LE XXIe SIÈCLE
L’hypothèse d’un flux et d’un reflux cosmique présente un avantage : elle nous permet de nous arracher à l’abstraction du Nombre, d’humaniser l’évolution des Mythes, dont elle fait comprendre l’interdépendance. Par suite, elle rassure l’esprit contemporain, qui admet l’existence d’un rythme alternatif à tous les échelons de la création (des charges électroniques des composants de l’atome à l’éternel retour des planètes liées aux cycles elliptiques), mais qui refuserait un « cadre » temporel nécessairement abstrait.
Sitôt que rassuré, l’esprit aime prévoir. La première réaction qu’ont suscitée mes recherches fut toujours l’incrédulité : ce serait invraisemblable! La seconde fut la curiosité : qu’arrivera-t-il demain ? Pourriez-vous le prédire ?
Les mythes survivants
D’une certaine manière. Il est vrai que des tableaux comme ceux qui précèdent, établis sur la base de plusieurs millénaires, entraînent nécessairement la possibilité de poursuivre dans l’avenir les concordances obtenues. Il ne s’agit pas là de « prédictions » au sens qu’on donne habituellement au mot, mais de simples prévisions mathématiques, desquelles on ne doit pas attendre plus que des schémas.
Un tableau général des concordances fait apparaître ainsi des « lignes d’avenir » qui surprendront seulement quelques esprits, et d’autres qui demanderont sans doute que nous révisions la plupart de nos conceptions.
Trois grands Mythes seulement demeurent « actifs » à notre époque : les Poissons (catholicisme, protestantisme, orthodoxie, bouddhisme, lamaïsme, caodaïsme…), le Taureau (Islam, hindouisme, hiérophanies africaines et australiennes : rites du bull-roarer, etc.) et le Bélier (la religion juive). C’est l’indice le plus bas de rayonnement cosmique. Pour trouver son équivalent, il faut en revenir au 2ème siècle avant J.-C., où les trois Mythes « vivants » étaient le Bélier (Juifs, servants du Bel gaulois, confucianistes, zoroastriens), les Gémeaux (Grèce, empire maya, majorité des Chinois…) et le Taureau (les chaldéens). Encore aucun de ces trois Mythes n’est-il en mesure de combattre le matérialisme universel; sauf, peut-être, les cultes gémiques au 3ème siècle avant J.-C., l’hindouisme et l’islamisme de nos jours – ou, plutôt, hier.
En effet, cette période a commencé de s’achever pour nous dès le lendemain de la dernière guerre : le rationalisme typique de l’homme totalement libre, le « libre penseur », est déjà révolu. Le temps s’approche où le mot ne comportera plus qu’un sens péjoratif et insultant.
La période matérialiste aura duré de 1800 à 1950 environ, recouvrant la période macédonienne et hellénistique (350-200 avant J.-C.). Néanmoins, l’avènement de Houang-Ti en Chine et celui de Caton à Rome ne furent pas marqués par la renaissance ou la naissance d’une mystique bouleversante. Bien au contraire! Et ce n’est pas demain qu’un Dieu possessif s’imposera ici ou là. Mais, déjà, de faibles courants, inexistants hier, s’imposent lentement; des martyrs se proposent (chez les Ba’his); des fois nouvelles se présentent (aux U.S.A.). Surtout, des peuples naissent ou renaissent (Indiens en Amérique du Sud, Noirs en Afrique, peuples d’Asie Centrale), que la Tolérance et l’Humanisme protègent et secondent dans leurs efforts. Or, la naissance d’un peuple ne va pas sans la création de nouveaux mythes.
Dans cette vision universelle seulement peuvent être comprises les prévisions chronologiques auxquelles nous avons abouti.
1° Le mythe du Cancer a commencé d’achever sa seconde mue à partir du 18ème siècle. Le crépuscule où nous le voyons s’achèvera vers 2000. Alors commencera l’éveil de sa troisième mue. Une nouvelle et dernière religion du Cancer naîtra au cours du siècle prochain [21ème] (probablement en Chine) et durera jusque vers 3100-3200.
