III – LE JEU EN QUESTION

III

LE JEU EN QUESTION

 

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Le drapeau et le jet d’eau

 

On approche pas à pas de la Question suprême : pourquoi questionner?

On recense les jeux et leurs machines, sans y trouver une paix, un allégement définitifs pour l’esprit. Les pas ne nous ouvrent que de nouveaux chemins, contradictoires, inverses les uns aux autres. Les jeux, leurs marches, leurs niveaux, ne présentent jamais que des métiers divers — pour tisser quelle tapisserie?

Bergson dit que l’homme est la machine — le joueur — et que les dieux, donc, sont le tissage achevé. Gautier dit que les dieux ne sont que des rêves, mais comment ces rêveries nous guident-elles dans les chemins? L’alliance de ces deux mondes, des questions et des jeux, inverse les deux propositions. Les dieux en constituent le Métier (la machine suprême) où tout se passe. Les hommes en sont les passants qui, de sentier en sentier, ne vont que de rêve en rêve, au point que l’humanité elle-même ou son concept, n’est — ne peut être — qu’un songe des dieux.

Aussi bien le cheminement, de question en question, que ces fragments, ces coups, ces parties, du Jeu divin, ont exigé une sorte de progression, de la plus courte question, crue la plus générale, à d’autres, beaucoup plus vastes, ou du jeu le plus simple (des osselets ou des mains) au jeu le plus complexe, du porche d’Amiens ou de la Vache.

Mais je ne peux saisir leur ensemble que de l’Ensemble : le néant (pourquoi questionner?) ou l’inventaire des jeux. L’ayant figuré, cet ensemble (un Seuil, un Inventaire), peut-être pourrais-je le réduire à l’indivis premier : l’Objet divin.

La Figure impose ce schème global.

Pourquoi ce schème, à la limite du ridicule? Que fait ce lieu indistinct — devant le temple, entre les colonnes, pour jouer — entre les masses augustes, les édifices du Temple? Et que sont ces figures fugitives, anamorphiques, nées du seul Rêve (Morphée)?

Pénélope n’a que faire du drapeau, sauf qu’elle pleure et attend l’Archer. Sa fonction n’est pas de tisser, de fabriquer une mosaïque mais de faire, de susciter l’Enfant.

Ulysse n’est point parti pour revenir, par l’unique sentier de la promenade : son rôle était d’aller, toujours plus loin; par des chemins innombrables.

Mais il est exact qu’animus, séparée de l’homme, la Femme ne peut s’interdire d’œuvrer — une broderie, une tapisserie, à défaut du futur élu. Que fait la danseuse qu’on n’invite pas, sans cavalier (promis, époux)? Elle fait tapisserie.

Il est vrai qu’anima, séparé de l’Epouse, l’Homme ne tend qu’à la retrouver, afin de s’y fondre. Il ne peut que l’imiter, l’Unique, en ses retournements.

Cet abîme qui sépare la femme qu’on n’emplit pas et l’homme qui ne veut se vider est du domaine, encore, des Questions, de la Vie, quand les destins sont tels, c’est-à-dire entre les enseignes — précisément. Mais comment la femme, l’homme pourraient-ils accepter lucidement cette contrainte des destins (que les Grecs nommaient Tyché, la fatalité même, et Monod les hasards)?

En arabe, le vocable : « hazar » dit le Jeu. Et c’est aussi ce que disent le Coup de dé de Mallarmé, le sport intellectuel de Valéry, la Noosphère de Teilhard de Chardin. Ce ridicule du jeu, son côté hasardeux, est donné par le mot : quolibet (où il te plaît) inventé, dès le 15ème siècle, par les étudiants de Paris, en révolte déjà!

Les enseignes des boutiques, encore, se référaient à des entités déchues : l’Ours, le Cerf ou le Lion. D’échoppe en échoppe, chaque nuit, les étudiants allaient, fin saouls, démontant les enseignes, mariant le Lion avec la Gazelle, l’Ours avec l’Arbre, dans le refus du Trivium (les 3 Arts) et du Quadrivium (les 4 sciences) de Boèce, fondements de l’enseignement depuis huit siècles. Leur loi? Le quolibet, qui nomme également l’adultère.

Cent ans plus tard, le vocable a donné : bilboquet. Nous le savons par Ezéchiel, au 6ème siècle avant J.-C. (mais, sans doute, dès le 7ème), le bilboquet était une figurine lestée de plomb à sa base, afin qu’elle tienne debout. Deux mille ans plus tard, ce sera le jouet des baroques, de Henri III, le créateur de l’Ordre du Saint-Esprit, et de ses mignons : non pas la queue, de chair, qui pénètre dans le trou, de chair aussi, afin de créer, mais la boule, en son creux, qui doit recouvrir la queue. L’inversion même.

Ezéchiel n’a joué qu’au jeu de son époque, homosexuel, par les Spartiates ou par Sapho. A la cour de Henri III, mais également dans les Ecoles magistrales dont le temps s’achève (Ferrare), l’homosexualité règne à nouveau. Ici et là, sur 2000 ans (+ ou -), le Quolibet : Où il te plaît. Les orifices ne sont plus 2 — ce qui reçoit, ce qui déjecte — ou 3, chez la femelle. Ils sont 4 : ce qui donne, ce qui prend, chez la lesbienne et le pédéraste. Pourquoi, si l’objet du change : la procréation n’a plus de sens, et, déjà, peut ne pas exister?

Le bilboquet s’invente au printemps de l’année, en l’aurore du jour, bien avant l’Eté ou le Grand Midi. Au temps même des derniers prophètes, inécoutés et qui, déjà, eux-mêmes, en jouent.

On les retrouvera, ce bilboquet et ces baroques, tout au long des deux saisons chaudes. Est-ce donc qu’en eux seulement réside la Forme Vide (et son interdiction majeure, de la Création)? Ou bien est-ce que, trichant avec ses propres lois, la F.V. projette et reformule?

Eléments et cardinaux

Le jeu — direct ou précessionnel — du bouton ou de la vis qu’on serre ou qu’on desserre pour ouvrir ou fermer l’appareillage, semble n’autoriser qu’une figure : le pendule dans le triangle.

Ici, horizontalement, couchée, la Forme Vide n’est qu’une absence entre les effigies, les enseignes.

Là, verticalement, debout, vide de matière, elle est remplie de formes, de figures, nées du Lictuus ou du Licnon, de la pyramide et du cadran solaire — casque ou chaudron, panier ou casque.

Puis, l’Ensemble retombe du verticalement debout à l’horizontalement couché. Ce n’est que le jeu de mots connu des anciens Grecs, entre « klino » et « kline » : la couche et l’inclinaison, d’où sortiront deux déclinaisons : le groupage grammatical et la courbe du destin (les déclinaisons de la lune).

Comme Pénélope défait et refait chaque jour sa tapisserie, les vierges Danaïdes remplissent sans fin le tonneau percé, qui ne peut que se vider sans fin.

Ou, comme Ulysse, Gilgamesh deux mille ans plus tôt, Sindbad deux mille ans plus tard, partis et revenus, Sisyphe gravit le mont d’où il retombe (ou le roc qu’il porte et lâche).

Je tourne le bouton vers sa gauche (ma droite), il ferme le circuit. Je le tourne vers sa droite (ma gauche) : l’air, l’eau ou le feu jaillit.

Mais, dans l’ensemble du manège, de la hampe circulaire ou du mât de Cocagne, les pleins et les vides se succèdent indéfiniment, car, sur le pourtour du cercle, le point de départ est le point d’arrivée.

C’est alors que se pose le problème, le jeu en question. Nous savons que les Hébreux de Moïse le traitaient par la dialectique du peuplement et du dépeuplement aux cardinaux, et que ce jeu prévaut jusqu’à Ezéchiel et Daniel, au 6ème siècle avant J.-C.

Les Chevaliers, les Paladins de Charlemagne, puis les Chevaliers Croisés jusqu’à Paracelse et Leibniz, aux 16ème et 17ème siècles traiteront le problème par la dialectique du même et de l’autre.

Or, les deux dialectiques se juxtaposent et s’interpénètrent, ainsi qu’une plus ancienne (2160 ans plus tôt).

Il ne s’est agi, en toute période, que d’une tentative d’accord entre les deux quadrilogies : élémentale et cardinale.

Les Sumériens allaient des entités anciennes, gémelliques (d’Air) à des entités de Terre (le Taureau, la Vierge et la Mère). Mais, en cette quête, ils ne vécurent que l’évolution horizontale, du Feu solaire (Bel) au dieu d’Eau, Oannès ou Ounis (Osiris en Egypte), rejeté à plus tard.

Les Hébreux sont allés du dieu de Terre (le Taureau rejeté, ainsi que la Vierge) au dieu de Feu et des Combats (IHV°. Mais ils ont vécu de la tentation de l’Osiris défunt puis renaissant, par les Gémeaux de Jacob et par les Frères, jusqu’à l’Arbre, d’Air (ou le Bacchus), finalement rejeté à plus tard.

Les premiers chrétiens ont œuvré, depuis le Feu biblique, jusqu’à l’Eau du rythme et de la charité (l’IHS). Mais les tentations de la vie, de la durée, les ont portés sans cesse de l’Air (un Dionysos libérateur) à une Terre proche, la Vierge-Mère, finalement rejetée à plus tard.

Des nuances entre ces figures? Elles sont nombreuses, dans le sens pourtant de l’affinement.

Les derniers Sumériens (et les Chaldéens, après leur désastre) complexifient le zodiaque par des « aspects » annexes, d’oppositions, de complétudes, de triangulations.

Les derniers Israéliens (d’Israël) et les Juifs qui leur succèdent (de Juda) inventent les rotations qui, de Moïse à Ezéchiel, reconstituent la figure primitive, mais après combien d’erreurs ou de péchés de David, de Salomon, des reines hérétiques?

Depuis les délures scolastiques, il faudra les Rose-Croix, puis Leibniz pour inventer les diagonales de l’Ars Magna : les éléments non plus aux cardinaux mais au nord-ouest, sud-ouest, sud-est, nord-est, sous les noms d’humide et de sec, de chaud et de froid.

L’exil de l’Eden de création (l’affaiblissement de Mardouk) a motivé l’œuvre des Chaldéens; la perte de l’Arche de justice (l’affaiblissement de IHV) a motivé l’œuvre des juifs; la vidange du Graal d’amour (l’affaiblissement du Christ) a motivé l’œuvre des protestants, après celui des scolastiques.

Mais comment ces produits des œuvres dérisoires,

de la synarchie de Feu (le Souverain, l’Archer, le Justicier),

de la trinité hermétique (le Serpent, le Scorpion, l’Amant),

de la trilogie franc-maçonne (les Gémeaux de la Fraternité, du Souffle égalitaire, la Balance, et l’Arbre de Liberté),

ont-ils effectivement produit le Dieu nouveau : le Père IHV, le Fils IHS (Christ), l’Esprit Libre?

Ce fut — ou c’est — par une diagonale (ou une dérivée) paradoxale, qui ne doit rien aux périodes (2160 ans), non plus qu’à l’Unité de temps (1260), car elle court — cette diagonale ou cette courbe — sur quelque 3000 ans, 3024 selon les uns, 3072 selon les autres.

La diagonale courbe

A ne pas en douter, elle constitue le Coup qui procède à la 2ème coupe, le redressement du palimpseste en palindrome, de la double ellipse en cercle, de ce pendu (le pendule) à ce pendant (la pendule).

Elle n’est pas autre, à bien y regarder, que le tournage du bouton du radiateur de gaz ou électrique, de la position verticale (fermeture du circuit) à la position horizontale, l’ouverture.

Le geste inverse étant toujours possible, le directionnel, de la position horizontale à la position verticale, dans le sens « direct ».

J’en donnerai cette vérification mythique (astrologique) en même temps qu’historique et progressiste, sur les 4 périodes : 4 X 2160 = 8640 ans.

Car, pour établir clairement la spirale (diagonale courbe) de Paracelse : de l’orphéisme à la Rose-Croix, sur quelque 3000 ans, il faut nécessairement en étudier huit mille (8640), de 4320 avant le Christ à 4320 après J.-C., y englobant Mardouk, le Créateur, IHV le Justicier, IHS le Seul Amant, et le Libérateur, encore à venir, même si ce n’est qu’en leurs métamorphoses de l’un en l’autre.

Les successions sont telles.

Le jeu des 3000 ans, comme « diagonale » d’une période de 2160 ans à l’autre.

Vers -4320 (+ 300 ans)                                            Vers -1536 (+ ou – 144 ans)

le Taureau, fils du Scorpion :                              le plein éclat du Bélier (Amon/IHV)

par la Barque ou Oannès (Poisson)                   mais le réveil du Poisson, Osiris ou

les Sumériens veulent ranimer                          Dagon chez les peuples hérétiques,

Enki (le Verbe intérieur).                                       égyptiens, phéniciens, orphiques.

                                                                                   Cependant, la Vierge est morte.

Entre les 2 dates, vers – 2900 :

origine première du Grand Etat :

l’Amurru, qui sera l’Assyrie.

Le Taureau renaît Enki (dou),

sauvé par l’Arbre doublé (gémellique).

Vers -2160 (+ 300 ans)                                            622 (l’Hégire), + ou – 144 ans

le Bélier, fils du Souffle El :                          le plein éclat du Poisson (IHS/Bouddha)

par l’Arbre, les patriarches                            mais réveil de la Balance ou du Grand

(d’Abraham à Jacob) veulent                     Joueur chez les hérétiques :musulmans

ranimer le Souffle, tous deux d’Air           çivaïtes, nippons.

Cependant, le Roi est fainéant, le Lion Mort.

Entre les 2 dates, vers -750 :

origine première de la Rome

étrusque. Du Bélier renaît la Voix

des prophètes juifs, nostalgiques de

la Terre Promise (première : l’Eden)

En l’an 0 (+ 300 ans)                                            Vers 2780 (+ ou – 144 ans)

le Poisson, fils de la Vierge;                        dans l’éclat du Verseau, des hérétiques

par la Mère (Junon/Canathos, puis                                 joueront de la Vierge pour susciter

Marie), les néo-chrétiens raniment                                            la Scheschina (la Caper).

la Vierge, toutes 2 de Terre.                                                   Cependant le Serpent sera mort,

                                                              vaincu par l’Arbre.

Entre les 2 dates (1492/Colomb),

la 1ère Amérique. Du Poisson renaît

la Vierge (assomptionnée), que

le protestant refuse. Paracelse

donne la date : 1536.

Dans un avenir plus lointain, l’Apocalypse imagine le Renouveau de l’Archer, le Cavalier Blanc, le fils des Gémeaux morts (les Mesureurs). Mais le rythme : père-fils, fils-père ne dit pas tout.

