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LES TROIS ET LES QUATRE
En des moments précis de l’Histoire, l’humanité pensante admet que le réel est autre que le connaissable. Elle ne s’en désespère pas encore, mais se complait en cette antinomie, qui lui permet de jouer en toute impunité, dans le cadre des règles qu’elle s’invente alors : en toute impunité, puisque les règles du jeu sont sans commune mesure avec ce qu’elle sait être l’inconnaissable : l’Etre en soi, le Réel même, Dieu.
Laissant au naïf ou à l’innocent les périls de l’informulé, le nocent ne s’applique plus qu’à préciser, nombrer, simplifier le rapport qui conditionne son divertissement : soit le rapport bâton/cercle, qui joue de l’unité, soit le rapport du Même et de l’Autre, qui joue de la relation sensible, soit tout autre rapport, plus ou moins analogue, qui joue du continu et du discontinu, du plus et du moins, du mieux et du pis, de la cohérence et de l’incohérence, etc.
Ce n’est pas sans ramener le problème indéfinissable à une énigme définie.
Comment se peut-il que le plus grand (un bâton de cinq coudées) et le plus petit (un bâton de trois) soient tous les deux égaux à 1? C’est-à-dire que 5/5 égalent 3/3?
Comment se peut-il que l’Autre comporte un Même : l’autre chose est une même chose, et que le Même comporte un Autre : la chose même, la chose autrement. Ou que le nombre immodifiable se prête à la mesure des modifications, sinon à celle des rythmes infinis de la matière?
Comment se peut-il que l’infini des numérations, dans une série déterminée, se limite à quelque fini? Ou que je ne puisse être contenu en une totalité et contenant d’une fragmentation sans que ce contenu-moi se présente comme plus grand que ce moi-contenant?
Ici, le jeu finit et le sérieux commence. Puisque je veux nommer l’innommable, rien n’échappe donc à ma raison? Ici, le signe ludique se révèle appareil, machine, mécanisme. De ce que mes ancêtres n’ont pu forcer les portes, je ne veux plus déduire que je ne peux les forcer. Jouant avec les dieux, je me ris de leur pouvoir; aspirant à les vaincre, je les ai déjà vaincus. Comment ne nierais-je pas enfin leur existence?
Mais énoncer l’énigme, ce n’est pas la résoudre. Derrière porte ouverte une autre se profile, plus imposante ou faite d’un métal que j’ignore. Plus naïf que l’innocent soudain, l’instructeur, le technite, le technicien essaie sur la nouvelle muraille toutes les clés qu’il s’est forgées et n’y trouve aucune serrure.
Avec les mots anciens, dont il a perdu le sens, ou d’autres qu’il invente imprudemment, il dit son désarroi et recherche inutilement l’erreur qu’il a commise, qu’il n’a pu s’empêcher – mais pourquoi? – de commettre.
Deux fois déjà, ainsi, au 3ème millénaire avant J.-C. et dans les siècles qui ont précédé le Christ, s’est renouvelé un processus en trois étapes, dont il se révèle à l’évidence que nous avons suivi les deux premières (depuis 1600 plus ou moins).
a) – la formulation du Signe :
Dans ce premier temps (Imouthès, vers -2650, Pythagore vers -500, Galilée, Neper et Descartes, puis Newton au 17ème siècle), le rationalisme se présente comme un jeu double. Un jeu de mots : le bâton/serpent, le moyen/moyenne, l’infini/fini, et un jeu de nombres, qui semblent se complaire en eux-mêmes.
Mais, très vite, le calembour ouvre sur une dialectique où se figure le monde, la cité, l’univers : le partage et la totalité, le même et l’autre, le contenu et le contenant (le sujet et l’objet bientôt!).
En même temps, la constante trouvée : 11/7, puis 22/7, le nombre d’Or, puis √5, e, puis e-1, livre à l’humanité ou paraît lui livrer un outil tellement prodigieux que la prise au sérieux s’ensuit nécessairement. Le savant ne joue plus. Par la grâce du cercle, ou de la quadrature du cercle ou de la série convergente, c’est l’univers en soi : le Ka, le Logos ou le Transcendantal que l’instructeur, le sophiste, l’observateur du siècle des Lumières prétend à dominer, connaître ou refléter dans l’oubli même du dieu ou du mythe qui l’y portent.
b – l’Appareil :
Dans ce second temps, le refus du jeu et l’oubli du Signe dominant isolent littéralement le « chercheur » de l’univers ou, pour mieux dire, de la réalité. Il lui faut tout reconduire ou, plutôt, reconduire le Tout de l’univers à son petit système, comme l’y invitent ces grands systématiques que furent Djédefhor et Ptahhotep vers 2500 avant J.-C., Platon et Aristote au 4ème siècle, Kant et Hegel autour de 1800.
