Par Pierre-Jean Debenat
« Me suis voulu estendre, déclarant pour le Commun Advenement, par obstruses et perplexes sentences, les causes futures, mesmes les plus urgentes, et celles que j’ay apperceu, quelque humaine mutation qu’advienne, ne scandalisera l’auriculaire fragilité, et le tout escrit soubs figure nibuleuse plus que du tout prophétique. »
Nostradamus, Epître à César.
Les gens de ma génération se souviennent d’une voix qui traversa leur enfance, par le truchement de la T.S.F. Chaque jour, elle nous fascinait : le timbre, l’intonation nous marquaient beaucoup plus que le contenu du discours – auquel nous ne comprenions pas grand-chose. Mais, des chroniques politiques de Geneviève Tabouis, nous avons retenu la formule incantatoire : « Attendez-vous à apprendre… ». Rationaliste, limitant ses oracles au court terme, elle incarnait cependant pour nous la prophétesse des Temps Modernes. Piètre descendante des Sibylles et des Vestales, elle nous rappelle que toute époque a ses prophètes, et que la prophétie demeure à travers les millénaires une constante vitale pour les hommes – au point que, s’ils nient les dieux, ils la conservent, la transformant en « planification » ou « aménagement » (en américain « management »). (1)
Qu’est-ce que la prophétie?
Pour moi, elle se situe sur trois plans, qui souvent s’entremêlent.
La prédiction s’attache au vocable et joue des mots pour mieux atteindre l’indicible.
La prévision se compose de figures, de formes, de symboles qui s’imposent à nous de façon fulgurante (bien que, la plupart du temps, ils soient très élaborés), et laissent leur empreinte en nous comme un éclair imprime sa trace sur notre rétine.
La pronostication (de Rabelais, de Paracelse) utilise les nombres pour nous mener aux arcanes du réel.
Ces trois composantes de la prophétie sont le plus souvent « cryptées », soit par souci de sauvegarde de l’auteur, soit pour que le message atteigne seuls ceux qui doivent le recevoir.
« Que ceux qui liront ces vers y réfléchissent mûrement,
Que le vulgaire profane et ignorant n’en approche pas. »
Nostradamus, Centurie VI.
Mais déterminer ses formes n’est pas définir la prophétie. Pour ce faire, je retiendrai cette formule : c’est se rappeler l’avenir. En effet, les grands « annonciateurs » que nous connaissons se sont basés sur l’étude des cycles passés pour tenter de déterminer les cycles futurs – un travail de déduction et d’inspiration conjointes.
Les prophètes, de par leur connaissance de la vie des dieux antérieurs, vont annoncer le dieu à venir (après avoir dit le déclin du dieu présent). C’est d’ailleurs en cela qu’ils sont des « empêcheurs de tourner en rond ». Car pour chaque église, le dieu présent est éternel, l’histoire s’achève et la préservation du dogme interdit tout avenir.
Mais, malgré les inquisitions de toutes natures, ces grands inspirés font entendre leur voix : de lamentation parfois, d’espoir la plupart du temps. Car dire un déclin, c’est aussi annoncer une naissance. Le déchirement est le prix de ce double mouvement.
Au vertige qui saisit le prophète s’ajoute une profonde humilité : il n’est qu’un messager sensible, et il n’ignore pas l’audace et la fragilité de son discours.
« Or donc quand une chose est advenue, alors n’importe qui peut ensuite comprendre; mais cela ne sert à rien ». Paracelse
(1) Depuis quelques décennies, sous l’influence pernicieuse des Gémeaux, les rationalistes utilisent des « modèles » (informatisés) pour effectuer des « simulations » afin de connaître l’avenir… avec les succès que l’on sait.