LES JOURS ET LES NUITS DU COSMOS – TROISIEME PARTIE – 1 – L’OEIL DU SOLEIL

TROISIEME PARTIE

LA GRANDE ANNEE

 

I

L’ŒIL DU SOLEIL

 

« L’orientation de l’activité mentale à partir d’Aristote a contribué pour une large part à émousser notre réceptivité à l’égard de la totalité des hiérophanies solaires. Que cette nouvelle orientation mentale n’abroge pas nécessairement la possibilité de l’expérience hiérophanique en elle-même, le cas de la Lune nous en fournit la preuve. Personne ne soutiendra, en effet, qu’un moderne est ipso facto imperméable aux hiérophanies lunaires[1]. »

Ces lignes de M. Eliade offrent une parfaite introduction à l’étude des mythes solaires, dont elles soulignent la difficulté. Mais Aristote n’y est pour rien[2]. C’est seulement que les symboles lunaires (cancériques) ou tauriques ou gémiques survivent encore à notre époque, fussent-ils « crépusculaires », alors que les mythes solaires sont morts, dans toute la force du terme.

Certes, le symbole essentiel du Signe, le Soleil lui-même, est encore honoré dans toute l’Afrique noire comme « fils de l’Etre Suprême » ou « époux de la déesse-lune ». Mais, dans la plupart des cas — chez les Bantous d’Afrique Orientale, notamment — il ne bénéficie plus d’un culte. De même, les Mundas du Bengale reconnaissent un dieu-soleil, Sing-boung, « qui ne s’immisce plus dans les affaires des hommes ». Il reçoit cependant des sacrifices de boucs blancs et de coqs.

Les Khonds de l’Orissa ont un dieu de la lumière, Bura (ou Bella) Pennu, « qui ne figure pas dans le culte ». Une autre peuplade du Bengale, les Oraou, lui donnent le nom de Dharmesh. Ici, le manque de confiance dans le dieu atteint au désespoir : « Nous avons tout tenté en vain ; mais toi, tu peux encore nous secourir ! » Les Oraou le supplient d’avoir pitié et de renaître, en lui sacrifiant un coq blanc.

Enfin, dans les archipels Leti, Sermata, Babar et Timorlant (à l’est de Timor), dans la pousse d’un figuier que les indigènes placent leur salut : « Le Figuier refleurit, crient-ils, O Grand Aïeul, Aïeul-Soleil, reviens ! Nous avons dépecé pour toi le porc, le bouc et la chèvre ! »

Nous pourrions multiplier de tels exemples : Eliade et Frazer en citent des centaines. Il suffira de noter que nulle part le dieu solaire n’est plus considéré comme réellement vivant. On honore en lui un souvenir, on reporte sur lui la nostalgie d’une absence effrayante de dieu ; ou bien on lui associe une compagne, déesse-lune ou déesse-terre, qui lui insuffle parfois certains pouvoirs[3].

Or, ce dieu mort aurait à notre époque au moins douze mille ans d’âge, puisque les plus anciens témoignages d’un culte solaire semblent être les vestiges découverts de part et d’autre du détroit de Béring (10 000 avant J.-C. ?)[4]. Les figures représentées y sont le mammouth et le rhinocéros, le renne, le cheval, le lion-tigre, le loup et le lynx. Cet art animalier se retrouve, postérieurement, dans le haut Obi et le haut Ienisseï, près du lac sibérien Baïkal, où il se combine avec l’art moustérien, très antérieur. Déjà paraissent dans ces vestiges quelques-uns des symboles solaires, qu’il nous faut étudier maintenant.

Les deux premiers en seraient le Fauve (l’ours ou le lion) et le Géant, comme le montrent les fouilles de Stepanoff à Fatian (1958), à Varakschi en Asie Centrale et à Khorézine dans l’actuel désert de Kizilkum.

Ces fouilles révèlent peu à peu l’existence de plusieurs « nations » dont l’existence jusqu’à nos jours était complètement ignorée. Les vestiges de Fatian (Fatianovo) remontent pour le moins au Ve millénaire ; à côté d’ossements et de figures d’oiseaux, qui doivent être rattachés au cycle gémique, s’y trouvent des tombeaux de chèvres (emblème « Capricorne » ?) et d’ours, considérés comme animaux sacrés. Tripol, sur le Dniepr, recèle des traces certaines du culte (et de la domestication) du cheval, antérieurement au IVe millénaire. Quant à Varakschi (plus récente : des chroniques chinoises du IXe siècle après J.-C. en font mention), c’était une ville somptueuse, où les fouilles exhument des fresques rouges décorées de figures de géants. Les traces d’un feu central dans une salle souterraine attestent qu’un dieu-lumière y était adoré. « La couleur rouge, la couleur feu, la couleur sang, dit l’ethnologue Chelov, devait être le symbole de la purification secrète[5]. »



[1] MIRCEA ELIADE, Traité d’Histoire des Religions.

[2] Sinon en cela que son enseignement reflète le passage d’une vision sacrée, archétypique du monde (PLATON) à une vision empirique, rationalisée (saisie de l’Univers en soi).

[3] Ou bien encore, comme le Narte Syrdon chez l’un des derniers peuples « solaires » du Caucase, les Ossètes, descendants des Scythes et des Alains, le dieu-lumière n’est plus qu’un bouffon, un esclave, que seules son ironie et son intelligence protègent des pires humiliations. (G. DUMEZIL, Loki, chapitre III, Maisonneuve, 1948).

[4] « Si les Celtes ont emprunté certains de leurs mythes à cette civilisation subarctique dont nous ne connaissons presque rien, on comprendrait comment il se fait que le cycle du Graal présente avec les mythes des Indiens des forêts de l’Amérique du Nord une parenté plus grande qu’avec n’importe quel autre système mythologique ». LEVI-STRAUSS, Tristes Tropiques.

[5] MERPERT et CHELOV, Les antiquités de notre sol, 1961.

 

Du Feu sacré au Dieu borgne

Dans les hiérophanies solaires, le Feu semble avoir eu dès l’origine une importance au moins égale à celle de la Pierre dans les hiérophanies lunaires. De même que l’ensevelissement à l’intérieur des bourgs, puis dans des galeries pierreuses ou sous des tumulus dédiés à des divinités lunaires caractérise le culte des morts dans les diverses religions cancériques, l’incinération confère un caractère commun aux diverses pratiques mortuaires des anciens peuples de l’Europe et de l’Asie Centrales. Plus tard, sous l’influence du syncrétisme Lion-Cancer naîtra la pratique des « urnes » de pierre où seront conservées les cendres des morts.

De tels « champs d’urnes » se retrouvent également au Laos et en Anatolie (où ils apparaissent vers le XVe siècle avant J.-C. (Troie VI), puis en Europe Centrale (Hongrie, Tumulus de Taszeg, niveau C). Enfin, vers 1000 ou 900, l’expansion de la civilisation des « champs d’urnes » atteignit la vallée du Pô et le Latium (Villanoviens), où les urnes, biconiques, sont recouvertes de coupelles ou de couvercles de bronze (influence taurique). Puis, de l’Italie, ces peuples (qui parlaient des langues celtiques) auraient pénétré en France, les uns traversant le Sud vers la Catalogne, les autres remontant, par la Trouée de Belfort, jusqu’en Alsace et en Franche-Comté. Au VIIe siècle avant J.-C., l’Angleterre du Sud fut atteinte[1].

Mais, avant que des peuples encore à demi nomades eussent essaimé ainsi dans le monde entier les cendres des morts encombrants, de grandes cités aux dieux solaires s’étaient implantées en Orient (à Suse et dans le delta de l’Indus). Selon nos tables de concordances leurs divinités devaient être celles d’une première mue du « lion », qu’il nous faudrait alors dater du VIe au IIIe millénaires avant J.-C., c’est-à-dire rendre contemporaine du culte d’Horus en Egypte préthinite. Considéré comme dieu solaire, Horus lui-même nous donnerait cet autre symbole du Signe : l’œil unique.

Junker a montré qu’Horus était primitivement un dieu du ciel, alors parfaitement anonyme[2]. Il ne prend en fait ce nom qu’après son identification avec le dieu-faucon (gémique), dont nous avons déjà parlé. Or, il est, avec cette forme, adoré dans certaines parties de l’Egypte (Létopolis) sous le nom de « Méhentiirty » : celui qui a deux yeux, ou de « Mékhenti-en-irty » : celui qui n’a plus d’yeux. Mais les Textes des Pyramides relatent l’histoire d’un dieu antérieur, Ré, le Maître des Dieux, caractérisé par son œil unique, et l’on pense qu’un premier Horus pourrait lui être identifié.

L’œil d’Horus (l’Oudjat) se reconnaît d’ailleurs dans de très nombreuses légendes égyptiennes, où il sert de prétexte aux luttes entre le fils d’Osiris et le dieu mauvais Seth. Dans un papyrus du Nouvel Empire, l’enjeu de la lutte, l’Oudjat, n’est plus l’œil d’Horus mais de Ré lui-même, devenu le père d’Horus et donc identifié à Osiris. Tous ces symboles solaires s’accompagnent rarement de la mention du Lion (absente de l’ancienne mythologie thinite). Seule, une légende récente, de » l’époque grecque, relate l’histoire de la déesse-lionne, fille du dieu-soleil, qu’un messager aurait été assez habile pour faire venir de Nubie en Egypte[3].



[1] En certaines parties de l’Amérique du Nord, au contraire, l’urne ne contient pas des cendres mais un corps reployé dans la forme du fœtus : vestige d’une tradition purement cancérique.

[2] JUNKER, Giza, II. — Il serait donc inexact de croire, comme on le prétend communément, que le Soleil fut le premier dieu de l’humanité. Ici encore, les ethnologues viennent confirmer les hypothèses de l’archéologie. Chez les Bantous d’Afrique Orientale, les Toradja d’Indonésie, les Munda du Bengale, le dieu-soleil a seulement pris la place d’un dieu antérieur (ouranien ou céleste) « dont il a poursuivi l’œuvre cosmogonique ». (PETTAZONI, Dio, Rome, 1922).

[3] JACQUES VANDIER, La religion égyptienne, Collection Mana, Presses Universitaires. — Mais un autre texte précise que la déesse-lionne s’était précédemment querellée avec Ré, et que cette querelle était la cause de son provisoire éloignement (ERMAN, Religion).

 

Du borgne au cheval

Egalement, l’œil unique du dieu solaire se retrouve en divers points du globe : dans l’Inde pré-aryenne et au Japon, ainsi qu’au front d’Odin, le dieu du Nord, et à celui du cyclope mythologique.

En ce qui concerne le panthéon de l’Inde antique, Sûrya, « l’œil du ciel » y serait le plus ancien des dieux, équivalent de l’égyptien Ré. Savitri lui était associé et quelquefois identifié : celui qui conduisait les âmes (fonction départie à Osiris dans le panthéon du Moyen Empire). Conducteur du char du Soleil (comme Apollon), Sûrya-Savitri également symbolisé par le Cheval (Etaça).

En étudiant de plus près les avatars des dieux indiens, nous aurons à montrer comment (et pourquoi) le mythe solaire se survit, dégradé, en la plupart des créations postérieures : Indra, Krishna, les Tantra et le Bouddha lui-même (selon E. Senart). Mais, déjà, nous pouvons noter que cette dégradation paraît liée à une évolution du dieu solaire vers les divinités gémiques.

C’est ainsi que le Mitra indien se caractérise par la lutte qu’il livre contre le dieu nocturne Varuna. Pas plus que le Mithra des Parthes, le dieu védique n’est représenté sous l’aspect d’un lion ; mais, originellement, Mitra s’identifiait à Indra, représenté avec la barbe rousse et les cheveux roux du fauve, dieu du Tonnerre et du Feu, héros d’un très grand nombre de mythes.

Par la suite, sous l’influence de la dualité gémique, Indra aura son ennemi jumeau Vitra, et le couple Indra-Vitra annoncera tous les autres couples divins : Mitra-Varuna, Ormuzd-Ahriman, etc. Vitra (sous le nom de Vithragna) et Ingra se retrouvent aussi dans le panthéon perse, où leur rôle cependant paraît effacé.

En Grèce, la dégénérescence de « l’œil du ciel » a conduit à la création d’un monstre : le cyclope, figure spécialement intéressante, en ce qu’elle réunit deux symboles solaires : le Géant et le Borgne. Or, toutes les légendes celtes d’une part, amérindiennes de l’autre, comportent l’un des deux symboles[1]. Les Chimus enseignaient que leurs ancêtres avaient vécu dans la nuit des cavernes, avant que des Géants « eux-mêmes à demi-aveugles » leur aient appris à voir. D’après la bible des Maya-Quichés, le Popol Vuh, avant l’ère des Gémeaux fut celle de la grand-mère Lune et des Camé (ère cancérique) ; enfin, celle des Géants, dont le chef se nommait Gukup Cakix.

Dans les cycles irlandais, de même, une race de géants préexiste aux peuples successifs de l’Ile. Et, dans la Volüspa nordique, les frères d’Odin, le dieu borgne, sont des géants[2].

Un symbole directement associé à celui du dieu borgne est le cheval blanc (cheval d’Odin, cheval de Sûrya…). Parfois, le cheval lui-même est dieu. « Tu étais alors une queue de cheval, ô Indra ! » s’écrie un hymne du Rig Véda, qui fait allusion à l’époque où le Dieu vainquit le Serpent.

Cette période peut être datée. En effet, la légende d’Uccaecravas, le cheval divin, telle que la raconte l’Astika[3] nous montre la queue de l’animal « noircie » par les serpents qui se sont enroulés dans ses crins. La déesse Vinâta en souffrit cruellement jusqu’à ce que l’oiseau Garûda, son fils, eût vengé l’affront en faisant des serpents sa nourriture (à l’exception du serpent Ananta, « qui soutient la terre ».

Or, la Mère des Serpents, déesse cancérique, se nomme Kadrâ (brun, noirâtre), couleur des terres humides, la Mère des Oiseaux Arûna et Garûda, déesse des Récoltes, se nomme Vinâta (une sorte de panier) et ce nom évoque la cueillette des prémices agraires. C’est encore une fois le conflit entre deux modes d’agriculture (noté à propos de l’Egypte) qui se trouve évoqué ici. En effet, si l’on donne à la religion gémique comme origine le VIIe millénaire (selon le tableau des concordances) et le IXe millénaire (-8800) comme origine à la religion du Cancer, la vengeance de l’oiseau qui anéantit les serpents correspond à la fin de l’ère cancérique et au « royaume » des Gémeaux, soit le VIe millénaire.

Une autre légende, celle des cavaliers Açvins, exprime différemment la même filiation Soleil-Gémeaux, en faisant des Jumeaux indiens les fils de Sûrya, le dieu solaire primitif.

Dans l’astrologie chinoise, le symbole équivalent du Lion est le Cheval. Solaires sont également en Grèce, les chevaux du char d’Apollon, le Pégase de Bellérophon. Puis, une hypothèse défendable serait que le cheval de Troie, création d’Ulysse, l’ennemi du solaire Ajax, correspondît également à une caricature, à un avilissement du dieu.