Encore, de ces précurseurs, le premier se fonde-t-il sur des sortes de structures, sa propre quadrature : les 4 sens égyptiens, les 4 termes de Platon, la relation, la modalité, la quantité, la qualité kantiennes. Elles le gardent, sinon en quelque humilité, puisqu’il en est l’auteur, du moins en une rigueur encore signifiante. Mais, pour ses successeurs, cette quadrilogie n’a plus le moindre sens : le système lui-même leur importe moins que la méthode, l’outil, l’appareil qui leur permettent de s’y conduire.
Quant à la Trinité fondamentale : l’Akh, le Ba et le Ka; le Vrai, le Bien, le Beau; les Trois Personnes, il leur faut la nier ou la ramener aux Deux du dilemme insoluble, qu’ils prétendent résolu, car le troisième terme ou facteur trilogique n’est plus que le moyen terme, la moyenne arithmétique ou la synthèse hégélienne des deux autres.
Mais la dialectique retrouvée n’est jamais que celle du continu (le cercle, la loi, la force cinétique entre autres) et du discontinu (le partage du bambou, les apparences formelles ou le volumineux).
Et, de fait, les trilogies que présente l »Appareil se laissent réduire sans peine à la seule dialectique. J’en ai donné plusieurs exemples anciens (voir Les précis ridicules). En voici un tout proche : la loi de Mariotte.
La densité d’un gaz est proportionnelle à la pression exercée sur le gaz et inversement proportionnelle à son volume. Il s’en déduit immédiatement que la pression exercée sur le gaz est inversement proportionnelle à son volume.
En effet, si d = 1/v et si d est proportionnel à p, p = 1/v.
On pourra écrire que : P/P’ = V’/V, ou que : PV = P’V’.
Si P croît jusqu’à P’, V décroît jusqu’à V’.
La trilogie P, D, V ne déborde pas la dialectique : volume/force (en entendant ce dernier concept tantôt comme une dynamique : la pression, tantôt comme un état : la densité).
Il s’ensuivra que la masse tantôt sera considérée comme inerte et tantôt comme pesante, mais cette antinomie se déduisait déjà des formules de Galilée (l’accélération) et de Newton (la gravitation). Il faudra Einstein pour ne plus l’admettre.
Elle n’en reste pas moins présente dans toute la physique classique, dont l’objet n’est que le système défini comme thermodynamique. Et il n’en reste pas moins que l’appareillage qu’elle fonde demeure utilisable.
c – le Seuil :
Tout autres sont les trilogies qui s’offrent dans la troisième période rationaliste. Comme à partir des Deux chemins de la Moyenne Egypte (vers -2300), de la dialectique sympathie/antipathie des Physica hellénistiques ou de l’électromagnétique, depuis 1900.
Ainsi en est-il de la trilogie : fréquence (f), longueur d’onde (γ) et temps (t).
La fréquence d’une onde est inversement proportionnelle à sa longueur : f = c/γ. Elle est aussi inversement proportionnelle au temps : f = 1/t.
Je ne peux cependant en déduire que le temps et la longueur d’onde sont proportionnels. Il n’est aucun rapport entre le temps-fréquence d’une part et la longueur-fréquence de l’autre. Car un quatrième facteur intervient dans le calcul : C (la vitesse de la lumière). Qu’il soit une constante ne me permet pas de l’exclure.
Au contraire : loin de réduire la trilogie : f, γ, t à une simple dialectique, la constante C me fait pénétrer dans un autre univers ou une autre dimension, quadridimensionnelle.
Nous avons vu qu’il en fut de même de la trilogie : la même chose et le contraire, la chose même. Ou, plus près de nous, de la trilogie : P, C et T utilisée pour ramener l’autre univers (l’antimatière) à un doublet du nôtre.
S’il demeure une dialectique – trop évidente – entre la position et le mouvement, ou entre le même et l’autre, ou entre le systématique (notre modèle d’univers) et la totalité (le réel), il s’agit d’une dialectique ouverte, non seulement aux trois mais aux quatre dimensions.