2° La première mue des Gémeaux (gréco-romaine en Europe, maya en Amérique du Sud) a pris fin au 15ème siècle; après une nuit de trois siècles, nous assistons à l’éveil d’une deuxième mue, qui doit aboutir, en ces années même, à la naissance d’une religion syncrétique (sans doute en Amérique du Nord).
3° L’aurore de la première mue taurique (Islam et hindouisme) s’est étendue sur trois siècles, du 4ème au 7ème. Cette mue prendra fin par un crépuscule de trois siècles, entre le 37ème et le 40ème siècles.
4° La religion juive entrera dans son premier crépuscule au 21ème siècle. Ce crépuscule durera jusqu’au 25ème siècle, où s’amorcera l’aurore de la première mue.
5° Les religions des Poissons se maintiendront – dans l’exil et la persécution – jusqu’au début du 5ème millénaire, époque où s’amorcera leur premier crépuscule.
La destruction de leurs Temples est à dater du 22ème siècle, et leur exode du 23ème. Un retour aux sources (christianisme primitif et nouveaux saints, petites communautés de moines bouddhistes en Orient) pourrait maintenir les religions condamnées dans une paix relative jusqu’au 4ème millénaire. Selon Nostradamus, les grandes persécutions sont à dater de 3400-3600 (à la fin du « royaume » du Verseau).
6° Le mythe du Verseau commence actuellement son éveil. Ses prophètes apparaîtront vers 2150-2200 au plus tôt.
La seconde mue des Gémeaux
La seconde mue du Lion s’étend approximativement de Sargon 1er (vers 2400) jusqu’à la fin du royaume perse, au 4ème siècle avant J.-C. et semble s’être appuyée sur des royaumes combattants (Akkadiens, Elamites, Indo-européens, Celtes et Perses). Quand l’un s’effondre, l’autre croît ou naît. De même, la seconde mue du Cancer (du second siècle avant J.-C. au 18ème siècle de notre ère) s’appuie sur des empires guerriers (Rome, Chine des Han, Saint-Empire germanique, Espagne, Aztèques et Incas).
Ce sont, tous, des empires ou des Etats essentiellement matérialistes, pour lesquels la conquête et la domination (parfois dite « civilisatrice », comme chez les Perses ou les Romains) comptent beaucoup plus que la religion : le Lion pour les uns, et pour les autres la Déesse-Mère, le Globe ou le Serpent sont des drapeaux, des motifs d’art ou de décoration plutôt que des entités mystiques. Avec la même indifférence, Ninive reçoit le Taureau parmi ses dieux, Darius accueille l’esprit bélique, Rome fait sa place à Mithra, l’Inca tolère la survie du dieu-poisson, dès l’instant que les Lois de l’Etat sont sauvegardées.
Les problèmes des « seconds mutants » : du Lion (Akkadiens ou Elamites vers 2300 avant J.-C.) et du Cancer (Chinois ou Romains du 2ème siècle avant J.-C.) sont rien moins que mystiques. Les premiers repensaient la notion de Roi et cherchaient un alliage nouveau; les seconds préparaient l’Empire et rêvaient de dompter l’océan. Ni la Royauté ni le Fer n’annonçaient l’esprit de Justice, qui allait être la vraie création du Bélier, ni l’Empire ou les expéditions maritimes ne porteraient le pressentiment de l’esprit de Charité, qui allait être l’œuvre du Christ et du Bouddha.
C’est pourquoi je me suis refusé à traiter avec sérieux les rêves de notre époque – et notamment tous ceux qui bouillonnent aujourd’hui autour des mythes de la Conquête de l’Espace et de la Connaissance du Monde. Ni l’Astronautique ni le nouvel Hermétisme ne seront capables de résoudre les grands problèmes de l’heure, parmi lesquels la dépréciation de la Famille (crépuscule proche du Bélier) et le désarroi du Couple (appauvrissement des mythes des Poissons).
A ces problèmes, la seconde mue gémique et la troisième mue cancérique apporteront bientôt des semblants de solution. Attirés vers les Poissons par une affinité consciente (et réciproque), les Gémeaux se soucieront surtout du problème du Couple, tandis que le Cancer, porté vers le Bélier et reçu de lui (le Serpent d’Airain, Confucius), se préoccupera de trouver un remède à l’agonie de la notion de Famille.