Certains mythes grecs, entre autres celui des Hippomolgues, rapporte la légende des cavales sauvages fécondées par le vent : rapport ouragan-soleil assez peu fréquent en d’autres pays. Quant au rapport Vierge-Soleil, qu’indique la qualité de Garûda, fils de Vinâta, et d’Horus, fils d’Isis, elle nous est confirmée en plusieurs points du globe. Perséphone, la Vierge Perdue, est emportée par des chevaux blancs du Royaume des Morts au sommet de l’Olympe. Le Dumuzi de Kish et de Syrie était également le fils de la Déesse des Moissons, ainsi que le héros solaire finnois Vaïnamoïnen, fils de la Vierge de l’Air, et Apollon, fils de la Vierge Léto. La disparition de Dumuzi après la chute de Kish daterait de 2900-2800 avant J.-C. l’achèvement de cette première mue solaire, qui aurait pu consister en un syncrétisme Vierge-Lion-Gémeaux.

Effectivement, le très beau mythe hittite de Télépinou, fils du dieu de l’Orage et de la déesse solaire, nous retrace l’histoire de la mort du Dieu et de sa renaissance. « Quand Télépinou eut disparu (de la terre), la bûche s’éteignit dans le foyer, les dieux étouffèrent dans les temples, le petit bétail mourut dans l’enclos, le gros bétail dans l’étable. Il emporta avec lui les récoltes en grains des champs, l’orge et le blé ne mûrirent plus, les arbres se desséchèrent, les sources tarirent… » Alors, le Dieu des dieux envoie à sa recherche le grand aigle, puis le tonnerre ; la Dame des dieux (la Vierge) envoie l’abeille.

Nous ne possédons pas la suite du récit, mais seulement sa fin, où l’on voit Télépinou revenu sur terre[4] et l’on ne sait si le dernier envoyé (l’abeille) est responsable de ce retour. Il reste que les trois symboles : l’aigle, le tonnerre et l’abeille présentent une double particularité. Tous trois solaires, ils « définissent » des mutations distinctes et successives du Mythe initial, qui n’apparaîtra plus désormais que sous ces formes, à de rares exceptions près[5].


[1] D’autres légendes les interprètent. Dans la mythologie japonaise, Amaterasu, déesse du Soleil, naît de l’œil droit du dieu Izanagi (jumeau d’Izanami), tandis que la déesse de la Lune naît de son œil gauche.

[2] Après s’être proclamé « fils de roi » ainsi que ses amis, le héros de GOBINEAU, Wilfrid Nore ajoute : « Que nous soyons également également borgnes de l’œil droit, c’est un fait malheureusement incontestable » (Les Pléïades). La remarque passe inaperçue. Elle n’est cependant pas dénuée d’importance.

[3] 1er Chant : le Mahâ Bhârata, daté du IIIe siècle avant J.-C.

[4] RENE DUSSAUD, opus cité.

[5] En Egypte, ce fut au XIVe siècle avant J.-C. que le pharaon Akhenaton tenta d’instaurer un culte solaire épuré de ses symboles annexes (1372-1354) ; à Rome, sous le principat d’Aurélien, au IIIe siècle de notre ère.

 

L’aigle royal

L’Aigle nous est connu comme le symbole du syncrétisme Soleil-Gémeaux. C’est vers 2400-2300 qu’il apparaît subitement, en Akkadie comme en Elam. Du XXIVe siècle jusqu’au VIIe siècle avant J.-C., Akkadiens, puis Assyriens en décoreront leurs villes et leurs palais (conjointement avec le Lion et le taureau à deux ailes, le Kérubim sacré). Avec le Cheval, autre animal solaire, les Assyriens le transporteront, au terme du « royaume » bélique, jusque dans le Temple de Jérusalem. Et, lorsqu’en 605 l’empire assyrien s’effondre, cette destruction n’entraîne pas la mort du mythe.

Les Perses

En étudiant la mue gémique, nous avons relevé un premier syncrétisme du Lion et des Gémeaux (les Gémeaux y prédominant) dans le panthéon achéen. Un tout autre syncrétisme (le Lion y prédominant) transparaît dans le panthéon perse, issu du panthéon indien et de l’enseignement de Zoroastre. Les Gémeaux y sont figurés par les divinités Ahriman (Ahuro Mainyu) et Ormuzd (Ahura Mazda), dont la lutte sans cesse renouvelée rappelle les démêlés de Seth et d’Osiris. Cependant, la lutte n’est pas égale et l’issue en est connue : la Lumière, Mazda, doit l’emporter un jour sur les ténèbres et l’enseignement de Zoroastre n’a d’autre but que d’amener les hommes à contribuer à ce triomphe.

Il est possible qu’un culte issu de cet enseignement ait été pratiqué dans l’ancienne Médie (VIIe siècle), dont l’alliance avec les Babyloniens devait aboutir à la destruction de l’Assyrie entre 608 et 605 avant J.-C. Mais, en fait, nous ignorons tout des mœurs et des religions des Mèdes, ainsi que de Zoroastre lui-même, sinon qu’il était natif de Médie.

Les doctrines du Prophète ne nous sont connues qu’à travers un premier mazdéisme, dont l’apparition coïncide avec la fulgurante croissance des Perses, à partir de la révolte de Cyrus le Grand contre Astyage, roi des Mèdes (556). Vingt ans plus tard, les satrapes perses dominent sur toute l’Asie occidentale.

L’Empire durera jusqu’aux conquêtes d’Alexandre et à la mort de Darius III (330 avant J.-C.), date à laquelle les religions solaires entreront en sommeil dans le monde entier, pour une durée d’au moins deux siècles.

Les croyances des rois perses — Achémides — étant très controversées, nous voudrions nous en tenir à ce qu’expriment d’une part les textes, d’autre part les sculptures, frises et monuments de l’Empire parvenus jusqu’à nous.

Tout d’abord, les textes témoignent d’une élévation mystique, d’un amour de la Justice et de la Vérité, dont à la même époque on ne trouve d’équivalent que dans la religion hébraïque. « Le Seigneur de Sagesse est vraiment la représentation de la Divinité qui convenait à un spiritualisme plus épuré que celui de notre Ancien Testament, aussi transcendant que celui de Platon[1]. »

Nous avons déjà montré l’influence bélique décelable dans le livre sacré du Mazdéisme, l’Avesta. Ce point nous est confirmé par la Bible même. En effet, le Livre de Daniel nous raconte comment le roi de Babylone, Nabuchodonosor, ayant conquis Jérusalem, exigea que les enfants de la race royale de Juda fussent reçus au Palais, où ils durent étudier les livres « chaldéens ». Daniel était l’un de ces enfants, et l’on peut croire que les chaldéens lui révélèrent les lois du retour éternel et le cycle de la Grande Année.

La mort de Nabuchodonosor survient en 562 ; en 539, la Babylonie tombe aux mains de Cyrus. Entre ces deux dates, doivent être situées les visions de Daniel (que nous ne connaissons que sous une forme apocryphe, postérieure de quatre siècles). La première vision concerne quatre animaux : un lion orné d’ailes d’aigle, un ours, un léopard à deux paires d’aigle et quatre têtes, enfin une grande bête aux dents de fer, au chef orné de dix cornes. La seconde vision, trois ans plus tard, advient au prophète juif alors que, près de Suse, il contemple la province d’Elam « près du fleuve Oulaï » : un bélier à deux cornes combat un jeune bouc unicorne, et l’ange Gabriel explique ainsi la vision : « Le bélier à deux cornes que tu as vu, ce sont les rois de Médie et de Perse, le bouc est le roi de Javan (les royaumes hellénistiques et, particulièrement, le conquérant Alexandre).

On peut déduire de cette explication :

1° que les quatre bêtes de la première vision représentent les empires antérieurs aux dominations de la Perse, puis des Séleucides, sur la Palestine. Dans l’ordre : l’ancien Elam et son lion gémique, l’ours philistin (et scythe), la panthée assyrienne (Ishtar) et le Moloch (Mardouk) babylonien ;

2° que la grande terreur des juifs au IIe siècle avant J.-C., époque où fut écrit le Songe, n’était plus la crainte d’une renaissance des Perses mais d’une renaissance de la puissance séleucide, dont l’un des rois, Antiochos IV, venait de saccager Juda et de prétendre « interdire » Yahvé.

Cette renaissance n’eut pas lieu, alors que l’empire perse allait revivre sous les Parthes, seul adversaire capable de tenir tête aux Césars. Juda s’était trompé d’ennemi : plus que des Séleucides, il aurait à redouter de Rome et, surtout, du dieu des Poissons.

Enfin, la seconde vision de Daniel témoigne de l’extrême sympathie que les nouveaux juifs portaient aux chefs des Achémides. Cette sympathie ne peut surprendre lorsqu’on sait que Darius autorisa la reconstruction du Temple de Jérusalem[2], lorsque l’histoire biblique d’Esther lie le destin de Juda à celui de la Perse, lorsque les grands réformateurs Esdras et Néhémie partagent leur existence entre la ville de Jérusalem et la cour des Achémides et lorsque ces derniers sont proclamés par les Prophètes les « bénis du Seigneur ».

Mais si le Dieu des dieux à Persépolis est le Seigneur de Sagesse, de Justice et de Tolérance, il est aussi Mazda, le dieu-lumière. La divinité du Roi (telle qu’elle apparaît entre autres dans l’histoire d’Ahiqar, texte perse d’origine assyrienne) atteste le caractère royal du culte, conforme à l’esprit du Signe solaire ; et l’Aigle et le Lion ne cessent pas, tout le temps que dure le royaume perse, d’orner les portiques des palais et de constituer le motif principal des frises de pierre[3]. Enfin, le Cheval, importé d’Assyrie, allait devenir en Perse un symbole sacré en même temps qu’un recours technique non négligeable : leur cavalerie compterait pour beaucoup dans la puissance militaire des Achémides[4].


[1] RENE GROUSSET, Les Civilisations d’Orient, Ier volume, Editions Crés et Cie, 1929.

[2] Livre d’Esdras, V.

[3] Voir au Musée du Louvre un certain nombre de ces frises.

[4] Je ne discuterai pas ici de la question de savoir si l’animal est devenu sacré parce qu’il était utile, ou si plutôt on ne l’a pas utilisé, d’abord, par une sorte de confiance mystique dans le dieu qu’il symbolisait. Deux écrivains que j’admire beaucoup l’un et l’autre semblent avoir sur ce problème des vues diamétralement opposées. MIRCEA ELIADE écrit : « Si l’histoire a fait peser son influence sur l’expérience religieuse, c’est en ce sens que les évènements ont offert à l’homme des modes inédits et différents d’être, de se découvrir lui-même et de donner une valeur magico-religieuse à l’Univers » (Traité d’Histoire des Religions). Au contraire OSWALD SPENGLER, dans Le déclin de l’Occident, ne cesse de démontrer que les mythes préexistent aux cultures et les nourrissent de leur apport, aussi longtemps que la Culture ne s’est pas dévoyée en civilisation.

 

Le tonnerre hittite

Les rites initiatiques (australiens et africains) qui utilisent le « bull-roarer » nous ont prouvé la survivance jusqu’à nos jours d’un syncrétisme tonnerre-taureau, dont l’archéologie retrouve l’origine à Tell-Ubaid et à Tell-Halaf, dans la période d’éveil du mythe taurique (Ve millénaire).

Or, les dieux hittites de l’orage dont il s’agit dans la légende de Télépinou ont tous un caractère taurique nettement défini. Le plus grand d’entre eux est toujours accompagné par deux Taureaux, Seri et Hourri, qu’on reconnaît dans l’attelage du « dieu de l’orage » de Malatya. D’autre part, des divinités typiquement tauriques comme Hadad étaient assimilées par les Hittites au dieu de l’orage et de la foudre, ainsi que le dieu hittite Teshoub, représenté par l’idéogramme ISKUR, comme le dieu de Malatya. Hadad s’exprime dans le tonnerre, il lance l’éclair et dispense la pluie. Les symboles de Teshoub (ou Teshup) sont le foudre, la double hache et la massue.

C’est en partie sous cet aspect à demi taurique à demi solaire qu’apparaît le Zeus crétois et mycénien. Incontestable dieu-soleil, il manie le foudre, il s’identifie au Taureau (pour enlever Europe) et porte le nom de « grand bovin ».

De même, s’apparentent à ce syncrétisme les dieux indiens et iraniens, à travers les figures qu’en donnent les Védas et le mithraïsme des premiers siècles. La caractéristique essentielle en est que le Taureau ne s’y révèle plus « fécondateur », comme dans le mythe sumérien, mais « créateur ». Ainsi, chez les Iraniens, du corps du taureau primordial tué par Ahriman naissent des céréales et des plantes. Avec ce caractère, le dieu du tonnerre et de la foudre est très souvent le principal mythe solaire devenu, par dégradation, un mythe taurique. Ainsi de Krishna en Inde, de Mithra en Iran, des Zeus nabatéens, ou des thèmes ambigus dont on retrouve la trace dans les cycles irlandais.

Pour rendre plus claire cette évolution du syncrétisme Lion-Gémeaux au syncrétisme Lion-Taureau, il est nécessaire de dire quelques mots du mythe du Roi.

Le Roi

Ce sera seulement au cours du Ier millénaire avant J.-C. que le Signe solaire prendra un caractère nettement « royal », alors que sa constellation deviendra la Constellation du Roi, et son étoile principale Regulus ou « Cor Leonis stella regia » ; mais, dès 2300-2200 avant J.-C., le rapport Lion-Roi avait été comme souligné par la brusque importance du concept de royauté dans les civilisations léonines. C’est l’époque où toutes les villes d’Elam et d’Akkadie possèdent leur propre souverain et où les premières tribus sémitiques du pays de Canaan se fondent sur leur exemple. Cependant, il semble que le Mythe lui-même ait été antérieur à cette « socialisation ».

Dans esquisse du « royaume » gémique, Platon fait une part importante aux chevaux (symbole solaire), considérés à la fois comme doués de pouvoirs particuliers et comme objets de soins quasi religieux des Atlantes. La légende platonicienne établit ainsi un rapport étroit entre le Signe solaire et la notion de royauté[1].

Datés des premiers siècles après J.-C.[2], les Purâna indiens racontent longuement, en les replaçant dans leur chronologie mythique, la consécration et le règne de Prthu. Roi nourricier, Prthu dompte la vache-terre, à laquelle s’alimenteront tous les grands thèmes survivants (les Manes, les Serpents, les Arbres). Cet épisode de Prthu poursuivant la vache-terre correspond trop évidemment à la légende achéenne de Zeus-Taureau poursuivant Europe : il doit remonter à la même époque, soit au IIe millénaire avant J.-C.

Analysant le mythe de Prthu, Georges Dumézil dit étrangement que « dans la perspective de l’Histoire, ce Roi a vécu une ère avant Manu Vaivasvata, lequel reste l’ancêtre incontesté de la société arya de l’ère en cours[3] ».

Cependant : 1° c’est de Prthu que vient le nom de la fonction royale contemporaine (râjan) ; 2° les Védas, où figure déjà le nom : Manu, sont nettement antérieurs aux Purâna ; 3° la légende rapporte expressément que Prthu naît du bras droit de Manu. Il semble donc plus probable que Prthu fut, par rapport à Manu, une émanation postérieure (contemporaine de la seconde mue solaire). D’ailleurs, G. Dumézil lui-même se contredit lorsque, comparant Prthu au roi romain Servius, il note que Tarquin et Servius « s’opposent à leurs prédécesseurs comme Prthu à Manu [4] ».

