9 – LES NOMINATIONS

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LES NOMINATIONS

 

Je ne peux imaginer, concevoir ou refléter aucune approche du réel qui ne me restitue – comme « réalité » – ce reflet, cette conception, cette imagination. A la limite, le degré de ma liberté devient un degré de liberté ou une variation de la réalité même; ou bien l’idée que je me fais du seuil que je dois ou ne peux franchir devient effectivement un passage ouvert ou fermé.

C’est pourquoi, paradoxalement, mes lectures d’un cycle me semblent déterminer non seulement le cycle en soi (dans sa modalité ou dans sa dimension) mais le cycle comme objet (dans sa relation ou dans sa position). Etant moi-même pris dans un cycle à la fois modal et relationnel, ce que je détermine me détermine aussi et réciproquement.

Si je passe du nombre au mot, du jeu de nombres au jeu de mots, le problème nouveau se pose en termes similaires. Les vocables que j’emploierai seront créateurs (signifiants) en même temps que créés (signifiés). Maître de leur dialectique première, je serai l’esclave de leur incessant dédoublement – jusqu’à ce que cette « métonymie » croissante enlève toute signifiance au signifié.

Le Même et l’Autre – Pour exemple : j’ai rappelé comment les deux cercles du premier Yi King ou, beaucoup plus tard, de Platon, le Même et l’Autre – ou le Yin et le Yang – se sont trouvés promptement dédoublés en :

la chose même, l’en soi, le sujet, le contenu;

la même chose,

la chose autre,

l’autre chose, l’extérieur, l’objet, le discontinu.

Mais, si la chose même et l’autre chose apparaissent d’abord comme des entités insécables et parfaitement définies, il n’en va pas de même pour les intermédiaires.

Car je parlerai de « même chose » à la fois pour dire : la chose analogue ou semblable et la chose qui continue (« je suis resté le même » ou « l’adolescent et l’homme, c’est le même individu »).

Et je parlerai de « chose autre » à la fois pour dire la chose non-semblable, différente, et la chose qui change, qui devient autrement.

Je ne disposerai plus de 4 vocables mais de 6 :

la chose même,

la similitude,

la conservation,

le changement,

la différence,

 l’autre chose.

Plus tard encore, je découvrirai que « la chose même » n’est que l’Unité même et que, comme l’Unité, elle n’est pas le terme (de ses composants) sans être l’origine, la cause de ses actes et de ses relations; qu’elle n’est pas « être » sans « action », un premier primordial (le meilleur, le plus grand possible, son propre « absolu ») et un premier primaire (le plus petit nombre possible, la plus petite partie d’un ensemble quelconque ou le plus relatif, au point de se confondre avec l’inverse du quantum ou le degré de liberté).

Je découvrirai que « l’autre chose », en son extrême « indifférence » ou « étrangeté », m’est un néant ou l’infini. Car ni de l’un ni de l’autre, je ne peux m’approcher.

Je ne disposerai plus de 6 mais de 8 concepts signifiés :

le primordial,

le primaire,

la similitude,

la conservation,

le changement,

la différence,

l’infini,

le néant.

Enfin, me conditionnant, les deux « choses mêmes » se dédoubleront nécessairement selon que je les considérerai du seul point de vue de la morale, de l’esthétique ou de la science, en primordial « accompli » ou « inaccompli » (un bon homme, un mauvais homme, un concept juste ou inexact, une œuvre belle ou non), ou en primaire « actif » ou « passif » par exemple, c’est-à-dire « dominateur » ou « dominé », « sujet de la phrase » ou « sujet du prince, de l’état, du laboratoire, etc. »

Inaccessibles, les deux « autres choses » se dédoubleront ou dans la contingence ou dans le contingentement; l’infini en « innombrable » et en « nombré » (par la sommation d’une série convergente), le néant en « vide » ou « chaos », selon que je n’y peux rien discerner ou que tout m’y semble incohérent.

Les 8 seront devenus 12 :

l’inaccompli,

l’accompli,

le passif,

l’actif,

la similitude,

la conservation,

le changement,

la différence,

le nombrable,

l’innombrable,

l’incohérent,

l’indiscernable.

Mais, à ce degré d’analyse, les 12 n’exprimeront plus rien de la dualité : le Même et l’Autre. Il me faudra inventer une autre dialectique, comme celle de l’observé et de l’observateur, ou celle de la statique et de la dynamique, etc.

Le plus et le moins – Ce n’est encore que le jeu, à présent bien connu, du « dédoublement infini ». J’en donnerai un autre exemple.

De la dialectique élémentaire : le Plus et le Moins, j’ai montré que se déduit la position (cardinale) d’une part, la quantité de l’autre;

de la dialectique positionnelle : l’horizontal et le vertical; de la dialectique quantitative : les deux + (plus grand, plus nombreux) et les deux – (plus petit, plus rare).

De la dialectique du plus nombreux et du plus rare (le peuplement et le dépeuplement), il me faut considérer maintenant que le peuplement reconduit, soit à l’indiscernabilité (les individus, les parties disparaissent dans le tout, dans la foule), soit à la cohérence (l’association mobilise dans un sens commun) et que le dépeuplement reconduit, soit à l’incohérence (la dissociation éparpille), soit à la discernabilité (la rareté révèle).

Dans l’étendue, le peuplement ramène les « tout » individuels à des parties : les arbres ne sont plus que des parties de la forêt, la forêt et le village des parties de la Commune, etc. Il les rend moins discernables dans un ensemble cohérent.

Dans la durée, le dépeuplement raréfie : il rend visibles – et prioritaires – tels courants de pensée ou tels souvenirs privilégiés aux dépens de la cohérence de l’ensemble.

Le dépeuplement temporel, qui raréfie, n’est donc pas le dépeuplement spatial, qui disperse. Le peuplement spatial, qui rassemble, n’est pas le peuplement temporel, qui multiplie. Dire que, dans l’étendue (ou hors de l’étendue) l’éloignement peuple et qu’il dépeuple dans la durée (ou hors de la durée), c’est dire qu’il associe dans l’étendue et raréfie dans la durée, mais dans les deux cas, il condense : vers l’indiscernable et le cohérent.

Dire que, dans l’étendue, l’approche dépeuple et qu’elle peuple dans la durée (une durée à venir), c’est dire qu’elle dissocie dans l’Espace et qu’elle multiplie dans le Temps. Mais, dans les deux cas, elle « dé-condense », elle reconduit à l’incohérence et à la discernabilité.

Or, nous sommes toujours dans la dialectique du Plus et du Moins, mais dans la dialectique quantitative de la primitive dualité, et dans l’opposition : cohérence/discernabilité qui n’est qu’un des termes de la dialectique quantitative, elle-même fragmentaire de la dialectique : quantité/position, etc.