En notre temps déjà, annonciateur de l’Esprit de Liberté, versatile, le Grand Architecte doit le Roolik ou le Lion Souverain que, vers 5000 (+ ou -), des hérétiques attendront du « 10ème Roi ».

Car les entités ne sont pas seulement mères et filles les unes des autres. Elles ont leurs alliés et leurs adversaires, tout le temps de la partie, en toutes les parties du jeu.

Par la diagonale des 3000 ans (plus de 3024 et moins de 3072), qui nombre en chiffres la constante « 2e-3 », comme nous le montrerons en annexe.

Cette oblique est le pendule même qui ramène le bouton du réchaud ou du radiateur de la position « ouverte » à la position « fermée » — et, bien sûr, à l’inverse —, dans le sens direct des aiguilles d’une montre ou dans celui, précessionnel, du rhombe, de la toupie.

Le geste et la gestation

Ce geste : ouvrir, fermer (conclure ou finir) peut nous sembler un acte, sinon un mouvement, comme celui de miser une pièce ou de prendre la pièce de l’adversaire.

Mais, si l’on considère le déclin du vocable dans l’Histoire de la France, depuis la geste de Roland (et celle encore de la Pucelle) jusqu’aux « gesticulations » de l’Armée, selon le mot de Dumas, Ministre de l’Armée, on constatera combien les « mouvements » dénaturent la Geste. Car de la gesta Francorum (les hauts faits de la France franque), des chansons de geste (un poème de vers de dix syllabes) jusqu’aux gestes inutiles, superflus dans le discours (gesticulation), le dit ne s’éparpille pas sans que l’acte se corrompe.

Quant à cet acte même, la « gestation », il n’implique aucunement le mouvement : il dit le mûrissement, jusqu’à la maturation du fruit porté (l’enfant). Le poème originel (la geste) impliquait elle-même cette mue, écrite ou dite pour la porter.

Si la gesticulation de Dumas (le ministre) dit le déclin de la Geste, poème, la geste de Valéry (Le cimetière marin, poème, décasyllabique) dit son regain, dans la Liberté de facture, en mûrissement de l’Esprit, dans le déclin du mythe d’Eau. Exaltant ce qu’elle porte, en sa grossesse, elle ranime la Mère Première, l’Alma Mater, le Vide Maître, empli, mieux que l’Azur et l’Hérodiade de Mallarmé.

Dans le cycle le plus petit, les 24 ans qui séparent le Coup de dé du Cimetière, ou le chef-d’œuvre de Mallarmé de celui de Valéry, nous retrouvons la diagonale des 3072 ans en 4320 (les 2 périodes précessionnelles), de la Geste à la Geste là, de la fin du Chaldéen à son retour, selon Sir William Hope (sue 2 X 180 ans alors).

Car la diagonale (2e – 3) joue dans le plus petit cycle ainsi que dans le plus grand, tout comme les autres constantes ou sommations : Pi/4, (e-1) et leurs complexes (voir les annexes).

Ici et là seulement se montrent l’anamorphose et la métamorphose des figures, les jeux du synonymat et de l’homonymie, la permanence inversible des multiples et des premiers en Ana et Méta.

Par le déclic qui mène du drapeau au jet d’eau, ou, à l’inverse, de la machine (ses chemins) à la tapisserie, au puzzle (en morceaux). Ou des sentiers d’Ulysse au métier de Pénélope, si je joue des sexes en leur union, mais du métier — tout dérisoire — de Pénélope, aux sentiers, aux chemins perdus d’Ulysse, lorsqu’ils sont séparés : la femelle trop vide (de toute gestation possible), le mâle trop égaré, par le rêve de la Geste, ou de la renommée qu’il méritera, que lui vaudra son poème.

Tout à son attente de gloire le héros voyageur, toute à son attention — futile — la tapissière. Mais en attente d’Ulysse l’épouse; et sans cesse arrêté, reconduit au retour, le voyageur, par ses guides, Athéna, Mentor : « Attention! »

Les Questions nous ont dit que l’Odyssée s’achève sur des rendus : Pénélope est rendue, intacte; Ulysse rendu, différemment, revenu chez lui, lorsque l’Union est de nouveau possible. Mais comment la factrice (créatrice de la tapisserie sans cesse détruite) s’est-elle gardée fidèle? Comment l’élu, porté par son destin premier, est-il revenu chez lui?

C’est cela que les questions ne nous ont pas dit.

Comment, de la gesticulation dernière, revenir ou accomplir la Geste première? Comment la 13ème, selon Nerval, est-elle à nouveau la 1ère? Si humiliant que ce soit pour l’homme : par la diagonale des 3072 ans, ou au 1/12, au 1/144, 1/1728, par réduction. Puisque « le plus petit est comme le plus grand ».

 

Le sacrifice et le temple

Pour le plus grand nombre de lecteurs, tout ce que ce livre dit des hommes et des dieux n’aura pas le moindre sens, car il n’est que deux postures métaphysiques possibles : le monothéisme des grandes religions — que chaque croyant, en son propre temple, appellera l’orthodoxie — et le polythéisme, panthéiste, agnostique, sinon athée, que l’on dira hérétique ou bien hétérogène, paradoxal dans tous les cas.

Si l’homme – la femme/humanité est une machine à faire, selon Bergson, cette machine s’apparente au métier à tisser… à tisser ce vêtement-là, de dieu, dont aussitôt, frileusement l’humanité se recouvre (car cela se fait toujours dans la crainte de l’hiver à venir).

Il faut plusieurs vêtures, enseignes, pour que le produit des mille machines se révèle une tapisserie. Mais, pour chaque natif de cette année-là, le porteur — l’enseigne — de l’unique drapeau, et pour ses fils fidèles à son esprit, il n’en sera jamais d’autre, jusqu’au mois ou au jour fatal où l’abondance des enseignes, la pluralité des enseignes ouvrira au Grand Paradoxe et entraînera le déchirement (la casse), la mise en pièces de la tapisserie.

Tel est le destin de l’orthodoxie, ou, plus précisément, de toute Doxa (le culte des Trois Personnes : Moi, Toi, Lui, ou l’Akh, le Ba et le Ka des Egyptiens, les 3 Vertus ou les 3 Arts, les 3 Jugements).

Le destin du temple.

Si les dieux sont les rêves de l’humanité, de l’humanité/homme selon Gautier, ce sont les songes de nombreuses nuits, que l’homme projette au-devant de lui, de soi-même, afin d’en colorer et d’en nourrir ses jours lorsque le temps reviendra du Grand Midi. Dans la distinction parfaite des détails (ou contingents ou nécessaires) mais la confusion ou l’aveuglement, quant au Principe caché qui les tient tous ensemble (le tiers exclu). Car le paradoxe réside en la quadrilogie qui dispose des songes : cardinaux, éléments, sciences ou jeux, et qui n’existe pas dans la réalité (de l’homme lui-même).

En raison de cette inexistence, les dieux sont rêves et tous les systèmes périssables, tous les jeux condamnés à une fin prompte — du coup, de la partie, de ce jeu-là.

Ce handicap majeur, contraire au cap-in-hand de la déférence doxale, fait de tout enfant élu un jaque, l’enfant trouvé. Hérétique ou hétérodoxe, l’élu est pris, otage, et dévoré, hostie. Quelque Juda (s), traducteur traître, se vend soi-même afin de vendre — au plus offrant — le Sacrifié.

Tel est le monde du Jeu, du Paradoxe — gratuit au-delà du mesurable, de la folie ou du suicide, de la paranoïa, de la schizophrénie et du massacre, presque inconscient auquel se livrent les joueurs — et toutes les foules, sitôt que la Doxa n’en régit plus les cours.

Le Temple n’est pas des Trois, non plus que le Sacrifice des Quatre.

Mais la forme vide entre les doxas ou entre les temples est bien trinitaire en effet, et l’imbroglio des formes (anamorphiques, métamorphiques) a épousé de tout temps la quadrature, ou la quadrilogie.

La Figure osée dès le préambule (l’Ensemble en premier) a énoncé ces 3 et suggéré ces 4. Par les propositions les 3, par la disposition de A, A1, B, B1, les 4. A détailler, les 3 Premiers, autour, devant, derrière le Temple, et les multiples, innombrables, nés du 4, pour dire la Figure Entière qui porte et fomente le « jeu en question ».

 

L’orthodoxie et les saisons

Selon l’Apocalypse, mais aussi Joachim de Flore et Paracelse, ou Vico, Potocki, Sir Hope en notre 18ème siècle, les grands machinistes, toute vie, d’un dieu — ou d’une race, d’une culture, d’une société — comporte les 3 phases :

— de la Geste, de la légende, archaïque toujours,

— du geste constructeur, bénisseur, héroïque,

— de la gesticulation haineuse ou populaire, mais civilisatrice.

Une fin les achève, et nous savons laquelle : ou la lettre perdue pour le fonctionnaire, ou la révolte de l’automate pour l’ouvrier.

Mais, au cours de sa vie, le facteur ou l’enfant a eu tout le loisir de quitter cette voie droite, afin de bifurquer. Ces autres parcours, triangulaires encore, ne sauvent pas de la fin, inéluctable. Ils achèvent la Quête par le Graal vide et l’alchimie par la dispersion. Mais la Coupe contenante et la Spéculation laissent un résidu : la Forme : vide ou morcelée, et d’autant plus pure.

Quitté le monde des questions, ce sont ces formes pures que l’inventaire (Ana) recueille et que la borne (Méta) dirige dans le même parcours recommencé (d’un jour, d’un mois, d’un an à l’autre).

Si l’inventaire ramène à l’indivis (le crayon usé), le relief — si ténu soit-il — reconduit au signe. Et tous deux à la Lettre et au Vocable.

La Conclusion ainsi, mention (élection ou suffrage, investissement) redresse le drapeau que l’usage, la traduction et l’usure ont couché. Mais, opposant le naître au connaître, elle enveloppe l’Ensemble : la mort, la vie, dans une autre Forme Vide, motrice (la motion) et tous les aléas, combats, vertiges et mimecrys de la vie : les émotions, passions, devenues des jeux.

Selon Platon, les 4 jeux et, pour d’autres, les Eléments, les sciences ou autre chose : les 4 de Flore (les couleurs), de Paracelse (les habitants des Eléments), de Leibniz (le sec, l’humide, le chaud, le froid), de Kant ou de Roussel, de Reich ou des firmes pharmaceutiques, etc. J’en retiendrai le partage le plus durable — sur combien de millénaires? Les Quatre Temps, les 4 saisons.

On n’y joue pas de la Geste, du geste et de la gesticulation, ni de la Fin qui les termine, mais des niveaux de croissance, de l’hiver commencé à la fin de l’automne (ou du germe aux vendanges, aux meilleurs fruits). A condition toutefois, en notre époque, de faire partir l’hiver de la fin novembre, le printemps de la fin février, l’été de la fin mai, l’automne de la fin août (la mort de la Terre celtique ou l’Assomption de la Vierge-Mère chrétienne).

C’est au cœur de l’Eté, dans une année (le 1er juillet des Egyptiens ou au Grand Midi dans le jour, selon Rabelais, Nietzsche et Michelet) que resplendit la Forme Vide, l’enfant enfin sorti de la déesse ou du dieu qui le portait.

Non plus la petite forme vide qui se positionne entre les enseignes, les silhouettes du drapeau, du manège, mais la sécheresse et la clarté universelle, où tout se distingue, est distingué dans l’Election première : une gestation accomplie.

Mais c’est alors, bien sûr, qu’à la Doxa du Temple (l’adoration des 3 Personnes) succèdent les paradoxes, les hétérodoxies, ou que des 12 dieux surgit l’Unique, dont l’adoration exige la fin de l’été.

Le bilboquet de la Renaissance a précédé de cinq siècles cet avènement; d’autres baroques et quolibets le suivront, jusqu’à cinq siècles au-delà (en Babylone ou à Byzance), d’autres hétérodoxies et d’autres paradoxes : les plus invraisemblables hérésies, avant que la nouvelle Doxa, orthodoxie triomphe sur la Terre entière. L’Apogée même, qui ouvre à tout déclin. Avant l’autre apogée.

Lorsque l’élu poursuit dans le même sens.

Un autre livre devrait être écrit pour dire seulement les inventions géniales d’Eschyle en la corruption finale du Taureau (525/456 avant J.-C.), le créateur de la tragédie grecque, et de Shakespeare (1564/1616) en la corruption avouée de la Justice. Lors de l’exil des chaldéens ou celui des juifs, mais de la constitution de la Rome républicaine, par la victoire de Postumus, ou de la naissance mythique des U.S.A., par l’odyssée du Mayflower. Dans l’élaboration du Nouveau Temple juif ou du Catholicisme né du Concile de Trente.

De Shakespeare nous connaissons toute l’œuvre, d’Eschyle le tiers ou le quart de son entière production. Mais c’est assez pour que, dans les deux cas, la question se pose — ou se soit posée — « Comment un seul poète a-t-il pu recréer de la sorte l’univers? »

Réponse : par les mythes, leur précise analyse et leurs rebondissements. Nous avons dit le Prométhée d’Eschyle, le Caliban de l’Anglais, les pointes extrêmes de leur audace. Mais aucun demi-dieu ne manque à l’inventaire du Grec (hellénistique?) ou à celui de l’Européen. Depuis le 3ème millénaire : Œdipe, Thésée (et combien d’autres, dans la part ignorée de l’œuvre?). Depuis Rome ou la Grèce, César ou Cléopâtre, la grandeur de l’Amour et sa corruption. Des héros que Sophocle ou Corneille rediront.

Ni les Perséides n’échappent au premier, ni les guerres fratricides entre l’Angleterre et la France, au second. Comment la Justice se fait tyrannie ou l’Amour jalousie, nul poète ne le dit mieux. Mais encore, ni la Tradition ni l’Histoire même ne suffisent à nos deux auteurs.

Au-delà de la Justice, Eschyle a projeté l’Otage, Prométhée, mais aussi le faux prophète, prématuré : Dionysos en Panthée, le destructeur de la Loi parce qu’il se joue de la Loi, sans atteindre à l’Amour. Avant le Sauvage élu, Shakespeare n’a cessé de dire la Femme Libre — ou qui se voudrait telle : la future Scheschina, mégère ici, fée là (dans le Songe d’une nuit d’été), qui n’omet pas le personnage de l’âne.

Plutôt qu’il ne détruit la Loi, Dionysos en porte cent ou mille, par ses métamorphoses tronquées (ou bien truquées). La Mégère — ou les amantes feintes des comédies — se perdent ou se jouent de l’Amour plutôt qu’elles n’y renoncent. Mais, première des femmes libres, la Mégère est aussi l’amoureuse finale. Elle ne pèche que par excès. Car l’amour est rapport constant, dialogue sans fin. Mais, au cours des années ou des heures, des jours, des mois, le couple retombe au silence et se disjoint : il n’y a plus rien à dire. La mégère refuse ce destin : elle gronde.