On doit penser que ce passage du thème légendaire à sa réalisation sociale caractérise le passage (crépusculaire, puis auroral) de la première à la seconde mue du Mythe. Ainsi avons-nous vu le thème légendaire des Cinq Empereurs (= Palais = Eres) s’incarner dans les faits à partir du Premier Empereur de Chine (Houang-Ti) et du premier Auguste romain. Ainsi voyons-nous le thème abstrait et théorique de la Res Publica (fin de la première mue gémique) s’incarner, dès l’aurore de la seconde mue (XVIIIe siècle) dans les hommes et les faits : Révolution française, Démocratie américaine, Marxisme. Ce serait donc entre la fin de la première mue du Lion (2850) et le début de sa seconde mue (2350) que le Roi légendaire (et solaire) Manu se serait incarné dans le roi réel (et taurique) Prthu.

Effectivement, des différents ouvrages que G. Dumézil consacre à l’évolution de la notion de royauté, il ressort que le Dieu-Roi, tout d’abord considéré comme une simple entité (Mitra, Manu dans le Rig-Véda, Vohu-Manah, Asu dans le zoroastrisme) évolue en Roi nourricier (Aryaman, Phru en Inde, Eremon chez les Celtes irlandais), puis en Roi juste et qui préside à la répartition des biens entre les citoyens (Bhaga dans l’Inde, Servius à Rome). La notion de « consentement public » accompagne cette dernière évolution[5].

Or, le premier état de roi-entité se caractérise par le conflit gémique « lumière-ténèbres » : Horus-Seth, Ormuzd-Ahriman, Mitra-Varuna ; le second état, par l’intervention du Taureau, de la Vache ou du Bœuf[6] ; le troisième, par le recours aux grands thèmes béliques : Flamines à Rome, Agni en Inde, ainsi qu’au Mythe de l’Abeille.


[1] PLATON, l’Atlantide dans le Critias.

[2] Certains d’entre eux ne furent cependant rédigés qu’aux XIIe et XIIIe siècles.

[3] Georges DUMEZIL, Servius et la Fortune, P.34 (Gallimard).

[4] Servius et la Fortune, p.168.

[5] Les dieux des Indo-Européens, Les dieux des Germains (Presses Universitaires). — G. DUMEZIL fait remarquer que les « rois par consentement » ont souvent, comme la Fortune, un bandeau sur les yeux ; ils sont même aveugles (Bhaga) ou borgnes (Coclés, Odin, Wotan). Mais l’exemple de Ré, ainsi que les premiers dieux solaires indiens, autorise à douter de cette interprétation : le Borgne est un symbole contemporain du Mythe solaire le plus archaïque, antérieur même à la notion de « royauté ». Alors que le mythe du Roi semble une émanation de l’alliance Lion-Gémeaux, on peut penser que le Borgne est une dépréciation de »s mythes syncrétiques Soleil + Balance + Serpent (l’Œil du Ciel, la Roue, le Cercle et la Couronne), qui durent naître au début de la première mue du Lion.

[6] Voir, plus loin, l’étude des mythes celtiques.

L’Abeille

Initialement solaire, l’abeille était l’emblème d’Horus dans l’Egypte des deux royaumes. Champollion déclare à ce sujet que « l’insecte était choisi pour symbole de la royauté, parce qu’il est lui-même soumis à un gouvernement régulier[1] », et l’historien Horapollon atteste qu’un peuple obéissant à son roi est figuré par cet emblème.

Très vite, néanmoins, l’Abeille connut un déclin singulier. L’un des premiers indices en est l’histoire de Samson, où le plus solaire des héros béliques découvre du miel et des abeilles dans le cadavre du lion qu’il avait lui-même tué. « Ainsi, dit-il, le plus doux est né du plus fort ! »

Chassang semble avoir été le premier auteur contemporain à établir un rapport entre l’abeille et le peuple hébreu. Du moins donne-t-il au surnom de Zeus, « Essen », une origine sémitique ; Creuzer précise qu’Essen voulait dire primitivement « roi des abeilles » et n’en est venu que tardivement à signifier le Roi[2]. C’est également l’avis de Gustav Hoelscher, qui fait remonter le symbole hébraïque de l’Abeille au temps des premiers Juges : antérieurement aux Rois, les Hébreux offraient déjà des libations d’huile et de miel, en l’honneur de Déborah, « reine des abeilles ». Le lieu de cette cérémonie se nommait l’Arbre des Pleurs et se situait près de Bethel[3].

Au lendemain de « ce temps-là » bouddhique et chrétien, les Empires (germanique, espagnol, chinois) n’auront plus avec les anciens Empires (de Rome ou de Houang-ti) en commun que le nom. De même, au lendemain de « ce temps-là » bélique, les Royaumes (perses, romains, hellénistiques, etc.) n’ont plus en commun que le nom avec les Royaumes antérieurs (indiens, élamites, mycéniens…). Le créateur, le fondateur est devenu le « berger des peuples » dont parle Philon d’Alexandrie[4] ; le Thespésios de Plutarque, régénéré, ressuscité au terme d’une mort de trois jours, « plus juste, plus saint, plus ferme dans ses amitiés ».

Ce passage du roi fondateur et guerrier au roi juste est inscrit dans la Bible. Lorsque les anciens d’Israël vinrent prier Samuel de leur donner un roi : « Voulez-vous donc quelqu’un qui vous impose, vous rançonne et vous pille ? » leur demanda-t-il. « Non, répondirent-ils, mais quelqu’un qui nous jugera ![5] »

Ainsi, le roi hébreu eut la charge des troupeaux, le devoir de faire justice et de régler les partages.

Nous avons précisé le caractère ignicole des prêtres du Bélier (autre Signe de Feu), qu’ils fussent hétéens, amorites, hébraïques. Il ne saurait donc étonner que le premier caractère des syncrétismes Lion-Bélier (postérieurs à 800 avant J.-C.) fût précisément un retour au mythe solaire primitif du Feu, hautement spiritualisé par le nouvel idéal bélique. Comme le dieu d’Israël, le roi juste est terrible ; car toute justice appelle le châtiment, la colère du « juge inspiré » sur le coupable.

Mircéa Eliade cite un grand nombre de faits qui témoignent de la survivance chez les Indiens et les peuples de l’Asie Centrale de la croyance en un « délire brûlant » : initiation secrète, colère sacrée, maîtrise d’un « feu intérieur », etc. Eliade cite également la légende roumaine de Românas qui, vainqueur de seize mille Tatars, demeure troublé à tel point par la « chaleur sacrée » qu’il redoute de poursuivre le massacre parmi les siens[6]. Cette fureur est à rapprocher, d’une part, du délire d’Ajax, le héros solaire, massacrant ses propres alliés, les guerriers d’Ulysse, d’autre part de la colère de Cuchulainn, auquel des bains glacés sont nécessaires pour reconquérir son sang-froid[7].

G. Dumézil a retrouvé le thème de l’échauffement du héros dans la légende de Badradz chez les Ossètes[8]. Tite-Live raconte que du front de Marcius sortaient des flammes qui terrifiaient ses soldats[9] et M. Eliade note justement que les images littéraires qui définissent ou représentent la furor (yeux brûlants, cheveux hérissés…) sont devenus presque des clichés dans la poésie latine[10]. Or, les Romains, les Grecs, les Ossètes et les Celtes, les Indiens, les Roumains adorent précisément des dieux à demi solaires, à demi béliques ; et, ce syncrétisme, presque partout l’emblème nouveau le symbolise.

A Ephèse, les prêtres de Diane-Artémis se nomment eux-mêmes les Essines et se comparent aux abeilles de leur déesse, dont une effigie orne les médailles de la cité. Dans Euripide, Iphigénie, prêtresse d’Artémis, et Œdipe font de même des libations de miel, l’une à Pluton, l’autre aux Euménides. A Delphes, la Pythonisse d’Apollon, dieu solaire, était appelée l’Abeille. La légende de Glaucus (fils de Minos, comme le Bélier l’est du Taureau) rapporte que, tombé dans une cuve, le jeune prince avait ressuscité en buvant le miel qui l’étouffait ; et l’on sait assez que la boisson sacrée, l’hydromel des dieux, n’était autre qu’une liqueur de miel.

En Inde, c’est sous l’influence des Brahmes que le Soma, autre boisson sacrée, fut associé au culte d’Agni. Or, le singe Dadhimuka (bouche de beurre) qui garde « les forêts de miel » était le fils de Soma, considéré comme un dieu[11]. L’image de la « forêt » ou du « fleuve » de miel se retrouvera dans tous les cultes et légendes directement inspirés du Bélier : le delphisme primitif, le mythe indien de la Ganga, le mosaïsme[12]

Dans les siècles qui suivirent, les juifs eux-mêmes durent se défendre contre le symbole envahissant. Ils interdirent les libations de miel, sous le prétexte que l’abeille « est un animal immonde, engendré, à ce qu’on assure, du cadavre du bœuf en putréfaction[13] » ; mais, en fait, parce qu’ils ne pouvaient pas admettre un culte à demi bélique, à demi solaire. Pour une raison différente (ils avaient choisi le syncrétisme de l’Aigle), les Romains se défiaient des abeilles. Plutarque et Tite-Live rapportent qu’il était regardé comme un mauvais présage que des abeilles se posent sur la tente du général en chef, sur le pont d’un navire et, particulièrement, sur les enseignes des aigles[14].

Cependant, la légende de l’abeille naissant du cadavre du bœuf (comme le Bélier du Taureau) survit à Rome ainsi qu’en Judée, et l’on voit Virgile consacrer à ce mythe une partie importante de la IVe Géorgique : le taureau (de deux ans) doit être sacrifié au printemps, puis étendu sur un lit de feuillage, de thym et d’herbe fraîche (vestige gémique) dans un local percé de quatre fenêtres tournées aux quatre vents, afin de recevoir les effluves du cosmos entier. Tout étant ainsi préparé, les abeilles (la parole de Dieu) naîtront d’elles-mêmes dans le corps du taureau (et dans l’esprit du nouvel initié[15]).

Légende tenace : sur le tombeau de Chilpéric, roi franc, trois cents abeilles tournoyaient autour d’une tête de taureau[16]. Ce détail nous introduit aux légendes celtiques.


[1] CHAMPOLLION, Grammaire égyptienne.

[2] CREUZER, Symboles. Eleusis et les traditions.

[3] GUSTAV HOESCLER, Die Profeten, Untersuchung zur Religions Geschichte Israels, Leipzig, 1914.

[4] PHILON D’ALEXANDRIE, Vie de Moïse, I, II.

[5] Ier Livre de Samuel, VIII.

[6] Mircéa ELIADE : Naissances mystiques, Gallimard.

[7] Le Tâin Bô Cuâlng (traduit par D’Arbois de Jubanville).

[8] G. DUMEZIL : Horace et les Curiaces, Gallimard.

[9] TITE-LIVE, XXV, 39, 12.

[10] Ces images également figurent ou symbolisent l’inspiration lyrique et prophétique (en Israël, à Delphes et chez les Ases nordiques).

[11] En Chine, de même le Singe était le symbole équivalent de notre Bélier.

[12] LEVI-STRAUSS étudie actuellement un passage analogue des mythes solaires aux mythes de l’Abeille et du Miel en Amérique du Sud (cours non publié).

[13] PHILON, De ceux qui offrent des victimes en sacrifice.

[14] TITE-LIVE, Histoire romaine, XXI, 46 ; PLUTARQUE, Dion, XXVI ; Brutus, XLIIV, LVI.

[15] VIRGILE, Géorgiques, IV, vers 294 et suivants.

[16] Le myhe bélique et l’emblème demeureront longtemps associés. Restaurateur du Sanhédrin, Napoléon fera broder des abeilles sur son manteau impérial et en décorera ses appartements. Cela aussi, Nostradamus l’avait prévu, dans un quatrain curieusement écrit en langue romane (alors que les Centuries sont en français) :

« Lou grand eyssame le levera d’albehelos

Que non sauram donte sigem venguddos » (IV, 26).

(Un grand essaim d’abeilles se lèvera et l’on ne comprendra pas le sens caché de ce réveil).

 

La « grande année » des Celtes

En effet, les trois étapes de la « mue solaire » des IIe et Ier millénaires avant J.-C., décelables dans l’histoire de l’Elam puis de la Perse et résumées en trois symboles dans la légende hittite, sont au contraire longuement, copieusement développées dans les cycles celtiques et, particulièrement, les mythes irlandais.

Une des œuvres les plus importantes de cette littérature me semble être le Lebor Gabâla ou Livre des Conquêtes, qu’on suppose écrit vers le IXe siècle de notre ère à partir d’un fond nettement antérieur. Le poème retrace l’histoire de six peuples distincts qui se seraient succédé sur la terre irlandaise.

Le premier, antérieur au déluge, aurait disparu avec lui ; le second, dont le chef s’appelait Partholon, aurait été une race de défricheurs et de laboureurs ; il disparut subitement lors d’une fête de Mai. Le troisième, les Nemed, ne subsiste que peu de temps ; le quatrième, les Fir Bolg (ancêtres des Belges ?) et les Fir Domnainn (ancêtres des Domnonéens de Grande-Bretagne ?), apporte dans le pays l’usage du fer de lance et l’institution d’une royauté liée à la fécondité du sol. Cette race est vaincue par un cinquième envahisseur, les Tuatha de Danann, qui adorent la déesse Anu et détiennent des secrets magiques : le chaudron de Dayda, dieu bâtisseur, l’Epée de Niada, dieu-roi (lié à la fertilité). La sixième race, les fils de Mil, était celle dans laquelle le peuple gaëlique reconnaissait ses ancêtres directs : ses héros, Eremon, Amairgin le poète et surtout Cuchulainn ne cesseront de combattre le peuple-fée des Tuatha ainsi que les Fomoré, voisins sanguinaires et cruels, que ni Partholon, ni les Nemed, ni les Fir Bolg, ni les Tuatha n’avaient encore pu vaincre.

Cette longue légende retrace au minimum cinq millénaires d’Histoire si l’on en croit la mention du « déluge ». On y reconnaît des magiciens gémiques (mutants d’un syncrétisme Gémeaux-Vierge), les Tuatha ; des régalistes (mutants d’un syncrétisme Lion-Gémeaux), les Domnainn ; des défricheurs, dont le culte de Mai dénonce l’appartenance gémique, le peuple de Partholon.

Si l’on applique ici le tableau des concordances, on peut avancer (prudemment) que ce dernier peuple dut apparaître en Irlande vers le IVe millénaire et s’y maintenir jusqu’au milieu du IIIe. Les Domnainn représenteraient une première invasion indo-européenne vers 2400-2300 et se seraient maintenus dans l’île jusqu’à l’arrivée des envahisseurs tuatha (frères des Hittites ?). La domination des fils de Mil, les Milésiens (venus de Grèce ?), se situerait enfin au cours du Ier millénaire avant J.-C. et se serait maintenue très avant dans notre ère. La tradition veut en effet qu’un de leurs héros, Conchobar, soit né la même nuit que le Christ.