Les Gémeaux ont pour cartes le Double et le Divertissement. Ils les joueront. Ils partiront d’une certaine notion du Couple : égalité de l’homme et de la femme, passion-jeu, pour tendre à une camaraderie joueuse et justifiante, qui achèvera de détruire l’amour-passion et la notion chrétienne du prochain-soi-même, sans lesquels le Couple cesse d’être le Couple, pour devenir un duo de partenaires, l’alliance et l’amitié.
Le Cancer a pour cartes le sens aigu de l’organisation et une intelligence « contenante ». Conscients que la Famille ne prépare plus l’enfant à une vie sociale mais qu’elle est au contraire comme une tumeur au sein de la Cité (tendresse exacerbée, faiblesse, rigueur nerveuse, souvenirs de son passé, rêves nostalgiques d’un avenir inaccompli), ses prêtres choisiront de rompre les liens familiaux, de séparer l’homme de la femme, hormis dans le but de procréer et pour le temps nécessaire à cette fin, de séparer l’enfant des parents et de le faire élever dans des crèches, des écoles, des lycées militaires ou techniques.
Ni les Gémeaux ni le Cancer n’auront résolu le vrai problème, qui n’est pas de réparer ou de détruire, mais de créer, en marge de la Famille et du Couple, un autre Mythe, aussi puissant que ceux-là. Mais il est vrai que l’affaiblissement du Couple et la destruction de la Famille sont des moyens, rationnellement valables, de préparer la naissance d’un nouveau Mythe. Quant à cette autre tâche, elle n’est pas au pouvoir de dieux vieillis et mutants. Elle sera l’œuvre d’un dieu jeune et créateur, qui ne l’incarnera pas dans une communauté en moins de cinq ou six siècles et ne l’imposera au monde que dans mille ans.
D’Akkad à Rome
Nostradamus avouait qu’il entendait tirer l’avenir du passé [1] et les Centuries attestent que la méthode est efficace. Elle permet de restreindre et de préciser l’orbe trop élargi de la précision purement mathématique.
Parmi les très nombreux peuples et empires qu’influencèrent la première mue gémique et la seconde mue du Cancer, Rome s’est imposée sur un triple plan à l’attention des historiens et des prophètes : par son importance même, par sa complexe évolution religieuse et par son rôle d’Etat-support du christianisme.
Saint Augustin établissait un synchronisme rigoureux entre l’histoire romaine et celle des Assyriens [2]. Tous ses arguments ne sont point bons. Comme beaucoup de « rapprochements historiques » tentés par les apologistes chrétiens, ils reposent sur des confrontations anecdotiques du genre : l’ancienne Assyrie dominait sur Ourouk et Our lorsqu’Abraham en est sorti, comme l’empire romain sur la Judée au temps du Christ… Mais le rapprochement lui-même est fructueux, aujourd’hui où nous pouvons user d’arguments plus solides, qui manquèrent au saint.
1° De même que Rome faisait remonter ses origines au 8ème siècle avant J.-C., bien qu’elle n’existât pas, historiquement, avant le 5ème (fondation de la République : 509), les Assyriens avaient un long passé mythique, qui reculait leurs origines aux premiers temps d’Akkad et de Sippour (3000 avant J.-C.). En fait, les deux peuples n’offraient au départ aucune homogénéité, aucun mythe catalyseur. Ce fut par le massacre et l’assimilation des populations autochtones que la « race » akkadienne se créa entre le 19ème et le 25ème siècles (on a pu retrouver en elle des caractères sémitiques aussi bien qu’indo-européens); et c’est par le massacre ou l’assimilation des peuples du Latium que le peuple romain s’est créé de même – entre le 7ème et le 3ème siècles avant J.-C.
2° Leurs panthéons présentent les mêmes caractères de confusion et d’incertitude, fruits d’évolutions analogues.