Dionysos, pourtant, suivra le dieu d’Eau, le Neptune marin. Et ce n’est pas le moindre éclat du génie eschyléen que de sauvegarder en son Panthée l’espoir — indiscernable encore — en cette future naissance.

De même la Femme shakespearienne n’est que temporairement la mégère (celle qui poursuit). Presque toutes sont des ponts, d’un roi à l’autre, ou entre les nations ennemies. Et des arches encore, comme la Fée dans Le Songe.

Par là, Eschyle précède et porte les élégiaques futurs non moins que le stoïcien, Shakespeare les romantiques mais aussi, et d’abord, les contes de fées, puis tous ces ponts que furent — seront — les fées à naître, depuis les quiétistes jusqu’aux Mary, Allegria, Bettina ou Lou Salomé, Marie Bonaparte, Gala ou Laure (cent autres).

Car, de Bacchus à l’Esprit Libre, Panthée a vécu maintes naissances. De la Mère-Vierge à la Mère Porteuse combien de sectaires et de saintes, de mégères et de fées sont nées ou naissent, naîtront?

Le 4ème acteur, prématuré, hors des 3 grands dieux grecs ou hors des 3 Personnes.

 

Le 4ème n’existe pas

Tout ce livre le démontre. Il n’est de réalité, d’existence matérielle que des 3 personnes des Quêtes, des 3 matières de l’alchimie. Mais il n’est pas non plus de création formelle utilisable qui ne dispose des 3 vertus (dans le Je-toi), des 3 jugements (dans le Je-moi), des 3 arts (dans le Je-lui) : je me parle selon une certaine grammaire, te parle selon la dialectique convenable, et parle de cela, du lui, le plus bellement, harmonieusement que je puis.

La plus courte des réalités me le confirme : nul humain n’a vécu, ne vit et ne vivra dans la 4ème dimension.

Mais, paradoxalement, ce 4 inexistant est mon contenu et mon contenant inévitables. Depuis les 2, tout jeu y mène, ou la plus simple lecture d’un puzzle quelconque : 4 couleurs me permettent d’y distinguer clairement les parties, les morceaux, et 4 chemins, sentiers, s’y présentent au carrefour.

Ce 4, qui n’existe pas, me livre la totalité de l’ensemble, par les cardinaux, si je chemine, les Opérations si j’œuvre. Puisqu’ils peuvent toujours poursuivre ou revenir, le facteur et l’enfant ne cessent pas d’y vivre.

Il me donne le plus petit détail possible : par la seule partition, de la croix, puis des 8, 16, 32, 64. Car le plus petit au carré (ou le plus petit cercle) est au 1/4, au 1/8, au 1/16 du plus grand.

N’existant pas, il est la plus petite erreur possible : la constante d’indétermination : h, et la plus grande : le C au carré d’Einstein, fruits d’un double rapport non moins que la pression et la densité d’Archimède et de Mariotte.

Ce n’est pas assez de dire qu’il n’a pas d’existence : il EST l’inexistence en ses trois seuls aspects : le plus petit détail et le plus grand ensemble, inaccessibles, puis l’approximation, manque ou excès, par laquelle se fonde l’erreur, si je commets le délire d’y croire.

Entre les deux inaccessibles, le JE ne promène, en somme, que son degré de liberté.

Si l’existence des 3 nous pose les Questions, tout nombre premier nous les pose de même : le 5, le 7, le 11 ou le 13, le 17 ou le 19, le 29 ou le 31 — et le 23 (les 24 du Trône moins l’Unité).

Si l’inexistence des 4 nous contraint à jouer, il en sera de même pour tout multiple : des Yi King successifs, de 8 à 64, des atouts du Tarot ou des Lettres de la Kabbale (22) au 60 de la Vache et de Sumer, par les 32 ou 52 cartes, des dominos, des dames ou des échecs, etc. Des 42 du craps ou de l’Apocalypse.

Réduit au premier des multiples (4) et à la 3ème dimension, l’accord entre les mondes a pu sembler facile. Il réside dans les 12 (3 X 4) ou dans les 7 (3 + 4). Mais qu’en est-il si je joue de tous les multiples, m’abandonne à l’ivresse de tous les premiers? Jouant seulement de 6 et de 7, l’auteur de l’Apocalypse a dû reconnaître l’existence des deux mondes : la succession des entités, les 6, et celle des rythmes internes à chaque vie du Sceau, de la Trompette ou du Signe (de la Coupe, de la Montagne/cité au-delà). Tous les systèmes, ainsi, de Mendeleieff ou de Bode, retombent à l’antinomie — sans borne — de la Question (ses premiers) et du Jeu (ses multiples). Même — et surtout — si le systématique remplace la dialectique fondamentale par celle de la fonction et de la factorielle, de la sommation et du rapport, de la série divergente et de la convergente, etc.

Pourtant les nombres — qu’ils soient entiers, fractionnels ou irrationnels — apportent la réponse (à la question) en même temps que la règle du jeu : la plus infime partie vide, en ce cycle-là, EST le plus grand ensemble des 2 mondes, si je joue du cycle inférieur. Cela se montre en annexe.

Les jeux ont pour objet d’ouvrir, de motiver, de faire naître, non pas de fermer par la connaissance. Ils ne peuvent donc pas exclure totalement les 3 de la Doxa, que tout « paradoxe » imite ici, par les limitations de la Forme Vide (le coup, la partie, ce jeu-là) qui la formulent.

Nous l’avons précisé dès le début de ce chapitre : la F.V. (hors du temple) se présente comme trinitaire :

a) ce qui est devant le temple (pronaos) dans le temps sacré, divin;

b) ce qui porte les colonnes (prostyle) dans le temps héroïque;

c) le lieu où se joue le Mystère, la Farce, le drame ou la comédie, la scène (le dernier sens de « proscenium ») dans le temps populaire, qui exige un public.

Or, cette même F.V., en tant qu’été, se compose de 3 mois, comme les 3 autres saisons de l’année; ou le temps de liberté de la femme, sa forme vide, au 1/4 du rythme menstruel (28 ou 29 jours) comporte aussi ses 3 moments : le « sans risque » au cœur. Les 9 mois de grossesse alors — ou les 9 autres mois de l’année saisonnière seront considérés par le joueur (l’estivant ou l’amant) comme une longue attente du seul temps de plaisir. Comme le montre Le songe d’une nuit d’été.

Quant aux passages mêmes entre les 2 mondes, ils ne sont pas les 4 décrits : le PAT, le PAN, une rue, un vol sans être les 3 qui se précisent : le déclic du bouton, le levier, le degré de liberté du joueur, qui font la fermeture ou l’ouverture, l’horizontal et le vertical, le remplissage et la vidange de la machine entière, moins dialectique (les 2 mondes) que quadrilogique : par les saisons, les cardinaux, les éléments.

Numériquement, en ces passages et ces ensembles, les nombres premiers prendront la place — réduite — des 3 dimensions, par groupes trinitaires : 3, 5, 7 ou 5/7, 11/13, 17/19 ou 17/19, 29/31, 41/43 ou 23 (24 – 1), 37 (36 + 1), 47 (46 + 1, 48 – 1), etc. Les multiples prendront la place du 4, ainsi que le montrent tous les jeux.

Ces nombres sont en nombre infini, sans cesser d’être des ponts, d’un monde à l’autre. Si le JEU interdit les questions, c’est à l’exception de l’ultime, qui ne doit plus rien aux Pourquoi? « Comment me délivrer du questionnement et de la contingence des jeux? »

Réponse : par la déférence et le contingentement, par la précise, exacte, appréciation des nombres, des figures, des vocables : les 3 aspects de l’OBJET, qui mesurent, formulent et disent tout ce que j’ai à savoir.

Et notamment cela, qui m’importe plus que tout, en ce temps et ce lieu où s’impose l’enjeu : comment me faire et me garder libre?

Dans et par l’Esprit de Liberté, le Grand Inverseur, le Grand Culbutant.

Le dieu du VERSEAU.

 

 

CELA

Une tête auréolée de sa chevelure — des mains qui n’œuvrent  pas, qui offrent. Le visage et les mains du Roi.

Une navette, une fusée : la forme ultime du licnon, fermé, ouvert.

Les deux pouvoirs du Verbe.

La ou le tour, la pièce : le tout et la partie, le moteur et la comédie, tout parcours et toute valeur de l’Œuvre à loisir ruminée.

Un meuble immobile, mais, plutôt que la hampe et ses enseignes (il n’est pas de Feu), le mât de cocagne et ses présents, ses prix —

une fenêtre qui aère de l’intérieur, donne la vie ainsi que le jet son eau (il n’est pas d’Eau).

 

Ces quatre dialectiques, en symétrie, par les Gémeaux.

Ce qu’elles supportent et qui les porte (4ème), par l’unique Balancier du Souffle : son expiration m’inspire, son inspiration me tue.

L’Arbre qui fut et sera son nom inévitable, immortel et présent toujours.

L’arbre des générations. L’arbre de transmission. L’arbre caché de Sumer ou interdit de l’Eden, après les 7000 ans.
Jean-Charles Pichon

 

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SUGGESTION

Pour les personnes qui ne connaissent pas l’œuvre philosophique de Jean-Charles Pichon, il est difficile de savoir par quels ouvrages il convient de l’aborder.

Voici la suggestion d’un parcours  du plus simple au plus complexe.

L’Histoire des mythes, Petite Bibliothèque Payot,  Editions E-dite

L’homme et les dieux, Maisonneuve

Le petit métaphysicien illustré : la 1ère partie est disponible sur ce site.

Le  jeu de la réalité (les précis ridicules,  la machine de l’éternité),  disponible sur ce site.

Les dialectiques factrices dans les quêtes du Graal et les alchimies, disponible sur ce site.

 

Ces cinq ouvrages vous donneront un aperçu assez complet de la pensée de Jean-Charles Pichon, et, je l’espère, l’envie d’aller plus avant.

 

Pierre-Jean Debenat

 

 

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« Dialectiques factrices » : mode d’emploi

L’intégralité de cette oeuvre est à présent en ligne. Les dates de publication des articles ont été modifiées afin présenter ces derniers en une suite logique.

Dans l’article « L’image et le symbole« , vous trouverez un sommaire. Il vous suffira de cliquer sur l’un des titres pour y accéder directement.

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RALPH BENNETT

RALPH BENNETT,

SCULPTEUR DE MYTHES

Collection Jean-Paul Debenat

 

 

GOO LA’ SLACOON

 

Il est maître-sculpteur et conteur. Pendant l’été 2011, il a commencé à graver dans le cèdre jaune River Woman [la Femme du Fleuve]. Il est entouré de jeunes gens qui vont, avec lui, insuffler une nouvelle vie à l’énorme tronc qui a été transporté jusqu’à la bourgade d’Index (178 habitants), dans l’Etat de Washington (U.S.A.).

Là, sur les contreforts de la Chaîne des Cascades, dans un écrin de montagnes recouvertes de grands résineux — non loin de Steven’s Pass — l’équipe rassemblée par le sculpteur va apprendre à ciseler les différentes figures symboliques qui constituent la personnalité de River Woman.

Le River Woman Totem a l’ambition d’évoquer les richesses de la Nature qui entourent le village. Le totem sera un double de River Woman elle-même, cette entité qui préside à la vie sous diverses formes; cette vie que l’on trouve en abondance dans les forêts pluviales du Pacifique Nord-Ouest.

River Woman est aussi l’incarnation des populations, passées et présentes, et de leurs activités sur les rives de la rivière Skykomish.

Afin d’évaluer la tâche — l’épreuve, dirons-nous — qui attend les jeunes travailleurs, il faut aller sur Google et taper : Photos : the Cedar Log Arrival into the town of Index.

L’équipe peut se fier à Goo la’ Slacoon. Son nom se traduit en anglais par « Abalone Fingers » et s’interprète en français par « Les doigts de nacre ». La nacre est souvent utilisée dans l’ornementation des masques traditionnels.

Pour l’état-civil américain, le sculpteur s’appelle Ralph Bennett et il a suivi la même voie que son père, le maître-sculpteur John R. Bennet. Originaires des Iles de la Reine Charlotte, au large de la Colombie Britannique (Canada), ils sont issus de la tribu Haida.

Ralph est un artiste, et un « guide » également. Au travers des contes, chants et danses, il sait ouvrir les chemins de la réflexion. Le River Woman  Totem Project est beaucoup plus qu’une activité « culturelle ». Nous savons qu’il laissera des traces invisibles mais durables dans les esprits des participants.

Nous avons admiré l’art de Ralph lorsqu’un de ses totems, en cèdre rouge celui-là, fut offert à la ville de Nantes par le comité de jumelage Seattle-Nantes.

Puis, le sculpteur fut invité officiel de la ville de Nantes — avec un groupe de danseurs et chanteurs Tlingit — en 1997; précisément à l’occasion du festival des Arts et Traditions Populaires (1986-1998).

Ralph dirigea les opérations lorsque le totem fut érigé — temporairement au bord des douves du château de la Duchesse Anne.

Goo la’ Slacoon poursuit son œuvre tout en initiant les jeunes générations — d’Amérindiens notamment — aux savoirs des peuples premiers du Pacifique Nord-Ouest.

Gagiid Photo Jean-Paul Debenat

 

Chez les Haida, Gagiid est un proche cousin de Sasquash, l’Homme Sauvage des Forêts, ainsi nommé en langue Salish.

Jean-Paul Debenat

Corbeau Photo Jean-Paul Debenat

 

 

RECIT

 

Je suis d’une tribu qui n’allaite pas ses enfants. Ils se gavent pourtant — certains — de sucs autrement maternels. D’aucuns s’y enivrent. Ils se perdront plus tard dans des labyrinthes de roches… n’auront de sépulture qu’une sèche ravine et de rite funéraire que la becquée des busards.

D’autres se dessèchent : momies-fœtus à vocation de talisman. Une vie suspendue… Je me demande s’ils l’ont choisie. Ils nous servent d’emblème, a contrario. Ce sont les seuls, joues plissées, yeux bridés et rictus immuable, à demeurer statiques les jours de grand vent. Les sorciers les ignorent, à tort ou à peur, peut-être…

La plupart des autres se nourrissent des légendes que nous taisons. Ils savent voyager dans les esprits des morts, et se gaver du miel des récits millénaires. Ils sont de goût délicat : un tel se régalera de l’âme inachevée d’une vierge immolée à un dieu subalterne; un autre sucera avec délice les rêves tumultueux d’un vieux mâcheur de peyotl; un autre encore picorera avec grâce l’amertume d’un banni…

En règle générale, ils dédaignent la psyché des guerriers et matrones. Ils n’aiment pas les fruits mûrs.