Quant aux Fomoré, dont l’empire aurait alors duré du milieu du IVe millénaire jusqu’au premier siècle avant J.-C., il faudrait voir en eux un peuple taurique. Le Lebor Gabâla confirme cette hypothèse, quand il indique que cette race honorait par des sacrifices bovins sa fête de novembre (Samhain). La Tain Bô Cuâlng, autre poème celtique, la confirme également par le récit de la grave querelle qui oppose les souverains tuatha, Ailill et Medb, à Conchobar, roi d’Ulster, l’oncle de Cuchulainn[1]. Conquis, le Taureau Brun s’évade et enlève Corne Blanche ; il revient de lui-même en Ulster, où il arrive pour mourir, le cœur éclaté.



[1] D’ARBOIS DE JUBAINVILLE, traduction du Tain Bô Cuâlng, Paris, Champion, 1907.

 

Le crépuscule du dieu

Un brusque crépuscule du dieu solaire à partir du IVe siècle avant J.-C. nous a été indiqué : 1° par le rejet de l’Aigle à Rome (vers 360) et de l’Empereur Rouge en Chine (368), 2° par l’anéantissement de l’empire perse et la domination macédonienne sur la Grèce et l’Egypte. Une émouvante confirmation de la disparition du dieu serait le périple des Celtes depuis leur île lointaine jusqu’au temple de Delphes (277).

Brennus et ses guerriers casqués de corbeaux de bronze, « guidés par des oiseaux », ne venaient pas pour piller — et ils ne pillèrent pas. Mais ils venaient quérir au lieu même du sanctuaire la certitude que le fils de leur Vierge hyperboréenne Léto était vivant ou mort[1]. L’éclat de rire du grand chef celte devant les représentations trop humaines d’Apollon est à rapprocher, ainsi, du geste désespéré du « dernier Séminole » jetant aux pieds de ses vainqueurs l’idole du Serpent crépusculaire (1862).

Désormais, ce sera dans une alliance nouvelle (Gémeaux-Taureau) que les Celtes des IIIe et IIe siècles avant J.-C. chercheront la patience d’attendre la dernière aurore d’Apollon (ainsi, depuis leur écrasement, les Indiens des Réserves se réfugient dans ces églises « nouvelles », à demi hébraïques, à demi chrétiennes : « Native Church », etc.).

En Gaule même, l’acceptation tardive (et provisoire) d’un dieu Taureau par les Bretons a laissé de nombreuses traces. Paimboeuf (Loire-Atlantique) signifie « la pointe aux bœufs ». Dans sa Géographie, Strabon parle d’une île de Basse-Loire, où des femmes barbares célébraient le culte de Dionysos[2]. En Irlande également : dans le Dindsenchas, le lait de vache guérit des blessures empoisonnées.

Nous sommes tout à la fin de la religion taurique (première période). En effet, le Dindsenchas relate d’autre part l’histoire du roi Bress, qui fut victime d’un subterfuge de ses vassaux, les Munstériens. Contraints de lui remettre en tribut un troupeau de trois cents vaches, ceux-ci avaient fabriqué pour figurer le bétail trois cents mannequins de bois aux pis fictifs enduits de tourbe noire. Ayant bu avidement de cette tourbe, Bress en mourut six ans six mois et six jours plus tard (666). On se rappellera que, de même, aux derniers siècles du Taureau, le sang de l’animal empoisonnait le phrygien Midas, le perse Tanyoxartès, l’égyptien Psaménite. Ici, cependant, l’affabulation est grotesque et l’intention parodique : le drame fait place à la farce, preuve que le dieu Taureau n’existe plus[3].

Dumézil établit un intéressant parallèle entre ces anecdotes et les rapports existant entre le Servius romains ou le Prthu indien et le mythe de la Vache[4]. Je m’étonne qu’il n’ait pas poussé plus loin sa démonstration, jusqu’à faire apparaître l’existence en Inde, en Perse, en Scandinavie et même à Rome, d’un conflit unique et durable entre, d’une part, les Mythes tauriques et cancériques (Çiva, Prthu, Ahriman, Eremon, Servius, les Pierres levées ou le Minotaure) et, d’autre part, les Mythes gémiques et solaires (Manu, Indra, Ormuzd, les Domnainn et les Tuatha, les Dioscures, Odin-Wotan, etc.). Les deux mouvements ne furent-ils pas des syncrétismes simultanés en un moment de leurs évolutions (première mue du Cancer : 3700-700, deuxième mue du Lion : 2350-350) et qui, nécessairement, s’affrontèrent ?

Comme l’Avesta perse, les grands poèmes celtiques, en décrivant les luttes des peuples successifs de l’Irlande contre les Fomoré, nous représenteraient donc le combat (sur deux millénaires) que les civilisations gémiques et solaires eurent à livrer contre le dieu Taureau, tantôt le refusant, tantôt l’acceptant, avant de le vaincre enfin au premier siècle avant J.-C. (dernière mue solaire, crépuscule taurique).

Des cycles irlandais postérieurs retracent de manière plus confuse le périple zodiacal (syncrétisme successif) des Celtes. Imprégné de références odysséennes, le Voyage de Maelduin nous fait retrouver des oiseaux de mer (symbole gémique), un chat gardien de trésors (symbole cancérique), les trois pommes miraculeuses des Hespérides (symbole virginal), la bête du vent (symbole ouranien) et des sangliers rouges[5] ; Dans le texte Baile in sceail, la reine-fée d’Irlande offre au roi Conn une côte de bœuf apparemment dotée de pouvoirs particuliers.

Mais la plupart de ces récits, composés vers le XIIe siècle, ont subi fortement l’influence chrétienne et les traces des anciens mythes ne s’y révèlent plus clairement.



[1] Voir l’article de JEAN MARKALE sur « la prise de Delphes » dans Les Cahiers du Sud (N° 370).

[2] STABON, Géographie, V, 6.

[3] WHITLEY STOKES, The Rennes Dindsenchas, Revue Celtique, XV, 1894.

[4] GEORGES DUMEZIL, Servius et la Fortune, Gallimard, 1943.

[5] Dans l’hindouisme, le Sanglier est le symbole de la Balance.

 

La Suède et l’Allemagne

On doit faire la même remarque en ce qui concerne les littératures gaëlique, écossaise et galloise. En revanche, un autre bel exemple de syncrétisme Soleil-Gémeaux nous est donné par le dieu scandinave et germain Odin.

Divinité agraire, le dernier épi du champ lui était consacré, tandis que deux corbeaux, ses symboles (Huan la Pensée et Munin la Mémoire) témoignaient de son caractère gémique. Mais également, le dieu détenait son pouvoir de son oncle Nimir et l’avait payé d’un de ses yeux ; en sorte qu’Odin n’avait qu’un œil (comme le Cyclope, Horus et Sûrya). Sous cet aspect solaire, il manie le foudre ; il chevauche un coursier blanc, comme son équivalent Wotan. Historiquement, on assimile ce Wotan-Odin à un grand chef barbare du Don, qui aurait dirigé une émigration celte à travers la Russie vers les pays du Nord, au Ier siècle avant J.-C. ; on voit en lui le fondateur d’Upsal.

La saga de Volüpsa, mythologie occulte du dieu scandinave, relate la guerre sans merci que dut livrer Odin contre les « puissances » zodiacales qui lui étaient contraires, au premier rang desquelles le Serpent (Midgard ou Niddhögg) et le Géant Loki, frère de lait du dieu (en qui l’on peut voir un héros gémique), tantôt allié, tantôt ennemi d’Odin[1]. Loki meurt d’une mort éternelle, horrible, le Serpent répandant sur son visage retourné du venin, que l’épouse du héros, Sigyn, recueille au fur et à mesure dans une cuvette. Vaincu à son tour et emprisonné, le Serpent un jour sera libéré ; il ébranlera le monde ; alors, Loki s’échappera et les légions de Surt, le dieu de l’abîme, se mettront en marche pour détruire les dieux. Mais, dans un très lointain avenir, ils renaîtront et le royaume d’Odin rayonnera de nouveau.

Tous les dieux germaniques, de même, se laisseraient rattacher sans difficulté au culte solaire : Heimdall, Balder (fils d’Odin) sont des héros de lumière ; Freyr (dieu primitivement suédois) possède un cheval magique. Tous doivent combattre des géants. Enfin, pas plus que les Scandinaves, les Germains ne croyaient à l’immortalité des dieux, mais seulement à leurs renaissances sans fin, après de plus ou moins longues périodes de défaite et d’absence.

L’œuvre la plus célèbre de l’Allemagne médiévale, les Nibelungen, me semble raconter sous les voiles du symbole l’enchaînement des signes et des dieux du Cosmos dans un rythme assez comparable à celui des légendes irlandaises. Les combats de Siegfried contre le dragon, son vol du filet magique qui lui permet, invisible, de se faire le « double » du roi, sa lutte contre l’amazone vierge Brunehilde (où beaucoup voient la déesse-reine Anu des Tuatha de Danann) sont les étapes symboliques de la lutte que doit livrer le Mythe solaire contre les mythes et cultes des religions mutantes du Cancer, des Gémeaux et contre la nostalgie de la Vierge, avant de triompher — une dernière fois — à l’aube de l’ère chrétienne[2].

Tous ces récits, nés au cœur de la chrétienté, attestent la volonté du Celte de défendre ses mythes et ses légendes contre l’emprise croissante du Christ[3]. Ils témoignent de la vitalité, de la survivance jusqu’à l’an 1000 après J.-C. des mythes solaires et léonins. C’est donc cette survie, cette dernière mue du Lion, qu’il nous faut maintenant étudier.

 



[1] C’est toujours le combat d’Ormuzd contre Ahriman, d’Osiris contre Seth…

[2] Je ne me cache pas que l’étude immense des dieux celtiques reste en grande partie à faire ; mais il semble improbable que des ouvrages futurs puissent contredire l’évolution que j’esquisse ici. J’en donnerai pour preuve un livre qui vient de paraître et qui traite du problème mal connu des divinités suisses. De Lug, l’ancien dieu celte, à Castor et Pollux et de ceux-ci à la vache nourricière, leur évolution suit le même rythme qu’en Irlande et en Scandinavie (CHRISTINGER et BORGEAUD, Mythologie de la Suisse ancienne, Librairie de l’Université, Genève).

[3] Au prix, parfois, de très étranges subterfuges. Le Dragon que combat Siegfried se nomme Fafnir ; or, Fafnir aurait été un saint ermite des IVe ou Ve siècles… A l’inverse, sous le nom de Saint Cornély, on reconnaît aujourd’hui un ancien mythe celtique, contemporain du syncrétisme Soleil-Taureau. En effet, selon la légende, Cornély, pape (de 251 à 253) s’enfuit de Rome accompagné de bœufs qui portaient son bagage et le portaient lui-même. On l’aurait enterré dans la montagne Saint-Michel, où une chapelle lui est dédiée… Le tumulus de Saint-Michel vient de livrer son secret : des ossements d’un homme et de plusieurs bœufs — ils ont 5 000 ans d’âge ! (Selon AIME MICHEL, La plus vieille religion d’Europe ? dans la revue Planète, N°9).

 

Jean-Charles Pichon 1963

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LES JOURS ET LES NUITS DU COSMOS – TROISIEME PARTIE – 2 – LA DERNIERE MUE

II

LA DERNIERE MUE

 

 

On ne pense plus aujourd’hui que les Mayas furent le premier peuple d’Amérique du Sud. Mais il est admis que certains monuments de la ville péruvienne de Tiahuanaco doivent remonter à une époque où, au Mexique, n’existait encore — au plus — que des communautés agraires. En fait, de nouveau, l’Histoire et la légende s’affrontent ici. Tandis que les Aymaras datent la fondation de la ville des origines mêmes du monde : « Avant que Viracocha eût créé les étoiles (indication d’une invention de l’astrologie), Tiahuanaco existait déjà », A. Posnansky, spécialiste de l’archéologie amérindienne, y distingue cinq périodes architecturales, dont la première (celle des proto-Aymaras) pourrait s’être étendue du Ve au IVe millénaires.

Les tribus nomades qui campèrent alors sur ce haut plateau adoraient la lune et la mer, cultes cancériques, en même temps que des divinités solaires. Posnansky pense en effet que les « pierres levées » de la Kalasaya, dont la disposition sinon la forme rappelle les menhirs et les cromlechs bretons, pourraient être des vestiges de cette antique civilisation. Une catastrophe naturelle (le débordement du lac Titicaca) y aurait mis fin.

La seconde période (IIIe millénaire ?) n’est guère mieux définie. L’influence aymara y prédomine ; l’application des règles astronomiques et l’adoration du soleil en seraient les caractéristiques essentielles. La Porte du Soleil, énorme construction d’un seul bloc, haute de 3 mètres et large de 4, en est le principal vestige. Les décorations, puma et condor couronnées, disposition symétrique des personnages secondaires de part et d’autre de la figure centrale, elle-même munie de deux sceptres, font de ce monument le vestige d’un culte à la fois solaire et gémique.

D’autres monuments moins bien conservés, le Puma-Puncu, la porte des Lions, le Tunca-Puncu, la porte des dix et l’Umu-Puncu, n’ont pas été précisément datés. Enfin, le symbole du lion se retrouve sur des pierres amoncelées, des dalles, des morceaux de frises et des statues où se voient des hommes-pumas, les Cacha-Puma. Selon Posnansky, la rupture d’une digue aurait été la cause du second déluge qui acheva cette période.

La plupart des monuments ne sont pas sans offrir certaines ressemblances avec des édifices de Persépolis et de Thèbes, et la première pensée de ceux qui les découvrirent avait été de leur chercher une origine égyptienne ou mésopotamienne. Aujourd’hui, les archéologues admettraient plus volontiers l’hypothèse d’explorateurs venus d’Extrême-Orient. La découverte faite à Uxmal (au Mexique) de la copie d’un Bouddha et de deux effigies de femmes aux traits mongoloïdes accroupies dans la position du Bouddha endormi (musée de Tiahuanaco) appuie cette hypothèse, ainsi que certains bas-reliefs mexicains qui montrent des éléphants (animal inconnu en Amérique du Sud) et l’écriture même des Quipu, comparable à celle de l’ancienne Chine (nœuds sur cordes ramifiées).

Mais nous verrons qu’on pourrait tout aussi raisonnablement donner à la race Inca une origine achéenne, et même gréco-romaine, cependant que certaines légendes chimus et d’autres vestiges d’Amérique du Nord (grottes de North Salem, dans le New Hampshire, tour de Newport) évoquent les premières constructions monastiques en pays celtes (Irlande et Bretagne). Les archéologies, un jour, ne seront-ils pas amenés — contre l’Histoire officielle — à reconnaître qu’au cours des siècles l’Amérique n’a cessé d’être découverte ?

Effectivement, de nombreux récits, Incas, Toltèques, Ycatèques, font état de débarquements d’hommes jaunes ou d’hommes blancs, en des points différents des côtes du Pacifique et de l’Atlantique. En ce qui concerne le Pérou, qui nous intéresse ici, l’historien espagnol Cabello de Balboa avait recueilli dès la fin du XVIe siècle la légende d’un héros, Naymlap « qui voyageait accompagné de dignitaires, de femmes et de toute une armée[1] ». Les nouveaux venus auraient débarqué à l’embouchure de la rivière Faquisllanga (Lambayeque) et pris possession du pays sans combattre. Naymlap, immortel, aurait disparu un jour en plein ciel après s’être fabriqué des ailes. Je vois dans ce mythe la trace d’un syncrétisme Lion-Gémeaux, conforme aux vestiges de Tiahuanaco, et le note pour cette raison.



