Depuis une douzaine d’années, je travaille sur les seules dialectiques de notre époque, la mondialisation et la modernisation.
Est-ce que ces dialectiques peuvent être atteintes, par quels moyens, de quelle façon, est-ce qu’elles sont inconcevables ou impossibles à réaliser?
La modernisation
Ce que j’ai redécouvert, parce que d’autres l’avaient découvert avant moi, bien d’autres, c’est que cette dialectique, qui est tout autre que les dialectiques du passé, offre tout de même un caractère commun avec toutes les dialectiques que l’humanité a vécues depuis au moins 5000 ans.
Les dialectiques sont au nombre de 4. Il y a eu d’abord la perte de l’Eden, et puis l’essai de trouver une issue à cet exil. Ensuite, un rejet de l’alliance avec Dieu et aussi une recherche de la façon de concilier cet écart avec la vie de l’homme; et puis la nourriture, la nourriture qui doit venir aux affamés, à ceux qui ont besoin. Et là encore, après la perte du Graal, la recherche d’autre chose, qui se trouve être la modernisation et la mondialisation.
Dans tous ces cas, il y a une seule dialectique: il y a quelque chose qui est donné et quelque chose qui est retiré. Il y a quelque chose qui est là et quelque chose qui n’est pas là. Il y a quelque chose qu’on espère et quelque chose qu’on n’espère plus. Il y a la présence de l’Eden et l’exil de l’Eden. Il y a l’alliance avec Dieu et la mésalliance. Il y a la nourriture divine et puis il y a l’absence de nourriture. Il y a toujours une présence et une absence, une union et une désunion, et lorsqu’on considère l’histoire des 5000 ans sous cet angle, il apparaît qu’on ne peut pas trouver la modernisation des choses, parce qu’il y a toujours plutôt une sorte de retour en arrière et le désir de retour en arrière et en fait on ne veut pas aller en avant. On a peur de ce qui vient et on retourne toujours en arrière, c’est à dire que quand par exemple on perd l’Eden, quand on perd la terre première, que se passe-t-il? Les textes nous le disent, Gilgamesh va chercher son frère, Eridu, c’est à dire qu’il va chercher dans l’amitié, dans la fraternité, ce qui a été perdu dans la Création. Et finalement, les frères, quand ils seront là, il y en a un qui tuera l’autre, Caïn tuera Abel. Donc, ce n’était pas la solution, mais tout de même, on va chercher pendant plusieurs siècles à trouver ce Rama, pour prendre l’exemple indien. Et il faudra pas mal de temps pour comprendre qu’il ne s’agit pas de chercher les frères, mais que Rama c’est Brahma, le Brahma des Brahmanes et après le Brahma d’Abraham, c’est à dire le Bêlier. Mais pour revenir au Bêlier au-delà du Taureau, il aura fallu 3 ou 4 siècles, au moins.
2000 ans plus tard, lorsqu’on perd l’arche d’alliance, on va chercher non pas à aller en avant, encore une fois, on va chercher derrière, qu’est-ce qu’il y avait avant la Justice, il y avait justement la Création, la Terre première. On va revenir aux Vierges, aux Reines. On rénove l’agriculture, avec des résultats prodigieux. Mais ces Reines ne vont pas résoudre le problème et il faudra qu’apparaissent les Poissons, c’est à dire Tobie, avec le poisson qui va le suivre toute sa vie, ou bien Jonas, qui est sauvé par le poisson, etc… Il aura fallu là encore plusieurs siècles pour que cette possession de la Terre perdue donne naissance à autre chose, qui va être le Poisson.
