IV
L’AGE DES DIEUX
Le tableau des concordances assigne pour origine aux religions du Lion le XIe millénaire, aux religions de la Vierge le XIIIe millénaire, selon le schéma :
Eveil des Poissons : 200 av. J.-C. — 200 ap. J.-C. ;
Eveil du Bélier : 2350-1950 av. J.-C. ;
Eveil du Taureau : 4500-4100 av. J.-C. ;
Eveil des Gémeaux : 6650-6250 av. J.-C. ;
Eveil du Cancer : 8800-8400 av. J.-C. ;
Eveil du Lion : 10950-10550 av. J.-C. ;
Eveil de la Vierge : 13100-12700 av. J.-C.
Dans les deux derniers cas, le Dieu, à travers toutes ses mutations, aurait donc vécu 12 000 ans — ou peut-être 12 900 ans, si l’on tient compte de la période « post-mortem » de nostalgie mythique : la Vierge, de 13100 à 1100 (ou 200 avant J.-C.) ; le Lion, de 10950 avant J.-C. jusqu’au royaume chrétien (ou jusqu’à notre temps). Or ces chiffres, 12000, 12900, me rappelaient plusieurs notations curieuses relevées au cours de mes lectures.
La première est d’Hérodote : « Les prêtres égyptiens m’affirmaient qu’aucun dieu n’était apparu sous la forme humaine depuis 11 340 ans. Mais ils m’enseignaient que, durant cette période, à quatre reprises, le soleil s’était levé en un point du ciel différent ».
Ce texte date du Ve siècle avant J.-C., et les 11 340 ans en question devaient être répartis, selon Manéthon (qui écrira deux siècles plus tard), en trente dynasties memphites et dix dynasties thinites (2 140 ans), plus 5 813 ans où les rois « mânes » auraient occupé le pouvoir jusqu’à la première dynastie « historique » de Manès, vers 4000 avant J.-C.
Les quatre « déplacements » du soleil au cours de cette période correspondraient alors aux quatre changements d’ère que notre tableau dénombre entre l’ère du Lion et l’ère des Poissons, soit :
Entrée dans le « champ » du Cancer : 9300 — éveil du dieu : 8800-8400.
Entrée dans le « champ » des Gémeaux : 7150 — éveil du dieu : 6650-6250.
Entrée dans le « champ » du Taureau : 5000 — éveil du dieu : 4500-4100.
Entrée dans le « champ » du Bélier : 2850 — éveil du dieu : 2350-1950.
Quant au « dieu vivant » dont les prêtres font mention (et duquel Manéthon date le début de l’histoire égyptienne), il aurait, selon cette chronologie, vécu au XIIe siècle millénaire, soit au temps du « royaume » de la Vierge et peu avant l’entrée dans le « champ » du Lion.
Au Ve siècle avant J.-C., le « champ » se modifie pour la cinquième fois, l’humanité entre dans l’ère des Poissons ; d’où, l’impatience des prêtres. En fait, 660 ans plus tard, au IIe siècle, douze mille ans seront accomplis et la nouvelle « grande année » pourra prendre son cours.
Platon
Ce thème de la Grande Année était également familier aux Grecs et aux Romains. Virgile, Apulée, connaissent l’expression. Jean E. Charon raille Cicéron d’avoir estimé précisément la Grande Année de Platon à 12 954 ans.
Or, cette estimation paraissait à certains esprits du Moyen Age assez précise, effectivement, pour être dangereuse. L’un des maîtres de Duns Scot, le franciscain anglais Guillaume (de Warre) dit Varron, grand pourfendeur des thèses de l’éternel retour, ne commettait à coup sûr aucune erreur involontaire lorsqu’il affirmait : « Platon… enseigne qu’au bout d’une grande année, toutes les choses qui existent maintenant reviendront dans le même ordre et qu’elles seront numériquement les mêmes ; en sorte qu’à l’époque où les planètes, au terme de cette grande année de 36 000 ans, reprendront leur disposition actuelle, nous nous retrouverons tous dans cette même école[1] ».
Extraordinaire, ce texte comporte au moins trois inexactitudes. 1° Le rythme de la Grande Année n’était pas lié au mouvement des planètes mais à celui des constellations ; 2° si les choses se retrouvent « numériquement » les mêmes, il n’est pas question que les mêmes élèves écoutent les mêmes maîtres dans les mêmes écoles au terme d’un cycle quelconque ; les Grecs comme les Chinois n’ont jamais cessé de faire la claire distinction entre les « nombres » et les « choses[2] » ; 3° le Nombre donné par Varron est faux[3].
Mais, justement, ce nombre : 36 000, ne représentant aucune réalité et n’offrant aucun sens, le franciscain pouvait sans danger le donner en pâture aux esprits avides d’anecdotes. Au contraire les 12 954 ans de Platon eussent risqué d’évoquer aux lecteurs de Guillaume de Warre, relativement instruits en science astrologique, le temps où le soleil se lève dans six « champs » différents (sur douze), c’est-à-dire le temps où la terre parcourt la moitié du zodiaque (à raison de 2 159 ans pour 30°, selon Pythagore).
Ils auraient pu alors se demander si cette grande année platonicienne ne représentait pas en fait le temps où notre planète demeure exposée — de près ou de loin — aux influences d’un « champ » donné, en partant de l’hypothèse que ces influences ne pourraient agir au-delà de la suppression de l’angle (180 degrés).