On établit sans peine que la dialectique fermée caractérise le système clos, pour lequel il n’existe pas un au-delà. En ce sens, la dialectique thermodynamique (masse/volume) est représentative du même univers clos que la dialectique aristotélicienne ou taoïste : le même/l’autre, le yin/yang, le continu/le discontinu.
Au contraire, la dialectique ouverte caractérise un système tel qu’il comporte un au-delà (la totalité) qui le contient. En ce sens, une certaine continuité peut être saisie dans l’Autre (la même chose ou, contradictoirement, la sympathie, l’attraction des contraires) et dans le Même (la chose même); une certaine discontinuité peut être saisie dans le Même (la chose autrement) et dans l’Autre (la répulsion, la dissociation). Les 2 reconduisent aux 4 : les Qualités : le sec, l’humide, le chaud, le froid; puis, les 4 Qualités reconduisent aux Eléments.
En ce sens, deux mille ans plus tard, l’univers de la matière (onde/corpuscule), considéré d’abord comme une totalité, doit tolérer un univers : l’antimatière, inverse et contenant. Puis les deux univers matière/antimatière commencent d’être considérés comme constituant une dialectique ouverte, dans l’orbe d’un univers X, contenant des deux.
Il apparaît certain dès lors, que l’aboutissement de la science actuelle sera, au siècle prochain et peut-être d’ici à la fin de ce siècle, l’invention d’une nouvelle quadrature, finalement réductible aux Eléments, Cardinaux, Termes, Qualités ou Sciences des ésotérismes anciens. Mais nous n’en sommes pas encore là, malgré les 4 coordonnées de Buckminster Fuller, les 4 dimensions d’Einstein, les 4 facteurs de l’électron, les 4 « saveurs » du Quark, les 4 énergies d’Abdus Salam (prix Nobel 1979).
Nous en sommes seulement à la prise de conscience de la dialectique double : rationnelle dans le système ou le modèle d’univers, cinétiquement fermé; irrationnelle à d’autres niveaux ou en d’autres univers que le nôtre, sur lesquels le nôtre ouvre cependant.
Si l’une des deux dialectiques concerne le contenu d’un système et son contenant, quel que soit le système choisi, tel que le premier soit enfermé dans le second, il se peut que l’autre dialectique concerne l’Unité en soi, objective en tant que contenue dans le contenant et subjective en tant que contenante d’un contenu et plus grande dès lors en tant qu’objective et contenue qu’en tant que subjective et contenante, à l’inverse de l’axiome rationnel, selon lequel le contenant est toujours plus grand que le contenu.
Le quatrième démon – En 1962, dans la préface de Le royaume et les prophètes, j’énonçais une évidence que je n’avais pas encore démontrée. « Aussi loin que nous inventions, nous ne faisons qu’élargir l’orbe de l’univers, et l’écart ne cesse de s’accroître qui sépare le rayon-loi de la circonférence-univers ».
Cette intuition tendrait à faire préférer aux figures définies jusqu’à présent (la corde et l’arc d’Assur, les deux cercles de Platon, l’onde et le corpuscule de Planck) la juxtaposition ou l’interaction de deux dimensions différentes.
Si le réel est une surface (une circonférence ou un carré), la connaissance rationnelle est comme une droite : le diamètre ou le côté et toute la science rationnelle ne tend qu’à découvrir le rapport qui permet de passer de la droite (une dimension) à la surface (deux dimensions).
Si le réel est un volume (un cube, une sphère, un cône), la connaissance rationnelle est comme un cercle ou un carré et toute la science rationnelle ne tend qu’à établir le rapport qui existe – ou peut exister – entre les deux univers.
Si le réel a quatre dimensions, la connaissance rationnelle n’y est qu’un volume et le rapport à découvrir est celui de n⁴/n³.
Sur une telle symbolique, il arrive qu’en sa dernière phase, le rationalisme fonde sa prétention. Il rêve d’établir un rapport constant entre un univers quelconque à n dimensions : nⁿ et la connaissance-sécante que l’esprit humain en aurait : nⁿ⁻¹.
En théorie, sans doute, cela n’est pas impossible. Mais, pratiquement, toutes les tentatives en ce sens ont échoué, depuis le « baderne » hellénistique jusqu’aux « tenseurs » de la mathématique moderne, par l’invention de l’algèbre, du nombre irrationnel, du différentiel et de l’intégral, de la mathématique des ensembles, de la mathématique des « fractals », etc.