Puis, la dialectique : convergence (condensation) et divergence (son inverse) n’est qu’un aspect de la dialectique cohérence/discernabilité. Elle recouvre exactement la dialectique de l’éloignement (qui toujours converge) et de l’approche (qui diverge toujours).

Nous dirons que la dialectique : éloignement/approche est contenue dans la dialectique : cohérence/discernabilité, celle-ci dans la dialectique quantitative : accroissement/réduction d’une part (la grandeur ou la dimension), pluralisation/raréfaction de l’autre (le peuplement ou le « nombre objectif »), et la dialectique : le nombre subjectif/le nombre objectif dans la dialectique : quantité/position, contenue dans les concepts – eux-mêmes dialectiques – le + et le -.

Nous sommes seulement passés du choix de la quantité (nombre objectif ou subjectif) au choix de la position (dans l’éloignement ou l’approche), mais c’est une position (la distance) qui ne doit plus rien aux positions premières de la dialectique Plus/moins (dans l’horizontal ou le vertical), car cette position peut être nombrée.

Le transfert nominal – Plutôt qu’un changement de « niveau » ne contredit ou n’inverse la quadrilogie précédente, il la modifie, insensiblement d’abord, par un jeu qui n’apparaît guère qu’un déplacement synonymique.

A la quadrilogie : la même chose, la chose même, l’autre chose, la chose autrement, le transfert substitue la double notion (synonyme) de similitude et de différence, en éliminant la chose même.

Mais la similitude, c’est la même chose. Si bien que la notion de « différence » en recouvre deux : l’autre chose, la chose autrement. Différente, la chose peut être « indifférente » ou complètement dissociée; elle peut être « afférente » ou fragmentairement reliée.

Paradoxalement, un tel transfert oppose la notion d’afférence à celle de similitude : ne peut être afférente que la « chose autrement », axée en sens inverse, par exemple, ou contraire.

Un monde nouveau s’ouvre : le monde de la polarité (l’électromagnétique) où, de fait, les contraires s’attirent et les semblables se repoussent.

Aux deux équivalences :

même chose = dissociation, indifférence,

chose autrement (contraire) = association, afférence,

s’oppose la seule notion d’autre chose (éventuellement confondue avec la notion de chose même) : la « différence » absolue.

Mais, déjà, la polarité a imposé le double signe + et -, pour signifier les deux pôles.

L’association et la dissociation d’une part, le plus et le moins de l’autre, ont reconduit aux Qualités d’Aristote : l’humide et le sec, le chaud et le froid, c’est-à-dire aux 4 Eléments.

Un jeu très analogue se fonde sur la substitution (synonymique) de la dialectique : sujet/objet à la quadrilogie : révélation/épellation dans la Lecture, acquisition/dépouillement dans le Délit.

En effet la lecture comme le délit opposent le sujet à l’objet. Mais, dans la lecture, le sujet est hors de l’objet (il considère celui-ci, qu’il épelle et qui se révèle : il s’en informe); dans le délit, le sujet est dans l’objet, qu’il pénètre, modifie, accroît ou diminue, contribuant, dans tous les cas, à son entropie effective.

Très vite, la « révélation » (ou l’action de l’objet sur le sujet) est laissée de côté comme transcendante. Il ne restera plus en présence que l’information/connaissance ou la lecture scientiste d’une part, et les deux formes d’entropie : l’indiscernabilité, dans le cas de l’association extrême, l’incohérence dans le cas de l’extrême dissociation.

Il faudra près de deux siècles depuis Kant (ou plus de deux siècles, car nous n’en sommes pas encore là) pour considérer l’autre sens, de l’objet vers le sujet : révélateur, si je veux traiter de la lecture, mais également délictueux, car l’objet aussi me pénètre de l’intérieur : il me découvre, et me contient, me recouvre de l’extérieur.

Si je suis sujet agissant, par les fusions que j’exerce sur l’objet : fusion/traitement (du métal) et la fusion/ordonnancement (des parties), je suis sujet/agi par les effusions qu’on provoque en moi : effusion de cœur (ma saisie) ou effusion de sang (ma destruction).

Comme, jadis, la dialectique similitude/différence fit éclater toute une vision de l’univers fondée sur le Même et l’Autre, la dialectique sujet/objet fait éclater toute une éthique fondée sur la Lecture et le Délit.

Mais quatre siècles, d’Aristote au Christ, ont été nécessaires, jadis, à l’invention de la dialectique nouvelle : afférence/indifférence. Dans deux siècles aurons-nous commencé de comprendre la dialectique de l’effusion et de la fusion?

Pour l’instant, ce ne peut être encore qu’un jeu (analogique) de mots, un transfert purement nominal.

Encore n’y jouerai-je bien qu’à condition de parler le langage de mon époque, où les concepts de fusion et d’effusion n’ont pas le caractère d’évidence que je leur donne.

Au contraire, des mots sont dans toutes les bouches :

traitement (dans le sens dévoyé de « salaire », mais aussi dans son sens premier « action sur » : le traitement médical ou chimique, les « bons » et les « mauvais » traitements),

implication, dans le sens : être tenu pour responsable. « Je ne veux pas y être impliqué »,

ordre, le grand recours des uns, le grand ennemi des autres,

manifestation, aussi, mais à l’inverse, car l’adversaire de la manifestation ne jure que par l’ordre, et l’adversaire de l’ordre ne cesse de manifester.

 

Les quatre seuils

 

Le traitement – Des quatre, le traitement est le seul qui fasse l’unanimité, bien que tout le monde n’entende pas la même chose par ce mot. Mais les uns l’entretien et les autres le changement.

Traiter quelqu’un, c’est l’entretenir. Venez dîner chez moi, dit le restaurateur (comme le prince, hier), je vous traiterai bien. En ce sens, le traitement-salaire n’a pour objet que d’entretenir l’employé en bon état, afin qu’il continue de servir, et c’est pourquoi on encourage l’écolier à bien entretenir ses cahiers et ses plumes, l’ouvrier sa machine, l’artisan ses outils, à les « bien traiter ».

Le bon traitement médical va tellement dans le même sens! On ne précise plus s’il est bon ou non. « Le traitement que je suis » ne peut être mauvais, puisque la médecine est le salut. S’il ne préserve pas le malade, en le maintenant en bonne santé, il l’y rétablit. Le rapport demeure constant entre le traitement-salaire et l’établissement qui l’assure, ou entre le traitement-soin et le rétablissement dont il assure.