Pour étrange qu’elle semble, l’hypothèse était parfaitement conforme aux croyances de Platon et de son époque, à savoir qu’une moitié de la « 10ème sphère céleste » nous demeure toujours cachée (mais ce n’est jamais la même moitié). Les 26 000 ans plus ou moins qui accomplissent le cycle précessionnel représentaient ainsi le temps où toutes les constellations du zodiaque, l’une après l’autre, auraient pris la terre dans leurs « feux » ; et 13 000 ans plus ou moins, le temps où une constellation donnée se fût trouvée de « ce côté-ci » du ciel. Car ce ne peut être une coïncidence si les 12 954 ans de l’Année platonicienne représentent exactement la moitié du temps où, selon Pythagore, le circuit zodiacal est accompli : 2 159 X 12 = 25 908.
[1] GULIELMI VARRONIS, Quaestiones in libros sententiarum, Lib. II, dist. I, quaest. VII. Manuscrit 163 de la Bibliothèque municipale de Bordeaux.
[2] « De ce principe naît toute génération, toute transformation, toute forme, toute qualité, etc. Mais prendre ce principe pour la génération, la transformation, la forme, etc., c’est commettre une erreur. » (LIE TSEU, Le vrai classique du vide parfait.) — « Les choses ne sont que l’apparence des Nombres » (Hieros logos).
[3] CICERON, De la nature des dieux, II. — TACITE, Dialogue des orateurs, 16.
L’Avesta
Ces théories doivent faire sourire. Cependant, le sourire se crispe lorsqu’on sait que, bien avant Platon, deux théories analogues avaient été déjà longuement exposées, l’une en Iran, l’autre dans l’Inde, par des hommes — des prêtres — dont les croyances ne coïncidaient pas et dont rien ne prouve qu’ils connaissaient réciproquement leurs œuvres.
La première se trouve dans l’Avesta, livre attribué à Zoroastre mais dont seule la partie la plus ancienne, les Gathas, peut avoir été l’œuvre du prophète. Le système prétend recouvrir, en fait, l’histoire entière de l’humanité ; mais c’est là une prétention que nous avons déjà notée, au sujet de la Bible et des livres sacrés sumériens comme au sujet de L’Evangile Eternel et du Zohar, des légendes irlandaises, péruviennes ou mayas. Tous les grands inspirés ont tendu à confondre l’histoire de leur Dieu et l’histoire du monde.
Cette histoire, selon l’Avesta, s’étendrait sur douze millénaires, subdivisés en quatre périodes de trois mille ans. Dans la première période, Mazda crée le monde spirituel, « âge d’or » ou « royaume » de la religion solaire : le « mérok ». Dans le seconde période, le monde s’arrache au spirituel, il se « matérialise » ; alors, l’homme originel, Gayomart, règne sur la terre avec le taureau originel (taureau encore très « ouranien »), premier représentant du monde animal.
Dans un troisième temps, l’esprit du mal, Ahriman (représenté par un Serpent), s’introduit dans la création et tue l’homme et le taureau ; le mal envahit le monde et, pendant trois mille ans, Ormuzd et Ahriman se combattent.
Peu après le début de la quatrième période apparaît Zoroastre lui-même (Zarathoustra), chargé de détruire Ahriman ; le prophète échoie dans sa mission et le monde retombe en l’emprise des démons pour une période de mille années, au bout de laquelle un autre prophète doit surgir. A la fin du cycle (la fin des temps), Zoroastre, sous le nom de Saoshyant, renaîtra et triomphera du mal.
La remarque immédiate qu’appelle ce cycle est qu’il ne semble pas être la création de Zoroastre (quel prophète annonce son propre échec ?), mais celle des Mages mazdéistes, entre le Ve et le IIe siècles avant J.-C. Un premier schéma, zoroastrien, aurait couvert seulement neuf millénaires. Si l’on admet cette hypothèse (presque assurée depuis que le premier schéma a été reconstitué), le cycle en question serait l’œuvre du « second prophète », annoncé comme devant venir mille ans après Zoroastre, et ce dernier aurait vécu entre le XVe et le XIIe siècles avant J.-C.
Selon Hermodore le platonicien, la vie de Zarathoustra aurait été antérieure de 5 000 ans à la guerre de Troie ; selon Xanthos le Lydien, de 6 000 ans à Xercès ; selon Eudoxe et Aristote, de 6 000 ans à Platon. Les trois estimations concordent sensiblement et nous donnent pour dates extrêmes 6500-6300 avant J.-C. Il n’est pas question de les retenir. Mais on ne peut non plus négliger le fait que les Grecs des Ve et IVe siècles avant J.-C. reculaient aussi loin dans le temps l’existence du prophète mède. Ce fait suffit à ridiculiser les historiens qui, hier encore, dataient la naissance de Zoroastre de 600 ou de 700 avant J.-C. Aujourd’hui, on la recule (non sans discussions) jusqu’au Xe siècle ; il n’est pas impossible que, demain, on admette tout simplement les données du Livre Sacré.
Selon ces données, la Grande Année de l’Avesta peut se décomposer de la manière suivante :
Vers 10500 : Mazda crée le monde spirituel.
Le Mérok : 3000 ans.
Vers 7500 : l’homme « originel » Gayomart.
Le temps d’Ormuzd (solaire et ouranien) : 3000 ans.
Vers 4500 : Ahriman (le Serpent) intervient. Sacrifice du Taureau.
Vers 1500 : début de la quatrième période.
1500-1200 : Zoroastre naît.
500-200 : le « nouveau prophète » (mazdéiste).