Si l’on résume le peu que nous savons des origines d’Akkad, deux sortes d’envahisseurs durent occuper le pays dès le 19ème siècle, les uns venus d’Anatolie reconnaissaient des dieux gémiques; les autres, montés de Sumer – alors dans sa splendeur – servaient le dieu Taureau. Des mythes indigènes (cancériques : la Lune, et ouraniens) se fondirent dans un premier panthéon, y créant des figures mythiques non pas nouvelles mais nouvellement valorisées : dieux du Tonnerre, déesse Ishtar, qui allaient prendre une importance croissante jusqu’au réveil des mythes solaires (vers 2400-2300); leur succéda l’accueil des premiers rites béliques et sémitiques (mouton d’offrande, etc.), dont l’épanouissement, sous les Kassites, triompherait de l’ancien empire assyrien.
Venus de Chaldée et de Grèce, les premiers occupants étrangers du Latium y apportaient des divinités tauriques (le Minotaure) et béliques (Lares et Flamines), qui s’incorporèrent aux mythes sabins puis étrusques (gémiques et solaires) pour constituer la trinité Jupiter, Mars et Quirinus, alliée aux mythes gémiques populaires : Janus, Romulus et Rémus, les Dioscures. Ce dernier mythe allait prendre une importance croissante, tandis que le panthéon romain évoluait vers les mythes solaires et cancériques (Jupiter, Junon et Minerve). Au 1er siècle avant J.-C., Minerve et Junon triompheraient : retour des légions à l’Aigle, adoration de la Pierre Noire, puis imposition de la déesse-mère sous l’Empire.
La même confusion, dès le temps de Caligula, ouvrira les temples romains aux ébauches successives du dieu nouveau : déesse-poisson, Sérapis ou Mithra, avant qu’ils soient détruits, au 5ème siècle, par l’expansion chrétienne.
De Rome aux U.S.A.
Or, une nation moderne présente d’étranges concordances avec cette double évolution. Dès le siècle dernier, Tocqueville en avait noté les plus évidentes [3]; en notre siècle, Oswald Spengler (Le déclin de l’Occident), Sinclair Lewis (Les Jeux du Cirque) en ont analysé ou illustré les plus subtiles.
Les premiers émigrants d’Europe en Amérique (chrétiens au 17ème siècle et juifs au 18ème) ont établi les bases mythiques de la civilisation des U.S.A. Cependant, de même que le massacre des peuples du Latium n’avait pas empêché leurs mythes de modifier le panthéon primitif de leurs conquérants, les croyances indigènes (peaux-rouges) et la Légende de la Conquête ne peuvent être totalement exclues de l’évolution mythique américaine. C’est ainsi que les récits du Far-West, de la marche de la Californie, des exploits des Buffalo Bill, David Crockett et autres « outlaws », thèmes typiquement tauriques, sont déjà devenus les composants majeurs de toute une mythique populaire, dont l’étude explique en partie la psychologie et le comportement des Américains.
Chronologiquement, nous obtenons les dates :
Nous l’avons déjà souligné, les pays d’Europe sont actuellement comparables aux royaumes hellénistiques vers 2000 avant J.-C., l’Allemagne y jouant le rôle du royaume des Séleucos et la France le rôle de la Macédoine[4].