Car il se trouve que l’homme n’a que trois dimensions, et son esprit de même (ou cette réalité abstraite que je nomme JE). L’espace où je me meus n’a donc que ces trois dimensions également, et le temps qui me porte n’a que ces trois aussi : le passé, le présent, l’avenir, ou, à l’inverse, le devenir, l’instant et le devenu. Mes aspirations, mes « natures », mes « personnes » sont triples tout de même : le Vrai, le Bien, le Beau, ou le je-moi, le je-toi, le je-lui, ou le Signe, l’Appareil et le Seuil.
Parler de la quatrième dimension, par suite, c’est parler de l’inconnu, dont je suis la sécante : le 4ème démon de Platon, qui ne se laisse annexer que par force, le Phénix des alchimistes, l’antimatière de nos physiciens.
D’où le jeu de Platon, entre les puissances de 3 et celles de 4 (ou de 2); d’où celui de Kant, 2 160 ans plus tard, entre la relation et la modalité, la quantité et la qualité. D’où les 4 facteurs de l’électron ou les 4 saveurs du quark subatomique : polarité (up/down), étrangeté, charme et beauté.
Or, ces quadrilogies, nous l’avons suggéré, ne sont pas fondamentalement différentes des quadratures antiques : les Cardinaux, les Eléments, les Qualités. Elles ne sont jamais que constatées; elles ne sont pas toujours comprises.
C’est ici le monde de l’abstraction absolue, où toutes les distinctions concrètes s’abolissent en la notion privilégiée aujourd’hui : la matière en tant que masse/énergie, que seule pénètre la science parfaitement formelle des constantes mathématiques.
L’un des exemples les plus significatifs en est peut-être celui des 4 composants de l’atome : dans le noyau : le proton, de charge positive, et le neutron, de charge neutre; hors du noyau, le positron, de charge positive, et l’électron, de charge négative.
Mais le proton est constitué de neutrons et de positrons, le neutron est constitué d’électrons, de positrons et d’une particule de charge neutre : le hadron neutre.
Si bien que chacun des composants ne peut être défini en soi mais seulement en opposition aux trois autres.
Par exemple, tous sont de très longue durée, pratiquement éternels, à l’exception du neutron, dont la durée de vie ne déborde pas les 8 minutes.
Tous ont une charge positive ou neutre, à l’exception de l’électron.
Le positron est le seul élément de charge positive et de très longue durée notable hors du noyau.
Le proton est le seul élément de charge positive et qui possède une « masse propre ».
Par suite, les traités de physique ne parlent que de 3 composants de l’atome : généralement les deux constituants du noyau et l’électron (en considérant le positron comme une variété de celui-ci), mais quelquefois de l’électron et du positron, de charges opposées, et du neutron, considéré comme le composant essentiel du noyau.
Depuis que le physicien reconnaît trois sortes différentes de « neutrinos » et une variété presque infinie de hadrons (au point de ne plus étudier que leur « formulation » : le quark), la coutume paraît se généraliser de dénommer les « trois » composants de l’atome : le neutrino, le hadron et l’électron, sinon de les répartir en 3 masses différentes (légère, moyenne et lourde).
Le problème est visiblement ici qu’il semble difficile de joindre en une seule dialectique « fermée » des concepts aussi divers que : le positif/négatif, le visible (le noyau)/l’invisible (hors du noyau), la masse propre/la masse cinétique, l’éternel/la courte durée.
Tandis que les uns (Jean E. Charon) en viennent à comparer – sinon encore à les confondre – l’électron au « trou noir », massique mais hors de l’espace (au-dedans de l’univers), les autres ont renoncé à l’étude du hadron en tant que « matériel » : ils lui impliquent le dénombrement ésotérique des 3 (couleurs) et 4 (saveurs), représentatifs d’un simple « positionnement » spatial des structures formelles du hadron.
Si la première voie débouche sur une nouvelle mystique : « l’électron, c’est l’Esprit », l’autre doit déboucher sur une nouvelle mythologie : les 12 dieux ressuscités (3 X 4).
Tel est l’aboutissement de trois siècles de rationalisme assidu, en ce qui concerne du moins l’étude de notre univers spatial : fini/infini, apparence/matière, masse/énergie, onde/corpuscule, électromagnétique et gravitationnel.
Voyons ce que nous réserve ici l’étude du temps.
Les trois énigmes – Quand Einstein définit la dimension quatrième comme étant le Temps t, il énonce une hypothèse mathématiquement absurde, car, si l’Espace ne possède que les trois dimensions (ce qui n’est pas démontré), on ne voit pas pourquoi le Temps n’en posséderait qu’une.