Vers 1500 ap. J.-C. : Saoshyant, prophète des Temps Nouveaux ;
Mazda, le dieu-lumière, triomphe.
En certains points, ce schéma recoupe notre tableau de concordance, selon lequel :
1° L’éveil du Lion se situe entre 10950 et 10550 ;
2° L’éveil de la religion sacrificielle du Taureau se situe entre 4500 et 4100 et l’aurore de la première mue du Serpent, 2150 ans avant l’aurore de la première mue gémique, soit entre 4000 et 3700 ;
3° Le « royaume » bélique, où l’esprit du Bélier imprègne le monde, correspond à l’époque où Zoroastre « disciple d’Abraham » aurait vécu (1400-900) ;
4° Les derniers symboles solaires sont exhumés au XVe siècle de notre ère (dieu solaire des Incas, Aigle du Saint Empire, exil des Parsis, nostalgie de Krishna).
Cependant, en d’autres points, les deux schémas s’opposent : selon nos conclusions, l’avant-dernière mue du Lion aurait commencé vers 2400 avant J.-C. pour s’achever au IVe siècle avant J.-C. Puis, dans sa forme active, la dernière mue s’étend de 150 avant J.-C. (Mithridate) jusqu’aux IXe ou Xe siècles de notre ère. AU XIe siècle les rites solaires autres que nostalgiques auront disparu.
La grande année indienne
Or, la division en tranches de trois millénaires est une création originale des Mages perses, mais la durée de 12 000 ans pour l’ensemble de la Grande Année figure déjà dans la doctrine indienne de l’éternel retour. Telle qu’on la trouve dans le Rig-Véda, elle se présente sous l’aspect d’un « jour de Dieu », dont l’existence entière couvre des millions d’années.
Ce « jour » de 12 000 ans comporte quatre périodes : une de 4000 ans (le Krita-yuga), une de 3000 ans (le Trêta-yuga), une de 2000 ans (le Dvapara-yuga) et une de 1000 ans (le Kâli-yuga), séparées l’une de l’autre par des crépuscules et des aurores de plusieurs siècles, proportionnellement à la période donnée : 4 siècles pour 4 millénaires, 3 siècles pour 3 millénaires, etc.
A la lumière de ce nouveau schéma et selon nos propres concordances, le cycle zoroastrien deviendrait, en ce qui concerne le Lion :
Eveil : 10950-10550
Krita : 10550-6650
Crépuscule : 6550-6150
Aurore : 6150-5850
Trêta : 5850-2850
Crépuscule : 2850-2550
Aurore : 2550-2350
Dvapara : 2350-150
Crépuscule : 350-150
Aurore : 150-50 (av. J.-C.)
Kâli : 50-950 (ap. J.-C.)
Agonie : 950-1050
Et, en ce qui concerne la Vierge :
Eveil : 13100-12700
Krita : 12700-8700
Crépuscule : 8700-8300
Aurore : 8300-8000
Trêta : 8000-5000
Crépuscule : 5000-4700
Aurore : 4700-4500
Dvapara : 4500-2500
Crépuscule : 2500-2300
Aurore : 2300-2200
Kâli : 2200-2100
Agonie : 1200-1100
Pour les périodes étayées par des dates précises (Dvapara et Kâli du Lion ; Kâli de la Vierge), nous devons admettre que le cycle indien coïncide très précisément avec les données actuelles de l’histoire, à cette seule exception près qu’une nostalgie de plusieurs siècles vient s’ajouter aux douze mille ans du cycle.
Cette correspondance peut être confirmée :
1° par l’exemple du cycle cancérique, où les dates certaines (historiques) coïncident avec le schéma indien.
Première période :
Eveil : 8800-8400
Krita : 8400-4400
Crépuscule : 4400-4000
Deuxième période :
Aurore : 4000-3700
Trêta : 3700-700
Crépuscule : 700-400
Troisième période :
Aurore : 400-200
Dvapara: 200 av. J.-C. – 1800 ap. J.-C.
Crépuscule : 1800-2000
2° par l’exemple du cycle gémique, où toutes les dates coïncident :
Première période :
Eveil : 6650-6250
Krita : 6250-2250
Crépuscule : 2250-1850
Deuxième période :
Aurore : 1850-1550
Trêta : 1550 av. J.-C. – 1450 ap. J.-C.
Crépuscule : 1450-1750
Troisième période :
Aurore : 1750-1950
3° et par l’exemple du cycle taurique, restreint à la période vécue :
Première période :
Eveil : 4500-4100
Krita : 4100-100
Crépuscule : 100 av. J.-C. – 300 ap. J.-C.
Deuxième période :
Aurore : 300-600
Trêta : 600- (3600).
La dégénérescence
En outre, la dégradation croissante indiquée par les noms indiens : Krita, Trêta, Dvapara, Kâli, illustre parfaitement l’évolution des mythes au cours de leurs mutations successives (pour les périodes que nous pouvons connaître).
Elle nous mène en effet d’une mue créatrice, civilisatrice (les Achéens, les Musulmans) à une mue réaliste, symbolique et socialisante (institution de la royauté : le Lion, de l’Empire : le Cancer, de la Démocratie : les Gémeaux), pour aboutir à l’âge de mort où le Mythe se détruit lui-même en tentant de détruire le monde (Hittites, Huns et « Barbares », Kâli du Cancer demain).
Sur le plan historique, cette dégénérescence semblerait correspondre à un éparpillement croissant du mythe originel, que l’on constate en effet à chaque mue nouvelle de la divinité.