Je vois particulièrement plus d’une ressemblance :
1° entre le partage de l’Empire d’Alexandre (323-306) au lendemain de la mort du conquérant, puis la naissance des premiers Etats hellénistiques,
et le Congrès de Vienne, puis la naissance de nouveaux Etats européens : l’Allemagne, la Belgique, l’Italie;
2° entre l’éclipse des Grecs (350) et leur asservissement (à partir de 300),
et l’éclipse des musulmans (à partir de 1800), le démembrement de l’empire ottoman, la colonisation des pays islamiques (tout au long du 19ème siècle);
3° entre les partages et remaniements successifs des royaumes hellénistiques, entre 300 et 200 avant J.-C.,
et les partages et remaniements successifs des Etats européens entre 1850 et 1950;
4° entre le royaume, sans cesse vainqueur, vaincu et recréé, des Séleucos et des Antiochos (de 286 à 189),
et l’Empire allemand sous les Guillaume et sous Hitler (à partir de Sadowa : 1886);
5° entre la folle volonté des Antiochos de restaurer le culte de la Vierge hyperboréenne Laodiké (suppression du culte de Mardouk-Bêl, persécution des chaldéens, menace sur Juda),
et l’ambition anachronique des Nazis de rétablir les Mythes runiques et solaires (Croix Gammée, culte du Feu), entraînant la persécution des juifs et les pressions connues sur le catholicisme;
6° entre la tolérance contraire de la Macédoine envers les chaldéens et le dieu Taureau (à la seule exception des troubles consécutifs à la défaite de Démétrios, « roi des Macédoniens » en 286),
et la tolérance de la France envers les juifs (à l’exception de l’affaire Dreyfus);
7° entre l’intervention soutenue et croissante de Rome dans les « affaires » hellénistiques, pendant les guerres « de Macédoine » (229-228; 205-187),
et l’intervention croissante des U.S.A. dans les affaires européennes à partir des première et deuxième guerres « mondiales » (1917-18, 1941-45).
Chronologiquement, ce parallèle nous donne le tableau suivant :
Sur le plan international, la résistance opiniâtre opposée par Philippe à l’ingérence romaine n’a que trop visiblement aujourd’hui son équivalence exacte[5]. Il est à craindre que les successeurs de notre Philippe V n’aient à redouter l’humiliation de la « colonisation ». D’une manière ou de l’autre, les U.S.A. seront les maîtres en Europe Occidentale et en Afrique musulmane au cours du 21ème siècle. Aux Etats-Unis mêmes, la formule démocratique actuelle se maintiendra jusque vers 2140, malgré des troubles violents (entre 2020 et 2120). Alors, la guerre, longtemps menaçante, entre les U.S.A. et l’U.R.S.S. se sera terminée par la victoire américaine (qui laissera sensiblement les choses dans le même état, si ce n’est que, très vite désormais, les U.S.A. évolueront vers une démocratie dictatoriale et marxiste).
Sur le plan religieux, on peut prévoir une manière d’adhésion aux mythes tauriques (musulmans?), puis une renaissance des mythes gémiques – avant que les Etats-Unis s’ouvrent aux ébauches naïves du Dieu Nouveau. Au temps de leur plus grande puissance, enfin, les U.S.A. accueilleront le Dieu lui-même, dont la puissance contribuera (24ème-25ème siècles) à l’éclatement de la Puissance américaine. Un entracte d’un siècle (2650-2750), au lendemain du Fléau, constituera le dernier renouveau des Etats avant l’avènement du « royaume » du Verseau (2900-3400). Mais, dans la seconde moitié du 4ème millénaire, d’autres peuples pourront tenter de recréer leur grandeur déchue, en un empire néo-américain, que des victoires féroces et provisoires maintiendront deux ou trois siècles.
Le Cancer et le Verseau
Parallèlement à cette évolution, nos arrière-petits-fils auront vu naître et croître une nouvelle mystique cancérique, fondée sur un syncrétisme Gémeaux-Taureau-Bélier-Poissons. Nous savons, par l’exemple des Hittites (dernière mue de la Vierge) et par l’exemple des Parthes et des Huns (dernière mue solaire), que la période kâli du mythe est conquérante au premier chef. Il est donc assuré que la kâli cancérique sera une mutation agressive et guerrière, qui balayera le « tiers » du monde, selon les prophéties apocalyptiques.
Néanmoins, la dernière mue présente une double caractéristique. Si, d’une part, elle détruit le vieux monde, d’autre part, elle contribue à préparer le nouveau.
Destructrice, elle est l’agent du Fléau : Hittites du 16ème au 14ème siècles avant J.-C., Huns et Alains du 4ème au 6ème siècles de notre ère.