Ils fuient les prêtres et, les jours de cérémonie, se mettent à distance pour leur cracher dessus.

Ils ne marchent pas et pourtant se déplacent — on ne sait comment. On veut les prendre dans ses bras, on s’approche doucement, la distance reste la même. On ne peut les toucher.

Ils se touchent pourtant entre eux — d’une façon qui nous dérange. Une étrange fusion…

Nous évitons leur regard, qui toujours accommode juste derrière nous.

Ils ne parlent pas, ou du moins nous ne comprenons pas les sons qu’ils émettent, en de rares occasions.

Par les nuits sans lune, ils se rassemblent sur la Colline, en petits groupes, et grognent de temps à autre, accroupis ou couchés sur le dos.

Dans la journée, on ne sait à quoi ils s’occupent. Pour certains, la contemplation d’une feuille de yucca peut prendre des heures. D’autres resteront assis, tout l’après-midi, le dos tourné à une fourmilière. Tous semblent porter une grande attention aux mouvements des nuages.

Ils vivent nus, et paraissent prendre plaisir à la caresse du vent sur leur peau.

Dorment-ils? Je ne saurais le dire. Même les yeux fermés, tout recroquevillés, ils gardent leur distance à notre approche.

Lorsque, par exception, nous surprenons l’un d’eux au détour d’un buisson, l’air se remplit de haine et nous devons faire demi-tour.

Apparemment ils ne jouent pas et pourtant j’ai l’impression en les voyant qu’ils se livrent à un jeu dont nous ignorons les règles.

Je ne sais combien ils sont, n’ayant pu les voir tous ensemble.

Ils ne vieillissent pas.

A présent, le Chef est toujours pris de tremblements, le sorcier se mutile en scarifications, ma femme et mon cousin, devenus aveugles, demeurent dans leurs cases jour et nuit, sursautant au moindre bruit.

Oui, nous ne sommes plus que cinq dans ma tribu.

Mais… vous entendez les tambours?

Pierre-Jean Debenat

Collection Jean-Paul Debenat

J’ai écrit, en 1997, ce texte pour Ralph Bennett. Mon frère Jean-Paul le lui a remis, et, à ce qu’il m’en a retransmis à l’époque, Ralph l’a apprécié.

Vous pouvez faire connaissance avec Ralph par l’intermédiaire d’une vidéo :

http://www.youtube.com/watch?v=FStV4PgVOpw

Devant le totem qu’il a sculpté, Ralph raconte son histoire : l’union du Vent du Nord et du Vent du Sud, le combat entre l’Oiseau-Tonnerre et la Baleine, autant de mythes fondateurs de la tribu Haida.

Il termine son récit par cette phrase : « La sagesse vient avec l’âge, et non par la force ».

Baleine-tueuse Photo Jean-Paul Debenat

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A propos de « Reliefs »

En 1994, Jean-Charles Pichon donna une conférence à des étudiants de l’I.U.T. de Nantes. Il y évoquait son dernier journal, « Reliefs », qui devait être publié en 2009 par les éditions Edite.

Voici la première partie de cette conférence, dans laquelle il parle de ses enfances, en parallèle avec celles d’Edgar Poe. (Document audio).

Pierre-Jean Debenat

RELIEFS1

RELIEFS 02

RELIEFS 03

RELIEFS 04

RELIEFS 05

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Métamorphoses

En 1986, j’ai réalisé une série de photos pour laquelle Jean-Charles a écrit ce poème.

P-J Debenat

Pierre-Jean Debenat

 

 

Vue des métamorphoses

Comme une ombre portée

 

De la pierre à la chair, de la chair à la pierre

de l’entraille terrestre aux rives de la femme

 

La terre au ciel de l’homme

mais Eros en Ghéa bien avant que d’éclore

 

La couleur comme odeur

L’absence comme joie

 

Au profond de la mort l’ébrouement de la vie

 

L’érotisme vainqueur de son épais désir

 

La ferveur retenue

d’un œil qui s’est ouvert pour dire le silence

 

Jean-Charles Pichon

Pierre-Jean Debenat

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Introduction : L’IMAGE ET LE SYMBOLE

En 1989, Jean-Charles me donna un exemplaire de son dernier ouvrage, publié par les Editions de l’Association des Etudiants en Médecine de Nantes. Il faisait suite, en quelque sorte, aux recherches qui donnèrent lieu à la publication des « Précis ridicules ». C’était, me dit-il, une illustration des dialectiques machinales, plus abordable que « La Machine de l’éternité ». C’est pourquoi il me semble important de le  porter à votre connaissance.

Pierre-Jean Debenat

LES DIALECTIQUES FACTRICES

dans les quêtes du Graal

et les alchimies

 

 

Les uns (mythomanes ou scientistes) se croient

toujours en possession des clés;

les autres, les savants, les mythologues,

les cherchent.

SOMMAIRE

L’IMAGE ET LE SYMBOLE

Première parie : LE GRAAL

I – Les formes du temps

II – Les temps d’une mode

III – Les modalités d’une mise au point

IV – Les mises au point de l’objectif

Deuxième partie : LES ALCHIMIES

I – L’objectif des inversions

II – L’inversion des symétries

III – La symétrie des abrégés

IV – L’abrégé des formulations

V – La formulation des ambivalences

Troisième partie : LA FORME VIDE

I – L’ambivalence des applications

II – Les applications de la table

III – La table des matières

LES MACHINES ANNEXES

 

 

L’IMAGE ET LE SYMBOLE

 

L’homme de raison et l’homme de foi prétendent tous deux à la saisie objective de ce qui est, soit par la perception, soit par la conception de l’Objet. Mais, très souvent, pour les besoins de leur cause, ils confondent ces deux sortes d’objets : l’objet dont l’homme — JE — est l’origine : une fugue musicale, un poème, une peinture, une machine, un système, et celui dont je ne se donne pas pour l’origine et que, seul, il prétend « réel » : un animal, un végétal, une substance minérale, etc.

Dans le premier cas, je considère l’objet comme une lecture de quelque chose d’autre, que l’objet eut pour fonction de représenter, de reproduire ou d’imiter : il n’est rien qu’une image de la réalité. Dans le second cas, je ne peut approcher l’objet que par une lecture particulière, que je dira scientifique ou rationnelle et qui ne sera jamais qu’une lecture de symboles déterminés (mathématiques, chimiques, etc.).

Du moins, telles furent les deux formulations de l’objet, les deux vocables utilisés par je depuis deux siècles pour dire « l’objet comme » : l’image, et « l’objet par » (la constitution de ces symboles-là). L’image ne concernait que les aspects du réel, rendus + ou – fidèlement par l’artiste ou le mythologue, mais aucunement la substance même de la réalité. Le symbole ne traitait que de cette matière (en sa masse ou son énergie), mais aucunement des aspects de l’objet réel : quand j’ai dit les cellules, molécules ou atomes qui constituent un arbre, je n’ai rien dit de l’arbre, de la couleur de son feuillage au crépuscule, à l’aube, à l’automne, au printemps.

Plutôt que la chose en soi, le vocable : objet en venait à nommer le but, la projection de la lecture. L’objet de l’art était une ressemblance parfaite avec la chose, comme l’affirmait le naturalisme, le réalisme, le cinéma-vérité. L’objet de la science n’était que la constitution d’une méthode ou technique exacte dans l’approche de la réalité. Plutôt que la beauté, l’objet de l’image était une « conformité »; plutôt que la vérité, l’objet du symbole était une « exactitude », une justesse.

Mais, vers le milieu du 20ème siècle, soudain, les deux vocables ont inversé leur sens. De nombreux chercheurs auront concouru à cette inversion. Mais se peut dater de l’invention des Grandes Images par Jung (autour de 1940) et du Système de symbole physique, par Herbert A. Simon, trente ans plus tard. Etrangement, Jung ne fut d’abord qu’un médecin, Simon qu’un économiste, techniciens (scientistes) l’un et l’autre. Ils recouvraient et justifiaient, que ce fût consciemment ou non, une longue suite de poètes, de peintres et de musiciens mythologues, depuis Edgar Poe ou Baudelaire jusqu’à Roussel, Artaud, Michaux, depuis l’impressionnisme jusqu’à Magritte ou Dali, depuis la musique romantique jusqu’à la musique sérielle.

Or, il s’agit toujours, ici et là, d’une intériorisation de la notion d’image, d’une extériorisation  de la notion de symbole.

Pour Jung, les Grandes Images ne sont plus des aspects de l’objet humain mais comme des éléments — scientifiques — de la connaissance la plus intime de l’Etre. Pour Simon, le Système de symbole physique déborde le champ scientiste : il ne constitue pas l’étude ultime de la matière, de la vie, de la pensée (par l’atome, le gène, le neurone) sans expliciter la fugue musicale, le poème ou la fable. Au cœur de l’être, la Grande Image est constituée de la substance même. L’homme du Poisson n’est pas l’homme des Frères. Non seulement l’objet mais le sujet qui l’observe (JE) ne sont que des composés de Grandes Images, dont l’étude révèle la réalité profonde (l’Inconscient).

A l’inverse, en tant que véritable, le symbole n’est pas seulement un élément de la recherche scientifique. Il ne peut être distingué du Système qui l’utilise. Ce système (de symbole physique) n’est pas constitué de symboles, mais il est lui-même symbole, tel que le système de Ptolémée ou celui de Kepler, le système de Newton et celui d’Einstein. Plus : ce système également celui de Charles Perrault (en ses contes) ou de Bach (en ses fugues). Je pourrais dire qu’un sub (ou sur) conscient impose le même ordre symbolique à Virgile et à Ptolémée, aux Rose-Croix et à Kepler, aux poètes de la Golden Dawn et à Planck.

Si étrange qu’elle soit, cette révolution de Jung et de Simon n’est pas vraiment nouvelle. Car il y eut de nombreuses époques (avant le 18ème siècle pour la dernière) où le symbole fut reçu pour le signe extérieur de la réalité : exactement, ce qui est manifesté, et l’image pour la saisie la plus intime de l’être : « l’homme est fait à l’image de Dieu ». Le signe/symbole, alors, n’était que l’aspect visible, sensible, de l’image/substance.

Pourrait-on en déduire que, quelque part, les Grandes Images et le Système de symbole physique sont synonymes? Que les unes peuvent être prises l’une pour l’autre? Il s’ensuivrait que l’image (et l’œuvre d’art, la mythologie qui la porte) et le symbole (et toutes les sciences qui en usent) expriment et contiennent la même réalité; ou, qu’au bout des deux quêtes, l’homme-je doit se reconnaître également ignorant — ou savant — de ce qu’il est. Jung et Simon le disent, en pariant tous les deux sur le Savoir (final) de Je. Mais, avant eux, bien sûr, des dizaines de savants, depuis Archimède et Démocrite, sinon depuis les experts, les « apkalu » de Sumer.

Des milliers de mythologues et d’artistes l’ont montré, dont les vestiges, les ruines et les textes, nous prouvent l’existence depuis 6 000 ans aussi. Car, moins nombreuses que les systèmes de symbole physique, les Grandes Images sont plus durables, et plus diversifiées.

Une autre conséquence de la synonymie serait qu’en de certaines époques, le système de symbole physique se fait une grande image, ou à l’inverse, le rationalisme un nouveau dieu, ou à l’inverse, et l’histoire nous prouve qu’il en est bien ainsi.

L’objet de ce livre n’est pas autre que l’étude des processus par lesquels la Grande Image se fait un Système de symbole physique : ce sont les Quêtes du Graal, lors du dernier renversement. Et l’étude des processus par lesquels le Système de symbole physique donne lieu à de nouvelles Grandes Images : c’est toute l’alchimie. Il n’en suit pas que les quêtes du Graal et l’alchimie révèlent ce qui est l’Etre en soi. Mais aucune quête et aucune science ne le révèlent, bien qu’elles l’imitent, le créent ou le connaissent parfois, soit symboliquement, soit par l’image.

Je ne peut parler des Quêtes ou de l’Alchimie sans dire leur « objet ». Mais cet objet ne sera jamais qu’une image ou un symbole, dans les sens — tout contradictoires — que je viens tenter de définir.

Il reste que ce changement — s’il est possible — du Système de symbole physique (S.S.P.) à la Grande Image (G.I.) ou à l’inverse, n’est pas contenu dans l’image (une figure) ou dans le symbole (un nombre), c’est-à-dire qu’il échappe à la lecture de l’objet. Au contraire, le changement se caractérisera comme ou par un fait, dont Je sera la cause : on parlera d’un acte, ou dont le processus échappera au Je : on parlera d’un évènement.

Il s’ensuit que la dialectique du fait se présente à l’inverse de la dialectique de l’objet, ou le change à l’inverse de la lecture. Considéré comme indépendant de l’homme-je, le symbole n’est connu, approché que par une méthode bien définie, un S.S.P.; considérée comme dépendante, l’image n’est perçue ou reçue que comme une représentation, fidèle plus ou moins, du réel. Au contraire, le fait d’origine humaine, l’acte, est reproductible par un ordre de symboles ou un système; le fait non-humain, l’évènement, n’est reçu que comme semblable, ou non, à quelque change déjà connu : le typhon évoque une courbe refermée sur soi-même, un cycle, je le nomme un cyclone.

Pour être perçue, la G.I. intériorisée (archétypale) devra être conçue comme un Système de symbole physique, mais aussi modifiée par l’acte (médical, psychanalytique). pour être seulement nommé, le S.S.P. extériorisé devra passer par le canal d’une ou de plusieurs G.I., exhaustives ou valorisantes.

Il en est ainsi, par exemple, quand une G.I. religieuse se fonde sur un évènement, mythique ou phénoménal : la Création d’Adam, l’Alliance d’Abraham, la Passion du Christ. Le S.S.P., alors, est la religion même qui naît de la G.I. : sumérienne, hébraïque, chrétienne. Il s’agira d’un S.S.P. rituel ou liturgique, qui reproduira chaque jour, chaque semaine ou chaque mois le mythe originel.

Il en est ainsi, à l’inverse, quand un S.S.P. d’origine humaine ou scientiste, se fait, à la longue, une G.I., comme le système de Ptolémée a imposé au monde romain une certaine image du Cosmos; ou le système de Copernic, douze siècles plus tard, une image du Cosmos toute différente.

L’Histoire montre que le premier change mène d’une Promesse à une série de déliements, de désobéissances, qui ne sont jamais que des actes; et que le deuxième change mène d’une sorte de Défi à une nouvelle Réponse, valable un certain temps comme représentative de l’univers.