L’expérience quotidienne, au contraire, témoigne que si l’Espace est trinitaire, au regard de la raison, le Temps l’est également : je m’y trouve pris comme dans une boîte dont les dimensions seraient le passé, le présent et l’avenir (si je choisis de m’y conduire dans le sens rationnel, de la cause vers l’effet) ou le devenir, l’instant et le devenu (si je choisis d’y être conduit dans le sens inverse).
Mais, au plan où elle se situe, celui de la relativité métaphysique, hors du « système », l’hypothèse d’Einstein est géniale. Car il n’est d’autre manière de quitter les trois dimensions du système que de replacer le système – quel qu’il soit – dans le temps.
Si j’étudie le temps passé, il apparaît à l’évidence que tout système s’y développe lentement et s’y dissout très vite. Plus : que le système n’est que la clé, toute provisoire, trouvée pour ouvrir une porte que l’abus du système (sa généralisation) en vient à refermer.
Si je considère le temps présent, j’y vois non moins clairement que tout système s’y fonde sur la seule volonté de « simplifier » le réel, c’est-à-dire de le dénaturer. L’approximation, l’indétermination qu’impose le système ne peut que fausser le réel – détruire le système. La gêne – psychologique, psychique ou inconsciente, puis d’un ordre social, sociologique et, pour finir, biologique – que provoque l’entretien maniaque du système témoigne de l’erreur qui lui demeure liée : elle la mesure, en quelque sorte, à sa temporelle dimension.
D’où l’échec assuré de toutes les prospectives de caractère rationnel : elles se fondent toujours sur le maintien du système que le sens réel du temps ne peut qu’anéantir. Mais l’intuition, la divination, la prémonition et la prophétie, de caractère irrationnel, disent d’avance le devenu où tombe tout devenir. Les cycles temporels, entre autres, leur permettent d’établir à quel instant précis – ou moins précis – finira ce jour, ce mois, cette année, cette ère précessionnelle que je vis et que nulle systématique ne me permet de prolonger sans fin.
A tout moment du temps, si je tiens compte du temps, je peux juger de la valeur signifiante d’un système, en le comparant aux autres systèmes révolus. Je peux non seulement en établir la faille, l’approximation, le « degré de liberté » mais déduire de cet établissement le temps au terme duquel le système cessera d’être utilisable, et je peux donc projeter à « l’avenir/devenu » le déséquilibre, l’incohérence, le désastre que doit engendrer nécessairement l’erreur.
La connaissance exacte des délires passés n’est pas une autre chose que le sentiment présent de la menace contenue dans le délire présent, n’est pas une autre chose que la science irrationnelle de ce qui doit advenir et qui, au moment même où le seuil fut atteint, est mille fois advenu.
Le renversement trinitaire – C’est se demander, autrement :
Nous voyons que les trois derniers rationalismes se sont soldés par un échec définitif, qui renvoie l’athéisme (de l’instructeur, du technite ou du technicien) à de nouvelles croyances. D’aucune de ces tentatives la moindre certitude ne peut être tirée. Mais n’en peut-on tirer une de leur ensemble?
Car si, en chaque période rationaliste (de quelque 180 ans en son athéisme), nous voyons le chercheur jouer du Signe, puis en déduire un Appareil utilisable et, finalement, revenir au Seuil qui sépare le système de la totalité, les trois périodes elles-mêmes se présentent dans cet ordre :
Le Sémite et le Brahmane n’ont trouvé qu’un dieu-loi, un dieu Signe, de Cercle et de Feu, dans le Foyer, la famille, la tribu, la phratrie;
le Grec et le Romain (ou le bouddhiste en Orient) n’ont trouvé qu’un dieu incarné ou un dieu Appareil, de Charité et d’Eau, dans le Baptême, l’osmose, l’eucharistie, le couple, l’union prodigieuse de la Forme et de la Substance ou de l’Autre et du Même (le Prochain);
enfin, notre problème universel n’est-il pas celui du Seuil et de son franchissement, attendu de l’Esprit ou de la Liberté?
Si bien que la trilogie notable dans une époque (un cycle) déterminé, l’est également dans une ère (un cycle encore) douze fois plus étendu. Une trilogie au moins nous semble formuler le contenu de ce cycle-là mais aussi le cycle qui le contient.
Simplement, entre le premier cycle (de 180 ans) et le second (de 2 160 ans), une période mal définie, de 180 X 3 = 540 ans ou 180 X 4 = 720 ans a inversé le rythme : a (signe), b (appareil), c (seuil), puisque, partant du seuil ancien, elle a fait naître le signe nouveau, au ¼ ou au 1/3 du Grand Cycle.