La première mue se présente comme un syncrétisme entre trois religions au maximum. En notre VIe siècle, par exemple, la Vierge et les dieux antérieurs ont disparu ; le Lion est près de sa fin ; les Poissons n’ont pas encore établi leur « royaume » ni formulé pleinement l’esprit qui les anime. C’est donc à partir du Cancer (la Pierre Noire, le Croissant) et du Bélier (la Bible) que l’Islam, première mue du Taureau, va se constituer. Autre exemple : au XVIe siècle avant J.-C., la première mue des Gémeaux (achéenne ou pré-maya) a le choix entre le Lion (les lionnes de la porte de Mycènes ou le puma) et le Taureau, sous sa forme héroïque : Héraklès, ou onirique : Dionysos.
A l’origine de la seconde mue, le panthéon universel offre un choix identique, mais s’y ajoutent les vestiges de la première mue. Le Lion, ainsi, vers 2400 avant J.-C., a le choix entre le Taureau, alors dans sa puissance, et les Gémeaux, tout près de leur premier crépuscule ; mais s’y ajoutent les syncrétismes antérieurs de la première mue solaire (mythes ouraniens et cancériques). D’où, le panthéon akkadien : dieux de l’orage, taureaux ailés (gémiques), dieu du soleil (Shamash), symboles solaires (le cheval, le lion) et cancériques (la déesse Ishtar)…
En sa troisième et dernière mue, la religion cosmique a fait le tour de toutes ses possibilités et n’en exclut aucune. Le panthéon hittite (dernière mue de la Vierge) recevait les dieux de tous les pays conquis ; à Cnossos, se retrouvent la double hache ouranienne, la déesse-vierge, la déesse-mère aux serpents, les symboles gémiques, le taureau Minotaure… Aux premiers siècles de notre ère, les Parthes adoraient à la fois les dieux solaires dans leur période kâli : Mazda, Mithra ; gémiques (Ormuzd et Ahriman) ; tauriques (le taurobole) ; béliques (l’esprit zoroastrien) et ne demandaient qu’à reconnaître le dieu-poisson, comme on le vit quand ils voulurent déclarer la guerre à Rome, à l’annonce de la mort infamante de Néron.
Sympathies et antipathies
Il peut surprendre que ni le panthéon mycénien ne s’ouvre aux mythes du Cancer, ni le syncrétisme islamique aux Gémeaux, car au XVIe siècle avant J.-C. le Serpent est honoré par toute la terre et, au VIe siècle de notre ère, les Gémeaux jouissent d’une sympathie universelle.
Mais, en effet, la haine que se vouent l’une à l’autre deux religions successives apparaît comme une loi de l’éternel retour. On sait le mépris que les prêtres de Jérusalem montraient pour le Christ et pour ses apôtres ; plus tard, ce mépris tournera en violence. De Saint Jacques et de Saint Etienne jusqu’à Saint Jean, de nombreux disciples seront suppliciés, lapidés ou emprisonnés. Saint Paul déclare que cinq fois il a reçu des juifs quarante coups de fouet moins un et que trois fois il fut battu de verges[1] ; Saint Pierre est battu de même. Plusieurs fois, les Actes des Apôtres font état de persécutions que les nouveaux croyants subissent des juifs[2].
Dans le même temps, le Talmud accueillait cent calomnies contre Yeshou le nazirien, appelé parfois Ben Pandera, bâtard d’un soldat romain, et l’on peut supposer que ces railleries blessaient les chrétiens autant que des coups de fouet ou de verge[3].
Nous savons également quelle revanche sanglante l’Eglise du Christ triomphante a prise sur le peuple du Bélier. Dès le XIIIe siècle, c’est par centaines de milliers que doivent se compter les juifs persécutés ou tués sans autre forme de procès. Les procès vinrent plus tard, avec l’Inquisition ; mais, dans les fêtes populaires (à Sienne, à Rome, à Venise, en Grèce, dans le midi de la France, en Allemagne, en Angleterre) il n’y avait pas besoin d’un article de loi pour lapider ou rouer de coups les malheureux juifs perdus au milieu d’une foule.
Cette hostilité véhémente, nous la retrouvons dans toutes les religions antérieures. Au début de l’histoire d’Israël, le clan d’Abraham a dû fuir Our, la ville du Taureau, et Abraham lui-même ne cache pas son mépris pour les Babyloniens (les hommes de Babel). Tous les prophètes, de David à Ezéchiel, expriment la même horreur pour les adorateurs de Ba’alit, de Baal, de Bêl-Mardouk, et ce sont bien des adorateurs de ce Dieu (le Veau d’Or) que Moïse massacre à son retour du Sinaï. Plus tard quand, en même temps que les béliers de l’Holocauste et de l’Installation, on sacrifia un taureau à Yahvé, il fut dit « taureau du péché », pour qu’aucune confusion ne fût permise.
La Genèse fait mention, symboliquement, de plusieurs mythes antérieurs : le Serpent, gardien de l’Arbre du Savoir, ou les Frères, Abel et Caïn, s’entretuant. Seul, le Taureau est passé sous silence, comme s’il n’avait jamais existé. A l’inverse, la Babylone de Nabuchodonosor fera une place au Lion, à la déesse Ishtar, etc., mais le Bélier sera exclu du panthéon.