Mais dans ce dédoublement de la dialectique première (image ou symbole) par la seconde (acte ou évènement), je ne peux plus parler de synonymie, car il n’est plus de sens commun entre la lecture de l’objet d’une part et le change ou le fait de l’autre.

Il est possible, néanmoins, qu’une communauté demeure entre les deux directions ou les deux sens (irrationnel et rationnel). Cette communauté sera une homonymie. C’est ainsi qu’un objet localisé (une banlieue) et un acte de défense se diront tous les deux : parage. Puis, le parage, comme acte, et un ensemble d’objets, de parures, se diront tous deux : parade.

Si je considère le changement comme un passage plus ou moins passager, ce pourra être une rue, plus ou moins peuplée, ou un vol, plus ou moins rapide. Si je traite de rues ou de voies, au carrefour, je dis le passage à niveau, le PAN; si je traite de la vitesse et de la charge d’un coup, d’une agression, je dis le passage à tabac, le PAT. Le PAN ordonne le déplacement, le PAT entraîne une mutation. Or, il n’est de change que de l’un ou de l’autre, c’est un déplacement ou une mue.

C’est donc par le jeu de mots ou par la méthode des homonymies que le jeu des figures, des images, et celui des symboles-nombres peuvent se rassembler en ces deux approches du réel : la G.I. et le S.S.P., si étrange, si improbable qu’en soit le rapprochement. Nous tenterons de le démontrer dans ce livre.

Mais la tâche n’en est pas aisée. Comme on le voit par le  simple change de deux dialectiques évidentes en une diversité de dialectiques déjà considérable. Car je ne peux pas traiter de certaines homonymies de l’image et du symbole, dans la Lecture, sans traiter aussitôt de leurs changes (de l’une en l’autre ou à l’inverse), de l’évènement ou de l’acte; puis des sens de Parade ou de Passage. Du peuplement, dans l’espace, et de la rapidité dans le temps, ou du carrefour, du PAN, et du conflit, du PAT, etc.

A ne considérer que les 4 : les 2 lectures et les 2 faits d’une part, les 3 de l’autre : l’horizontale, la verticale, les diagonales, deux schèmes bien différents apparaissent nécessaires :

Ces schèmes ne sont pas de mon invention. Le premier reproduit la croix sur laquelle se fonde la physique moderne : le Temps à la verticale, l’Espace à l’horizontale (en donnant les lectures pour une vision classique, très ancienne, de l’Univers et les Faits pour une conquête récente d’une autre science, relativiste et quantique). Sans doute, ici, le S.S.P. domine, par le symbole et l’acte, mais l’ensemble est bien une Grande Image (par exemple, celle des 4 cordes ou Modèles d’Univers), et le Système se veut soumis à l’évènement.

Le second schème reproduit la croix par laquelle l’épistémologie explicite les objets et les changes du langage, depuis de Saussure jusqu’à Hallyn, mais aussi par laquelle Jung, Eliade, Teilhard de Chardin (et Baudelaire, Mallarmé, Valéry avant eux) ont conçu l’univers de l’évènement et de l’image. A la verticale, une plongée, une « retombée », de la Transposition, de la Noosphère à la pression des faits; à l’horizontale, une multiplication, une complexification des actes, par l’autre presse, dans la Biosphère de Chardin, ou par la syntagmique des linguistes. La Fable verticale, le Principe horizontal, toujours.

Il est sûr que les quêtes du Graal ignoraient tout de l’épistémologie, ainsi que du « symbolisme »; certain que l’alchimie n’a rien su des physiques subatomiques. Mais nos sciences de la lecture n’ignorent pas tout du Graal, ni nos sciences physiques de l’alchimie. D’où, la passion de Jung pour le Graal, d’où celle de Guilli et d’autres biochimistes pour l’alchimie. Si quelque ethnologie (la science des traditions) guide nos psychanalystes, le rêve alchimiste : l’algorithme universel ne cesse de hanter nos physiciens et nos biologistes. Aujourd’hui comme hier, le change de la Promesse au déliement nous désespère; le change du défi à la réponse nous exaspère et nous relance — envers et contre tout.

Jean-Charles Pichon

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Première partie : LE GRAAL – I – Les formes du Temps

Première partie :

LE GRAAL

 

Illustration Pierre-Jean Debenat

 

I

Les formes du Temps

 

Je nomme les Lectures du Graal une promesse et une réponse, selon qu’il m’est donné comme une G.I. ou que je l’institue comme un S.S.P. Je nommerai Délits les changes (translations, mutations) du S.S.P. à la G.I. ou à l’inverse. Mais le temps n’est pas venu de s’en expliquer.

A ce plan du Graal, tout est contenu entre les deux lectures : une promesse et une réponse. Cette circonstance n’est point particulière au Graal. Toutes les « plus grandes images » la reproduisent. Car il s’agit toujours d’une longue période, d’au moins mille ans (et de plutôt 12 siècles) entre une promesse et une réponse. Deux millénaires avant le millénium du Graal, ce fut la G.I. de l’Alliance. Quatre millénaires avant le Graal, ce fut la G.I. de l’Eden.

Jusqu’en notre 18ème siècle, personne ne doutait que l’Eden s’était situé vers 4000 avant le Christ, et l’Alliance vers 2000 avant J.-C.  Historiquement datés par le rationalisme, le temps de la Création (du nombre et de l’écriture, entre autres) et le temps d’Abraham, de la Justice-foi, se situent aux mêmes dates : entre le Tigre et l’Euphrate le premier (Jemdet-Nashr), au nord de la Palestine le second (le Harrar).

En ce qui concerne le temps de la Création, de ses experts ou « apkalu » depuis les « nomes » égyptiens jusqu’à la 1ère dynastie ou depuis les « tells » mésopotamiens jusqu’à l’ultime Warka, il est contenu en ces deux lectures : du Livre de la Création et du Livre de l’homme qui a vu (Gilgamesh). L’homme de la promesse, Adam, a légendairement vécu mille années; et l’homme de la réponse (Oupanishtim ou Noé) a vécu ces mille ans aussi.

En ce qui concerne le temps de la Justice ou de l’Alliance, de ses justes ou des patriarches (dans la Genèse) et des livres des rois, mille ans plus tard. L’ensemble des lectures constitue le Pentateuque, ou les 5 Livres d’inspiration divine : Genèse, Exode, Deutéronome, Lévitique, Nombres quelquefois dénombres tout autrement.

Toutes les quêtes du Graal, inconscientes ou conscientes, content le temps qui s’est écoulé entre la formulation du Graal, après la mort du Christ, et son élucidation, au 12ème siècle.

La promesse — Elle est un évènement : la Création (ou le mythe de Création), l’alliance/justice (ou le mythe de Justice), l’amour/nourriture (ou le mythe de l’Amour). Evénementielle, elle est divine. C’est Dieu Même qui, d’abord, se fait le Créateur, ou le Justicier, ou l’Amant.

La promesse, par suite, n’est pas autre que l’Etre Même : « Je te crée créateur », « Je tu juge justicier », « Je t’aime, aimé/amant ». Matériellement — car elle n’est pas abstraite — la promesse est aussi l’engagement, le lien : un lieu, l’Eden, une durée (de la race d’Abraham), une nourriture (le corps et le sang du dieu).

Mais cette Terre édénique, cette Race, cette Nourriture sont éternelles, à une seule condition près : que Je s’accepte conditionné par le Réel, par ce qui est, par Dieu.

Ce lieu, l’Eden, est aussi une permanence, pour la race d’Adam, l’espèce humaine, et une nourriture, de la Voix d’Elohim, du souffle divin. Cette permanence, la Race d’Abraham (et, plus généralement, celle des Justes : les Brahmanes dans l’Inde) résidera en un lieu : l’Egypte pour Jacob, Quetta, Argos, elle y trouvera sa nourriture : l’Alliance même.

De même et autrement, cette Nourriture, le corps et le sang du Christ, fera la subsistance, la permanence de Je, en un lieu plus mal défini mais encore situé à l’Ouest, à l’occident : Rome, d’abord, quelque Bretagne plus tard.

Cette nourriture, cet engagement, ce lieu ne sont qu’un. Ensemble, ils constituent la première lecture, la Promesse, que portent le Livre de la Création, le Livre de l’Alliance (des patriarches), les Evangiles, vers -4000, ou -2000 ou l’an 0. Ineffaçables, les trois livres. Car il n’y aurait pas de création (ni de technique), de justice (ni de loi), d’amour (ni de charité) sans eux.

Mais quelque chose est advenu ou s’est produit — un acte de Je — qui m’a délié de la promesse, qui l’a changée en un défi.

Le déliement achevait le temps de la promesse. Le défi exigeait une réponse, après les 10 ou 12 siècles.

La réponse — La promesse, en sa substance même, fut un acte (divin) de description nouvelle de ce qui est : l’évènement qui produisit la G.I. : Eden, Alliance, Graal. La réponse n’est jamais qu’une description des actes, agis par Je, qui ont conduit de la promesse à la réponse.

Celle-ci se développe — dans le temps — par la description des générations d’Adam, ou des Tribus (de Jacob, puis de Moïse), ou des Quêteurs : la description des personnages ou des acteurs. Il suit que la dialectique de la promesse se joue entre les deux : le dieu ou l’homme-je (Adam, Abraham, l’homme en soi). Mais la réponse comporte des éléments innombrables, ou autant de réponses qu’il y eut d’acteurs ou de moyens : la réponse de Noé ne fut pas celle de Caïn, ni celle de Salomon celle de Dan, ni celle de Galaad celle de Gauvain.

Si la Promesse fut l’Unité (de l’Etre Même) et la Réponse une pluralité (ou un néant), il demeure certain que l’humanité est revenue de ce néant à cette unité, un certain nombre de fois. Il s’en déduit que l’Unité n’est pas unique : elle peut être une singularité (par opposition à la généralité), ou une partialité (en une totalité). Et que son opposition peut être une généralité ou une totalité.

C’est ainsi que la totalité de la Réponse : les œuvres de la création, le Pentateuque, les Quêtes du Graal, contient de fait une généralité, dont chaque action d’un descendant d’Adam, une tribu, un quêteur ne fut qu’une partie, en même temps qu’une singularité.

Si, donc, la Promesse tient en un livre, une lecture : du Livre de la Création, de la vie d’Abraham, de l’Evangile, la Réponse tient en de nombreux livres : les livres des Témoins, les cinq du Pentateuque, les Quêtes du Graal. Nous savons seulement que ces livres furent écrits dix ou douze siècles après le temps de la Promesse : vers -3000, vers -1000, vers 1180/1260.

Car toutes les quêtes du Graal, entre autres, tiennent entre le 12ème siècle (1180) et le milieu du 13ème (1260?) : elles traitent toutes de la réponse que Je apporte au problème du Graal, quand les écrits et les lectures des premiers siècles n’en contenaient que la promesse : le premier Graal.

Le déliement et le défi — Présentées de la sorte, cependant, les lectures demeurent inintelligibles, car je ne distingue pas du tout le rapport qui devait exister entre la Promesse (l’Eden, l’Alliance, le sang Réal) et la Réponse, mille ans plus tard. On ne répond qu’à un défi, alors qu’on se délie d’une promesse.

Quelque chose dans les mille ans a dû se produire entre les deux lectures : un déliement de la promesse divine par l’homme, un défi de Dieu à l’homme, auquel celui-ci dut répondre.

Or, le défi, cet évènement, et le déliement, cet acte, sont toujours longuement commentés dans les textes. D’une certaine manière, la promesse s’achève ou se complète par ce défi. La réponse, l’action humaine, s’amorce dès le déliement.

Le défi — Les livres de la Promesse se fondent sur le 4. Dans le passé le plus lointain, il s’est agi des 4 fleuves de l’Eden, d’une manière peu intelligible (pour l’homme du 20ème siècle chrétien), mais aussi par la formation (ou la Genèse) de l’Androgyne et par la création proprement dite d’Adam et d’Eve, puis par le destin des Frères, fils du Couple, et par celui du Fils Seul, de l’Adam mâle/femelle : Seth.

Au 1er Adam, « qui se nourrissait d’herbe », l’Eden appartint sans partage, ainsi que sans restriction. Il en sera de même pour sa descendance, celle de Seth, d’où Noé, Abraham et Jésus sortiront. Une race à demi divine, en quelque sorte, qui maintiendra dans son intégrité la pure promesse.

Au 2ème Adam, « maître de tous les animaux et qui se nourrissait d’eux », est réservé le défi de Dieu : « Tu ne toucheras pas à l’arbre du Savoir, mais seulement aux fruits de la Vie », ou, sinon, tu seras arraché à l’Eden. Le défi se présente ici comme une interdiction : tu ne passeras pas outre; et, par suite, comme une limitation, la plus parfaite de toutes les limitations : la mort.

Les Livres de la promesse suivante, l’Alliance, se fondent également sur le 4 : les 4 patriarches d’abord : Abraham, Isaac, Jacob, Joseph, les 4 cardinaux ensuite, où tous, de Jacob à Ezéchiel, tenteront de répartir les 12 tribus.

Ici, de même, une 1ère promesse a été transmise à Abraham : une race invincible naîtra de ton sexe (circoncis), la terre lui appartiendra. Bien évidemment, cette Terre Promise est celle du plus grand empire de l’époque : l’Egypte, qu’Abraham a visité et que Joseph dominera.

Pourtant, au terme du Livre de la Promesse, elle sera tout autre : Vous reviendrez en votre territoire, a dit Jacob à Joseph, et Joseph le redit à ses frères quand, maître de l’Egypte, il pardonne à ses frères de l’avoir vendu.

Tout le monde sait que les Evangiles, les Livres de la 3ème Promesse, sont 4. Plus tard, ces 4 évangélistes seront imagés par des animaux, symboles eux-mêmes des Eléments : le Taureau de Terre, le Lion de Feu, l’Aigle d’Air, l’Homme-Poisson.

Ici, la promesse innocente et pure ouvre le recueil : Je suis pour vous nourrir, par mon sang et ma chair, par mon amour. Celui que je nourris ne périt point. Mais, dans le dernier évangile, de Jean, la promesse s’est faite tout autre : Je ne serai plus là, un jour, l’autre viendra, le Consolateur, le Paraclet, l’Esprit, qui vous comblera de ses dons. Pour le recevoir, il ne vous suffira plus de vous nourrir de moi, mais il faudra que vous vous aimiez les une les autres.

A chaque fois, pour que l’homme-je ne s’y trompe pas, quelque désastre est annoncé, qui doit séparer la promesse pure de la promesse défi :

« Tu peineras et mourras » a dit le Souffle à l’Adam deuxième.

« Vous peinerez et souffrirez (au point de vouloir quitter l’Egypte) » a dit IAV à Jacob, puis Jacob à Joseph, puis Joseph à ses frères.