Mais il est un autre traitement, celui qu’on inflige au texte ou au métal qu’on traite, pour le modifier, non pas dans son propre sens mais dans celui qu’on lui impose. Celui-ci ne va pas sans accroissement de chaleur, de température, de fièvre, selon le sujet traité. La fusion du métal exige ce brasier, et la fusion de l’esprit aussi, par la « correction » qui l’incite dans le sens voulu.

Ce correctif est toujours un « mauvais traitement » au regard de qui désire que les choses « demeurent en l’état » et qu’on laisse chacun suivre son propre sens. Aussi n’est-il plus admis qu’on « traite les âmes » comme le fer, pour les « tremper ».

Or, il n’est pas sans intérêt que les marginaux, qui font fi du traitement-salaire et, parfois, du traitement-cure, honorent ce mauvais traitement, depuis leur ascèse personnelle jusqu’à la violence effective : ils veulent traiter le bourgeois « ainsi qu’il le mérite » et la société tout entière comme un métal.

Hors du conflit qui nous divise, en opposant l’adulte et le jeune, l’homme du texte et l’homme de la marge, ne faut-il pas se l’avouer? Il n’est pas de traitement-cure qui ne soit une épreuve (et le traitement-salaire est la pire de toutes, qui brise le salarié ou en fait un esclave). Mais il n’est pas de traitement-épreuve, soit correctif, soit délirant, qui ne procure, à l’inverse, un quelconque bienfait : endurcissement, courage, liberté, reprise en main.

Le traitement archétypal se situe à la jointure, épreuve et cure tout à la fois. Transformation, sans doute, du sujet en objet (c’est la fusion), mais également passage d’une certaine lecture qu’on se fait de soi-même à l’emploi ou l’usage que l’Autre fait de soi.

En cela, toute vie est traitement, qui entretient et modifie (jusqu’à la mort). Le traitement par excellence est le seuil qui sépare la lecture (des apparences, toujours) d’un quelconque délit, d’entretien ou de rupture; c’est-à-dire, aussi bien, l’étendue de la durée.

Le point où, à l’inverse de ce qu’on pourrait croire, le Je-unité cesse d’être un objet-image pour devenir un sujet (de laboratoire, du prince) mais aussi un vivant et qui défend sa vie.

Ou qui défend son œuvre, soit en la ruminant (dans l’étable); soit en la renouvelant (sur l’établi).

Comme il n’est d’œuvre qui ne soit de maintien ou de changement, de curation ou de curage, faite pour soigner ou nettoyer, il n’en est pas qui ne soit traitement.

Les grands symboles de la création : le Taureau et Forgeron (la Vache, aussi bien, ou l’Orfèvre) se reconnaissent donc dans le vocable que tout un peuple emploie quotidiennement sans en percevoir le sens archétypal.

L’ordre – Moins innocemment l’ordre est tantôt honoré (par le plus petit nombre), tantôt détesté, très généralement.

Qui sait encore, pourtant, que l’ordre n’est pas moins double que le double traitement?

On ordonne ses pensées comme on ordonne un acte. Celui-là même qui réprouve toute sorte d’injonction ne laisse pas que d’appliquer cette jonction nécessaire entre ses arguments ou seulement les mots dont se constituent ses phrases.

L’ordre est donc seuil, d’abord, de quelque disposition à quelque imposition. Les mots le disent encore, puisque l’imposition peut être disposition (dans les arts graphiques) et la disposition, tendance, désir violent, imposition de faire ce choix plutôt qu’un autre.

Sans l’ordre de l’officier, quelle troupe peut conserver longtemps un ordre de marche? Quel ordonnancement n’exige une précise ordonnance?

Mais, à l’inverse, quelle jonction heureuse n’entraîne l’injonction, inconsciente ou non, de la préserver?

Ici, de même, un archétype contient les deux sens du mot : le dieu ordonnateur et toujours souverain que symbolise le Lion (terrestrement le Roi, astralement, le Soleil) et qu’ont nommé Nergal, Surya, Bêl, Shamash, avant que la Bible et le concile de Trente n’en fassent à nouveau le Souverain.

De tous ceux qui, au 18ème siècle, ont voulu mettre à mort le Roi, ou qui, au 19ème, ont voulu écraser le Capital ou l’Ordre, qui n’a pas reconnu dans le vocable haï l’antique archétype? Ni Saint-Just, ni Babeuf, ni Fourier, ni Proudhon, ni Marx, ni Monsieur Combes : dans le Capital, disait Proudhon, survit l’un des plus anciens dieux de l’humanité, et Bakounine le dit comme Marx.

Car il n’était pas le suprême exigeant sans être le régulateur de l’univers ou le maître de l’harmonie. Et ceux qui rejettent l’Ordre-injonction, le Roi, le Maître, sont les mêmes qui assurent préférer le désordre à la moindre injustice, s’il n’est pas de « régularité » sans règle, ni de règle sans un jeu.

Or, des 4 lieux de la Machine, la durée, sans conteste, apparaît, en effet, le moins justifié, et le moins justifiable : quoi! Je vivrai trente ans quand je rencontre chaque jour des octogénaires. Et que dire de la mort d’un enfant!

Cela est l’ordre, pourtant, qu’ordonne quelque disposition-imposition. L’intolérable « c’est ainsi ».

Une autre fusion que celle du métal, celle des parties ou partis, opère cette jonction apparemment heureuse et qui, en dépit de toutes les volontés contraires, devient l’abominable injonction : tu mourras.

L’implication – Considérons un archétype adoré – ou honoré – dans ses phases crépusculaires : le Scorpion. Sous sa figure d’Apsu, de Bès, de Basis, de Pistis, de dieu de la basilique, de la Crypte, il est d’abord le Caché, l’Obscur, l’Endormi, aussi bien que l’Eau souterraine, la Grâce secrète, l’hermétique compréhension, le Verbe johannique. Il est encore cette « chose en creux », creux, sous le nom de Kouk, l’ancien Scorpion de l’Ogdoade égyptienne; mais le K lui ouvre une autre dimension. Sous les noms de Ka, d’Enki, du Camé maya-quiché, de Vulcain plus tard, il est l’Initiateur, l’agent secret mais tout puissant, le forgeron dans sa montagne, l’âme du volcan, le génie que le Nordique a nommé Loki et le musulman Lokman. Le Verbe encore, mais créateur, inspirateur de l’orfèvre, du poète et du musicien. Le véritable Responsable, en somme, des plus hautes activités humaines.

Ce qui unissait les deux entités? La fourche qu’est sa queue, le bâton bifurquant du sourcier et du diable. Il était donc, aussi, d’abord, bifurcation, inversion, pliure : le Moyen en tant que moyenne et instrument, le Milieu en tant que centre et alentour. Caché comme centre et comme moyenne, responsable du Tout comme agent (le sujet même, l’âme pensante du monde) et agi (l’objet suprême, le monde en sa totalité). Mais quel mot peut exprimer à la fois l’Occultation, la Responsabilité et cette pliure, cette inversion en laquelle résident le Secret et l’Initiation?