C’est le Taureau qui tue le plus faible des Gémeaux : Iphiclès ou Castor. Ce sont les Gémeaux (ou leur symbole, l’oiseau) qui détruisent le Serpent : le grec Héraklès, le maya Huhnapu, l’oiseau indien Garuna ou l’égyptien Osiris (dont le jumeau et l’adversaire, Seth, est alors pris lui-même pour un dieu de la pluie, cancérique). Et ce sont des Serpents qui noircissent la queue du « cheval Indra », qui blessent le dieu solaire Ré, qui empoisonnent lentement le géant Loki.
L’hostilité est réciproque : sur toute la terre, au même moment, le Serpent tente de vaincre les Gémeaux. Les Seigneurs Infernaux Camé s’attaquent aux frères du Popol Vuh ; des reptiles cachés dans le berceau d’Héraklès et d’Iphiclès menacent leurs vies ; Seth dépèce Osiris. Et, de même, précédemment, des dieux solaires avaient tenté de vaincre des monstres reptiliens (Indra, Odin ou Ré), tandis que le prophète de Mazda, Zoroastre, identifie le serpent Ahriman au Mal.
Le Serpent a survécu aux attaques solaires ; les Gémeaux survivront à l’attaque du Serpent, et, plus tard, le Taureau aux attaques des Gémeaux. Il arrive même que le Père pardonne au Fils : la Vierge Vinâta venge Indra, Arunna cherche Télépinou, Isis sauve Ré ; le Cancer chinois s’incarne en la figure gémique du Yin et du Yang ; les Gémeaux achéens respectent Héra au mufle de vache, Zeus le bovin, Dionysos ; enfin, le Croissant musulman honore les patriarches comme des prophètes.
Au contraire, le Fils ne pardonne jamais au Père. Le Lion est absent de tous les panthéons cancériques (aztèques, chinois) ; le Cancer, des panthéons gémiques (et, quand la déesse-mère paraît à Rome, le figuier des Jumeaux y dessèche). L’Islam refuse le simulacre gémique, etc. On ne voit que dans l’hérésie les Poissons pactiser avec Yahvé (le protestantisme), le Bélier avec Mardouk-Bâl (les Samaritains), le Taureau avec le Gishzida gémique (Goudéa).
La croyance au rythme complexe des « grandes années » ne fut donc pas seulement indienne ou platonicienne. Les survivances mythiques attestent que de nombreux peuples en tenaient compte dans leurs figures et leurs calculs astrologiques. Les textes également. C’est ainsi qu’aux IIIe IIe et Ier siècles avant J.-C., où l’astrologie fit l’objet d’études passionnées en Chine et au Mexique, en Egypte, en Perse, à Rome, etc., ces sympathies et ces antipathies entre les Signes furent consignées dans des tableaux considérés comme « scientifiques », puisqu’ils étaient basés sur l’observation.
Exemple :
En d’autres tableaux, les Signes s’accordaient deux à deux, comme « complémentaires » : les Gémeaux et les Poissons, le Lion et le Taureau ; ou, au contraire, devaient s’exclure l’un l’autre comme présentant de trop grandes analogies : le Cancer et les Poissons, tous deux « signes d’eau » et féminins, le Lion et le Bélier, tous deux « signes de feu » et virils[4].
Appliquant ces règles à l’Histoire, on ne peut qu’être frappé par leur exactitude. Les Poissons, en effet, tolèrent les Gémeaux (complémentaires). Nous avons vu l’Egypte aux mythes gémiques favoriser le dieu nouveau (Sérapis) et ces états gémiques que furent la Grèce, Rome, la Chine du Yin et du Yang accueillir le Christ et le Bouddha ; réciproquement, des bouddhistes recueillir les jumeaux Açvins, les premiers chrétiens admettre le culte de Castor et Pollux ; et même la création gémique par excellence, la dialectique, renaître au cœur de la chrétienté moyenâgeuse[5]. La notion du bien et du mal évangélique, puis la contradiction manichéenne et scolastique (libre arbitre-déterminisme) préparaient ainsi Kant, Hegel et, très directement, le renouveau gémique que fut, au siècle dernier, le socialisme marxiste (où les termes de la contradiction devinrent l’Utile et le Nuisible, le Bon et le Mauvais).
Au contraire, les Poissons craignent l’esprit taurique (féminin comme le leur), méprisent l’esprit bélique (qui les précède) et ont fait du Serpent le symbole même du Mal (répulsion par analogie).
Précédemment, le Bélier obéit au même rythme d’affinités et de répulsions. Il tolère le Cancer (le Serpent d’Airain biblique), son « complément ». Mais il redoute l’esprit gémique, méprise l’esprit taurique et se tient à l’écart de tous les mythes solaires.
Plus haut dans le temps ? Le Taureau tolère le Lion (et le Soleil, Shamash) ; mais il craint l’esprit cancérique — Gilgamesh combat le serpent, Mardouk détruit Tiamat — ; il méprise l’esprit gémique et se tient à l’écart des cultes de la Vierge.
Ces tableaux expliquaient tout, sauf un détail : l’amitié que le Taureau montrait pour le Scorpion (le gardien du Soleil), le Bélier pour la Balance (la notion d’Exactitude) et que les Poissons montreraient pour la Vierge, bien que ces Signes fussent deux à deux analogiques (sinon sur le plan des éléments).
[1] IIe Epître aux Corinthiens.
[2] Actes des Apôtres, VIII, I ; XII, I.
[3] La Mishna date des Ier et IIe siècles ; augmentée de la Gemara de Jérusalem, elle est datée du IVe siècle, et du Ve sous le nom de Talmud de Babylone.