« Vous souffrirez et me trahirez, comme Judas » a dit le Christ à ses apôtres, dans l’évangile de Jean.

Car le déliement n’est pas moins assuré, annoncé, proclamé que le défi. Je ne peut que désobéir.

Le délit — Il échappe aux promesses ou aux formes du Temps. Il fait cependant l’objet de la seconde lecture, et impose la réponse au défi précédent. D’une certaine manière, il remplit les 12 siècles qui s’écoulent d’une lecture à l’autre. Car la promesse est double : promesse pure, défi. Mais le déliement est innombrable.

Adam s’est délié, puis Caïn, puis les femmes tentées par les anges, puis le créateur de Babel : Nemrod (ou Nemred ou Nami, selon les religions). La race d’Adam a eu son mal (Caïn), la race de Seth le sien (Japhet ou Cham), la race de Sem le sien (Nemrod), etc.

Abraham a commis sa faute (donner son épouse pour sa sœur), les fils de Jacob ont commis la leur (vendre Joseph), Moïse doutera, le Peuple adorera le Veau d’Or, etc.

Parmi les apôtres, Judas a trahi le Christ. Parmi les quêteurs du Graal, Melyant se trompera et Lyonel trahira. Lancelot, Hector, bien d’autres, n’iront pas jusqu’au bout de la Quête.

Mais le nombre des coupables est tel, ici, qu’ils ne peuvent appartenir seulement aux Lectures ou, plus précisément, à une Grande Image. Car, tous,  ils ont joué d’un système de symbole physique, d’une technique, d’une loi, d’une morale, qu’ils ont placés, en quelque sorte, au-dessus de Dieu, jusqu’à nier Dieu. Ils n’ont pas respecté les « formes du Temps », leur préférant « le temps d’une mode ».

Reste la question : lequel précède l’autre, du déliement ou du défi?

Jean-Charles Pichon

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LE GRAAL – II – Le temps d’une mode

II

Le temps d’une mode


De ce qui précède, il suit que la Grande Image n’est pas une notion simple, ni seulement dialectique, car elle recouvre les 3 notions bien différentes : un lieu (externe), une nourriture (interne), une permanence ou une rupture, une liaison ou un déliement, qui exigent la notion de succession (de phases ou d’états distincts).

Mais il n’est pas possible de traiter de ces 3 sans supposer quelque communauté entre eux : celui ou cela que le lieu localise, que la nourriture charge ou nourrit, et qui se délie ou se lie, se développe ou se réduit au long de la succession susdite. Cette chose, localisée ou non, chargée ou non, durable ou non, ne peut être dite un objet (car il peut être sujet), ni un fait seulement objectif (évènement, acte), car il peut être agi, par l’évènement, ou acteur de l’action. Ce 4ème élément, je le nomme un personnage.

Aussitôt se découvrent des dialectiques autres.

Le personnage peut être l’objet de la promesse ou du défi, de la lecture/promesse ou de l’évènement : en quelque sorte, au terme du processus. C’est lui qu’on place : dans l’Eden ou hors de l’Eden, en Egypte ou en Palestine, en Orient ou en Occident; c’est lui qu’on nourrit : d’herbe ou de viande, richement ou pauvrement, du Sang ou d’aucun sang, selon l’époque; qu’on oblige au voyage, de l’est vers l’ouest ou à l’inverse, etc.

Mais il demeure ou redevient le sujet du déplacement, de la liaison ou du déliement, de l’enrichissement ou de l’appauvrissement. On ne lui impose que le Plein ou le Vide, l’Eden ou la Sauvagerie, l’Egypte ou le Jourdain, le Château ou le Désert. Mais c’est le personnage, en son Système de symbole physique propre, qui demeure la cause du processus, par l’acte.

Il n’étonne pas que, comme objet, le personnage ne soit qu’un : Adam, le Peuple ou le Quêteur du Graal, même si le défi le partage en 2 Adam (de la Genèse 1ère ou de la Création), en 2 peuples (l’Israël de Jacob, l’hébreu de Moïse) ou en 2 Quêteurs (les Apôtres de Jésus, les Chevaliers de la Quête). Mais ce ne peut être sans que le personnage/sujet se diversifie sans fin. Il se fait les générations de Seth, celles de Caïn; les fils de Jacob ou les tribus de Moïse; les 12 apôtres, puis les 12 chevaliers. Incomparables, comme les « modes » qui se succèdent dans le temps, car chaque génération de Caïn, chaque tribu de Moïse, chaque chevalier vivra son destin propre, commettra son délit ou répondra au grand défi d’une manière autre.

La complexification des personnages se fait telle, en fin de compte, que toute comparaison entre les Grandes Images apparait illusoire. De nombreux exégètes ont tenté de comparer les générations aux tribus (les prophètes juifs) ou les tribus aux chevaliers (les prophètes chrétiens) sans parvenir à autre chose qu’un amalgame.

Car le monde où vivaient les uns ne fut pas le monde où vivaient les autres, leurs objectifs furent autres. La réponse donnée par Noé ne pouvait être un modèle pour Salomon, ni la réponse donnée par Salomon un modèle pour Galaad. Je essaie toujours de comprendre pourquoi.

C’est que si je traite des personnages, je doit renoncer à un parallélisme suspect ou improbable. Il lui sera permis de garder en mémoire que, d’une manière indescriptible pour l’instant, le processus des Quêteurs a reproduit celui des tribus, qui reproduisait celui des Générations. Mais sans qu’il soit possible de comparer tel quêteur à telle tribu, telle tribu à telle génération. Je ne peut traiter du personnage que dans son monde, son ère, sa croyance propre (comme le savant ne traite que de « relativité restreinte » ou de la vitesse, de l’énergie dans un système donné).

Le système choisi est le plus proche de nous, le mieux connu : celui du Graal.

Les personnages du Graal — Ils sont enclos entre les deux lectures, de la Promesse (de Matthieu à Jean) et de la Réponse (à partir de 1180). Car ils ne sont jamais que les objets du défi ou les sujets du déliement.

Ils sont innombrables (certains textes parlent de 300 chevaliers) ou nombrés, par les 12, comme les apôtres. Mais, en chaque phase du processus, ils ne sont que 3 :

a) en l’origine, les 3 du Lac, élevés par la Dame du Lac (la Vierge) : Lancelot, Hector et Bohort;

b) au terme, les 3 de la quête finale : Bohort, Perceval, Galaad;

c) dans l’ensemble des quêtes : l’homme de l’origine, Gauvain, l’homme du terme, Galaad, l’intermédiaire : Perceval.

Les 9, par suite, ne sont que 6 : Lancelot, Hector, Bohort, Gauvain, Perceval, Galaad.

6 autres personnages sont exclus de la Quête, ou y périssent : le traître par le cœur : Mordred, le traître par l’aspect : le Chevalier Noir (ou Vert), les victimes : Melyant, Yvan, Cologranant, et le bourreau-victime : Lyonel.

Yvain précède la Quête : il n’a pas su choisir entre les bêtes : le Serpent et le Lion. Gauvain le tue.

Cologranant, le non-défini, est tué par Lyonel, frère de Bohort.

Melyant, l’indécis, s’est trompé de route, au carrefour. Il a choisi la voie qu’il ne fallait pas prendre.

Mordred est le traître du château d’Arthur; Lyonel, le maudit de la Quête.

Le Chevalier Noir (ou Vert) plane sur l’ensemble : tous le rencontrent : ils meurent de son défi ou y survivent. S’il prend une forme féminine, ce qu’il peut faire, seuls le vierge (Bohort) et le chaste (Perceval) triomphent de son défi, de sa tentation. Sinon, il n’est que l’adversaire, dans le PAT, ou le doute au carrefour, dans le PAN. En tous les cas, le Malin, le Démon Même.

Tels sont les personnages de la Réponse, de la Quête, écrite mille ans après l’achèvement de la Promesse/défi :

30/180, les 4 Evangiles, de Matthieu au prêtre Jean;

1180/1260, les quêtes de Gauvain, depuis Chrétien de Troyes et Boron, jusqu’aux quêtes de Galaad, allemandes ou cisterciennes, dans la première moitié du 13ème siècle.

En sa transcription, cette lecture : la Réponse, ne couvre pas un siècle, au plus les 90 ans (1180/1270). En son objet, elle ne couvre guère que les 4 siècles, du temps d’Arthur, le 5ème siècle, au temps de Charlemagne (empereur en 800), mais elle réduit ces 4 siècles en un seul, puisque Galaad a connu Gauvain.

D’où la question première : lesquels succèdent les uns aux autres?

Lesquels se présentent comme simultanés? C’est le problème qui traverse toutes les quêtes du Graal, comme il traversé les « réponses » hébraïques : des 12 tribus, laquelle est la première, l’élue? Ou bien lesquelles, par groupes de 3, doivent être situées au nord, au sud, à l’ouest, à l’est?

Depuis le premier ordonnancement de Moïse : l’ordre de marche des tribus jusqu’au dernier, d’Ezéchiel (très au-delà du terme du Pentateuque), le problème a exigé de nombreuses réponses, contradictoires, de Moïse lui-même, de Josué, des Juges et des Rois. Mais, dans les quêtes du Graal, il n’apparait qu’une fois sous cette forme archaïque (dans les textes tardifs du 13ème siècle).

Perceval, Bohort et Galaad se retrouvent au château du Graal chrétien, pour la dernière eucharistie, avant le voyage ultime. Neuf autres chevaliers sont là : 3 du Nord (Normands ou Vikings), 3 de l’Ouest (Irlandais ou Gallois) et 3 de l’Est (Gaulois). Il suit que Perceval, Bohort et Galaad sont des héros du Sud, et ce sera bien vers le Sud (est) que le dernier voyage les portera.

Pour le reste, il convient de ne pas l’oublier, rien n’identifie les 12 de la Quête aux 12 des G.I. antérieures (tribus, générations) et même pas le nombre. Car, très vite, les Fils de Jacob n’ont plus été que 11 (par l’exclusion de quelque tribu, de Siméon, de Dan ou de Benjamin) ou les 12 autrement (par le dédoublement de Joseph en Ephraïm ou Manassé), sinon les 9 nombrables, en 3 triades (avant, après, successivement) que portaient les 6 Elus, au demi de 12.

C’est que les 12 Fils ou les 12 Apôtres (les 12 du Zodiaque sumérien aussi) ne posaient aucunement le problème : la Promesse les contenait ensemble, elle les maintenait dans cet ensemble, toujours une Table : d’Emeraude, de la Loi, de la Cène. Mais le millénium qui sépare les lectures (promesse/réponse) n’impose pas la succession, des 11, des 10 ou des 9, sans rompre cet accord premier (par le déliement) ou exiger d’autres délits.

Que demeure-t-il alors? Des dialectiques annexes, et peut-être illusoires, abstraites, qui ne jouent plus de la G.I., comme promesse ou comme réponse, mais d’une infinité de S.S.P., selon les symboles choisis.

De ces dialectiques abstraites, la plus fréquente est celle des Sens : de l’est vers l’ouest ou de l’ouest vers l’est, mais ce peut être du vide au plein, du plein au vide, d’enrichissement ou d’appauvrissement, d’augmentation ou de réduction, etc. Telle, en tous cas, qu’une voie est au contraire de l’autre en tous ces points.

En ce qui concerne les Quêtes, deux personnages incarnent clairement les deux voies : Gauvain et Galaad.

 

Gauvain — Il n’est clairement décrit que dans les quêtes du 12ème siècle. Toutes ses aventures se situent au temps d’Arthur (autour de 500). Bien qu’il ne soit jamais dit s’il survit ou non au roi, il apparait — furtivement — dans les quêtes les plus postérieures, et même dans certaines où triomphe Galaad.

Trois traits le caractérisent, qui l’apparent tous trois aux premiers chevaliers ou aux chevaliers du Lac (préchrétiens) : il est noble, il voyage de l’est vers l’ouest, son domaine est la fable, le monde du féerique ou du merveilleux (la Promesse).

Gauvain est noble, fils de Roi (un frère d’Arthur). Ce n’est sans doute pas assez dire. Il ne vit, ne voyage que dans son clan, en sa propre famille. Toutes les femmes, tous les hommes qu’il rencontre, aime, combat, sont des sœurs, des cousines, une tante, une mère, des oncles ou des cousins.

Il est comme ces héros de fables africaines (des traditions bantous ou bambaras) où les combats se livrent entre le neveu et l’oncle, le fils et le neveu. Ce lieu clos, la famille, est le lieu du combat, la lice; mais aussi de l’amour, le lit. Car c’est bien, toujours, une conjugaison de la femelle et du mâle (la « connaissance » hébraïque) qui procrée le fils ou le neveu, associe le frère et la belle-sœur, ou le beau-frère et la sœur, etc.

L’acte de Gauvain ne peut donc être qu’un PAT, un Passage à Tabac.

A la limite, il n’a jamais le choix : il doit prendre ce qui lui vient, le vaincre ou être vaincu.

Son domaine est la fable. Ce trait se déduit du précédent. S’il n’a pas le choix, il n’a pas non plus de liberté. Il ne peut être que conduit en ses voyages, comme le héros des contes par la fée qui le guide, la sorcière qui le tente. La Dame  domine ici, et, de fait, c’est le plus souvent une femme qui le lance en de nouveaux exploits : la bonne Demoiselle, ou la Malicieuse, une tante ou sa mère. Le prétexte à l’aventure est des plus minces, parfois : un caprice donné pour tel. Mais voilà Gauvain reparti!

Si l’incitateur est un homme, oncle ou cousin, le prétexte n’est pas moins étrange (au regard d’un homme du 20ème siècle) : la vengeance d’une injure, ou seulement un mauvais accueil, un objet dérobé, le souci d’aider un ami, qui parfois ne fut qu’un passant. Plus il est dirigé, conduit, plus il a de motifs pour se dire libre, livré au moindre de ses instincts. L’impuissance de choisir le rend esclave de toutes les sollicitudes; la plus faible des incitations le met en branle.

Féerique, féminin, ce monde est monstrueux. Les monstres ne hantent que les contes. Ceux que les chevaliers combat sont des géants, des lions ou des serpents; celles qu’il aime sont des fées ou des sorcières. Ici, l’échiquier joue tout seul, les chambres changent de forme, les lits s’effondrent sans motif, les rivières s’assèchent ou s’enflent.

Lorsque le Graal lui apparait enfin — en son château — il se présente à lui comme une procession d’objets inconcevables ou incompréhensibles : une épée brisée, deux couteaux, un plat partagé ainsi qu’un blason (un tailloir). Une lance égoutte du sang dans les deux coupes.