Annonciatrice, la dernière mue l’est triplement :
1° elle cristallise les pressentiments du Dieu : Toison d’Or hétéenne, Mithra iranien;
2° elle accueille le Dieu Nouveau (quoique sous sa forme hérétique) : Béthel hétéen, idoles béliques des Hyksos – et, deux mille ans plus tard, manichéisme sassanide, nestorianisme en Perse et en Asie Centrale;
3° enfin, au lendemain du Royaume, les survivances mythiques de la dernière mue (chez les Phrygiens au 9ème siècle, chez les Tatars et les Toltèques au 12ème) tentent – vainement – de se prolonger par une ultime alliance avec le Dieu : Sabazius-Yahvé là, le Christ nestorien ou Kukulkan ici.
Cette notion de la dernière mue-support du Dieu Nouveau n’était pas inconnue de Nostradamus. En l’un de ses quatrains, il prédit clairement que le Verseau (« signe sceptrifère », c’est-à-dire porte-Roi, comme les Poissons furent porte-Vierge) ne verra pas le jour avant que le Tao sous les armes lui ait tracé le chemin :
Jamais par le découvrement du jour
Ne parviendra au signe sceptrifère
Que tous ses sièges ne soient en séjour
Portant au Coq le don du Tao armifère
(VIII-61)
En quoi le Tao ne fera que rendre sa politesse à l’Occident chrétien, où sera né le prophète du Verseau (comme Jésus au cœur de la Palestine juive et Abraham à Our, la patrie du Taureau) :
Du plus profond de l’Occident d’Europe
De pauvres gens un jeune enfant naîtra
Qui par sa langue séduira grandes tropes,
Son bruit au règne d’Orient plus croîtra
(III-37)
Poursuivons le parallèle. De même que les empires cancériques (l’Assyrie, la Phénicie) ont tenté de s’opposer à la poussée hittite, et les royaumes gémiques (hellénistiques) aux conquêtes des Scythes, des Celtes puis des Parthes, il est probable que les Etats tauriques (l’Inde hindouiste et le Moyen-Orient musulman) seront les premiers barrages que l’Occident opposera aux invasions d’Orient. Il ne saurait s’agir que d’un court répit.
Mais, inattendue, soudaine, la première mue gémique (les Achéens, les Peuples de la Mer) a mis un terme à la conquête hittite et supprimé du monde le culte de la Vierge. Tout aussi brusque et imprévue, la première mue taurique (les musulmans) devait arrêter l’expansion sassanide dans le Moyen-Orient, l’expansion des Turco-mongols dans l’Inde, etc.
De même, on peut prévoir qu’une première mue du Bélier, vers 2800-2900, suspendra l’expansion cancérique dans le monde entier. Née d’un syncrétisme Gémeaux-Bélier (+ Poissons), cette mutation de la religion de Jéhovah pourrait surgir de l’Afrique ou de l’Asie Centrale. Alors, l’humanité sera au point d’entrer dans le « royaume » du Verseau, et cette mue bélique constituera sans doute le seul adversaire redoutable que les « Versiens » trouveront devant eux. Pour quatre ou cinq siècles, tous les autres mythes (gémiques et tauriques, éparpillés, bouddhistes et chrétiens persécutés) cesseront d’avoir la moindre efficacité dans le monde.
La dernière mue cancérique durera un millénaire plus ou moins (2000-3100). Un nouvel empire asiatique en sera le cœur; mais l’exemple de la Vierge et celui du Lion laissent penser qu’en sa période « kâli », le Mythe ne demeure pas prisonnier de l’Etat qui le porte. Pour ne rappeler que ce dernier exemple, au moment où renaissent les grands empires ouralo-altaïques (Huns, Turcs et Mongols), les mythes solaires imprègnent toutes les cultures celtes, péruviennes, romaines, grecques, indiennes, etc. Ils recréent en Iran le nouveau royaume parthe.
De même peut-on penser que vers 2150, les mythes du Cancer auront resurgi en plusieurs points du globe. J’ai nommé Haïti, un futur empire kurde…
Une autre nation, européenne, pourrait se trouver concernée.
L’Espagne
Peuples aussi anciens que le furent autrefois les peuples de l’Elam (aux cultes solaires), les ancêtres des Ibères connaissaient des cultes lunaires (et tauriques) semblables à ceux des anciens Péruviens et de certains « Celtes[6] » et, selon Lucain et Strabon, ils adoraient encore la lune au 1er siècle après J.-C.