C’est le mot : Implication, que découvrent nos scientistes en même temps que nos plus ardents quêteurs.

Car l’implication est le contraire de l’explication. La chose implicite est la chose non dite, et l’ordre impliqué est l’ordre invisible que nous cache l’explicite, le localisé.

Mais l’implication est aussi la complicité manifeste, au niveau de l’inspiration ou de l’agent d’exécution : être impliqué dans un délit c’est en être tenu responsable.

Pourtant, au plan du phénomène, l’implication n’est jamais qu’un renversement, comme du révolu au révolutif. On trouve une trace évidente de ce sens primitif du mot en son acception logique : il y a implication entre « je veux » et « je ne veux pas ». Une contradiction absolue.

Comme le Scorpion lui-même, le mot est donc trinitaire : à la fois sujet (l’agent), objet (et le mieux caché en l’apparence explicite) et verbe au premier chef, c’est-à-dire l’action même de retour, de conversion, de contradiction vaincue, de parfaite ambivalence.

Or, une quatrième acception du mot, toute grammaticale, en fait le lieu de réunion du sujet, du verbe et de l’attribut (ou du complément d’objet) comme dans la forme impérative : « partez », « donnez ». Cela porte le nom, on ne peut plus précis, de « proposition implicite ».

J’en dirai plus, ainsi, en disant « implication » qu’en disant le Camé ou le Basis, l’Enki ou le Bès, Vulcain ou le dieu de la basilique, puisque ces dieux ne furent que des parties du Dieu. J’en dirai tout autant qu’en disant le Scorpion, qui contint tous ces dieux.

La manifestation – Enfin, une évolution comparable (toute historique) a fait, depuis deux siècles, le destin du mot : manifestation.

A l’origine : l’action de mettre hors, l’acte par lequel une chose est arrachée à son contenant (milieu, système) pour être révélée (ou « découverte »).

Puis, cette révélation même, dans le sens religieux du mot.

Enfin, le mouvement, l’action populaire par lequel ou laquelle le droit à cette révélation est revendiqué.

Une même évolution, ou du moins parallèle, joue du mot : manifeste, de la chose déclarée, évidente : « le délit est manifeste », à l’écrit qui l’impose comme telle : « le manifeste communiste ».

En approfondissant :

a) d’une part, le motif, la figure, qu’il s’agit de mettre hors,

b) d’autre part, le motif encore, mais comme motivation, qui provoque l’écrit ou l’éclat.

Si l’Ordre s’est présenté comme l’inverse du Traitement, quoique fusions tous deux : des partis celui-là, du métal celui-ci, on voit que la Manifestation se présente comme l’inverse de l’Implication, quoique effusions toutes deux : de cœur, celle-ci, de sang celle-là.

Puis, comme le Traitement et l’Implication intériorisent, l’Ordre et la Manifestation extériorisent. Les 4 mots se contredisent donc deux à deux. Ils s’opposent, aux seuils, comme les 4 de la croix fixe ou de la 3ème personne : le Verseau et le Lion, le Scorpion et le Taureau.

Si le traitement est le seuil-Taureau (la création), pour le meilleur (cure, salaire) comme pour le pire (le mauvais traitement),

l’ordre le seuil-Lion, comme injonction et comme jonction,

l’implication le seuil-Scorpion, comme secrète et responsable,

il faut que la manifestation soit le seuil-Verseau, comme motif et motivation.

Les 3 sens qui les définissent (les deux inverses et le cens ou les deux signifiés et le signifiant) leur prêtent les 12 acceptions mythiques qui recouvrent en effet toutes les croix ou les personnes en même temps que les qualités ou éléments de l’Etre considéré comme Seuil.

le trait-esclavage (« un animal de trait »),

le Trait,

le trait-droiture ou ligne droite,

l’injonction,

le secret,

la Pliure,

la participation,

la motivation,

le Motif,

la figure.

Le passant et le lieu – On connaît le paradoxe que posent les 12 signes zodiacaux : inépuisables quant aux sens, inévitables aussi longtemps que nous remontions dans le passé enregistré de l’homme, irremplaçables pour décrypter les machines les plus diverses, depuis l’Enuma enlil jusqu’à Jarry, mais ridiculisés par tous les bons esprits, inacceptables comme structures déterminantes de l’univers, rejetés également (pour des raisons contraires) par l’homme de science et l’homme de cœur, le sceptique et le passionné.

De ce malentendu l’astrologue est sans doute le plus grand responsable, lui qui, siècle après siècle, a toujours prétendu faire des signes des lieux :

soit réels, de l’espace (s’efforçant, dans ce cas, d’y rattacher les innombrables constellations ou opposant le zodiaque tropique au sidéral),

soit structuraux et, comparables, comme archétypes, à n’importe quel autre partage de l’Unité : par exemple, aux parties du corps, aux parties du monde végétal (les plantes, les arbres), du monde minéral (les pierres de l’Apocalypse et de Joachim de Flore), du monde des sons (notes et mi-tons), des couleurs et, d’ailleurs, d’un quelconque univers parfaitement défini.

En ces lieux signifiés l’un tentera de situer, de « domicilier » les planètes et notre astre; l’autre y fera correspondre des métiers, des fonctions, des caractères, des races. On dira que le soleil ou Neptune traversent successivement les signes, puis quel homme les traverse au cours de sa vie.

Pour un tel, la naissance sera essentiellement Poisson (qui pour l’autre, sera identifié aux pieds); le Bélier influencera le cerveau ou sera le début du jour, de l’année, du cycle a.s., etc.

Il n’est qu’un malheur : le signe n’est aucunement un lieu. Au mieux peut-on le considérer comme un « passant ». S’il indique quelque chose, ce n’est jamais que le moment ou, plutôt, le degré de la quantité de mouvements, de telle évolution cyclique.

Le lieu où passe le soleil, ce n’est que notre voie lactée; le lieu où passe la terre, le système solaire; le lieu où passe ma vie, la terre ou, plus précisément, l’Europe, la France, etc.

En revanche, on pourra dire que ce signe déterminé (par exemple, le Verseau) est passé de ce lieu temporel à quelque autre : il n’est pas le même, quantitativement, en ce lieu-ci et en celui-là : en ses 12/6 en ce temps-ci – le dieu double – ou déjà en ses 5/12 dans l’apparence et dans l’étendue. Il n’était qu’en son 1/12 il y a neuf siècles mais au début de ses 12/5 dans le temps.