[4] Parmi les innombrables ouvrages qui traitent de ces « sympathies » et « antipathies » astrales, il faut citer le Corpus Hermeticum, les Apotélesmatika, attribués à MANETHON, la Mathesis de FIRMICUS MATERNUS, et, naturellement, le Liber Hermetis Trismegisti latin, très postérieur (VIe siècle ?). En Chine, nous aurons le Yao-Tien, le Yi King, le Li Ki, etc.
[5] En ces mêmes XIIe et XIIIe siècles, une dialectique analogue à la scolastique créera, au cours du bouddhisme, les deux courants du « Noir » (Krishna) et du « Charmant » (Râma), qui se fondront dans le « Système » gémique (Tantra) au XIVe siècle.
L’axe mystique
Or, si l’on admet que la Grande Année représente sensiblement la moitié du zodiaque (12 000 ans de mues successives, plus 900 ans de nostalgie), il s’ensuit que deux « grandes années » en feront le tout complet, selon l’enchaînement :
Vierge et Poissons
Lion et Verseau
Cancer et Capricorne
Gémeaux et Sagittaire
Taureau et Scorpion
Bélier et Balance
Les astrologues inventèrent donc, pour justifier l’entente paradoxale, l’expression « axe mystique », qui est encore, sous diverses formes, utilisée de nos jours[1].
Ici encore, les « esprits forts » du XXe siècle peuvent sourire. Il reste que cette expression et la croyance qu’elle exprime éclairent un certain nombre d’anomalies ou d’étrangetés relevées au cours de notre étude. La mystérieuse phrase des Templiers : « Notre-Dame (la Vierge) fut au commencement de notre religion et en elle et en l’honneur d’elle, s’il plaît à Dieu, sera la fin de notre religion » devient en clair : « Nous savons et reconnaissons qu’avant la Grande Année des Poissons fut une Grande Année de la Vierge, et nous espérons qu’après le cycle des Poissons (Dieu nous épargnant le cataclysme final) la Vierge renaîtra pour un autre cycle ».
De même s’expliqueraient, non moins ésotériques, les vers mille fois commentés de Virgile : « Voici que revient la Vierge, le grand rythme des siècles va recommencer et la grande année reprendre son cours » (IVe Eglogue). Mais on voit bien la double erreur que commettent le Poète et l’Ordre. Pour Virgile, le début de l’âge nouveau (des Poissons) se confond avec un recommencement de la Vierge, que les Poissons continuent. Pour les Templiers, il n’existe rien que l’axe mystique — Vierge-Poissons-Vierge, à l’exclusion de tous les autres.
Ces croyances, également, expliquent la « chronologie » de Zoroastre, selon laquelle la Religion (solaire) devait s’achever vers le temps de l’âge du Verseau[2]. Elles expliquent les traces permanentes du Sagittaire dans les Gémeaux (centaures de la mythologie grecque, mention de la sarbacane dans le Popol Vuh), ainsi que les traces du Scorpion dans le Taureau (massue du roi Scorpion dans l’Egypte taurique, légende des hommes-scorpions dans la Genèse sumérienne).
Elles éclairent enfin sous un nouveau jour la doctrine du péché originel et de la perte de l’Eden, commune aux religions du Bélier (Adam et Eve dans la Bible, la boîte de Pandore dans la mythologie). En fait, nous ignorons tout de la Grande Année de la Balance, achevée peu avant que s’ouvre celle du Bélier et qui ne renaîtra que dans huit mille ans ; cependant, le signe astrologique évoque l’équilibre, la paix, la justice rayonnante et l’on peut penser que les Sémites du IIIe millénaire avant J.-C. avaient gardé de leurs dieux disparus (les El ouraniens) une ardente nostalgie, dont les premiers versets de la Genèse se feraient l’écho.
Il n’est pas excessif de voir dans le culte de la Justice et de l’Exactitude, tel que l’expriment la Bible, l’Avesta, les œuvres des Brahmes et de Confucius, la légende d’Ulysse enfin, un équivalent du culte de la Vierge dans la religion chrétienne et dans le bouddhisme chinois. C’est que la Balance et la Vierge correspondent à des signes d’ordre et d’harmonie, alors que le Bélier et les Poissons correspondent à des signes de chaos et de trouble.
Au contraire, le Taureau est un signe de force et de création, le Scorpion un signe de nuit. Aussi ne trouverait-on aucune nostalgie d’un Eden disparu dans les religions sumériennes (la nostalgie naîtra plus tard, après la sortie du « royaume » taurique). Mais, au contraire, l’homme du Scorpion vit à l’intérieur des montagnes (légende de Shamash), alors que l’homme du Taureau est l’habitant du Tell, éminence naturelle, et le prêtre celui du Ziggourat, éminence artificielle : l’homme qui vit sur la montagne. Encore imprégnés de cet esprit, c’est de même au sommet de la montagne (Sinaï, Hébron) que les premiers prophètes du Bélier rencontreront leur Dieu.
[1] « Un Vierge et un Poissons, c’est l’impossible compréhension et l’aversion irrémédiable de deux univers incommunicables ; et pourtant leur unité serait un accomplissement transcendant » (La Vierge, collection « Le Zodiaque », Ed. du Seuil).
[2] Selon les hindouistes, le 10e avatar de Vichnou (le dieu du Verseau) viendra monté sur un cheval blanc (symbole solaire).