[1] MIGUEL CABELLO DE BALBOA, Miscelanea austral, Quito, 1586.

Les Chimus

C’est également l’arrivée d’hommes venus de la mer, « blancs et barbus », les Viracochas, qui marque l’ouverture de la troisième période de Tiahuanaco. Le chroniqueur Cieza de León rapporte qu’à l’arrivée des Espagnols, les Indiens les baptisèrent Viracochas en souvenir du mythe séculaire[1]. Aujourd’hui encore, le mot signifie « maître » et désigne surtout l’homme blanc.

Néanmoins, il n’est pas insoutenable de croire que le dieu Viracocha lui-même fut une invention très postérieure aux débuts de l’empire chimu. Car les Incas se glorifieront volontiers d’être les anciens autochtones de l’empire (chimu) qu’ils auront conquis — et même les créateurs des temples et des monuments les plus antiques ; en conséquence, ils durent assigner à leurs dieux une origine également fausse.

On estime généralement que la troisième période péruvienne se serait prolongée des débuts de l’ère chrétienne jusqu’au IXe siècle à peu près. En fait, nos connaissances de l’empire chimu ont reposé longtemps sur les seules prétentions incas, telles que les Espagnols nous les avaient transmises. Ce n’est que tout récemment que se sont révélés aux archéologues des vestiges probants du Ier millénaire de notre ère.

La finesse des tissages de coton et de laine, des tapisseries et des brocarts, ainsi que la poterie, polychrome, ornée de pumas et de condors, témoignent d’un art raffiné comparable à celui auquel parvenaient des artistes persans vers la même époque (du IVe au Xe siècles). L’Empire avait pour capitale la ville de Chanchan, qui recouvrait 18 km² et renfermait des édifices de 400 mètres sur 200, enclos de murailles hautes de 6 mètres. Renaissante, Tiahuanaco n’avait pas recouvré sa splendeur d’antan.

Beaucoup plus au nord, près de Lima, se trouvent les ruines de la ville sacrée, la Delphes des Chimus : Pachacamac. Selon Cieza de León, le dieu de cette ville, Pachacamac lui-même, empruntait la forme du chat ou du serpent, ce qui en ferait une divinité du Cancer. Selon l’ethnologie moderne, Pachacamac aurait été substitué à Irma, première divinité vénérée en ce lieu, qui eût symbolisée la mer. Lorsque l’Inca Capac Yupanqui (Pachacutec), au XVe siècle, exigea que le peuple des contrées littorales adoptât le culte de Viracocha, les princes de Pachacamac lui auraient répondu : « Nous avons notre dieu : la mer, plus grand et plus puissant que le soleil même, car il nous donne du poisson et nous nourrit, alors que le soleil calcine nos terres[2]. » En effet, Cieza de León rapporte qu’à Pachacamac on adorait aussi une divinité poisson.

Nous sommes alors dans la cinquième période de l’histoire péruvienne avant la conquête espagnole, sous la domination inca (XIVe – XVIe siècles). Une « nuit » de quatre siècles (Xe – XIIIe) l’avait précédée : la quatrième période, qui correspond exactement au « royaume » chrétien et à la création du dieu « presque chrétien » Quetzalcóatl au Mexique. Il n’est pas impossible que, pendant cette nuit intermédiaire entre l’empire chimu et l’empire inca, seules des divinités-poissons aient été adorées dans certaines parties du littoral.


[1] PEDRO CIEZA DE LEON, Crónica del Perú, Séville, 1553.

[2] SIEGFRIED HUBER, Au royaume des Incas, 1962.

 

L’apôtre Tonapa

Rappelons à ce sujet que les Indiens du lac Titicaca gardent le souvenir d’un thaumaturge, Tonapa, dont l’enseignement ainsi que la vie miraculeuse rappellent plus d’un trait de nos saints chrétiens : des missionnaires jésuites crurent reconnaître en lui l’apôtre Thomas[1].

Il est de fait que certains des « miracles » rendent un son bien évangélique : son combat contre les « idoles » de Titicaca, qu’il réduit au silence, les supplices que les paysans (les « païens ») lui infligent — notamment la flagellation, la marche sur les eaux (ici, sur son manteau, que portent les vagues) et, de nouveau, le radeau magique, qui vogue sans rame, sans voile, sans vent et sans courant sur le lac immobile[2].

D’autres miracles rappelleraient plutôt les grandes traditions bibliques : le rideau de flammes qui s’ouvre devant le saint ou sa victoire, grâce à une fronde, sur le géant Muratata. Enfin, des symboles gémiques ou solaires se retrouveraient dans un troisième ordre d’évènements merveilleux : les aigles qui coupent les liens qui retiennent l’apôtre prisonnier (mais, ici, les aigles sont au nombre de trois). Il reste qu’aujourd’hui encore, les Aymaras prétendent qu’un palmier solitaire fleurit le jour de Pâques sur la lagune d’Aullaga, où l’étrange missionnaire acheva son périple lacustre.

Il est également remarquable que ces légendes offrent une richesse, un enjouement, une naïveté qui contrastent singulièrement avec la tristesse affreuse des rites, croyances et « règlement » incas — ainsi qu’en Occident (aux mêmes périodes), l’ardeur, la nouveauté, la grâce des Chansons de Gestes et des Mystères populaires (Xe – XIIe siècles) contrastent avec la gravité, la vanité des dogmes, des interdictions, des discussions sans fin des scolastiques (XIVe et XVe siècles)[3].

Il faut noter enfin, fût-ce sans l’expliquer, que certains mots quichuas présentaient de frappantes ressemblances avec les langues indo-européennes : Capac pour le latin Caput (tête) ; Gori pour le grec Chrysos (or) ; Hanan pour le grec Ana (haut) ; Huasi pour l’allemand Haus et l’anglais Home ; Suma pour Sumus, Umo pour Humor, etc.

Entre la fin de l’empire chimu, au IXe siècle, et la conquête inca, au XIVe siècle, y aurait-il donc eu des missions chrétiennes en Amérique du Sud ? Ou bien l’Esprit du Temps est-il seul responsable de ces similitudes ?

Une fois encore, notre adversaire rationaliste se trouve au carrefour de deux hypothèses qui lui déplaisent autant l’une que l’autre : ou bien une science de la navigation déjà très évoluée chez les bons moines « incultes » du Moyen Age, ou bien la domination cosmique d’une « mana » sur toute la terre à époques déterminées.



[1] C. M. KAUFMANN, L’Amérique et le christianisme primitif.

[2] Le rapprochement s’impose avec le « christ » toltèque Kukulkan.

[3] Mais en Occident, le dieu (Christ) survit au Signe : l’homme se sent coupable de son abandon ; d’où, la nécessité du châtiment — le jeûne, l’ascèse, la discipline. Au Pérou, le dieu (Soleil) est mort ; d’où, le désespoir sans rémission et les suicides collectifs.

 

Les Incas

De ce grand dieu chimu, primitivement solaire, puis à partir du IXe siècle dieu-poisson, Pachacamac, les Incas feront seulement l’un des fils de leur dieu suprême, dont le second fils, Viracocha, divinité de la pluie et de l’élément liquide en général, était considéré comme l’ancêtre direct du peuple inca lui-même (par Allca-Vica) ; Mama-Cocha, la lune, sa femme et sœur, symbolisait aussi la pluie et l’eau. Quant au troisième fils, Manco-Capac, Il aurait été le survivant de quatre couples de frères et de sœurs ; on voit en lui un chef inca, à demi légendaire, à demi historique, qui eût vécu aux XIIIe ou XIVe siècles (Manco signifie : homme[1] et Capac : tête) et se fût imposé comme restaurateur du culte.

Mais, contrairement à l’opinion commune, il n’est pas assuré que ce culte fût exclusivement solaire. On a beaucoup disserté sur les prêtresses incas, les « Vierges du Soleil », « Aclla », choisies dès l’âge de huit ans et enfermées à vie dans des sortes de cloîtres ; convaincues de rapports sexuels, elles eussent été enterrées vives. Or, il est impossible de ne pas voir dans cette institution une équivalence des Vestales romaines, prêtresses du Feu plutôt que du Soleil (et les deux mythes peuvent être distingués l’un de l’autre, comme on le voit dans les religions du Bélier).

En effet, l’œuvre des bâtisseurs incas (routes, aqueducs, temples) évoquèrent les Romains aux yeux des Espagnols qui venaient les conquérir. D’autre part, leur culte des morts et leurs momies (malqui) rappellent le complexe Gémeaux-Cancer, tel qu’on le trouvait dans l’ancienne Egypte, à Mycènes et en Etrurie, plutôt que le culte léonin.

Antonio de Calancha donne une indication précieuse quand, à côté du dieu-puma de Huánuco, il précise que les Indiens de Cuzco prient un démon qui a l’aspect d’un serpent, ceux de Tiahuanaco un reptile lové, ceux de Tomelamba un ours et ceux de Chachapoya un « tigre », en réalité un jaguar tacheté (la « panthée » cancérique[2]. Dans les légendes péruviennes de la période récente, les serpents prédominent, gardiens de trésors pour la plupart. A l’époque de la conquête, les habitants de Pasasmaya appelaient leur sanctuaire « la maison de la lune », Si-an, et vénéraient le serpent, tandis qu’à Pachacamac, tabernacle du dieu-poisson, une renarde était également l’emblème d’on ne sait quelle déesse[3]. Enfin, Viracocha lui-même était représenté partout par une figure androgyne, et cette féminisation convenait à un dieu de la pluie : comme les Poissons, le Cancer est un signe féminin.

Il semble donc que les mythes solaires purent n’être pour l’Inca qu’un vestige de cultes antérieurs chimus, alors que ses autres dieux (le serpent) et mœurs (vestales, momies) lui auraient été personnels. Une autre hypothèse serait qu’admettant l’agonie finale des dieux solaires, il eût cherché en d’autres mythes l’appui de la Divinité Suprême. Ce passage aurait eu lieu sous le règne de Yupanqui Pachacutec, qui substitua à l’ancien dieu-soleil Inti un dieu de l’éclair (et de la pluie) dont le symbole était la « chuquiilla », un serpent à deux têtes.

Or, si l’on se réfère à la liste inca des onze souverains (de Manco-Capac à Huayna), Pachacutec, précédé d’un « Viracocha » et suivi de Tupac Yupanqui, aurait régné entre 1400 et 1460, c’est-à-dire à l’époque où, selon nos tableaux, les Gémeaux achèvent leur première mue (vers 1450) et où le soleil quitte le « champ » des Poissons. La prédiction de « Viracocha »[4], annonçant que des hommes blancs et barbus viendraient de la mer et que les Incas devraient leur obéir serait alors l’expression de la conscience mythique que « tous les dieux vont mourir » et de l’attente angoissée d’un Mythe nouveau, qui, en Occident de même, marqua la fin de l’ère des Poissons. N’est-ce pas, en effet, dans un équivalent des guerres de religion européennes qu’il nous faut chercher le sens des guerres fratricides qui déchirèrent le Pérou au XVIe siècle, juste avant l’arrivée des Espagnols ?

Cette autodestruction, sous le règne de Huayna Capac (1490-1525) avait été précédée d’un signe trop clair. Au cours des fêtes de l’Inca, un aigle blessé apparut, poursuivi par de petits oiseaux de proie. Tombé du ciel, il vint mourir au pied de la litière du souverain. Dernier symbole solaire (en même temps que gémique), l’aigle mourant annonçait la fin de l’empire fondé sur le Lion et les Gémeaux.

En conséquence, le dernier siècle de l’histoire inca ne concerne plus l’objet de ce chapitre, car elle correspond à la survivance aztèque au Mexique (le Serpent à plumes), de la magie noire en Occident et même de ces légendes suédoises où Loki, jumeau d’Odin, meurt d’une mort éternelle, rongé par le venin du Serpent. A sa façon, l’ultime croyance inca exprimerait le meurtre cyclique, eschatologique, du Lion par le Cancer survivant.

La confusion et la diversité du panthéon péruvien au moment de la conquête espagnole indique en fait une civilisation agonisante, que la mort de ses dieux a laissée démunie. Quand, en 1524, pour la première fois, Pizarre prit la mer avec quatre-vingts hommes et quatre chevaux, l’empire, divisé, entré dans la dernière phase de sa décadence, s’efforçait vainement de lier son avenir à des mythes disparus (les Gémeaux, le Lion) ou en voie de disparition (le Cancer). Les Espagnols achevèrent des moribonds.



[1] En allemand : Mann, en anglais : Man.

[2] ANTONIO DE CALANCHA, Crónica Moralizada, 1639.

[3] CIEZA DE LEON, Crónica del Perú, 1553.

[4] D’après le chroniqueur quichua Santa Cruz Pachacuti-Yamqui, ce « Viracocha » aurait été le créateur d’un monument en forme de croix érigé sur une colline ; également, il eût pratiqué le rite du baptême.

 

Les Parthes

A la même époque (les débuts de notre ère) où naissait le peuple chimu, le lion rugissait de nouveau en Europe, en Asie Mineure, en Extrême-Orient.

Nous avons vu comment, dans l’impatience de l’Esprit nouveau (des Poissons), des prêtres égyptiens, grecs et romains ont cru le reconnaître dans Apollon ou dans Horus, dans tous les dieux solaires. C’est qu’en ce premier siècle avant J.-C., plus brutale encore que sa disparition au IVe siècle, la réapparition du Dieu frappe violemment les esprits. Vaincus par les Romains de la République, les Celtes redressent la tête ; un nouveau dieu solaire paraît, Cerunnos, aux cornes de bélier ; en Gaule, les anciens cultes druidiques renaissent ; dans les pays slaves, un grand chef barbare, Wotan, rassemble son peuple et crée un royaume. En Arménie, Orodès arrête l’expansion romaine (53 avant J.-C.) et achève d’asseoir fermement la puissance parthe sur toute l’Asie Occidentale (à l’exception de la Syro-Palestine).

Il y avait déjà quatre-vingt-dix ans qu’un Perse, Mithridate, premier roi des Parthes, avait libéré son pays de la domination séleucide (141). Dès lors, le nouvel empire ne cesse de croître et les victoires de Septime-Sévère (158-200 après J.-C.) n’affaibliront guère une puissance que les souverains sassanides prolongeront jusqu’au VIIe siècle.

Or, les Parthes, puis les Sassanides, reconnaissaient un dieu-lumière, Mithra, dans le triomphateur du Taureau (alors crépusculaire). Au Ier siècle, sous l’influence de Néron, l’ancien dieu irano-indien était reçu à Rome, où son influence combattait celle du christianisme naissant, avant de se christianiser dans l’hérésie manichéenne. Influence réciproque : dès le second siècle, la naissance de Mithra, comme celle de Jésus plus tard, était fêtée le 25 décembre.

Le nouveau mazdéisme est en effet très loin de sa pureté primitive. C’est l’époque où, à Babylone, les juifs exilés compilent dans le Talmud l’enseignement séculaire de leurs docteurs et l’on ne peut s’étonner que le caractère bélique de la doctrine zoroastrienne s’épanouisse également dans la religion parthe, que le Perse Mani enrichira de l’apport d’un christianisme dialectique. Dans le même temps, la première mue gémique se poursuivait parallèlement, pour aboutir aux recherches savantes des philosophes d’Alexandrie.