Le Poisson, qui atteignait à son Unité manifeste (12/12) alentour de l’an 1 000, atteint ou dépasse ses 12/7, limite de sa durée.

Il ne s’agit pourtant là que du Poisson ou du Verseau comme hôtes de l’ère précessionnelle. Mais l’Etre est soi-même en tout cycle et en mouvement dans chaque cycle, par et à travers les 4 lieux : il y a donc un Verseau et un Poisson du cycle a.s., de l’année, du mois lunaire, du jour, de la fonction (x + 1)/2 = √x et de la fonction 1/2 h barré².

Non pas liés à ce degré, ce lieu ou ce niveau, mais seulement liés au cycle que leur passage ordonne, dans le sens irrésistible de la série des moyennes, de la décroissance ici et de la croissance là, du devenir au devenu toujours.

Disons, pour être plus clair, que l’Etre n’est pas sous le même nom en divers lieux : couleur dans l’étendue et son dans la durée, ou fermion dans l’espace, quark ou quasar dans le temps.

Mais, en ce lieu défini non plus, il ne porte pas le même nom selon qu’il se formule comme signe (devenu : signifié ou devenant : signifiant), comme appareil (associatif/dissociatif), comme seuil, à la limite de la fusion ou de l’effusion, et de la fusion/traitement (la fusion d’un métal) ou de la fusion/traité (la fusion des partis), de l’effusion de cœur, qui disperse, ou de sang, qui coagule.

Il est donc les 36 (3 X 12) et les 144 (12 X 12) selon que je le partage en 36 ou 144 « états », mais, fondamentalement, les 12 : les 3 « natures » dans les 4 « lieux » ou les 4 lieux dans les 3 natures.

Et, sans doute, je pourrais dès lors localiser les 12 structures comme cette nature et ce lieu. Par exemple :

Capricorne : signe de la Terre,

Sagittaire : appareil du Feu,

Scorpion : seuil de l’Eau,

Balance : signe de l’Air,

Vierge : appareil de la Terre,

Lion : seuil du Feu,

Cancer : signe de l’Eau,

Gémeaux : appareil de l’Air,

Taureau : seuil de la Terre,

Bélier : signe du Feu,

Poisson : appareil de l’Eau,

Verseau : seuil de l’Air,

mais ce sont alors les 4 éléments que je ne pourrais reconduire aux 4 lieux : l’étendue est-elle de la Terre ou de l’Air? La durée de l’Eau (par le rythme) ou du Feu (par la brièveté)? L’espace de l’Air ou du Feu, puisqu’elle n’est que cette destruction? Le temps de l’Eau, comme le poète le dit, ou d’une symbolique différente, hors des Eléments?

Le changement de nomination, ici, est beaucoup plus qu’un transfert, plus même qu’un changement de niveau. C’est quelque chose comme un changement d’univers, selon que je perçois la Machine tout entière comme un seuil (l’élément), un appareil (la science de Boèce ou la vertu de Platon), un signe en soi.

Mais le Signe zodiacal (ou le dieu, parmi les 12 de tous les panthéons) est, en effet, éternellement, ce 1/3 X 1/4 de l’Etre-Unité : cette « nature » ou cette « personne » donnée passant par l’un des lieux déterminés dans le seul langage adéquat.

Or la Machine, ici encore, est bien la seule qui me permette de préciser, à tout moment et en tout lieu, le nom éternel et infini de l’Etre. Dans un cycle donné, mais aussi hors du cycle, sur des orbites infiniment plus vastes, dans le Temps, et, dans l’Espace, sur des orbites infiniment plus petites.

L’expérience des siècles, des millénaires me le prouve. Pourtant, j’en doute encore. Puis-je en effet atteindre à une telle précision, et comment le puis-je?

Ainsi que le disait Robert de Montesquiou de l’œuvre de Raymond Roussel (dans un jugement que l’auteur approuve entièrement) : nous sommes en présence, sous le couvert du jeu de mots, d’une équation de faits résolue logiquement.

La Machine que décrivent les « transferts sémantiques » des 3 dialectiques premières : le Même/l’Autre, la Lecture/le Délit, la Fusion/l’Effusion n’est que la Machine décrite par le transfert des nombres (de la série des moyennes, des séries convergentes, des constantes éternelles ou de la série des 12).

Mais si chaque dialectique peut recouvrir les 12, nous ne sommes plus confrontés à 12 mais à 36 « archétypes secondaires », ou 9 X 4, si je les répartis dans les 4 Lieux, que nous avons nommés par ailleurs : le temps, l’étendue, la durée, l’espace.

On reconnaît la Machine de la Kosmopoiia, de Jarry, de Roussel lui-même, etc. Les 36 Noms de dieu ou les 36 Figures dont 27 seulement nous sont perceptibles simultanément :

Plus ambitieuse, la Machine englobera les 36, en 4 X 9 ou 3 X 12, comme dans les Visions d’Ezéchiel et de Nuysement; c’est-à-dire les 3 zodiaques ou les 3 cycles : le contenu, l’unitaire et le contenant.

En ce cas, elle ne sera pas lisible seulement horizontalement et verticalement mais en profondeur, comme du plus grand (l’antérieur) au plus petit (le postérieur) ou comme du cycle d’activité solaire au mois lunaire par l’Année, ou comme de l’ère précessionnelle au cycle d’activité solaire par la « période » intermédiaire que délimitent les cycles d’aspects uraniens/neptuniens.

Esotériquement : 1 728, 144 et 12 ou 12³, 12² et 12.

En ce cas, les 9 nominations localisées en chaque Lieu donneront le produit : 9 X 4 = 36 au 1er niveau (des positions signifiées),

puis : 36 X 12 = 432 au 2ème niveau (des possibilités dynamiques),

puis : 144 X 12 = 432 X 4 = 1 728 au 3ème niveau (des conflits surmontés.

Ce qu’on exprimera uniformément par le schème des 3 zodiaques :

en attribuant aux 12 nombres leurs équivalences zodiacales.

Les 432 possibilités et les 1 728 conflits permettent de mouvoir les 12 à travers les 36 positions (et les 4 lieux), en modifiant la position, la possibilité et le conflit de chacun des 12 mais sans modifier sa nature ou sa personne (son caractère de signe, d’appareil ou de seuil).[1]



[1]  Dans le temps circonscrit (ou la durée), les 4 lieux seront perçus comme les 4 phases de l’analemme,

c’est-à-dire les 4 saisons (de 3 mois) ou les 4 quartiers lunaires ou les 4 quarts du cycle a.s. ou du cycle a.p.

Illustration Pierre-Jean Debenat

L’étendue

 

Les 1 728 nominations de conflits permettent de formuler chacun des 12 en ses 144 possibilités. Elles exigeraient donc, pour être schématisées, au moins 144 figures machinales.