L’axe mystique
Or, si l’on admet que la Grande Année représente sensiblement la moitié du zodiaque (12 000 ans de mues successives, plus 900 ans de nostalgie), il s’ensuit que deux « grandes années » en feront le tout complet, selon l’enchaînement :
Vierge et Poissons
Lion et Verseau
Cancer et Capricorne
Gémeaux et Sagittaire
Taureau et Scorpion
Bélier et Balance
Les astrologues inventèrent donc, pour justifier l’entente paradoxale, l’expression « axe mystique », qui est encore, sous diverses formes, utilisée de nos jours[1].
Ici encore, les « esprits forts » du XXe siècle peuvent sourire. Il reste que cette expression et la croyance qu’elle exprime éclairent un certain nombre d’anomalies ou d’étrangetés relevées au cours de notre étude. La mystérieuse phrase des Templiers : « Notre-Dame (la Vierge) fut au commencement de notre religion et en elle et en l’honneur d’elle, s’il plaît à Dieu, sera la fin de notre religion » devient en clair : « Nous savons et reconnaissons qu’avant la Grande Année des Poissons fut une Grande Année de la Vierge, et nous espérons qu’après le cycle des Poissons (Dieu nous épargnant le cataclysme final) la Vierge renaîtra pour un autre cycle ».
De même s’expliqueraient, non moins ésotériques, les vers mille fois commentés de Virgile : « Voici que revient la Vierge, le grand rythme des siècles va recommencer et la grande année reprendre son cours » (IVe Eglogue). Mais on voit bien la double erreur que commettent le Poète et l’Ordre. Pour Virgile, le début de l’âge nouveau (des Poissons) se confond avec un recommencement de la Vierge, que les Poissons continuent. Pour les Templiers, il n’existe rien que l’axe mystique — Vierge-Poissons-Vierge, à l’exclusion de tous les autres.
Ces croyances, également, expliquent la « chronologie » de Zoroastre, selon laquelle la Religion (solaire) devait s’achever vers le temps de l’âge du Verseau[2]. Elles expliquent les traces permanentes du Sagittaire dans les Gémeaux (centaures de la mythologie grecque, mention de la sarbacane dans le Popol Vuh), ainsi que les traces du Scorpion dans le Taureau (massue du roi Scorpion dans l’Egypte taurique, légende des hommes-scorpions dans la Genèse sumérienne).
Elles éclairent enfin sous un nouveau jour la doctrine du péché originel et de la perte de l’Eden, commune aux religions du Bélier (Adam et Eve dans la Bible, la boîte de Pandore dans la mythologie). En fait, nous ignorons tout de la Grande Année de la Balance, achevée peu avant que s’ouvre celle du Bélier et qui ne renaîtra que dans huit mille ans ; cependant, le signe astrologique évoque l’équilibre, la paix, la justice rayonnante et l’on peut penser que les Sémites du IIIe millénaire avant J.-C. avaient gardé de leurs dieux disparus (les El ouraniens) une ardente nostalgie, dont les premiers versets de la Genèse se feraient l’écho.
Il n’est pas excessif de voir dans le culte de la Justice et de l’Exactitude, tel que l’expriment la Bible, l’Avesta, les œuvres des Brahmes et de Confucius, la légende d’Ulysse enfin, un équivalent du culte de la Vierge dans la religion chrétienne et dans le bouddhisme chinois. C’est que la Balance et la Vierge correspondent à des signes d’ordre et d’harmonie, alors que le Bélier et les Poissons correspondent à des signes de chaos et de trouble.
Au contraire, le Taureau est un signe de force et de création, le Scorpion un signe de nuit. Aussi ne trouverait-on aucune nostalgie d’un Eden disparu dans les religions sumériennes (la nostalgie naîtra plus tard, après la sortie du « royaume » taurique). Mais, au contraire, l’homme du Scorpion vit à l’intérieur des montagnes (légende de Shamash), alors que l’homme du Taureau est l’habitant du Tell, éminence naturelle, et le prêtre celui du Ziggourat, éminence artificielle : l’homme qui vit sur la montagne. Encore imprégnés de cet esprit, c’est de même au sommet de la montagne (Sinaï, Hébron) que les premiers prophètes du Bélier rencontreront leur Dieu.
[1] « Un Vierge et un Poissons, c’est l’impossible compréhension et l’aversion irrémédiable de deux univers incommunicables ; et pourtant leur unité serait un accomplissement transcendant » (La Vierge, collection « Le Zodiaque », Ed. du Seuil).
[2] Selon les hindouistes, le 10e avatar de Vichnou (le dieu du Verseau) viendra monté sur un cheval blanc (symbole solaire).
Une loi de « la chute des dieux » ?
Egyptiens, pythagoriciens, zoroastriens, Indiens, Chinois, Romains d’accord pour lier l’histoire des religions (et l’Histoire même, qui en découle) aux cycles de l’éternel retour ? Cela dérange à coup sûr nos habituelles pensées. On n’ose imaginer cependant que le plus assuré des matérialistes puisse croire en toute bonne foi que sa science — vieille d’un siècle — démente une certitude plusieurs fois millénaire. Alors ? Le plus honnête ne serait-il pas d’admettre qu’ici « quelque chose » nous échappe, et de la constater à défaut de le comprendre ?
Mais, justement, l’esprit ne renonce pas à comprendre ; on conçoit que Platon, Ovide (et d’autres) aient préféré de mauvaises explications à point d’explication du tout ; et l’on peut supposer que, si nos contemporains en revenaient un jour à l’antique croyance, il leur faudrait l’expliquer de même.