Ce monde est encore celui des traditions barbares ou panthéistes (africaines, amérindiennes) : chaque monstre, chaque objet, chaque rencontre y conserve son pouvoir magique, son caractère archétypal de Grande Image (dégénérée ou non).

Il chemine de l’est à l’ouest. Parti de la Bretagne continentale, il a gagné la Grande-Bretagne. Il est allé au Pays de Galles, où se situe le Château d’Arthur. Quand il quittera le roi, il cheminera vers l’ouest encore, où se situe le château du Graal. Il en est de même pour tous les premiers chevaliers, et pour Arthur lui-même, qu’après sa mort, une barque emportera vers la Grande Ile, des ombres et des dieux, Avallon.

A voir ce cheminement irrésistible, certains commentateurs l’apparentent au parcours du soleil, de l’Orient vers le couchant, de l’aube au crépuscule. Et c’est vrai que, d’une certaine manière, toute la vie de Gauvain se résume en ce voyage, de l’éclat de sa naissance, royale, à une fin mal connue, ténébreuse, oubliée.

Mais, bien plutôt, son destin est celui du 1er Age, qui précède la puberté. Ce n’est pas le réduire que voir en lui l’Enfant, qui vit dans un monde féerique, ne quitte pas le cercle de la famille et auquel tous les « biens » sont donnés à l’avance, sans qu’il les ait voulus.

Tous les temps de la Promesse, ainsi, peuvent être donnés pour des enfances : de l’humanité l’Eden, du Peuple Elu le temps des Patriarches, du miracle chrétien le temps des Apôtres. Et tous ont cheminé vers l’Ouest : Adam, d’Abraham à Joseph les patriarches (vers l’Egypte) ou vers Rome les apôtres : Matthieu et les Marie, Paul, Pierre, les premiers papes.

Les premières aventures de la Table Ronde, ainsi, ne portent filigrane que le monde féerique et la marche vers l’ouest. Mais il convient de préciser que le premier texte qui évoque la Table remonte à 1135 : Historia regum Britanniae, de Geoffroy de Monmouth, et qu’il n’y est pas encore question du Graal.

Au contraire, les traditions, postérieures au 12ème siècle, donnent l’apparition de la Coupe (ou du Vase ou du Plat), les dates 717/720. Il s’agirait de contes ou de poèmes oraux, de caractère épique, chantés par des « rhapsodes » occidentaux, précurseurs des trouvères et des goliards du 11ème siècle. Le plus célèbre d’entre eux, Teliecin (ou Tiercelin) sera donné aussi comme un autre Merlin, sinon comme une forme première de l’Enchanteur.

Dans son poème (oral) le plus connu, fragmentairement reconstitué, les 12 sont des arbres, et Tiercelin se nomme lui-même ou l’arbre ou leur ensemble, la Forêt. Or, Gauvain est souvent dénommé « l’ancien Arbre », et tous les monstres qu’il combat, le Lion et le Serpent entre autres, se retrouvent dans ces anciens contes (ou le Loup et le Dragon dans les contes germaniques).

Il s’agit donc toujours, dans ces premiers récits de la Réponse, d’évènements très antérieurs à la Réponse, d’un temps où l’on n’écrivait plus, absent de la lecture et dévoué à l’acte : la christianisation elle-même de l’Europe, de l’est vers l’ouest.

Le Michel roumain ou lithuanien, ici, se faisait le Lokis, puis l’Ours (Arthur), comme l’a découvert, en « Lokis », Mérimée. Mais il n’est pas temps de parler de l’ange Michel et de la symbolique de l’Ours.

Pour éclairer ce propos, il faut en venir, tout de suite, à Galaad.

Il n’apparait qu’au 13ème siècle, sans doute au temps de Fréderic II « le premier empereur moderne ». Pendant de nombreux siècles, sa postérité a pu être jugée des plus courtes : ni Goethe, ni Wagner ne parleront de lui. Mais son nom renaît avec le soulèvement de la Jeunesse, et c’est son nom que prennent certains meneurs hippies, preuve qu’elle n’était pas si brève.

C’est d’ailleurs au 20ème siècle que la quête cistercienne a été traduite et rééditée par Albert Pauphilet (Queste del Saint Graal), puis par Albert Béguin (1944), puis par Yves Bonnefoy (1965), sans parler d’innombrables ouvrages, romancés ou annexes. Car cette quête ne pouvait être comprise — ou admise — avant le 20ème siècle, comme d’ailleurs les prophètes du Moyen Age l’avaient prévu et annoncé. Qu’il s’agisse du règne de Frédéric II ou des adaptations contemporaines, les quêtes de Galaad portent, au premier chef, le sceau de la « modernité », dans le double sens, scientiste et utopiste, qu’on donne à ce vocable.

Car Galaad n’est pas un noble, il chemine de l’ouest vers l’est, son univers n’est pas celui du conte mais celui de la sentence ou du principe. C’est, au contraire d’une Grande Image, un Système de symbole physique.

Galaad est un roturier. Le vocable vient de « roture » : la terre que le paysan exploite sans la posséder et pour laquelle, naturellement, il paie une redevance à son seigneur.

Plus que cela : Galaad n’a pas un père. Lorsqu’on l’interroge sur ce point, il répons : « Je ne sais pas ». Certains lui donnent pour ancêtre Lancelot, l’un des 3 frères du Lac; d’autres lui préfèrent Perceval, son compagnon. Dans tous les cas, il fut « le fils du Péché », car sa mère fut l’Etrangère, soit une fille du Roi Pêcheur, soit une islamique, une Sarrasine.

N’ayant pas de parents, ce n’est pas au sein de sa famille qu’il va, mais au milieu de maints étrangers, dont sa vertu sera de faire des frères. Comme les générations de Caïn ou comme les tribus de Moïse, il traversera les peuples — et l’humanité tout entière.

Il ne peut y réussir seulement par le combat, car on ne triomphe pas toujours : les générations, les tribus l’ont montré. Avec un art extrême, la Quête cistercienne parvient à éviter totalement ce combat, ce PAT. Une seule fois, Galaad combat de nombreux ennemis : les 7 nains ou Gnomes qui gardent les Vierges prisonnières, mais il les met en fuite et ne les massacre pas. Un prudhomme, un homme sage en donne la raison : en libérant les Vierges, il a libéré les Sept Nains de leur fonction de geôliers, il n’eut donc pas besoin de les tuer.

Le nom qu’on lui donne souvent, de « bon chevalier », témoigne de ce refus constant du PAT. Il s’agit d’une bonté différente du bien (qui exige le mal), ainsi que Nietzsche le montrera. Le « bon » est supérieur parce qu’il est englobant, le plus grand, le plus fort, mais non comme partie d’une autre dialectique : le bien/le mal.

Galaad, par suite, est ignorant de toute justice, qui partage le monde selon les règles morales. Son ennemi n’est pas le mal mais le mauvais (ce qui fait mal parce que c’est hors de l’harmonie du monde, d’une certaine manière : hors du Monde).

Il ne combat jamais (pour le bien), il est seulement bien portant, et c’est-à-dire « porté vers le meilleur des deux chemins », au carrefour. Ses quêtes ne sont faites que de tels carrefours, de PAN, à l’orée de la Forêt Périlleuse, puis à l’orée de la Forêt Aube. Là, toujours, il perd l’un de ses compagnons, Melyant, qui n’a pas su choisir, Bohort ou Perceval, qu’il retrouvera au-delà de la Forêt.

Mais, si je nomme Gauvain l’homme du PAT et Galaad l’homme du PAN, je dis déjà tout autre chose que la noblesse de celui-là et la roture de celui-ci. Je dois parler du Récit là et de la Sentence ici.

Le domaine de Galaad est rationnel. Le mot surprendra d’abord. Comment des textes du 13ème siècle pourraient-ils être dits rationnels? Ils le peuvent au point de n’être compris qu’au 20ème siècle. Comment expliquer autrement que, dans les quêtes du 13ème siècle, toute féerie a disparu? Plus de monstres, de serpent, de lion, plus de sorcières, de fées, et plus d’anamorphoses. Le carrefour, le PAN, seul dirige.

Le Bien ne combat plus le Mal : la fonction même s’anéantit, il n’y a plus que des dispositions, à droite, à gauche, selon qu’on se désire ou s’accepte malade, et qu’on se veut d’abord en bonne santé. Il n’y a plus que remèdes, des méthodes, des techniques pour s’assurer, non point du Bien, mais du meilleur. Les objets qui subsistent, et que portent les Rêves, de Bohort ou de Perceval, sont encore des symboles (la fleur et l’arbre, les deux oiseaux), ce ne sont plus des images : si bien qu’ils ne seront complets qu’une fois expliqués, nombrés, par quelque moine ou nonne.

Galaad ne chemine plus dans un monde d’images, merveilleuses, monstrueuses, mais dans une forêt de symboles, qu’une certaine science, toujours, pourra expliciter.

Gauvain ne pouvait pas comprendre, et le désir de comprendre le tue. Galaad ne veut pas comprendre, car il sait; mais ses deux compagnons ne peuvent que comprendre, ou périr. Si Gauvain était l’innocence, Galaad est la compréhension : leurs compagnons ne vont que de l’innocence au péché (Lancelot) ou de la compréhension à l’incompréhension (Melyant). Comme une multitude d’humains, sans doute, entre le Mythe et le Savoir.

Galaad s’oriente toujours. Sans père (ou fils d’un père hypothétique, imaginé) et hors du féerique, il ne peut être qu’orienté, de l’occident vers l’orient. Car, si l’enfant chemine de sa conception à sa mort (la puberté), l’Adulte chemine, dans le sens inverse, de la puberté aux sollicitations de la vie.

En toutes les lectures qui le décrivent, Galaad sort de l’adolescence, on ne sait rien de son enfance. A quinze ou seize ans, il prendra la route. Et, toujours, ce sera vers l’Orient, à l’exception peut-être, d’un tout premier voyage, où Bohort et Perceval l’ont ramené au Château du Graal, vers l’ouest.

C’est qu’il est apparu dans le château d’Arthur, adolescent encore, mais il n’y a vécu que le temps de s’asseoir sur le « siège périlleux », la place vide de Judas, où nul ne prend place sans périr.

L’essentiel de sa quête se situe autre part. Elle n’est même plus terrestre, comme les quêtes précédentes. Une Nef l’attend ici ou là, qui, pourrait-on dire, le précède. C’est elle, finalement, qui le transportera vers l’Est, le pays des Musulmans, leur capitale : Sarraz, où règne le second Graal, qui ne doit plus rien au Sang.

Là, Galaad est élu Roi, contre son gré, et, tout de suite, meurt, après avoir perçu la vraie nature du Graal : un contenant vide, dont le contenu, le Rêve, grée à chacun.

Ce vase est si différent de la nourriture première que plusieurs, ici et là, parlent d’objets différents ou que, selon sa foi, le commentateur partial rejette l’un ou l’autre. Le celtique nie que le Graal ait pu être chrétien : il l’explique tout entier par les fables païennes. Au contraire, un Beguin exclut de sa traduction l’aventure de Galaad et la majeure partie des archétypes (floraux, animaux) qu’elle contient, pour garder au Graal son caractère chrétien.

Mais il s’agit bien d’un unique objet. Et, malgré les contradictoires qui les opposent, le Quêteur est bien unique aussi, comme l’Androgyne et l’époux d’Eve ne furent qu’Adam, ou le peuple de Jacob et celui de Moïse l’Elu.

Le Sang Réal et le Gré sont également le Graal, leurs quêtes ne sont que la Quête. Gauvain et Galaad se rencontrent en Perceval qui les unit.

Jean-Charles Pichon

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LE GRAAL – III – Les modalités d’une mise au point

III

Les modalités d’une mise au point

 

 

Gauvain et Galaad sont parfaitement décrits, aussi précisément que possible : antinomiques au point que le Trivial de celui-là peut être le Bon de celui-ci, ou la vertu de l’un (son goût pour l’amour charnel) le péché de l’autre, etc. Si contraires leurs points de vue que, depuis l’un ou l’autre, le même objet : le Graal peut se faire méconnaissable, et d’ailleurs méconnu!

On ne voit pas le même objet depuis l’orient ou l’occident, depuis le plateau de la noblesse ou la vallée de la roture. L’enfant et l’adulte ne vivent pas les mêmes faits; ni le crépuscule n’offre les mêmes couleurs que l’aube. La diversité des points de vue, d’abord, tient de celle des positions.

Mais il arrive que, localisé entre les deux extrêmes, un seul individu ou un seul personnage puisse avoir de l’objet ou du fait des visions non moins antinomiques, selon que, par exemple, il a tourné la tête vers la droite ou la gauche, qu’il a regardé de bas en haut ou à l’inverse, etc. Ses points de vue, alors, ne seront pas dépendants de son positionnement, de sa localisation dans le temps ou dans l’espace, mais ils seront dépendants de la disposition — de son corps ou de son esprit.

Un tel personnage est au cœur de toutes les G.I. Mais ce « cœur » est singulier, car, d’une autre manière, il englobe le Tout et peut Tout percevoir, de par sa position centrale. Nulle vision ne peut se faire plus partiale et plus générale, plus dominatrice et plus asservie : on y reconnait celle de JE même, en sa jeunesse ou, plus précisément, en son adolescence. Dans les quêtes du Graal, cet Adam jeune ou ce Peuple jeune se nomme Perceval.

La plus simple lecture en révèle à la fois la position centrale et les dispositions presque infinies.

Cœur de la Quête, les premiers chants (oraux) l’ignorent et, dans le triomphe final de Galaad il s’estompe, au point de disparaître — en quelque ermitage. Il vient après Gauvain, qu’il doit suivre à la trace; il accompagne le bon chevalier de loin et ne le retrouve qu’en des moments privilégiés.

Fils de noble à coup sûr, il lui faut, dès le départ, prouver son ascendance, car son père est mort avant sa naissance; son apparition dans le conte est celle d’un orphelin qui veut être reconnu : il rêve d’un blason.

En ses voyages, sans cesse, il court de çà et de là, de droite et de gauche, à la poursuite de l’Ennemi, voleur de la Coupe, vers l’ouest, puis vers le château d’Arthur, à l’est alors. Il pourra même, plus tard, entraîner Galaad vers le Château du Graal, le détournant de la Quête véritable, vers l’Orient. Ce va-et-vient est un sur-place. Au point que, parfois, il semble s’absenter de la Quête, réfugié en quelque ermitage. Mais c’est aussi, bizarrement, un englobement de toute l’aventure. On dirait que le Temps, en sa succession, ne peut pas l’atteindre.

