La lueur l’atteint alors que, derrière la vitre, défilent inversement à la marche du train les poteux télégraphiques et les champs proches et, dans le sens de la marche, les lointains circulaires, la mer et l’horizon.
Ils sortaient, le train et lui, d’un long tunnel où seul son visage nabita la vitre, et la vision s’impose à lui, d’abord, aussi présente que sa propre image la fut.
Blanche, sautant de roche en roche, son voile pareil à l’aile d’une moette, si bien que, de loin et d’abord, il l’a prise pour un archange marin, s’est-elle pour de bon jetée dans la mer?
Donc là, brusquement, dans l’épaisse chaleur d’un midi de juillet, quand ses narines n’attendaient rien que la vive saumure et la senteur médicinale des pins, et ses yeux rien que le balancement d’une barque battue par l’écume, il a senti un souffle inespéré de vie et de mort et à la fois un parfum de femme.
Il a vu quelque chose de blanc qui s’envolait au loin.
A peine advenu, tout lui manque.
Qu’ils sont stupides dans leur immobilité noire, ces arbres, vide ce ciel toujours trop bleu comme un sommeil que nul rêve ne traverserait, et combien décevantes ces eaux sans fin, pareilles à ce que serait le temps pour un homme qui ne pourrait plus mourir!
Il demande à son corps citadin l’étrangeté que la campagne marine lui refuse; il a besoin de courir et d’étendre les bras pour qu’une statue ici s’émeuve.
Il tourne le dos à la mer, il regarde longuement cette route par laquelle il est venu.
N’y a-t-il pas là des maisons, des villages, des gens, des filles? Il le voudrait pour son salut, il n’en peut pas décider. Il faut qu’il demeure tranquille un petit moment. Pour voir.
Si la chose blanche ne reparaitra pas. La chose vivante.
Mais le soir il est au village quand même, qui danse.
Qui danse avec des filles qu’il regarde au visage pour voir.
Et, s’il leur parle, c’est de voile sur la mer et de robes légères blanches. Elles le croient fou et rient.
Au tournant de la route il y a un bouquet de genêts pareils sous la lune à des bras qui se tordent.
Il s’y cache des couples qui reviennent de la foire, à jamais seul et pourtant deux, l’autre avec lui, une autre toute seule avec lui comme le sont, seuls, les amoureux du soir ou ces nageurs qui rient dans leurs cheveux tombés et boivent leur rire en rejetant de l’eau salée.
Mais quelle pauvre peine que celle d’attendre ainsi, heure après heure, guettant un arbre courbé par le vent et qui prie, une roche dressée caneuse vers le ciel, un bout de chiffon blanc qui s’effiloche au vent comme une feuille morte avant de s’accrocher, guenille, aux fils télégraphiques!
Ce n’est jamais elle.
Et de nouveau – couché sur le dos il avait manqué s’endormir, deux secondes plus tard il dormait – elle s’est présentée dans le remuement des cils et sur le plat du ciel comme du soleil entre des persiennes à demi fermées dore le rebord d’une table.
Déjà debout il regarde. Mais elle s’en va déjà, loin, sur un très grand cheval et peut-être qu’elle est déjà passée souvent, à le toucher, depuis l’aube, car c’est déjà le soir.
Et maintenant elle est trop loin pour qu’il espère la rattraper.
Jour après jour, cent fois, la vision brève, et l’oeil trop tardif à s’ouvrir et la langueur ou la torpeur qui, perdant l’occasion, peut-être sauve la vie. Et la promesse, jour après jour: la prochaine fois elle ne le prendra pas ainsi, de court.
Lui aussi est bon cavalier.
Il va, sur quatre jambes plus vite que sur deux, battre le pays et regarder de plus haut toute chose afin d’apprendre à mépriser.
C’est donc du haut d’un promontoire qu’une fois au moins il la voit. Et même – de sa coque de noix aussi bizarre qu’elle – ne dirait-on pas qu’elle lui fait des signes pour qu’il la rejoigne?
Roulé dans le manteau fluide avant d’avoir su qu’il allait sauter, il nage vers la chose blême qui recule lentement mais inexorablement devant lui.
Comment reculerait-il maintenant?
Au village il ne voit plus les filles. Il boit seulement dans les cafés.
Qu’ils sont loin les rêves de l’enfance, les plaintives chimères aux ailes vent, le désir rouge d’être un matin l’arbre dressé au carrefour du monde! Mais toujours plus proche la forme blanche qui nage dans le ciel avec les nuages, vole dans le flot avec les méduses dentelées…
Juste assez loin de lui seulement pour qu’il ne puisse pas la saisir!
Comme le soleil laisse aux yeux des taches, les fuyants retours sur tout ce qu’il fuyait, sur tout ce qu’il aimait font danser des bues de regrets, des ronds de cendre.
Entre les choses et lui, quand il n’a pas trop bu, champignon vénéneux au milieu des fleurs rares, bouillement d’écume aux roches, quelque folie tourne et le retourne, haineuse de la joie, bravant la vie.
Comme une fissure qui le happe.
Il se renseigne sur les grottes.
Aux étroites fissures qui zèbrent les falaises il se suspend avec effroi. Puis, l’ivresse vient à bout de la peur; non pas l’ivresse que donne le verre de trop mais celle qui rôde d’un jour à l’autre dans les entrailles, au coeur de l’abstinence même.
En d’autres entrailles elle le jette, des grottes larges où miroitent des eaux croupies et se lovent en dessous de lui les bras aimants du blanc habitant de l’abîme.
Le dernier jour encore il est allé très bas dans le ventre de la terre, plus bas que les autres jours puisque c’est le dernier, sans rencontrer le spectre et sans voir ses yeux luire mais l’appelant à grands cris sur le chemin du retour.
Aura-t-il donc pour rien fait le don de la vie, méprisé pour rien les belles villageoises, été rejeté des fêtes vespérales, des belles comagnies? S’il en est ainsi, que l’heure sonne donc!
Elle sonne au loin, comme fuyait la belle, si loin qu’il n’entend pas les cloches, voit seulement les feuilles qu’une bête nouvelle projette sur des murs obliques et, comme s’égreneraient des tintements de verre, l’haleine qu’elle expectore mouiller les yeux immenses qui s’avancement vers lui, mouiller les eaux du crépuscule.
C’est elle.
La revoilà sur son grand cheval venu d’hier, un tintement aussi en croupe, et lui tout aussitôt à sa poursuite, plus vite que le bruit qu’il n’a pas entendu.
A la poursuite du silence qu’il prêtait naguère à l’amour.
Avec son voile blanc pour ne pas être d’une chevelure de spectre la semblance, elle ne le fuit plus, elle vient vers lui. S’il ne bouge, elle va le frôler, sans même en quelque sorte le voir ou lui parler, sinon pour dire: Eloignez-vous, de sa voix de petite fille tranquille.
Il est trop tard. Eloignez-vous de cette voix, éloignez-vous!
Mais, cette fois, il a rejeté sa peur. Affrontant qui l’affronte, aveugle dans l’ignorance du retournement subtil, il butte contre une absence de mur, tombe, dévoré.
Les feux enfin tournent dans sa tête, les yeux de la bête au front de cachalot, de baleine blanche. Et la bête ne vient plus vers lui; loin de lui elle fonce vers d’autres proies, en d’autres gares marines, où d’autres voix, tout aussi douces, puériles, répètent l’avertissement enregistré: « Eloignez-vous de la voie trois, où le T.G.V. quatorze passe sans s’arrêter. »
Pour Pierre-Jean Debenat
Jean-Charles Pichon