Et, encore 2000 ans plus tard, lorsque le Graal est perdu qu’on se trouve sans nourriture, qu’on se trouve dans le manque et que les hommes deviennent des anthropophages, et bien on va d’abord chercher dans un retour à la Justice. Depuis le 18ème siècle, les Voltaire, D’Alembert, Diderot vont chercher dans la Justice ce qu’ils ont perdu dans le Poisson-nourriture. Et finalement, ce n’est pas la Justice qui peut nous sauver, mais il faudra encore pas mal de temps pour comprendre qu’il ne s’agit pas de la Justice et que ce qui est attendu, c’est l’esprit de Liberté et que ça n’a pas grand-chose à voir avec la Justice.
Dans tous les cas, on s’aperçoit qu’on ne peut pas aller plus loin, parce qu’on revient en arrière, parce qu’on a peur, on a peur de la désunion. Et il y a A et B, puisque nous sommes dans la dialectique, il y A et B qui sont là, est-ce que je vais prendre la disjonction, et bien non, ce n’est pas possible, diviser, on ne sait plus où on va, on veut rassembler ça et rassembler n’importe comment, en revenant évidemment aux croyances passées.
Donc on ne peut pas vraiment moderniser les choses parce qu’on tend de tout notre être, de toutes nos croyances, au retour en arrière.
En fin de compte, on ne pourra pas étudier ce problème, sinon le résoudre, sans admettre l’Autre. L’Autre, c’est à dire celui qui est à côté, qui est en dehors, qui n’est pas soi, qui est aussi bien d’ailleurs l’autour et l’auteur, mais aussi l’aut, qui veut dire ou. C’est l’un ou l’autre. Et cet aut, il va donner naissance à la dialectique qui partage l’être humain aujourd’hui et qui l’a partagé il y a 2000 ans, etc…
Si on veut matérialiser les choses, si on veut aller de l’avant pour être dans l’actuel, et bien il faut admettre le problème de l’Autre. Mais aussi, bien sûr, si on admet l’Autre, il faut admettre le contraire, c’est à dire le et, qui allie et qui va donner naissance à une autre quête.
Le jeu de l’et et de l’aut va déboucher sur les questions fondamentales :
Pourquoi?
Pourquoi est-ce comme ça?
Pour quoi = dans quel but ?
La mondialisation
Le problème de la mondialisation est tout autre. Parce qu’en fait, rien ne devrait empêcher – sauf évidemment notre incompétence, mais sur les siècles elle pourrait se combler – on pourrait arriver normalement à réunir tout ce qui existe dans le monde, et se satisfaire de cette généralité.
Seulement, on ne peut pas. Pourquoi?
Pourquoi aucune oeuvre, même les plus géniales, les plus complètes, les plus prodigieuses, n’arrive à cette mondialisation, n’est arrivée à cette mondialisation, et n’arrivera sans doute pas non plus aujourd’hui à cette mondialisation?
Et bien, parce que tout ça ne se passe dans l’espace, mais dans le temps. Et dans le temps, il est vrai que le monde est en perpétuel changement. Il n’est pas immobile, il n’est pas inerte, c’est quelque chose de vivant, de mouvant et par conséquent c’est ce change qui nous empêche de mondialiser les choses, parce que nous pouvons toujours les mondialiser, mais la mondialité qui est vraie dans une époque n’est plus vraie dans l’autre. C’est à dire que nous ne pouvons pas traiter de la mondialisation sans traiter du change de l’univers, du change du monde.
Et là ce sera tout autre chose, les choses seront dedans ou dehors, elles iront d’un point à un autre, elles se déplaceront et se remplaceront et se modifieront.
Donc si on veut traiter vraiment à fond ce problème de la mondialisation et de la modernisation, je suis obligé dans un cas de traiter de l’union et de la désunion, et dans l’autre cas, du maintien et du change. Qu’est-ce qui est maintenu et qu’est-ce qui change?
En fin de compte, nous allons analyser encore une fois ces deux procédés, mais ce qu’il faut bien comprendre, c’est que les choses ne sont pas aussi simples que je les expose là rapidement.
Jean-Charles Pichon
Juillet 2005
Il a fallu ensuite trois heures à Jean-Charles pour développer les idées qu’il a esquissées dans cette introduction…