Ainsi, à peine recréée, la religion solaire devait subir l’influence des Gémeaux, du Bélier et des Poissons. Bientôt, les tauroboles (ou sacrifices sacrés du Taureau renaissant) achèvent de compliquer le culte sassanide, qui se présente alors comme un syncrétisme de cinq religions différentes. Puis, à la veille des invasions arabes, un réformateur, Mazdak, tente de rattacher le mazdéisme plus étroitement aux courants chrétiens et bouddhistes qui imprègnent le monde entier. Un roi sassanide, Kavadh (488-528) se rallie aux théories de Mazdak et, renouvelant la folle tentative néronienne, entreprend d’instaurer un Etat communiste dans son royaume ; mais, vers la fin de sa vie, revenu à de plus saines conceptions civiques, Kavadh condamnera le mazdakisme, qui sera mis hors la loi.

Ni les conquêtes musulmanes, ni même la mort du dernier Sassanide (651) n’achèveront les destins de la religion solaire (devenue le Zervanisme) et les Persans, jusque sous l’Islam, continuèrent d’adorer l’éternelle Lumière, le Temps Primordial, Zervan Akarana, antérieur et supérieur aux dieux gémiques Ormuzd et Ahriman. Divinité zodiacale plutôt que léonine, Zervan se prêtait à tous les syncrétismes. Aussi vit-on, au Xe et au XIe siècles, en plein « royaume » des Poissons, renaître le Mazdakisme, que les Turcs réduisirent enfin (au XVe siècle).

Seul, un dernier reste de la religion, la secte des Parsis, réfugiée au Pakistan en 1490, voue encore aujourd’hui un culte particulier au Feu, et dans leurs temples une flamme brûle, symbole de la lumière divine. L’une de leurs plus grandes fêtes célèbre la mort du dernier Sassanide, détrôné par Omar. On estime actuellement leur nombre à plusieurs dizaines de millions : les Indiens, nous le savons, respectent toutes les croyances.

 

Krishna

Non seulement ils les respectent, mais ils les favorisent. C’est le destin singulier de ce peuple de ne laisser passer aucune mutation, aucun réveil d’un dieu sans l’adjoindre à son panthéon, comme dans la crainte de négliger le moindre apport de forces cosmiques (de l’Energie Universelle).

Assurément, étouffés par la puissance du Dieu Nouveau, le bouddha Çakya-Mouni, puis par la renaissance taurique, les dieux solaires n’eurent en Inde qu’un réveil timide, contesté. Le plus grand d’entre eux, Krishna, avatar du Bouddha, puis de Vichnou, présente des traits bouddhiques (tendresse, gentillesse) et tauriques (l’amour des vachères, l’arc de Çiva) incontestables. Cependant, étudiant les textes védiques de la période puranique, l’érudit indien Pusalker a montré qu’un premier Krishna, essentiellement solaire, aurait préexisté au Rig-Véda. Les hindouistes, plus tard, en faisant du jeune dieu ressuscité une incarnation de Vichnou, lui rendront ce caractère.

Dans le Mahâbhârata, il bandera l’arc d’Indra, il sera le cocher d’Arjuna. Dans le livre des mutations, le Bhâgavata Puranâ, où Krishna est un dieu-bouvier, certains traits, notamment le bain du héros ou sa radieuse beauté, rappellent les grandes figures solaires d’Apollon et de Siegfried.

Au XIIIe siècle enfin, un poème sacré du Bengale insistera sur ce caractère mythique du Dieu, nostalgiquement.

 

Les derniers emblèmes

Sous le second consulat de Marius, en 106 avant J.-C., alors que les Puranâ recréaient Krishna, que les Parthes restauraient le culte de Mithra, que le celte Wotan s’identifiait à Odin et que les Chimus servaient l’inti solaire, l’Aigle devint l’unique enseigne des Légions ; pour accentuer son caractère solaire, il fut prévu que le porteur de l’Aigle serait revêtu d’une peau de lion ou tiendrait également un foudre[1].

En ce même second siècle, les Huns (Hiong-nou) reconquéraient leur ancienne puissance avec le roi Lao-Chang (174-161 avant J.-C.). Leur tactique militaire, semblable à celle des Scythes et des Parthes, était essentiellement « solaire » : elle consistait à s’appuyer sur la mobilité extrême de la cavalerie, à harceler l’ennemi par des volées de flèches et à ne lancer le véritable assaut que contre un ennemi épuisé.

Analysant la seconde mue du Lion, nous avons négligé — volontairement — d’étudier les grandes invasions « barbares » des Ve et IVe siècles avant J.-C. : Scythes au Moyen-Orient, Huns Hephtalites dans l’Inde, Turcs, Mongols et Tougous en Chine, dont l’élan, curieusement, se trouva partout brisé alors que disparaissaient les grands royaumes solaires des Perses, des Celtes (bretons), des pré-Chimus, etc.

Ces peuples (Ouralo-altaïques), dits « nomades », étaient en fait les héritiers de royaumes considérables. De récentes découvertes soviétiques en ont révélé les centres urbains à Andronovo (1700-1200 avant J.-C.), Karasuk (1200-700) et Tagar (700-400), dont les vestiges — figurations de l’ours, du cheval, du lion d’Asie, du cerf et du bouquetin — s’apparentent aux mythes ouraniens et solaires. Or, connu sous le nom d’art Ordos, l’art animalier des anciens Huns de Mongolie est exactement semblable à cet art sibérien des second et premier millénaires.

Renaissant aux IIe et Ier siècles avant J.-C., l’art Ordos se retrouvera autour de Tchita, de Derestoursk, de Noïn-Oula et de Loun-p’ing, domaines hunniques d’où partiront les invasions barbares des IVe et Ve siècles après J.-C. Puis, au moment où le Celte et le Sassanide commenceront de céder sous la double pression chrétienne (VIe siècle) et musulmane (VIIe siècle), on verra de même un grand nombre de Huns Hephtalites et de Turcs se convertir au christianisme (branche nestorienne) ou à l’Islam.

A la fin du VIIe siècle, des trois grands peuples turco-mongols : les Jouan-Jouan, les Huns Hephtalites et les Huns d’Europe, maîtres des steppes russes, seuls les derniers survivront. Les T’ou-kiue occidentaux (les Turcs), descendants des Hiong-nou, chercheront et obtiendront l’appui de Byzance, sans cependant abandonner leur dieu. « Les Turcs tiennent le Feu en honneur d’une manière extraordinaire », écrira le Byzantin Théophylacte Simocatta ; quant à leur divinité, c’est encore et toujours le ciel solaire Tengri, auquel on sacrifie des chevaux et des moutons.

Culte du Feu et sacrifice du cheval nous sont connus pour des rites solaires : ils se retrouveront chez tous les peuples altaïques, fussent-ils ennemis comme les Mongols et les Tatars. De même, les divinités de ces tribus, qu’elles se nomment l’Aga Suprême, Tengri ou Bai Ulgen, se rattachent soit au Mythe « Maison du Ciel » soit au Mythe de l’Œil du Ciel (syncrétismes Lion-Cancer).

A l’époque où les Perses exaltaient l’enseignement bélique de Zoroastre, où les Indiens adoraient Agni, dieu-bélier, où les Grecs (Ulysse), les Romains (Horace), les Celtes (Cuchulainn) recueillaient la leçon militaire d’Israël : mobilité et ruse l’emportent sur la force, les peuples d’Asie Centrale paraissent avoir subi une évolution parallèle. Ces grands guerriers solaires accédaient — lentement — à une morale tribale et familiale, dont l’esprit de Justice frappa quinze siècles plus tard les premiers explorateurs chrétiens.

Interdiction de battre sa femme (mais autorisation de la tuer, dans quelques cas très strictement prévus) ; interdiction d’outrager un guerrier du clan et de le blesser dans son honneur, quelle que fût la faute commise ; partage équitable des biens… Au XIIe siècle, remis en vigueur ou confirmés par Gengis-Khan lui-même, ces lois et ces préceptes patriarcaux n’avaient pas aboli les pratiques chamaniques (l’escalade du bouleau) et les cultes solaires (le sacrifice du cheval). Mais, pour les Mongols de Gengis-Khan comme pour les Amérindiens, les Celtes, les Persans de la même époque, il ne fait pas de doute que le dieu-soleil est moribond ou mort.

A preuve : l’accueil des religions les plus diverses, le recours aux rites béliques, aux mythes gémiques, la tentative de rénover le bouddhisme en Chine, la tolérance polie que ces dévastateurs montrent pour tous les dieux rencontrés sur les routes de leurs conquêtes : Tantras, Çiva, Allah ou Christ.



[1] Plusieurs empereurs tenteront même de rétablir le culte solaire dans sa pureté originelle (Héliogabale : 218-222) ; Aurélien : 270-275 ; Julien : 361-363).

 

La nostalgie

Ainsi tenteront de recourir — une dernière fois — aux mythes solaires les peuples dépossédés de leurs dieux-poissons, bouddhistes ou chrétiens : Saint-Empire germanique au lendemain du « royaume », Parsis fuyant l’Islam, Bengale se refusant à l’hindouisme, provisoires empires, aztèque au Mexique, inca au Pérou. Mais cet ultime réveil, dont la brièveté même atteste la fragilité, ne semble avoir été nulle part une survivance léonine : l’Inca honore le Serpent, le Krishna du Bengale est un dieu hindouiste, taurique au premier chef, les Parsis reconnaissent une appartenance certaine à la tradition gémique de l’ancien mazdéisme manichéen et l’aigle double de Sigismond est trop évidemment gémique en même temps que chrétien.

Il faudrait plutôt voir dans ces divers sursauts le signe d’un affolement consécutif à la fin du « royaume », une nostalgie active mais sans espoir des anciens dieux : symbole dénué de valeur religieuse dans le Saint-Empire ou fête du souvenir chez les Parsis.

Nous relevons ce même affolement, ce même regret dans certaines allusions énigmatiques des « Kenningar » de la poésie islandaise. Composés vers l’an 1000, ces courts poèmes nous parlent des « serpents de la lune » qui accomplirent la volonté des Dieux, ou du « faucon à la rosée de l’épée, qui se nourrit de héros dans la plaine ». De telles rencontres de mots ne sauraient être un effet du hasard. Encore moins celles-ci :

« Le destructeur de la descendance des géants

brisa le puissant bison de la prairie aux mouettes.

Ainsi les dieux, pendant que le gardien de la cloche se lamentait,

anéantirent le faucon du rivage.

Le roi des Grecs ne fut pas d’un grand secours

au cheval qui court par les récifs. »

J. L. Borgès, qui cite ces vers, traduit : « Le destructeur des géants est Thor le Rous ; le gardien de la cloche, l’Eglise chrétienne ; le roi des Grecs, Jésus-Christ (par l’entremise de l’Empereur de Constantinople)[1] ». Borgès va jusqu’à remarquer que « le bison du pré de la mouette, le faucon des rivages, le cheval qui court par les récifs ne sont pas des animaux monstrueux mais un seul navire en perdition ». Pour quelque raison inconnue, cependant, il ne va pas jusqu’à préciser que le navire en perdition n’est autre que le Dieu solaire des Islandais dont les géants, le faucon, le cheval sont exactement les symboles.

Cette clef donnée, le sens du poème s’impose : c’est le même « destructeur » qui anéantit la descendance solaire (les géants) et le bison des peuples du rivage. Ainsi, malgré la conversion des Celtes, le syncrétisme Lion-Gémeaux (le faucon) n’a pu survivre ; la gémique et chrétienne Byzance elle-même n’a pas empêché la mort du cheval.

Le Destructeur n’est pas nommé. Je ne pense pas qu’il soit Thor le Roux, mais ce peut être la Loi des Cycles.

Ce fatalisme apparaît plus noble et plus lucide que la rêverie du jésuite Baltasar Gracian Y Morales dans la mauvaise imitation qu’il donna, au XVIe siècle, des Kenningar islandais (toujours selon Borgès).

Vainqueur du Taureau, le Cavalier du Jour y triomphe, coq, entre « les poussins nés de l’œuf tyndarique (les fils nés de Léda, épouse de Tyndare : les Dioscures) ». Effectivement, aux premiers siècles avant J.-C., le syncrétisme Soleil-Gémeaux (hellénique) et Lion-Gémeaux (Perse et Parthe) triompha du Taureau babylonien. Mardouk est mort, quand Castor et Pollux — et Mithra survivaient. Mais ce n’est pas à cette ancienne victoire que le bon jésuite songe. Le symbole du Coq et le ton du poème, bien de son époque « précieuse », laissent voir que Morales entend prédire ici une future victoire de l’emblème solaire (gallique) et gémique (byzantin) sur le Taureau musulman ; car c’est le temps où le catholicisme pleure la perte de Constantinople et se désespère de l’influence turque en Europe. Vains espoirs : nul dieu léonin n’est plus en mesure de vaincre le Croissant.

Un écrivain qui ne l’ignorait pas, Rabelais, s’était attaché dans son Gargantua à donner de cette agonie des mythes solaires une illustration satirique et précise : les roues enflammées y deviennent des jeux ; ce sont des poutres de bois que chevauche le géant au sommet du château de son père ; enfin, le concept de « gigantisme » cède au concept d’énormité, définitif avilissement.

Dans une œuvre antérieure, « Les Grandes et Inestimables Chroniques du Grand et Enorme Géant Gargantua »[2], le fils de Grand-Gousier et Gallemelle était déjà une parodie de Narayana, le dieu-lumière. La jument qui les porte tous trois — un nuage orageux — vient mourir au bord de « la mer des Celtes », où Grand-Gousier forme la presqu’île du mont Saint-Michel et Gallemelle l’îlot de Tombelaine. Merlin adopte l’orphelin et l’emmène à la cour du roi Arthur, où ses exploits émerveilleront les princes. Reprenant l’œuvre et l’épurant de certains aspects mythiques, Rabelais l’enrichit d’autres symboles. Ainsi, Gallemelle, devenue Gargamelle, est fille du roi des papillons (déesse de l’air) comme toutes les Déesses Vierges, mères de héros solaires, des légendes hittites, indiennes ou nordiques.

Morts au monde, dépourvus de quelque efficacité, les dieux n’en survivent pas moins dans les œuvres. Au Gargantua succèdent le « Don Quichotte », autre parodie désabusée des grandes légendes solaires, « L’Astrée », puis les poèmes de La Fontaine, Parny, Fabre d’Eglantine, Chénier. Les sonnets des Chimères sont à relire dans cet esprit :

L’aigle a déjà passé, l’esprit nouveau m’appelle,

J’ai revêtu pour lui la robe de Cybèle…

C’est l’enfant bien-aimé d’Hermès et d’Osiris !

(HORUS.)

La treizième revient, c’est encore la première…

Es-tu roi, toi le seul ou le dernier amant ?

(ARTEMIS.)

ou bien :

Ils reviendront, ces dieux que tu pleures toujours !

Le temps va ramener l’ordre des anciens jours.

(DELFICA.)

Après l’œuvre de Nerval, il faudrait étudier Les rois en exil, de Daudet, les romans de son fils, ceux d’Elémir Bourges : Les oiseaux s’envolent, les fleurs tombent, Le crépuscule des dieux — et, naturellement, Les Pléiades, de Gobineau.