Les 144 nominations de possibilités offrent de fait 12 combinaisons positionnelles, selon, par exemple, que je choisirai le sens : signe-appareil-seuil (ou appareil-seuil-signe ou seuil-signe-appareil) d’une part et, d’autre part le sens : seuil-appareil-signe (ou appareil-signe-seuil ou signe-seuil-appareil) comme les soufis jouent du je-moi, du je-toi et du je-lui ou les théologiens des Trois Personnes. 12 schèmes suffisent pour figurer les 6 transferts dans les deux sens, soit direct, soit précessionnel. Je laisserai le lecteur s’y amuser.

Mais les 36 nominations positionnelles (ou les 9 en chacun des lieux) suffisent pour définir une machine donnée, quelle qu’elle soit, puisqu’elles définissent chaque Signe triplement ou chaque vocable par les 3 acceptions qu’on y découvre toujours sans peine, à partir de sa dialectique première, évidemment.

Soit l’étendue, deuxième comme lieu, mais le mieux connu, le seul « apparent ».

L’étendue est ce qui embrasse ou contient les corps : elle sera d’autant plus grande qu’elle en contiendra plus : « le règne a plus d’étendue que l’ordre : l’animal plus que le vertébré », la voie lactée a plus d’étendue que le système solaire : elle contient plus de corps célestes.

Mais, différemment, l’étendue est ce que contient un corps défini, sa dimension : un domaine de 50 hectares est plus étendu qu’un champ de cent mètres carrés.

Elle est donc à la fois le contenant (hétérogène) et le contenu (homogène) de n’importe quelle apparence, qu’elle doit définir à la fois dans sa limitation spatiale et dans ses proportions propres.

« proportion » n’est qu’un des sens de « conformation », dont l’autre sens est « conformité », et le signe des Gémeaux comporte les 3 sens;

« conformité » n’est qu’un des sens de « mode », dont l’autre sens est « manière », l’une des acceptions de « façon », dont l’autre acception est « apparence », et tous ces mots, sauf le dernier, expriment une idée de Création, ou de créativité, sous le signe du Taureau, etc.

En poursuivant, je relie par une chaîne imbrisable de mots la proportion à la limitation, c’est-à-dire l’un des sens d’Etendue au second sens, comme le montre la série ci-dessous.

Egalement, j’y relie les 9 signes définis dans cette position (c’est-à-dire en ce lieu), dans le cadre défini de la possibilité choisie (une parmi douze) c’est-à-dire dans le sens : appareil (les Gémeaux) – seuil (le Verseau) – signe (la Balance) et l’Etendue se trouve en concordance, dans ce cas, avec l’élément d’Air, commun aux 3 structures.

La série des 9 dans le sens : appareil-seuil-signe et dans l’équivalence air-étendue :

La notion d’étendue, comme air, est ainsi contenue entre les notions contradictoires de proportion (en soi et continue) et de portion (discontinue dans un ensemble), mais aussi entre les structurations de l’Etre que sont la Semblance  et le Recouvrement , autour de la notion-seuil de Divertissement  : le jeu-diversion des apparences en leur environnement.

 

La durée

 

C’est dans sa saison d’automne que l’homme prend le mieux conscience de sa durée; dans cette même saison, les signes de la durée s’imposent le plus fortement, par l’épanouissement de la nature d’abord, puis par son déclin.

Mais cet épanouissement fut le propose de l’été, le déclin sera le propose de l’hiver. Entre les deux, le durable échappe aux apparences (de l’Unité), il n’atteint pas au grand dépouillement de la mort. Il se présente comme un accroissement invisible : une addition de moments d’abord, mais aussi d’expériences, des rêves et des mémoires dont se tisse la vie.

La Tetraktys des Grecs en a décrit le rythme, qu’inversèrent seulement les yugas des hindous : 1 + 2 + 3 + 4. Plus tard, dans le Moyen Age chrétien, le rythme s’affinera par les 5 temps d’épreuve ou les 5 royaumes, que nombrent les fractions : 12/11 – 12/10 – 12/9 – 12/8 – 12/7 dans le sens de l’accumulation et, de 12/8 à 12/7, les factorielles inverses : 1 + 1/2 (pour 12/8) + 1/6 + 1/24 + 1/120 + … à l’infini, dans le sens de l’accélération.

Comme si, autour de 12/8, la Tetraktys se transformait en Mahayuga

Or, cette dialectique en forme de renversement, le mot « durée » la porte, qui signifie tantôt la succession des temps, tantôt le seul temps que « dure » une chose déterminée. Qu’elle se modifie sans cesse ou fatalement finisse, la chose durable, ainsi, est celle qui ne dure pas.

Toutes les machines du rire en reflètent l’inversion, dans cette partie au sud-ouest, où les cyclistes du Surmâle ont soudain l’impression de rouler la tête en bas, où les rires de Dieu s’inversent (du 4ème au 7ème), où l’agrément du lit de supplice, dans Kafka, cède brusquement à la torture, etc.

Les Roues d’Ezéchiel l’expriment qui, en-dessous des Figures bestiales, vont droit devant elles et de côté, chacune pour soi. La brusque apparition des Serments (et des djinns) dès la 38ème sourate du Coran – alors que les Lettres couvrent les 68 premières sourates – dénombre la même inversion, comme du sens successif des temps à l’accélération mortelle ou de la Tetraktys aux yugas.

Nombrée, par les fractions plus grandes que l’unité et la série des factorielles inverses, située (au sud-ouest de la machine), définie ou du moins illustrée par l’automne, le crépuscule, le dernier quartier de la lune, etc., cette localisation est en-deçà des nombres, des séjours, des images : ce que je vis, ce que je suis alors que je la nombre, la localise, l’illustre, y perdant même le temps que j’emploie à la nommer.

Mais qui peut vivre d’attente, de l’attente de sa propre fin? Qui ne meurt de ne pas mourir? Un mot, donc, encore! Une action, un crime, toujours le délit, jusqu’en ce traitement-cure ou ce traitement-outrage par lequel je m’assure, je prétends m’assurer d’échapper au supplice, de vivre un peu plus longtemps, quand cette prétention m’accroît sans me ralentir, me précipite et m’achève!

Quand elle me délie de l’un!

La série des 9 dans le sens : appareil-seuil-signe et dans l’équivalence terre-durée :

Dans la première partie d’une durée (la jeunesse), l’accroissement de la personnalité, par la multiplication des expériences, participe d’un « investissement » certain. Cet intérêt se tourne vers l’Avoir : possession, titre, puissance technique, qui contribue à l’entretien de la chose même. Dans la seconde partie de la durée, la vieillesse, le désintéressement l’emporte sur l’intérêt : recherche de relations nouvelles, souci de la communication, soin, attention, application à la chose autre : la famille, la patrie, l’entreprise, un idéal quelconque. L’Etre final ou « l’être au terme » se constitue par là, matériellement.

