Les signes des temps
Un jour, j’ai appelé Jean-Charles au téléphone et lui ai dit combien j’étais frappé par le nombre et la fréquence des symptômes de la mutation des temps qu’il a décrite dans ses livres. Il me semblait que nous nous approchions bien vite du Grand État, de cette machine à broyer les individus et les peuples. Lui-même, ayant prévu tout cela, n’était pas moins surpris de la vigueur du mouvement. L’empire planétaire est en gestation dans le ventre du monde et montre son visage de plusieurs façons.
Un symptôme : le retour des gladiateurs.
Un sociologue des médias, Jean-Serge Baribeau,écrivait en 2010: « Dans certains pays, les émissions de téléréalité flirtent de plus en plus avec la mort. C’est là l’ultime étape qui ne peut que succéder à un ensemble d’étapes antérieures, de plus en plus basées, au fil du temps, sur l’ébaubissement, sur l’époustouflant, sur le palpitant, sur le “ dégradant ”, sur le scabreux et sur le “ scandaleux ”. » Il ajoutait : « Certaines personnes sont déjà décédées dans le cadre d’émissions de téléréalité. Quand verrons-nous le retour du “ sacrifice humain ” en direct, comme se le demande pertinemment le philosophe Michel Serres? » (Jean-Serge Baribeau, « Une funeste téléréalité qui entraîne le “sommeil éternel” », Le Devoir, 10 avril 2013.)
Ces paroles prennent tout leur sens avec la mort récente d’un candidat de l’émission de téléréalité française Koh-Lanta, suivie du suicide du médecin de service, accusé d’être responsable de cette mort. Il le niait, mais s’est tout de même auto-sacrifié. Dans un certain nombre d’années (les paris sont ouverts !), peut-être ces deux morts auraient-elles été montrées aux téléspectateurs fascinés.
Autre exemple: l’effacement des sexes.
Le phénomène est beaucoup plus large que le mariage gai et l’adoption par des couples homosexuels. Le journaliste Christian Rioux écrivait, il y a quelques jours (Le Devoir, 12 avril 2013):
On a beaucoup ri il y a quelques années d’un exercice du cours d’éthique et de culture religieuse. Des élèves devaient dire s’ils étaient un « garçon », une « fille » ou « je ne sais pas ». Depuis, ce genre de bizarrerie n’a cessé de se répandre. On retrouve le même choix de réponses ubuesques dans une enquête du Conseil des arts et des lettres du Québec. Le Conseil des arts du Canada est encore plus « créatif » – normal pour des artistes, direz-vous. Dans un de ses questionnaires, il demande si vous êtes « homme », « femme », « transgenre » ou « autre ». Ce dernier choix étant heureusement suivi de la note « veuillez préciser ».
Le jour n’est pas loin où les déclarations de revenu seront ainsi rédigées.
La très luthérienne Suède a poussé jusqu’à la caricature cette nouvelle idéologie, non plus de l’égalité, mais de la « neutralité sexuelle ». Nombre de garderies suédoises refusent toute distinction entre filles et garçons dans les jouets et les jeux. Parodiant Orwell, certaines vont jusqu’à pratiquer une novlangue. Elles utilisent un nouveau pronom neutre (« hen ») afin d’éviter le « il » (han) et le « elle » (hon), jugés
discriminatoires. Pour la même raison, une marque de vêtements suédoise a supprimé les rayons filles et garçons de ses magasins. Sans s’esclaffer, des députés sont allés jusqu’à proposer d’éliminer les pissotières au profit de « toilettes neutres » afin d’éviter les catégories sexuelles.
Sous prétexte de lutter contre les discriminations, il faudrait donc biffer toute référence au sexe, comme si celui-ci était par essence discriminatoire. Il faudrait le remplacer par cette nouvelle idée de « genre » (gender) venue des États-Unis. Contrairement au sexe qui est un critère à la fois biologique et anthropologique, le «genre » serait entièrement subjectif et lié à l’idée que chacun se fait de lui-même et que la société se fait de chacun. Les attributs du sexe, comme celui de pouvoir ou de ne pas pouvoir enfanter, s’effaceraient comme par magie. On ne naîtrait plus homme ou femme, mais simple « individu ». Tout étant relatif et culturel, l’homme enfin devenu démiurge pourrait ainsi choisir son sexe comme on coche une case dans un questionnaire du Conseil des arts.
On frémit en entendant un tel discours qui n’est au fond que la version sans sexe (et non plus sans classe) de « l’homme nouveau ».
Autre phénomène: l’effacement des États.
C’est un processus planifié de longue date; le 17 février 1950, le banquier James Paul Warburg déclarait devant le Sénat américain: “ We shall have World Government, whether or not we like it. The only question is whether World Government will be achieved by conquest or consent. ” Depuis, la conquest poursuit son cours, et prendra une ampleur bien plus grande dans les décennies à venir. En 2001, je m’étais attaché à décoder le sens du mot hémisphere.
(Le Devoir, 4 mai 2001).
À SUIVRE.
André Lemelin
Le 18 avril 2013
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