Nostalgie des vestiges ou parade des ombres ?… Mais tout n’est pas littérature ici. Parallèlement, les mythes solaires, le lys, l’abeille, la roue, illustrent les diverses interprétations données par les « initiés » royalistes aux Centuries de Nostradamus, à la Prophétie de Malachie, etc. La même nostalgie explique cette passion véhémente que les lecteurs de France-Dimanche et Ici Paris vouent aux « romans vécus » des Rois et des Princesses.

Quelques ordres monarchiques occultes ne tentent-ils pas encore de retrouver le secret de leur ancêtre « L’ordre de l’Etoile », fondé par Jean II en 1350 et dont la devise était : « Monstrant regibus astra viam », les astres montrent la route aux rois ? Mais cette route astrale, aujourd’hui, ne mène plus qu’au royaume des morts.



[1] J. L. BORGES, Histoire de l’Eternité, Ed. du Rocher.

[2] G. LANOE-VILLENE, Le Livre des Symboles, Lettre C (Cheval). LOUIS MOLAND assure que l’opuscule « plat et lourd » ne peut être de la main de Rabelais. Mais CHARLES BRUNET (Recherches, 1852) et PAUL LACROIX (Editions de Rabelais, 1868) étaient d’un avis contraire.

 

Les dernières mues du Lion

Aussi loin que nous puissions remonter dans l’Histoire et aussi près que nous regardions, il semble donc que le Lion (ou le Soleil ou le Roi) ait été de tout temps adoré — jusque vers l’an 1000 de notre ère (et regretté depuis).

En étudiant de plus près ces cultes, cependant, nous devons remarquer dans leur succession deux solutions de continuité très exactement définies. La première sépare les « âges légendaires » (Shamash, Horus, Dumuzi) de la renaissance élamite et de la croissance akkadienne. Elle pourrait s’étendre de la fin de Suse III et de la ruine de Kish, vers 2850, jusqu’à 2350 avant J.-C.

La seconde se situerait au moment de la destruction de l’empire perse et du premier arrêt des invasions barbares, au IVe siècle avant J.-C. ; elle n’excèderait pas trois siècles.

Nous aurions ainsi :

1° d’une part, une mue de deux millénaires (XXIVe-IVe siècles avant J.-C.), caractérisée par :

— les traces d’une culture péruvienne au IIe millénaire avant J.-C. (Porte du Soleil, etc.) ;

— les traces d’une ou de plusieurs civilisations celtes en Irlande et dans les pays nordiques ;

— les royaumes successifs de l’Elam, de l’Ourartou, de la Médie, puis de la Perse, dont le dernier fut détruit par Alexandre (331 avant J.-C.) ;

— des vestiges de cultes solaires en Inde — jusqu’à l’avènement du Bouddha ;

— des vestiges de cultes solaires en ETRURIE et dans la Rome primitive des Rois ;

— les résultats des fouilles (à peine commencées) dans les grands royaumes disparus de l’Asie Centrale : Andronovo, Karasuk, Tagar ;

2° d’autre part, une mue d’un millénaire plus ou moins, dont l’origine pourrait être datée du second siècle avant J.-C. et dont l’agonie se prolongerait jusqu’au cœur du « royaume » chrétien.

En ses divers syncrétismes (Lion-Gémeaux ; Lion-Taureau ; Lion-Bélier), elle serait caractérisée :

— en Asie Centrale, par la renaissance de l’art Ordos, puis la ruée des Huns (jusqu’en Occident) ;

— dans l’Inde, par la renaissance de Krishna ;

— à Rome, par le recours à l’Aigle solaire (106 avant J.-C.) ;

— en Iran, par l’avènement des Parthes, puis des Sassanides ;

— dans les pays nordiques par la renaissance d’Odin (Wotan) et en Irlande par le cycle de Cuchulainn ;

— en Europe occidentale, par les reconquêtes celtiques et franques ;

— au Pérou, par l’avènement de la civilisation chimu.

Cette mue s’achèverait :

— au Pérou, par la période dite du « moyen âge chimu » ;

— en Scandinavie, Germanie, Irlande, etc., par les conversions massives des Celtes ;

— en Iran, par la conquête musulmane, puis par le succès du mazdakisme ;

— à Rome et à Byzance, par le triomphe du christianisme ;

— dans l’Inde, par la recréation de Vichnou, le retour à Çiva ;

— enfin, par le développement du bouddhisme dans tout l’Orient.

 

 

Jean-Charles Pichon 1963

 

 

 

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LES JOURS ET LES NUITS DU COSMOS – TROISIEME PARTIE – 3 – LA VIERGE AUX EPIS

III

LA VIERGE AUX EPIS

 

Donc, les dieux meurent — enfin ! Un dieu du moins est mort — définitivement, puisque voici neuf siècles que nul ne l’adore plus ou que, si quelque peuple a voulu les restaurer (Incas du XVe siècle, Nazis du XXe), l’effondrement de ce peuple a bientôt attesté la corruption du mythe, sa dégénérescence.

A cette mort sans réveil, la première rencontrée au cours de cette étude, il serait naturel de chercher une concordance plus avant dans le temps, car un dieu ne saurait être mortel que tous ne le soient. Au contraire, si un rythme quelconque préside à la genèse des dieux, et j’espère l’avoir démontré, la logique doit conduire à croire qu’ils meurent selon un rythme semblable. Ainsi, les intervalles qui séparent les aurores se retrouvent au crépuscule ; ceux qui séparent les équinoxes de conditionnent les équinoxes d’automne ; de périodes de croissance équivalentes, on peut déduire, fût-ce pour des espèces dissemblables, des durées de vie égales organiquement. Et nulle technique, nulle prévision de fabrication n’est concevable, qui ne se fondrait sur un raisonnement analogue.

Dans cette hypothèse, l’intervalle qui sépare deux naissances mythiques se retrouve à l’autre bout du cycle et les morts des dieux, comme leurs naissances, sont liées au rythme des 2 150 ans. Or, la divinité précessionnellement antérieure au Lion — la Vierge — aurait alors dû disparaître vers 1100 avant J.-C., cependant que la « nostalgie » en aurait subsisté jusqu’au Christ. Ce ne sont pas des dates si lointaines que le fait ne puisse être vérifié.

Les premières traces historiques d’un culte de la Vierge remontent au IIIe millénaire avant notre ère. Elles ont été découvertes à Goubla, la Byblos connue des Grecs, dont la déesse principale se nommait Baalat, parèdre du Baal taurique. Les Egyptiens la vénéraient (l’identifiant à leur Isis). L’un de ses autres hypostases serait Ashérat-de-la-Mer, dont les Carthaginois feront Astart (et les Grecs, Astrée).

Aucune de ces divinités n’est pure de tout syncrétisme ; mais la plupart d’entre elles se laissent reconnaître à quelque détail signifiant. C’est ainsi que la Vierge repousse ou humilie toute virilité (Médée en Jason, Dalila en Samson, Omphale en Hercule) ; or, la plus grande des déesses vierges, Isis, lorsqu’elle eut rendu la vie à son époux Osiris, s’aperçut qu’il était privé de ses organes virils (que le Serpent — Seth — avait dérobés[1]).

Cette résurrection du héros solaire et cette vengeance du Serpent sont également significatives. Elles nous sont confirmées, littéralement, par une des plus anciennes légendes du Nil, où l’on voit Ré, dans son extrême vieillesse, mordu par un reptile. Isis s’offrit à la guérir, à condition qu’il lui avouât son véritable nom : de même, Dalila obtiendra de Samson le secret de sa force. Après avoir tenté de tromper la Vierge, vaincu par la douleur, le dieu-soleil céda ; si bien que, de ce jour, Isis détient les pouvoirs de Ré[2].

Nous sommes alors dans la seconde moitié de la première mue de la Vierge (8000-5000) et dans le renouveau du Lion (6000-3000) ; c’est également l’époque où le « royaume » gémique s’implante en Anatolie, en Iran, et commence d’influencer l’Egypte, en sorte qu’Osiris-faucon sera ressuscité par une Vierge-vautour : vers 5500 avant J.-C.

A cette alliance Gémeaux-Vierge succéder un nouveau syncrétisme Vierge-Lion, dont nous retrouvons la trace en Phénicie, où les parèdres d’El et de Baal, identifiés à Baalit et Ashérat, Qadesh (la Sainte) ou Elat, sont fréquemment représentés en compagnie d’un lion. Au second millénaire, les Hyksos adoreront également une Vierge, Anat, conjointement avec le Lion.

Mais c’est à Cnossos et chez les Hittites que le culte de la Déesse paraît avoir été le plus assidûment pratiqué. Or il se trouve que les deux cultures se sont développées simultanément.

On distingue aujourd’hui trois phases dans l’histoire de la Crète préhellénique : le minoen ancien (3000-2400), le minoen moyen (2200-1600) et le minoen récent (1600-1400). Les deux dernières s’enchaînent sans solution de continuité, si bien qu’en ce qui concerne notre propos elles ne font qu’une. Quant au minoen ancien, il se peut que ses origines doivent être reculées de plusieurs siècles, comme presque toujours l’aurore des civilisations archaïques, la tendance des « historiens » étant de nier leur ancienneté à la limite du possible[3].

Le dieu essentiel de Cnossos n’était pas le Minotaure (de toute manière plus tardif). Les décorations des palais et des tombes crétoises montrent principalement des effigies d’une mystérieuse déesse, représentée tantôt avec deux serpents (syncrétisme Cancer-Gémeaux), tantôt portant une hache double, le labrys, en laquelle se laisse reconnaître un symbole gémique-ouranien. On estime communément que deux divinités différentes étaient adorées dans l’île : Dictynna la Mère, Britomartis la Vierge.



[1] D’autre part, pour les Romains comme pour les Grecs, le lotus, emblème virginal, possédait le pouvoir de diminuer les forces génésiques.

[2] JACQUES VANDIER, opus cité.

[3] Nous l’avons vérifié pour Abraham, Moïse, les premières dynasties thinites, « l’âge classique » maya, l’astronomie chinoise, etc.

 

Les Hittites

Les Hittites sont un peuple mieux connu de nous, depuis que des fouilles fructueuses en Asie Mineure nous ont révélé des ruines de leur capitale Hattousa. A ce sujet, il est remarquable que l’ignorance où nous étions tout récemment du peuple hittite réponde à l’ignorance des historiens d’hier en ce qui concerne les Parthes et les Sassanides, pourtant plus proches de nous.

On peut dire que la renommée de ces derniers, pendant des siècles, fut éclipsée par celle de Rome, bien que Rome n’ait jamais pu les vaincre ; bien que l’empire parthe (et sassanide) ait dominé pendant huit siècles quand la grandeur de Rome n’excède pas cinq cents ans (du IIe siècle avant J.-C. au IVe siècle après J.-C.) et bien que la culture des Sassanides fût parfaitement originale, alors que la culture « romaine » devait tout aux Etrusques, aux Sabins et aux Grecs.

De même, la renommée de l’Assyrie a éclipsé celle des Hittites, bien que la première Assyrie (Akkadie) n’ait dominé que cinq siècles en Mésopotamie (2350-1850) avant le bref renouveau du VIIIe siècle et que la culture assyrienne apparaisse comme un mélange confus des cultures babylonienne, élamite et sémite.

On enseigne aujourd’hui que les ancêtres des Hittites furent les premiers Indo-européens d’Anatolie, les Louwites (vers 2500 avant J.-C.). On suppose qu’ils pouvaient venir de l’Ukraine, du Bas-Danube et des Balkans, où le peuple des steppes se mêlait aux populations de la « céramique peinte ». Il est admis enfin que les Hittites, vers 2200 avant J.-C., détruisirent la seconde ville de Troie et que, jusqu’au XVIIIe siècle, ils subsistèrent en Anatolie.

Nous les retrouvons alors en Palestine et en Syrie (sous les noms d’Hatti ou d’Hétéens) et, désormais, ils ne cessent de croître. En 1530, ils s’emparent de Babylone sous la domination kassite. Vers 1500, leur expansion en Palestine s’oppose à celle des Mitanniens ou Hourrites, précédemment établis en Mésopotamie du Nord, et que la prise d’Alep contraint à une alliance avec l’Egypte (Aménophis III).

Enfin, l’Egypte elle-même est menacée. Elle doit abandonner ses possessions d’Asie. Deux guerres longues (1347-1300 et 1294-1278) opposent les deux peuples avant qu’une alliance survienne, consolidée par des mariages. Ce traité (1278) marque à la fois la suprématie des Hittites et le début de leur décadence. Leur structure politique et religieuse s’écroule, tandis que l’invasion des « Peuples de la Mer » en Asie Mineure détruit soudainement leur immense empire.

On a vu que les « Peuples de la Mer » (Achéens, Sardes, Philistins) ne profiteront guère de ce triomphe. Repoussés par Ramsès, ils devront supporter l’expansion d’Israël, cependant que d’autres peuples, les Doriens ( ?), les supplanteront dans le pays même, la Grèce, qu’ils ont abandonné. Une page d’histoire est tournée. Désormais — et pour plusieurs siècles — les victorieux ne jouiront plus de leurs victoires. Quant aux Hittites, ils survivront jusque vers 1150 dans le Taurus ; puis, vers cette date, disparaîtront sans laisser de traces.

J’ai comparé l’empire hittite au royaume perse. Ce sera une autre concordance que l’Hittite, servant de la Vierge, meurt sous les coups des Achéens (première mutation des Gémeaux), comme, deux mille ans plus tard, le Perse sassanide, servant du Lion, sous les coups des Musulmans (première mutation du Taureau).

En fait, de même que les Parthes et les Sassanides ne seront pas les servants du seul Mithra mais également des Gémeaux (Ormuzd et Ahriman), du Taureau (les tauroboles) et du Bélier (par l’enseignement de Zoroastre), les Hittites n’adorent pas seulement la déesse vierge.

Les plus anciens vestiges religieux des Hatti, antérieurement au second millénaire, consistent en plaques circulaires d’albâtre (le « disque ») d’où surgissent des cous surmontés de têtes rectangulaires ; on y reconnaît généralement le mythe cancérique de la déesse-mère. Plus près de nous (Ancien et Nouvel Empires : 1700-1200), les vestiges concernent un dieu « Soleil du Ciel » et la déesse-lionne aussi bien qu’un dieu-cerf, symbole ouranien. Je noterai pour mémoire les deux taureaux qui accompagnent toujours le dieu de l’Orage. Enfin, s’il est assuré qu’on puisse les identifier aux Hétéens dont il est parlé dans la Bible, nous devons admettre que les Hatti, à un certain moment de leur histoire, ont vénéré le Bélier (Béthel, la Toison d’Or).

On a prétendu que les Hittites ne rejetaient aucune divinité rencontrée sur les routes de leur conquête. La même théorie pourrait être soutenue en ce qui touche les Parthes. Mais c’est simplement qu’en sa dernière mue la divinité zodiacale s’appuie sur tous les supports qu’elle peut trouver. Vers le milieu du IIe millénaire, le Bélier naissant fait preuve de sa vitalité, le Taureau triomphe dans le monde entier, les Gémeaux entament leur première mue, le Lion poursuit sa troisième « vie » et le Cancer sa seconde existence. La Vierge est près de sa fin, et ne l’ignore pas. D’où le multiple syncrétisme.