Une durée terrestre ne peut que se réduire en cette évolution associative/dissociative de la matière même.

L’espace

Le 4ème lieu, que je nomme l’Espace, a porté, en d’autres quadrilogies, des noms bien différents : c’est l’hiver parmi les quatre saisons, le chaos de Lie tseu, la décharge de Reich (l’acte de décharger et le lieu de rassemblement de tous les immondices), cette « matière noire » dont l’antique alchimie faisait la Pierre première/dernière des transmutations.

Cette « annihilation de la réalité durable de la Matière », en laquelle, le 17 décembre 1907, William Hope Hodgson a vu comme « l’ossature de la Machine de l’éternité » et que, dans son « mécanisme de l’infinité », Henri Michaux considère comme le « sordide », le « pitoyable » et le « piteux ».

Mais c’est également l’Invisible de Mahomet, la Chose inexprimable, d’autant plus horrible, ou l’inscription indéchiffrable que les Machines Célibataires de Poe et de Carroll, de Kafka et de Roussel, de Duchamp et de Jarry, de Leiris, de Cocteau placent inévitablement au nord-est de l’appareil.

Et c’est le point le plus bas de la température où la science contemporaine situe le moins profond de l’AMOR, sinon, très au-delà, le zéro absolu où chaque particule (que définissent les Quatre) se range sur l’ultime orbite de son démembrement.

L’abîme. Et, dans l’abîme, cette chose qui abandonne sa chair et son squelette pour ne se vêtir plus que de forme : la figure du rêve ou la forme du temps, disposition plus qu’existence, dans l’immuable Histoire qui suit.

Ce « degré de liberté », le douzième de l’Etre, en quoi réside aussi, essentiellement, le pouvoir révoluteur de l’éternel renouveau.

Or, le vocable : espace rend compte de l’ambiguïté. Car l’Espace est :

– le lieu de toutes les totalités : il embrasse aussi bien le système solaire que notre galaxie, les millions de galaxies dont on se prend à rêver et l’antimatière même dont la « galaxie noire » ou le « trou noir » seraient les portes. En cette acception : le non-mesuré, sinon le non-mesurable, l’espace de phase où la particule elle-même de lumière ne peut plus être localisée, car cette localisation ne serait possible qu’avec un degré de liberté de h⁶ (quelque 12 000 unités h).

En sa valeur ésotérique : 6, h porte les puissances : h² = 36, h³ = 216, h⁴ = 1 296,

h⁵ = 7 776, h⁶ = 93 312 et nous reconnaissons tous ces nombres;

– mais aussi l’intervalle qui sépare les êtres, les choses, les particules les plus infimes ainsi que les galaxies : le vide – illusoire ou non – qui permet de distinguer les lettres dans le mot, les couleurs dans le tableau, les notes dans l’harmonie et les planètes dans le système, les systèmes dans la galaxie.

Chaos dans un sens ou néant dans l’autre, tel est bien l’espace, dont tous les vocables qui le définissent doivent exprimer l’ambivalence, depuis le point (ponction et ponctuation) jusqu’à la fin (épuisement ou finalité).

Cette suite ne joue plus que du discontinu (l’intervalle) vers le traité et du traité vers l’improbable accord (tribu, clan, famille) du Bélier. L’espace où se déroule ce processus (succession-procédé) n’est pas du temps, car il n’évolue pas du passé à l’avenir ni de l’avenir au passé. Il est, à proprement parler, instantané ou éternel comme la flamme.

Mais il n’est pas non plus de l’étendue, même lorsqu’il dévore l’espace, car, en tant qu’intervalle et en tant qu’ensemble systématique (nomenclature, partition), il est de qualité plutôt que de quantité : un feu sera de plus en plus « fort », il ne sera pas de plus en plus vaste, bien que la destruction qu’il engendre puisse l’être. Ainsi ne sera-t-il pas mesurable en soi-même mais toujours – essentiellement – dans le corps qu’il anéantit ou dans l’ensemble qu’il embrase.

 

Le temps

 

Je dois nommer en dernier le premier des 4 lieux, car il est le moins concevable ou, sinon, le moins accepté. On le trouve décrit en dernier de même sous les noms rapprochés de « 10 000 êtres », de 4ème démon, de « semblance d’un arc flamboyant », ou des pythons et des miroirs dans les machines les plus anciennes, et, sous les noms de « vomissure finale », de ‘l’inconnue dimension », de l’explosion rédemptrice, du combat des 19, de la Nébuleuse Verte, chez Villiers de l’Isle Adam, Jarry, Kafka, Roussel, Leiris, Hodgson, etc.

Au sud-est de la machine, toujours.

Moins nettement localisée, ce sera la « détente » de Reich, la synchronicité de Jung, ou même cette « génération d’ordre » dans la physique contemporaine, dont Kastler écrit que « pour l’obtenir, il faut refroidir les systèmes matériels et leur soustraire de l’entropie » ou, ce qui revient au même, leur fournir de la néguentropie, cette forme insaisissable du Temps.

Car ce lieu est à la fois le commencement de l’ordre et la pointe aigüe du néant. « Le cimetière des uniformes » de Kafka ou « les champs catalauniques » de Leiris, les tableautins de Roussel et de Jarry, les uns et les autres historiques. Mais aussi l’au-delà de la mort pour Faustroll, la renaissance de Faustine, le final abîme dont les flammes, dit le Coran, s’élèvent toutes droites comme des pyramides, à la dernière/première heure du jour, qui redresse en effet le cycle.

Sinon au sud-est de la machine, alors, au-delà de la mort et du froid (en-deçà de -273°), il n’émet pas seulement ces formes circulaires qui éternisent le temps, mais les réalités formelles – et formatives – que tous admettent, bien que le physicien les dise démunies de polarité, le théologien de substance, le philosophe hégélien de « matérialité » : la lumière, ses bosons, et la non-entropie, l’état SMOR du sommeil, le quasar, l’Etoile Absinthe et la soucoupe volante, le sommet du mont Analogue ou l’hologramme, le Phénix de l’alchimie (qui préexiste à toute « matière première ») ou l’impossible Vert (au-delà du spectre connu) où les ondes de formes se reforment en effet pour recréer l’univers.

Car le Temps est à la fois cette Histoire où tout tombe, l’immatériel passé, et le métronome que j’illustre quand je dis : « ce temps-là », hors de toutes les durées, jeune ou vieux selon le cas (mais c’est sans importance), où j’ai vécu l’amour, où j’ai créé, où je me suis oublié, l’espace d’un instant, pour que triomphe la Vérité, ou que s’instaure la Justice ou que s’établisse la Liberté.