Homme du pourtour ou du Milieu (dans le sens, cette fois, d’entourage, de climat), il n’est rien qu’il ignore ou qu’il n’ait pas vécu. Son domaine n’est pas moins magique que celui de Gauvain : il affronte, lui aussi, le dragon et la licorne, la sorcière et le géant; il courtise les Dames et ne peut se passer d’elles. Mais, chaste tout à coup, il les évite non moins que Bohort et Galaad; comme le bon chevalier, il lui faut tout comprendre ou, pour mieux dire, tout expliquer. Quand le PAN remplace le PAT, avec la même rigueur ou la même précision que ses deux compagnons, il choisit la bonne route.

Non seulement le carrefour ne l’égare pas, mais il semble qu’il s’y complait, car il ne quitte guère le lieu du doute. Ce n’est pas dans une partie de sa vie qu’il choisit l’est ou l’ouest, l’action ou la promesse de l’ermitage. La tentation de l’ermite, entre autres, le poursuit tout au long de son existence. Dès le temps de Gauvain, un ermite l’a convaincu et rejeté vers Dieu, le dieu de l’eucharistie, « abandonné depuis sept ans »; d’autres le séduiront, par leur sagesse, au temps de Galaad. Entre sa jeunesse et son âge adulte, un ermitage le reçoit, longtemps; il s’y réfugiera en sa vieillesse. Orphelin mais noble, orienté ou non, il n’a jamais connu la naïveté de l’enfant, il ne connaîtra jamais l’assurance de l’adulte. Ne devrait-on pas le dire un « éternel adolescent »? Cet âge est sans pitié, mais aussi sans œillère. Perceval éclaircit les énigmes du Château, qui laissent Gauvain pantois. Il peut donner à Galaad le grand rendez-vous, sur la Nef.

Son mérite est immense, car, si les conseillers ne lui font pas défaut, très souvent ils le trompent, de bonne ou de mauvaise foi.

Un ermite lui a donné le Graal pour une nourriture et, plus précisément, pour le Poisson. Un autre lui montrera qu’il n’est que le Lui-même, la Personne Même, le JE, avant qu’il le découvre, par soi-même, le Gré.

Il a aimé, connu au sens biblique, de nombreuses donzelles. Chaste, il ne pourra toujours se soustraire aux pitiés — mais aussi aux amours — qu’elles lui suggèreront (à l’encontre de Bohort, que nulle pitié, nul désir ne tentera au point de renoncer à son vœu).

Une dame qui l’apitoie, jamais le Dubiteux ne peut l’imaginer sorcière; il ne devine jamais le Serpent ou le Malin sous la métamorphose.

Mais, temporellement, il vit au 7ème siècle, entre la mort d’Arthur, au siècle précédent, et l’invention sublime du Graal, vers 720. Il n’a connu que le Roi malade, non plus Arthur mais le Pêcheur — ou l’Islam en son tout début. Si l’on pouvait donner à la durée d’un homme les deux siècles, sa vie tiendrait entre l’avènement du grand saint Grégoire (590) et l’avènement de Charlemagne (756), qui fut aussi le premier schisme de l’Islam (ou le second, selon les comptes) : l’achèvement des Omeyyades.

Or, ce temps est d’abord celui des Conversions, de la 1ère Chrétienté. Entre les deux coupes de Gauvain, encore à demi païennes, et le Gréant de Galaad, le Graal n’est ici que le Sang de l’eucharistie, la Nourriture suprême et souveraine.

On en tiendra pour preuve que le récit de Boron (tristement fragmentaire), qui fait le pont entre le Gauvain de Chrétien de Troyes et le Galaad des cisterciens, est aussi le seul texte qui conte précisément l’histoire du Graal chrétien — en même temps qu’il invente le personnage entier de Perceval.

Ce vase est celui où le bon juif, Josèphe d’Arimathie, a recueilli le Sang du Christ après le coup de la Lance. Compagnon de Matthieu et des Marie, Josèphe l’a translaté en Gaule, en Provence puis au Pays de Galles, comme en d’autres légendes, le trésor des Juifs, l’Arche, a été translaté du Temple à Rome, puis de Rome en Gaule (par les Barbares). Mais, d’une autre manière, ce Vase ne contient que le désir du JE, car il comble tous les désirs. L’eucharistie ne nourrit pas seulement : elle sauve, de toutes les tentations. Elle guérit, et c’est bien pour sauver le Roi moribond (pécheur autant que pêcheur) que Perceval poursuit la quête.

L’ermitage et la mort du Roi — Jésus a dit : « Les premiers seront les derniers, les derniers seront les premiers », abolissant d’un mot le mythe de Hiérarchie. Le triomphe du Poisson, ainsi, ne peut être que le roi « fait néant ».

L’Histoire date ce drame, en trois temps :

Dagobert 1er a régné (de 628 à 638) sous la seule influence d’un saint, son ministre saint Eloi : la chanson populaire rapporte comment, pour les détails les plus vulgaires, il ne pouvait se passer de son ministre. Un Clovis a pu prendre ses décisions lui-même, et quelquefois contre l’avis de Saint Rémy, mais un Dagobert ne le peut plus.

Son petit-fils, Dagobert II sera fait roi en 656. On le dit un saint, et il le fut sans doute. Mais, saint, il n’était plus un roi, bien avant son abdication (en 679). Un roi ordonne, régit et hiérarchise, un saint perçoit, reçoit et donne. Au regard de la réalité de l’amour, la hiérarchie n’est qu’abstraction. Un 3ème Dagobert règnera, deux ans ou trois, vers 712, mais on doit le tenir pour négligeable; le Roi sera bien mort : un Maire prendra sa place.

Le véritable néant du Roi est autre, que porte le nom de Sigebert (638/656). Deuxième fils de Dagobert 1er, il est le roi qui laissa toute l’autorité, toute la hiérarchie aux Maires du Palais, mais aussi le germe de la Tradition qui, jusqu’au 20ème siècle, fera du Souverain à la fois le Disparu et l’Eternel Renaissant. La disparition de Sigebert, celle du Roi, n’est pas une mort seulement humaine : un Paul de Russie ou un Louis XVII ne seront que matériellement morts (ou déments, un Charles d’Angleterre, un Georges III, un roi de Bavière — depuis Charles VI de France).

Ils ne seront pas moins immortels que les Frederick (Barberousse ou Frédéric II). Aujourd’hui même, des descendants de tous ces rois, défunts ou fous, aspirent au trône.

Un autre millénium, depuis Charlemagne empereur (800) jusqu’à l’assassinat de Louis XVI, est tout empli de cette rumeur immense : la nostalgie du Roi, dont le germe fut le temps de Perceval et du Graal entièrement considéré : de 638 à 656, exactement. C’est aussi l’éveil de l’Islam, la constitution du Coran, depuis la mort de Mahomet jusqu’à l’ordonnancement irréfutable du Livre, par les 4 premiers califes, avant l’avènement des Conquérants, les Omeyyades : tout l’ésotérisme, entre autres, des Lettres et des Serments, lui-même contenu dans les trois premières sourates (1, 2, 3) ou de 622 à 679 si la prophétie de chaque sourate contient 19 ans d’Histoire, comme le montre L’Islam dans le Coran.

On sait que les 4 califes furent :

Abou Bekr (622/634),

Omar (634/644),

Othman (644/656),

Ali, assassiné et dont la mort ouvrit le premier schisme.

C’est, à très peu près (le degré de liberté par cycle), un cycle d’activité solaire par calife. Et c’est aussi, à deux ans près, les temps de présence de Dagobert 1er, Sigebert, Dagobert II. Le Roi se fait néant ici, alors qu’ailleurs l’Esprit naît.

Une cinquantaine d’années contient l’ensemble : l’ermitage de Perceval, entre le jouvenceau et le vieillard, encore adolescent. C’est à la fois le triomphe — l’apogée pacifique — du dieu-poisson, la mort du roi, et l’avènement d’un autre dieu, Esprit. Mais le roi n’est mort que du triomphe du Poisson, du Roi Pêcheur; l’Esprit ne naît que de la mort du Roi, du Lion (comme le Poisson est né de la mort de la Vierge, 2 160 ans plus tôt).

Ici et maintenant s’éclaire l’ambiguïté de Perceval, son doute, son éternel combat : ils ne sont pas faits d’ignorance mais d’une science universelle, car hic et nunc, en l’Etre Je, tout est compris, tout peut être prévu. Cette prédiction n’est pas autre chose que cette connaissance, le Graal-gré une autre chose que le Graal-nourriture, la volonté que l’acquis, la conception que la perception, ou la couleur (sa longueur d’onde) une autre chose que la note (sa fréquence). L’apparence de l’objet (l’image) y chevauche sa durée (le symbole en système prescrit), ou le récit la sentence, la fable le principe.

Le doute n’est pas autre que la conscience parfaite de la totalité. Mais il en fait, par suite, cette généralité où ne se découvrent plus que des partialités. Une œuvre a dit, magistralement, ce combat sans fin : La tentation de Saint-Antoine, mais ce fut au temps de Rimbaud, de Nietzsche, de La fin de Satan et de La Sorcière — de Michelet, en la première fissure des temps rationalistes, où Wagner réveillait le spectre de Perceval.

L’enchâssement et l’édification — Gauvain et Galaad ont pu être des humains, des êtres matériels, vivants, le premier au 6ème siècle, le second au 8ème, dans le triomphe de l’Islam. Mais Perceval est, en soi-même, une Grande Image, car aucun mortel ne vit les deux siècles.

Le mystère du Coran, sa longue prophétie, sur plus de 2 000 ans, peut encore s’expliquer, par le génie d’un homme, qu’ont instruit les prophètes hébraïques et chrétiens. Mais comment expliquer cet ouvrage d’orfèvre que représente l’enchâssement de la mort du Roi Pêcheur dans la vie de Perceval, de cette vie au cœur des Quêtes du Graal (de Gauvain à Galaad), de cette Quête enfin au cœur de la Grande Image que constituent — sur douze siècles — les Lectures du Graal?

Visiblement, ici, l’Histoire se fait poème. Le Temps lui-même s’enroule ainsi qu’un médaillon.

Mais il se déroule aussi, dans l’autre sens, et c’est un second mystère que cet élargissement des cycles, depuis la période 620/670 jusqu’aux 12 siècles — et bien au-delà, car six siècles après les dernières Quêtes médiévales, musiciens et poètes s’en nourrissent encore.

Or, cet enroulement et ce déroulement, ni Gauvain ni Galaad ne semblent en prendre conscience, liés à leurs marches horizontales, vers l’Occident ou vers l’Orient, selon qu’ils voyagent (et vivent) avant ou après le 7ème siècle.

Au contraire, au plan de l’horizontal, qui est du domaine de la Succession, les voyages de Perceval ne sont que de va-et-vient. La tentation de l’ermitage ou son regret l’attachent à l’obscure forêt de la simultanéité. A son regard Gauvain, plutôt qu’il ne va vers l’ouest, participe d’un enroulement inévitable, insupportable. Il faut que l’Enfant et lui en viennent à se combattre.

Mais au terme du PAT : « Quoi donc? se disent-ils. Je n’ai rien fait que me combattre moi-même! » Car, hors du successif, ils ne sont pas différents.

Pas davantage la quête de Galaad ne paraît orientée à celui qui tantôt le suit, tantôt le précède, et qui, souvent le quitte pour s’enfoncer au plus profond de la forêt. Mais il ne doute pas de l’élévation de cette quête, de sa prodigieuse  et pourtant rationnelle « remontée ». L’édification que portent tous les actes du bon chevalier l’édifie lui-même, comme elle édifie également le Graal, d’une apparition de la Coupe à l’autre — jusqu’à la révélation finale, en la capitale sarrasine.

Si la retombée fut fantastique, affublée, pareille à un « affect » jungien, elle fut aussi comme, au plan de la Lecture, la diachronie de Saussure, d’une ère à l’autre, par l’échelle des générations ou le mystérieux voyage que Teilhard de Chardin situe de la Noosphère céleste à la trop humaine Biosphère. Dans le songe de Jacob, les anges descendent ainsi du Ciel sur la Terre.

Mais dans le même songe, d’autres anges s’élèvent, par la même échelle. Cette édification ne peut être que morale ou scientifique, théologique, voulue. Qu’on en fasse une sentence éthique ou un principe scientifique, elle impose une « loi » que la retombée ignore. Cette loi, en la mort du Lion, du Roi divin, ne peut se fonder que sur la Vierge : d’où, la virginité de Galaad, la chasteté de Bohort — et de Perceval, à partir d’ici.

Cette Vierge n’est pas sauvée par la destruction des 7 vices, ses geôliers, comme Hector le croira, mais par le simple triomphe de la Sainte Raison sur l’abject  esclavage. Nul témoignage n’en est plus clair que la façon dont le « taureau » Bohort s’arrache aux tentations, aux fausses pitiés. Une dame ira jusqu’à lui dire : « Si tu ne m’aimes pas, je me tue ». Il la laisse se suicider et il en souffre, mais le Vœu est au-dessus de toutes les autres lois — et de la compassion.

A cette rigueur, à cette extrémité, l’Adolescent maintenant aspire, sans toujours y atteindre, il n’est pas sûr que, dans une pareille circonstance, il réagirait comme Bohort : on ne le peut croire. Mais ce pire lui est évité. Tout au plus, couché dans le même lit que la plus belle demoiselle du monde, trouvera-t-il la vertu de saisir son épée, en ultime recours, et d’en baiser la croix. Tout le maléfice se dissipera dans ce geste : la fille, le lit, la chambre, ne laissant en leur place qu’une « immonde puanteur ».

Or, un mot — homonyme — dit à la fois ce « montage » qu’est tout enchâssement et l’édification à quoi tend le principe : monture. Il dit bien davantage, étant le coursier d’abord, qui va où on le mène à moins qu’il ne mène son chevalier.

Le mot ne dit pas seulement le domaine de Perceval, et ses voyages. Il dit le cœur inconcevable de toute la machinerie du Graal, le moyeu de l’œuf, ou, dans le langage contemporain, le noyau de l’atome, monture des quarks, de leurs 3 couleurs, de leurs 4 saveurs, en même temps que de la colle la plus forte, que les physiciens nomment le gluon.

Alliance des formes et de la force? Peut-être. Mais non moins, à un autre niveau, alliance de la G.I. et du S.S.P. Car ce n’est jamais que la dernière image, la plus interne (du quark, du quasar), qui est un symbole; et le plus petit système de symbole physique (le gluon) qui contient aussi bien l’infini du Trou Noir.

La monture secrète — invisible — de tous les contes : de la Création, de l’Alliance, de la Quête, et de tous les systèmes scientistes, dès qu’un principe les fonde…

Simplement si le conte se décompose ainsi, en 3 (ou 6, ou 9, 12) personnages, il faut que le principe se fonde sur de tout autres éléments. Je les nomme les outils, les instruments ou les moyens. Ils ordonnent bien différemment les deux Lectures.

Jean-Charles Pichon

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