Notre simple énoncé, ainsi, ne suggère pas le jeu : signe, appareil, seuil dans les 3 ères du dieu de Justice, du dieu d’Amour et de l’Esprit Libre sans imposer le « cycle » de 3 ères de 2 160 ans = 6 480 ans entre le cycle de 2 160 ans et un cycle douze fois supérieur, la Grande Année de 25 920 ans.
Or, les mêmes trois phases – de 180 ans cette fois – nous ont paru mener du Signe ludique (la phase rationaliste) au Seuil de la dialectique ouverte, mythologique (dédoublée en 4 Eléments ou Cardinaux ou Qualités) par l’Appareil de la dialectique fermée (l’arc et la corde, les deux cercles) que certains nomment aujourd’hui « l’observateur » et « l’observé » ou le « subjectif » et « l’objectif », et d’autres le contenu/contenant.
Ces trois phases ont pu être prises de -2700 à -2200 plus ou moins, puis de -540 à 0 : elles sont à prendre, en notre époque, depuis 1620 jusqu’à la fin du siècle prochain ou au milieu du suivant.
Un rythme se profile, historique, comme de 180 à 2 160 ans (par 540 ans), puis de 2 160 à 25 920 ans (par les 6 480 ans du calendrier judaïque), dont rien ne permet de penser qu’il ne se prolonge pas en deçà des 180 ans au-delà des 25 920, à l’infini.
Une telle triade inversible n’est pas autre chose qu’une dialectique doublée. Si je peux écrire indifféremment 1, 2, 3, et 3, 2, 1, c’est que je peux écrire : 2, 1, 3 et 2, 3, 1. Les deux sens contiennent en soi les probabilités de position des trois nombres.
De la même manière, le mythologue grec a joué des trois couleurs : le rouge, le jaune et le vert (Apollon, Vénus et Vulcain), le soufi des trois personnes (le je-moi, le je-toi et le je-lui) ou l’alchimiste médiéval de la forme, de la substance et du mixte. De la même manière, par les deux cercles et leur sécante, Platon a montré que la dialectique : croissance (1, 2, 3) et décroissance (3, 2, 1) contient dans le même, l’autre dialectique : désassimilation, de l’unité vers la pluralité, et assimilation, à l’inverse; et le Yi King, par ses trigrammes, que le plus grand (ou le supérieur) et le plus petit (ou l’inférieur) renvoient à l’autre dialectique, du continu et du discontinu.
La physique nucléaire nous montre que ce jeu n’est pas seulement abstrait, théorique ou religieux.
Lorsque certaines particules se heurtent (par exemple, un méson pi négatif et un proton), cette rencontre donne naissance à deux autres particules (par exemple, un méson K neutre et un lambda). Puis, la particule lambda se décompose en deux autres particules, qui ne sont que les deux premières : un méson pi négatif et un proton. Ici aussi, la dialectique originelle s’est faite une triade : le méson pi, le proton et le méson K neutre, qui a porté et porte différemment les quatre : 2 mésons pi négatif, un méson pi positif et un proton, quand le K neutre se décompose en deux mésons pi, négatif et positif.
Mais si, dans les choses de l’espace, le jeu ne nous est pas toujours évident, parce que sans doute nous y sommes trop habitués, (1) dans les choses du temps il s’impose de telle sorte qu’il n’est pas possible de concevoir un cycle temporel qui ne soit cette inversion interne des sens en même temps qu’une dialectique dédoublable, comme le contenu et le contenant d’autres cycles.
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(1) Pour exemples :
a) les 3 éléments du moteur : le cylindre, le piston et la soupape permettent le jeu du cycle à 4 temps : aspiration, compression, détente, échappement;
b) les 3 caractéristiques de la vis : pas de vis, filet, diamètre définissent les 2 mouvements dédoublés : circulaire (assemblage et desserrement) et rectiligne (pénétration et arrachement). Le pas varie avec le diamètre selon des lois précises : les filets sont triangulaires, carrés, trapézoïdaux ou ronds;
c) en optique, si j’utilise les 3 polariseurs : horizontal (1), vertical (2) et diagonal (3) dans cette localisation, ils font impasse (le rayon lumineux ne passe pas). Mais, localisés dans l’ordre : 1, 3, 2, ils laissent passer la totalité du rayon de lumière. Etc.
Jean-Charles Pichon 1982