Participant aux « ruées barbares » des 4ème et 5ème siècles, comme les Elamites à celles des 18ème et 17ème siècles avant J.-C., les peuples de la Péninsule durent, à partir du 8ème siècle, subir la domination musulmane comme, aux 16ème et 15ème siècles avant J.-C., l’Elam dut subir celle des Peuples de la Mer. Domination doublée d’une influence profonde, car le Croissant musulman est à demi taurique, à demi lunaire, comme les dieux des Peuples de la Mer avaient été à demi gémiques, à demi léonins…
Alors qu’ils se libéraient de cette domination (11ème siècle), les Espagnols se heurtèrent à la puissance montante des Lusitaniens (Portugais), comme, délivrés de la tutelle des Peuples de la Mer, les Elamites s’étaient heurtés aux Mèdes (8ème siècle avant J.-C.).
L’affaiblissement de la puissance germanique (15ème siècle) donnait à l’Espagne l’occasion de sa renaissance, comme l’effondrement de l’Assyrie avait été l’occasion de la croissance des Perses (7ème siècle avant J.-C.).
L’apogée de la Perse s’était située entre 556 et 330 avant J.-C.; l’apogée de l’Espagne se situe entre 1580 (annexion du Portugal) et 1810, où les conquêtes napoléoniennes y mettent fin, comme celles d’Alexandre au royaume des Achémides[7].
En cette période d’apogée, l’Espagne est aussi clairement « romaine » que la Perse fut « judaïque ». Ainsi, a-t-elle sauvé Rome pendant les guerres d’Italie (16ème siècle), comme la Perse a sauvé Juda (6ème siècle avant J.-C.); ainsi, ses théologiens, ses artistes et ses souverains sont-ils aussi sincèrement catholiques que les souverains et les artistes perses furent imprégnés de l’esprit du Bélier. De même qu’au 5ème siècle avant J.-C., Néhémie ou Esdras trouvèrent auprès des Achémides le secours indispensable à la restauration du royaume de Juda, ce sera, au 16ème et au 17ème siècles, auprès des maîtres de l’Escurial que Rome cherchera secours contre les hérétiques. De 538 à 330 avant J.-C., Juda n’a survécu que par l’aide de la Perse (contre la Samarie, la Syrie et la Phénicie); de 1521 à 1800, Rome n’a survécu que par l’aide de l’Espagne (contre les Pays-Bas, les protestants de France, l’Allemagne et l’Angleterre).
La continuité de cette similitude permet de penser qu’elle se poursuivra. En ce cas, l’aurore de la dernière mue du Cancer (à partir de 2000) devrait susciter un renouveau de l’Espagne comparable à celui de l’Iran (Arménie) sous les Parthes. Que cette renaissance paraisse aujourd’hui improbable ne saurait nous dérouter : la résurrection de la Perse en 200 avant J.-C. ne le paraissait pas moins.
De même que l’Empire romain, après plusieurs guerres inutiles, dut accepter de faire la paix avec les Parthes et de les laisser choisir leurs souverains et leurs cultes, l’immixtion des U.S.A. en Europe se heurtera sans doute au bastion espagnol et laissera ce peuple accomplir ses destins (vers 2200).
La future civilisation (taurique et cancérique) de l’Espagne se prolongera jusqu’au 29ème siècle, date à partir de laquelle les mutants du Bélier domineront le monde (jusque vers 4000).
Une recette pour prédire
On comprendra par ces quelques exemples pourquoi je ne m’aventurerai pas en d’autres prévisions, qui nous concernent trop précisément pour qu’elles soient reçues d’un cœur impavide et d’un esprit clair. J’imiterai en cela encore Nostradamus, qui savait que d’audacieuses prophéties ne flattent pas souvent la « fantaisie auriculaire » des « sectes » du présent, ni même de l’avenir, et préférait se garder d’une trop grande précision.
Cependant, il est possible à chacun, en possession des clés, d’ouvrir toutes les portes. A la condition de ne pas perdre de vue : 1° que de telles prédictions ne peuvent être que schématiques; 2° qu’elles reposent sur l’étude des Mythes, non pas sur celle des évènements.