J’avancerai cette hypothèse : ne serions-nous pas en présence de l’application d’un principe de « vieillissement » ou de « décélération » inconnu comparable au principe d’accélération découvert par Galilée en 1633, lorsqu’il constata que « si on prend un quelconque nombre de fractions de temps égales à partir du premier instant où le corps quitta la position de repos pour commencer sa chute, la vitesse atteinte pendant la première et la deuxième fractions de temps prises ensemble sera le double de celle que le corps aura atteinte pendant la première fraction de temps ; la vitesse atteinte en trois fractions de temps sera le triple, en quatre fractions elle sera le quadruple de celle que le corps avait atteinte au terme de la première fraction de temps[1]… ».
On sait que cette loi lui avait été suggérée lorsqu’il avait dix-neuf ans, par l’observation de l’oscillation d’un lustre dans la cathédrale de Pise. Mais ce fut seulement dix-neuf ans plus tard qu’il put réaliser les expériences nécessaires, à partir du roulement d’une bille dans une rainure de bois. « Il mesura le temps que mettait la bille à parcourir une longueur connue en recueillant et en pesant l’eau qui, durant la chute, s’écoulait par un robinet à jet constant. Il trouva ainsi que, lorsque le poids d’eau écoulée devenait double ou triple, la distance parcourue était quatre ou neuf fois plus grande[2]. » Quel que soit le poids du corps, la formule demeurait identique ; elle avait donc valeur de loi (dite « de la chute des corps ») : les espaces parcourus sont proportionnels aux carrés des temps.
Débarrassée de son appareil mystique (éveil, aurore, crépuscule, agonie), la loi de vieillissement des Dieux exprimée par le Rig-Véda se présente sous une forme analogue (inverse). A un premier temps de 4800 ans (400 + 4000 + 400) succède une mue de 3600 ans (300 + 3000 + 300), puis une deuxième de 2400 ans et une troisième de 1200 ans. Soit, en prenant ce dernier nombre pour unité : U = 1200, la formule simple :
4U + 3U + 2U + U.
Or, il se trouve que 1200 ans plus ou moins représentent l’unité de temps cosmique pour les peuples les plus divers (dès qu’ils admettent le calendrier de 12 mois à 30 jours) : c’est la petite « Grande Année » des Romains, les 1260 ans de Joachim de Flore, les 1260 « jours » de l’Apocalypse[3].
Pure coïncidence ? Fantaisie sans support ? Peut-être. L’analogie ne saurait être un argument : l’observation, point davantage. La formule de Galilée n’était pas « fausse » — et nul n’a le droit de prétendre que la formule indienne le soit — mais elle demeurait inintelligible, faute d’un « système » qui la contînt et l’expliquât.
L’observation la plus précise, la plus minutieuse, déconcerte. Au contraire, fût-elle audacieuse, pénétrante, l’intuition ne résout aucun problème. Vers le temps où Galilée jouait avec ses billes, Huygens, physicien et géomètre, ressentait la nécessité d’une « attraction » cosmique, qui eût régi tout l’univers. Mais la formule née de l’observation et l’hypothèse née de l’intuition exigeaient une synthèse qui confirmât celle-ci et justifiât celle-là. Pourquoi la chute des corps obéit-elle à la formule ? Comment les corps célestes s’attireraient l’un l’autre ?
En une seule équation, Newton, se basant sur les lois de Kepler, résolut les deux énigmes : dans l’univers entier, tous les corps s’attirent proportionnellement à leurs masses et en rapport inverse du carré de leurs distances.
On remarquera qu’en se généralisant, la formule de Galilée devient une loi statique. Galilée étudiait les corps en mouvement ; Newton les caractérise en leur « état » et dans leur « position ». D’autre part, ce dernier remplace deux masses incomparables (une bille et la planète) par des masses comparables : les corps célestes.
Les deux principes ne se détruisent pas : ils se complètent. Encore un pas — quelques siècles — et les notions nouvelles de vitesse (rapport espace-temps) et d’énergie (rapport entre la masse et la vitesse) permettraient l’élaboration d’une troisième formule, qui ne contredirait pas non plus les deux premières, bien qu’on en puisse déduire de tout autres conséquences !
Malheureusement, en ce qui concerne notre problème, nous en sommes à peine au point d’étudier les mythes en mouvement, leur histoire, et le rapport de ces « masses » incomparables : le cosmos et l’homme. Aussi n’est-ce pas demain que naîtra l’Einstein de l’éternel retour, quand l’univers mythique, en possession de son Galilée depuis trois millénaires, attend encore son Newton.
[1] G. GALILEI, Entretiens et démonstrations mathématiques à propos de deux nouvelles sciences, Florence, 1890.
[2] FERNAND LOT, Les jeux du hasard et du génie, Plon, 1956.
[3] 1200 ans représentant 12 siècles, comme l’année 12 mois ; 1260 ans représentent 42 « générations » de 30 ans. L’écart n’est ici que de 60 ans, mais cette incertitude troubla tout l’Occident chrétien de la fin du XIIIe siècle à la fin du XVe. Différemment, les 18 mois de leur année inspiraient aux Mayas une « grande année » de 936 ans (18 « siècles » de 52 ans), cependant que leurs mois de 20 jours donnaient aux Aztèques une unité U égale à 1040 ans (20 « générations » de 52 ans). L’écart entre les deux nombres (104 ans) représente le « siècle vénusien » ; il explique la nécessité, dans la dernière période du cycle, de prévoir et d’orchestrer tous les 52 ans une possible « fin de monde ».
Jean-Charles Pichon 1963