Le solstice d’été s’approche, le visage de Jean-Charles Pichon se dessine avec précision, j’entends le son de sa voix. Jean-Charles nous a quittés le 21 juin 2006. Et comme pour souligner à la fois son absence et son rayonnement, je reçois le recueil de poèmes de Patrice Bernard, « Jeunes Pousses ». Patrice rencontra Jean-Charles Pichon, à Nantes, il y a plus de 25 ans. Encyclopédie vivante de la Science-Fiction, Patrice s’adonnait à la littérature (romans et poèmes), à la musique (percussions) et aux arts graphiques (peinture et illustrations). Ces activités sont restées prioritaires. En outre, la musique et le dessin permettent de faire bouillir la marmite.
Au moment même où Jean-Charles Pichon fut enterré au cimetière du Croisic, Patrice Bernard arrivait dans le bourg proche, à Batz, où il devait répéter avant le concert qui aurait lieu en soirée. Patrice est, comme le fut Jean-Charles, attaché au Croisic et à ses environs, à Batz entre autres qu’il évoque dans « La Roue ».
Le lendemain, après le concert, Patrice répandit un peu de sable, qu’il avait recueilli sur la plage, sur la tombe de Jean-Charles. Ce geste me touche singulièrement. Patrice l’évoque, avec la discrétion et la pudeur que j’ai toujours connues chez lui.
Il m’a autorisé à citer aussi ce poème, « Bientôt ».
« La Roue » et « Bientôt » sont extraits du recueil » Jeunes Pousses » (2007).
Jean-Paul Debenat
La roue
cet ami musicien, dont le père malade
a pu apprendre à temps
la naissance de sa petite fille
lui apportant une dernière joie
cet ami, devenu père, a maintenant passé
la croisée des chemins
dans la grande roue qui tourne
je marche pieds nus, lentement
sur les graviers, sur le sable
j’entre peu à peu dans la mer
les courants froids ou tièdes me glissent sur le corps
nous passons la nuit dans une grande maison bretonne
tout près de l’océan
petit déjeuner devant les pins parasols
vol rapide du geai du matin
au bourg de Batz, la tour de l’église Saint-Gwénolé
domine les marais alentours
une statue du XVè siècle, une vierge à l’enfant
en bois peint, finement ciselé, lissé
permanence des croyances
à l’entrée du Garnal, au premier pilier
je salue à nouveau la belle sirène du chapiteau
clefs de voûte sculptées
une Sainte Face sur un voile tendu par des anges
et l’enfer, un pécheur aux entrailles dévorées
par sept démons ricanants
à côté, la chapelle du Mûrier, ode à l’eau salée
sa nef ouverte aux quatre vents
pour les marins qui ont été sauvés de la tempête
ses arcs gothiques cadrant le ciel bleu
au vieux cimetière je dépose trois bougies
à la fois pierre sacrée et menhir christianisé
la croix des Douleurs soigne aussi les rhumatismes
plage Saint-Michel, en haut de la digue
sous le menhir sont cachés quelques sacs d’or
dérobés jadis aux Korrigans par un paludier
sur la côte sauvage, le vent courbe les arbres
la Pierre Longue, abattue puis relevée
a été rapprochée de la mer
Bientôt
dans ce pays aussi les lieux de culte
furent bâtis à l’emplacement
des anciens temples dédiées à la déesse mère
il existe un saint pour guérir chaque maladie
des statues sortent en procession
les vieux païens sont les plus croyants
un autre cimetière, au Croisic
j’arrange un peu le terrain autour d’une tombe
réajuste les fleurs et dessine un cercle de sable blond
sur la terre grise entre les fleurs séchées
une fois les plantes arrosées, je réfléchis, désemparé
ils s’en vont, les vieux amis
tous finissent par partir, même lui
le vieux conteur, le voyant, le passeur de mythes
petits bécasseaux violets dans les rochers noirs
belles pervées du soleil à travers les nuages bas
plusieurs averses d’été, jusqu’au soir
d’autres klaxons dans la nuit chaude
suivis d’alarmes et de sirènes pressées
orages qui grondent au loin
plus de deux ans sans nouvelles
sur une impulsion je l’appelle
surprise, c’est elle, c’est sa voix
elle me dit qu’elle est enceinte
qu’elle va avoir une petite fille dans un mois
les choses changent
c’était à prévoir, j’avais envisagé cette possibilité
bien sûr il fallait s’en douter
elle, un bébé, ça me rend songeur
son ventre, devenu une matrice
je lui souhaite d’être heureuse
un mois c’est bientôt
égaré dans la garage
un gros lucane épuisé s’est arrêté, définitivement
un autre, plus petit, à l’envers sur le trottoir
est mort désséché
Patrice Bernard