Les évènements demeurent soumis aux Mythes, en sorte que ceux-là se déduisent de ceux-ci; mais l’inverse n’est pas vrai : toute estimation fondée sur de simples coïncidences anecdotiques ne donnerait qu’une prévision fausse, fût-ce de l’avenir immédiat. (Exemple : Rome triomphante fut un Empire, les U.S.A. au temps de leur apogée seront un empire également : tout au contraire, les Etats-Unis seront alors une rigoureuse démocratie, sans doute marxiste – précisément parce que Rome fut un Empire et Sargon d’Akkad un Roi[8].)
Les Mythes renaissent, mais différents; les évènements se reproduisent, mais portés chaque fois par un esprit nouveau, qui les dirige dans un sens mathématiquement prévisible, spirituellement inimaginable. Aussi, pour celui qu’enchaînent les références mentales (« morales » ou « rationnelles ») et qui ne peut penser hors des croyances de son temps, les schémas de concordance n’apporteront aucune aide. Il sera comme un aveugle qui tient ferme sa clé – et ne voit pas la porte.
Jean-Charles Pichon 1963
[1] NOSTRADAMUS : Lettre à César(son fils).
[2] SAINT AUGUSTIN : La Cité de Dieu, XVIII.
[3] De même, EMERSON écrivait (vers 1840) : « Nous nous établissons de notre mieux dans les demeures grecques, puniques ou romaines, à seule fin de mieux voir et comprendre les demeures ou coutumes françaises, anglaises ou américaines. » (« Cercle », Essais, 1ère série.
[4] Les Cycles, tome I, 3ème partie : L’attente du Dieu. – A tout le moins, la prétention macédonienne d’exister en tant que nation depuis le début du 2ème millénaire (Argos mythique), alors que les cultures sémitique puis grecque ne lui permirent aucune existence historique avant le 6ème siècle et nulle suprématie avant le 4ème (Philippe II), annonçait bien la prétention française annexant les Celtes, les Francs, les Germains (Vercingétorix, Clovis, Charlemagne), alors que dominé par Rome et par Byzance, par les Turcs ou l’Espagne, le monde occidental ignore tout de la France avant le 16ème siècle et ne doit subir sa suprématie qu’à partir du 18ème (Louis XIV et Louis XV).
[5] Orgueilleux et vindicatif, profondément nationaliste, Philippe V ne supportait aucun conseil, ni de ses alliés, ni même de l’Assemblée macédonienne. « Quels qu’aient été ses défauts, on ne peut lui refuser une forte personnalité » ni une grande honnêteté foncière (Yves BEQUIGNON).
[6] Vestiges millénaires espagnols et portugais, datés du 3ème millénaire.
[7] Curieusement, alors que l’Espagne s’effondre et que le Croissant faiblit (fin du 18ème siècle), le spectacle taurique évolue également. Plus tôt, le Taureau en était le centre; à partir des Roméo, Castillares, Pepe-Hillo, le Toréro prend le pas sur l’animal. Importée par les Maures, la Lanzada devient la Corrida, et l’ancien sacrifice au Mythe un jeu.
[8] Autre exemple significatif : le parallélisme souvent esquissé (d’Emerson à Hitler) entre Carthage et l’Angleterre, toutes deux cités maritimes. Mais il n’y a aucun rapport entre les dieux lunaires de Carthage et les dieux Bélier-Poissons (protestants et juifs) de la Grande-Bretagne. Au contraire, un rapport (de succession) existe entre les divinités cancériques de Carthage (et son matérialisme) d’une part, et d’autre part les thèmes gémiques (en même temps que matérialistes) de l’actuelle U.R.S.S. De même, l’importance croissante de l’astronautique aux U.S.A. et en U.R.S.S. succède normalement sur le plan mythique à l’importance croissante de la navigation maritime à Rome et à Carthage; les Poissons, dont le Dieu allait naître, étaient un Signe d’Eau, comme le Verseau est un Signe d’Air).
2 réponses à LES JOURS ET LES NUITS DU COSMOS – QUATRIEME PARTIE – 3 -LE 21ème SIECLE