissent
les germes du Verseau.
Ils se dénombrent deux. Mais où sont-ils ?
Dedans dehors. Comment ?
Par ouverture ou fermeture. En quelle
figure courbe ou droite ?
Mais que sont-ils ? A deviner. Garçon ou fille.
Qu’est-ce qui s’ouvre et se ferme ?
La bouteille, la porte. Unit et désunit ?
Les mains, le poing ? Pénètre mais contient ?
Debout ou couchée, ouverte ou fermée
la bouteille emplie ou vidée,
le sang, le vin dedans, dehors.
Mais s’il n’est qu’un seuil qu’ouvrir ? Que fermer ?
De porte la poignée a pour fonction l’imposte.
De sabre ou de poignard elle assure la prise
pour manipuler l’arme et resserre les doigts
qui vont miser de grains, d’écus le manipule.
Objet ou sujet, mutante
de la queue à la tête et dans le tête-à-queue
la chose frémit. Mais dans le transfert
le Trou Noir la condense et le Bang l’éparpille.
Chacun des trois dès lors danse un autre quadrille.
Dedans dehors le plein le vide.
Unis ou désunis par la prise ou la mise.
Une flèche dans l’arc, le pénis au vagin
horizontale, verticale, oblique aiguille.
Mais horloge un manège ou boussole cet arbre
dans la foire ou dans la forêt qui se proposent,
Loterie ou zodiaque à terme disposé.
Par la permanente inversion des lettres
qui sans cesse défait et refait l’univers
de l’unité sans faille au zéro sans repère
et que sans fin je clique interné en ce Net.
C’est un poème étonnant, non? Je ne sais pas qui peut lire ça.
Ceux qui auront lu les 1200 pages précédentes…
(Rire). C’est ça, oui. Mais il faut les amener à lire!