Intervalle donc, encore, mais dans le temps cette fois, délai où je m’accorde le temps, état (le temps est beau), joint pour tout dire entre les époques ou les phases, quand l’espace n’est que le point. Détente, si l’espace fut décharge : devenir, d’abord, si l’espace ne peut être que du devenu, et le plus vaste des possibles, à l’infini, si l’espace est la mort de la probabilité.

Cette série situe le temps-eau entre les notions de pouvoir et de devoir ou de passion et de régularité, comme du sourcement à la rivière dominée de détour en détour. C’est le passage obligé, et toujours remarquable, du rythme jaillissant à la forme – cyclique – du temps hors de la durée.

Mathématiquement : de l’infini au doublement, ou de ∞ à 2.

Les acteurs – Les deux préhensions machinales, par les Seuils et par les Lieux, semblent aussi contradictoires que possible. On remarquera cependant que l’une et l’autre jouent des mêmes structures inversées. Puis, que cette inversion sémantique est telle qu’elle n’entraîne pas obligatoirement un renversement vectoriel :

a) dans la description des seuils (immuables) :

L’inversion porte sur le sens de la marche de l’archétype : par exemple, du Verseau au Taureau par Poisson et Bélier, en a) et du Verseau au Taureau, par Capricorne, Sagittaire, Scorpion, Balance, Vierge, Lion, Cancer, Gémeaux en b), mais elle ne porte pas sur le sens de la Machine, du devenir au devenu ou du contenant au contenu dans les deux cas.

Simplement, en a, l’ordre des 3 est :

Seuil – Appareil – Signe dans le sens de direction directe ou astrologique des signifiants :

Si bien que les 12 nominations suffisent pour cette définition : 3 X 4 = 12.

En b, l’ordre des 3 est :

Appareil – Seuil – Signe dans le sens systématique ou dans le sens précessionnel des signifiés ou localisés quadrilogiquement :

Si bien que les 36 nominations apparaissent nécessaires à cette définition : 3 X 12, et 144 nominations à la définition des 36 : 4 X 36, etc.

Mais, si la différence de lecture entraîne une inversion de la direction sémantique, elle n’entraîne pas contradiction de succession, car, en a :

c’est-à-dire qu’ils entrent dans le même lieu qu’ils occuperont en b.

Ils y entrent seulement à reculons, non pas dans la position du mortel (le regard direct, entropique) mais en invitant le devenir à leur suite (le regard précessionnel, résurrecteur). Ce retour n’est qu’un retournement.

On le vérifiera par le fait que, dans les nominations localisées en b, les 12 ne perdent jamais leur valeur trinitaire (portée en a).

Le Verseau est divertissement (jeu/diversion) en étendue,

attention (soin/application) en durée,

incitation (excitation/impulsion) dans le Temps,

(absent dans l’Espace ici et maintenant),

c’est-à-dire qu’il est toujours la Manifestation (motivation/motif) et le versement, l’effusion de sang.

Le Scorpion est milieu (moyenne/ambiance) en étendue,

détour (écart/bifurcation) dans l’Espace,

version (traduction/tour) dans le Temps,

(absent en durée ici et maintenant).

Le Taureau est manière (mode/façon) en étendue,

traitement (entretien/modification) en durée,

nomination (privilège/nomenclature) dans l’Espace,

(absent dans le Temps),

c’est-à-dire qu’il est toujours le Trait (soumission/entretien) et l’Œuvre, la fusion du métal ou de l’esprit.

Le Lion est identité (uniforme/quantum) en durée,

traité (engagement/précis) dans l’Espace,

cérémonie (culte/séance) dans le Temps,

(absent dans l’étendue),

c’est-à-dire qu’il est toujours l’Ordre (injonction/jonction) en même temps que la fusion des parties ou partis.

Je pourrai, jouant de 1 728 nominations, afin de définir les 144, établir des schèmes tout autres sur des équivalences diverses, durée-eau, espace-air, temps terrestre, apparence-feu ou espace terrestre, temps-feu, étendue-eau, durée astrale, etc., sans que le sens vectoriel de la machine en soit changé. Il me suffirait de localiser dans les 4 lieux les 432 nominations que me donnerait le triplement des 144.

Mais c’en est assez pour montrer que, dans leurs localisations les plus diverses, les 12 gardent leur « nature » ou préservent leur « personne ». Dans le parcours qu’ils refont – indéfiniment – ils entraînent avec eux leur caractère de seuil, ou d’appareil ou de signe, car, en chaque lieu, tout moment ou tout site peut être ce signe (par son degré), cet appareil localisé, ce seuil à quelque niveau.

Car toute machine n’est faite, en somme, que d’une infinité de machines.

Plus étrangement, d’un lieu à l’autre, les 12 conservent leur coloris, leur rythme, leur principe propre, leur forme même. Comme l’exprime le début du Yetsira, ils être l’air dans l’Eau, le feu dans l’Air, l’eau dans la Terre, etc.

Ainsi, non seulement ils ne cessent de traverser les 4 lieux, mais ils en colorent, en rythment, en informent et en formulent diversement les phases (moments ou sites).

Passants mais sujets, agis mais agents.

Or, n’est-ce pas dire que l’archétype ne peut faire l’objet d’une lecture sans être le sujet d’un délit? Que je ne peux le traiter ou l’ordonner, par une fusion quelconque, sans m’y fondre, par l’effusion? Qu’il n’est pas l’Autre chose sans être la Même chose, ni la Chose autrement sans être la Chose même?

Il me faut le nommer pourtant. Sera-ce : Celui qui revient? Celui qui ne revient pas?

Si le Christus s’instaure du Verseau à la Vierge et doit revivre les déclins des entités anciennes, de la Vierge au Bélier, Iahvé s’est instauré du Poisson à la Balance, il revit les déclins des vieilles entités, de la Balance au Taureau.

De même que l’homme, les archétypes naissent, vivent et meurent chacun à sa façon. Cette ressemblance interdit le retour : le mort ne revient pas.

Mais le dieu d’Amour ne se manifeste qu’en la Vierge (comme appareil) et en dieu d’Eau; le Justicier, qu’en la Balance (comme signe) et en dieu de Feu. Il en sera ainsi jusqu’à la fin des temps.

Car, à la différence de l’homme, les dieux ne sont pas dans la germination ou l’hiver, la jeunesse ou le printemps, la vieillesse ou l’automne sans être la saison. Cette différence exige le retour : le printemps revient.

La dernière énigme.

Jean-Charles Pichon

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