En effet, les souverains hittites concevaient leur Etat comme plus sacerdotal que guerrier ; leurs œuvres d’art représentent des dieux, non des batailles. D’après les rares textes parvenus jusqu’à nous, le roi reste soumis à la puissance des prêtres. Il abandonne l’armée en pleine campagne pour obéir à ses devoirs religieux ; il porte devant le peuple, en toute occasion, la pleine responsabilité de la colère divine. Nous ne pouvons donc pas rejeter l’hypothèse que le surprenant effondrement de l’empire par cet affolement mystique, comparable à celui des Sassanides vers le VIe siècle de notre ère, où je crois reconnaître l’attente de la mort du Dieu, la peur du néant qui suivra.

Ce qui nous importe ici, c’est que la Déesse hittite, Arunna, ne peut en aucun cas être confondue avec les grandes déesses de Phénicie et d’Assyrie, divinités cancériques. En effet, Arunna était une déesse solaire, alors qu’Ishtar et surtout Astarté s’apparentaient à la lune et, à ce titre, portaient le Croissant. En outre, nous avons vu qu’elle était considérée comme la mère du dieu solaire Télépinou (la Vierge précède le Lion) et comme la déesse des moissons, caractère qui l’identifie à la déesse indienne Vinâta, à la sumérienne Inanna, à l’égyptienne Isis.

 

Les symboles de la Vierge

Plus on remonte dans le temps, plus il est hasardeux de décrire les symboles rattachés à un Signe. Le baptême, la pêche dans la mer immense, le plancton (nourriture digérée) caractérisent les Poissons, mais tous ces symboles n’en font qu’un. D’une part, le feu, l’élan, le sexe disponible, mais également l’abeille, les plateaux de la Justice, la pierre huilée se rattachent au Bélier, plus vieux de deux millénaires. Si l’on en vient au Dieu dans sa première mue, par exemple le Taureau, le choix nous sera donné entre au moins sept symboles : le mur (l’enracinement dans le sol), le sexe érigé, la pierre levée, la pierre noire, la corne (et le bull-roarer), le tonnerre, le croissant.

Au seuil de la seconde mue, les symboles gémiques atteignent la douzaine : l’air, la symétrie (et la dialectique) ; en Chine le Dragon — et tous les êtres hybrides en Grèce : centaure, faune, satyre ; l’aigle et le faucon, les deux aigles (et tous animaux doubles, qu’ils fussent lions ou taureaux) ; l’homme-arbre, le berceau de feuillage ; toutes les statuettes-simulacres et tous les mimes.

Au terme de son évolution, le Lion se laissait reconnaître en vingt emblèmes différents : le feu, le soleil, le foudre, la roue, le char, le cheval, le phénix, le coq, le géant, le borgne, la couleur rouge, la lance, le sceptre, le roi ainsi que dans certains symboles virginaux (le lys, le cygne), cancériques (la panthère, le léopard), gémiques (le miroir, l’arc, l’aigle), tauriques (le tonnerre), et même béliques (l’abeille).

C’est que, tout au long de ses millénaires d’histoire, le Signe recueille et retient des symboles syncrétiques dont il n’est pas toujours le créateur mais sans lesquels il n’aurait pu survivre. Léda est mariée ; mythiquement pourtant elle est une Vierge, puisque Zeus se transforme en cygne pour la séduire. En effet, « le cygne en littérature est un ersatz de la femme nue. C’est la nudité permise, c’est la blancheur immaculée et cependant ostensible »[1] ; c’est en fait la Virginité, par opposition à la Fécondité, nécessairement secrète ; et tous les ésotéristes connaissent cette identification de la Vierge avec le Cygne (ou la Licorne, également blanche, ou le Sphinx, à cause du « seuil étroit »).

Les Chinois symbolisent la Vierge par le mouton (laine blanche) et nous retrouvons cette blancheur et ce caractère bucolique chez Ovide comme chez Jean l’Apocalypte, aussi bien que dans les histoires de la bergère et du prince, où la bergère est toujours vierge et le prince fils de roi, c’est-à-dire léonin.

Mais une très longue alliance de la Vierge et du Cancer, signe d’Eau (où le Cancer a gagné le symbole de la Femme-Mère), rattache aussi la Vierge au symbole du bain. A Pessinonte, Cybèle était baignée dans le Gallos une fois l’an ; à Ancyre, dans une pièce d’eau. Autre déesse vierge, Athéna était également baignée (au IIIe siècle après J.-C., il est vrai[2]). Mircéa Eliade signale à ce propos que l’immersion de la Vierge Marie renaît au XIIIe siècle de notre ère et se poursuit jusqu’à nos jours, malgré l’interdiction de l’Eglise. Virginité-blancheur-pureté : c’est un aspect du Signe ; il en est d’autres.

Etudiant dans le détail l’Apocalypse, je montrerai que le quatrième cheval (de couleur pâle) symbolise la Vierge, dont les fidèles plus tard seront vêtus de blanc et « préservés », avant d’être sauvés par le Christ. Or, Saint Jean dit que le cavalier de ce coursier se nommait la Mort et que l’Enfer le suivait[3]. L’affirmation surprend, si l’on ne voit dans le Signe que douceur et pureté, blancheur et innocence. Mais le Sphinx était rien moins que tendre, et les derniers adorateurs de la Vierge, les Crétois, les Hittites, ne l’étaient guère non plus.

Enfin, en plein « royaume » bélique, au Xe siècle avant J.-C., un peuple naissait en Anatolie, les Phrygiens, dont l’existence devait être de peu de durée : deux ou trois siècles. Selon certains commentateurs, le dernier reste des Hittites, ce peuple se reconnaissait pour fondateur le légendaire Phryxos — l’homme au Bélier — en même temps que pour divinité principale la déesse des Moissons Kybébé. Une légende mythologique nous montre le roi phrygien Midas faisant arrêter et lier l’homme qui moissonnait moins vite que lui ; puis, il lui coupait la tête et jetait son corps sur le champ. Cette légende laisse penser que les Phrygiens pratiquaient le sacrifice humain à l’occasion des récoltes, et c’est l’instant d’examiner pourquoi.



[1] GASTON BACHELARD, L’eau et les rêves.

[2] CALLIMAQUE, Hymnes.

[3] SAINT JEAN, L’Apocalypse, VI, 8.

 

Les coupeurs de têtes

Dans l’une des sépultures les plus anciennes, mise à jour près de Jéricho (à Eguam) et datée de 6800 avant J.-C., les têtes apparaissent séparées des corps avant l’inhumation. On ne doute point qu’il s’agisse d’un rite très antique, dont les archéologues ne s’expliquent pas les mobiles sacrés. Cependant, nous savons que chez les Aztèques, trois mois après la germination du maïs, une jeune fille, en qui s’incarnait la déesse du Maïs, était décapitée. Chez une tribu dravidienne du Bengale, les Khonds, la victime (volontaire), nommée le Mériah, était sacrifiée des mois — ou même des années — après son acceptation. Les morceaux ou les cendres du corps (dépecé ou incinéré) étaient alors distribués aux villages qui avaient participé à la cérémonie.

Depuis le siècle dernier, cette pratique interdite, les Khonds ont remplacé la victime volontaire par un animal, bouc ou buffle. En d’autres lieux également, on pense qu’au cours des siècles, le sacrifice humain dut céder au sacrifice animal (Taureau, Bélier) ou même végétal. Ici, on abandonne au Dieu du Sol les premières graines ou les premières gerbes. Ailleurs, la première gerbe est portée en triomphe à travers le village.

En Estonie, cette première gerbe détient un pouvoir prophétique : le dénombrement de ses grains devient un cérémonial. Au Pérou, elle est conservée toute l’année, sous le nom de « Mère du Maïs[1] ». La même croyance se retrouve chez les Arabes et chez les Slaves. A Sumatra, aux Célèbes, à Java et à Bali, on connaît la « Mère du Riz », dont on prend le même soin. Souvent, les épis recueillis sont arrangés en figure de femme ; ou bien, au contraire, une femme se costume en épi en s’affublant de paille (Danemark, Suède, Allemagne). Chez les Slaves, celui qui lie la « vieille femme » avec la dernière gerbe aura un enfant dans l’année[2]. En Vendée, récemment encore, on jetait en l’air dans une couverture la fermière elle-même, pour la vanner ainsi que le blé ; de tels petits supplices sont fréquents dans toutes les régions d’Allemagne et de Russie, où on ligote encore le sacrifié dans une gerbe. Mais ici nous délaissons les rites ancestraux, hermétiques et cruels, de la Vierge aux Epis pour retrouver le mythe gémique, assez longuement étudié. Car, aucune religion dans le monde ne s’est constituée autour de la Vierge seule depuis près de trois mille ans.



[1] MANNHARDT, Mythologische Forsubungen.

[2] MIRCEA ELIADE, Traité d’Histoire des Religions.

 

La nostalgie

Nous avons vu que les ducs chinois du Ier millénaire avant J.-C. négligèrent le recours à l’Empereur Noir (emblème : la Tortue), bien qu’ils fussent à la recherche d’un Dieu. De même, les Egyptiens semblent avoir admis, vers 1000 avant J.-C., la disparition de leur principale déesse. Au terme de violents conflits religieux, leurs prêtres, ou plutôt leurs prêtresses (de Makaré, « divine épouse d’Amon » : 1050, jusqu’aux adoratrices kouchites de Thèbes vers 700) annulèrent la virginité d’Isis, la parèrent du Croissant et en firent une simple hypostase des déesse-mères de Phénicie, puis de Carthage. L’Isis que la République romaine recevra au second siècle avant J.-C. sera également une déesse-mère. Mais, durant le même temps, bizarrement, les Grecs continuaient de vénérer le souvenir de la Vierge[1].

Ce fut, à Eleusis, l’essentiel des Mystères qui se célébraient le jour où l’étoile Spica (l’Epi) se levait au matin (lever héliaque). Personne ne sait exactement en quoi ils consistaient, sinon que la préservation de la vitalité d’un épi, enfermé dans un lieu clos, y présentait un caractère sacré[2]. Mais, ici encore, la légende nous est un sûr recours.

En effet, la Vierge perdue, Perséphone, a été enlevée par Hadès, Dieu des enfers, et sa disparition a eu pour l’humanité entière de catastrophiques effets : mort des plantes, sécheresse des sols, etc.[3]. La Mère de Perséphone, Déméter, supplie en vain le Dieu du Soleil Hélios de lui rendre sa fille. Délégué par Hélios pour résoudre cette affaire, Mercure-Hermès (planète privilégiée de la Vierge et des Gémeaux) se contente d’argumenter avec beaucoup d’esprit : les plantes renaîtront au printemps suivant, dit-il en substance, la disparition de Perséphone n’est qu’un sommeil hivernal qu’il ne convient pas de prendre au tragique.

Déméter n’est pas convaincue — et l’on peut croire que les servants nostalgiques de la Vierge Perdue ne l’étaient pas davantage. Pour Cybèle comme pour eux, la fin de la Grande Année de la Vierge pouvait se comparer mais non s’identifier à la fin d’une saison. Déméter poursuit donc ses recherches et ses clameurs ; et c’est une longue odyssée qui la mène des dieux chez les hommes, soit qu’elle change en lézard un jeune paysan injurieux, soit qu’elle s’éprenne du laboureur Triptolème et le charge de parcourir la terre (sur un char que traîne un dragon) afin d’enseigner aux hommes la notion et l’art des semailles, ainsi que l’accord entre l’instinct, l’esprit et le cœur, où réside la vraie Justice.

A ce stade de son évolution, Déméter-Cérès se confond avec Cérès-Thesmophore, la Législatrice, et Perséphone avec une autre Vierge Perdue, Astrée, fille de Thémis[4].

Comme après l’agonie du Lion, en nos XVe et XVIe siècles, ce qui doit nous frapper ici, c’est d’une part la volonté clairement affirmée des hommes de sauvegarder le mythe et la légende dans l’espoir de ressusciter le dieu mort ; et, d’autre part, leur impuissance et leur échec. Au Ier siècle avant J.-C., la Vierge s’est fondue dans les Gémeaux (rites agraires), dans le Cancer (Déméter, Isis), dans les déesses béliques de la Justice ; en tant que Symbole caractérisé, elle n’existe plus ; ses cultes sont devenus ésotériques, lorsqu’ils ne sont pas abolis ; ses figurations — le Sphinx ou le Dragon — sont détournées de leur sens ; ses pratiques sont supprimées. Si elle renaît enfin, dans le christianisme, dans le mithraïsme (Mithra naît d’une Vierge) ou dans le bouddhisme chinois (Kouan-yin), elle n’y sera plus que la trace d’une divinité disparue, le Seuil de la religion nouvelle, l’intermédiaire entre deux Signes : son caractère sacré ne viendra plus d’elle-même, mais de son Fils, dont le Triomphe la sanctifiera.



[1] « A constater la permanence des symboles et la place prééminente occupée par Kubula-Cybèle… on peut se demander si les grands cultes anatoliens de l’époque gréco-romaine ne sont pas l’aboutissement des vieux cultes hittites. » (RENE DUSSAUD, Les Religions des Hittites et des Hourrites, « Mana », Presses Universitaires.

[2] LUCAIN, La Pharsale — APULEE, L’âne d’or.

[3] La Vierge de Colchide, Médée, renaissait également des Enfers.

[4] « Même Astrée, la dernière Vierge, a fui la terre ensanglantée ». OVIDE, Métamorphoses.

 

Tableau comparatif

A cette agonie survivent, ici, le syncrétisme phrygien (IXe – VIIe siècles avant J.-C.), là le syncrétisme inca (XIIIe – XVIe siècles après J.-C.), le premier essentiellement bélique et léonin, le second rattaché aux Poissons (Pachacamac) et au Cancer (Viracocha). Puis, une ardente nostalgie s’efforce de sauvegarder les mythes à défaut des dieux : ici, dans les Mystères d’Eleusis, dans les légendes de Perséphone et d’Astrée ; là, dans les fêtes des Parsis, dans les sectes occultes et les traces littéraires que nous avons dites[1].

Il reste cependant que ces traces littéraires et ces groupements occultes sont de bien faibles survivances des mythes solaires, au regard du troublant désespoir avec lequel les Egyptiens, les Phrygiens, les Mayas, les Grecs et les Romains eux-mêmes accueillirent la disparition de la Vierge et en portèrent le deuil tout au long du Ier millénaire avant J.-C. Cette différence indéniable suggère une explication, qui serait en soi une intéressante hypothèse.



[1] Les dernières prétentions de rétablir socialement le culte des dieux morts furent, pour la Vierge, celles des Antiochos (223-187 et 172-164 avant J.-C.) ; pour les mythes solaires, celle des Nazis (1929-1945).

 

La grotte et l’épi

Dans l’Apocalypse de Jean, immédiatement après l’apparition du 4ème cheval (4ème sceau), les servants de la Vierge sont vêtus de blanc et gardés en réserve « jusqu’à ce que fût complété le nombre de leurs frères, qui devaient mourir avec eux » (5ème sceau). Alors, « il se fit un grand tremblement de terre, le soleil noircit, la lune s’ensanglanta, les étoiles tombèrent, le ciel se retira comme un livre qu’on roule… Et les rois et les grands, les riches, les puissants, les hommes libres, les esclaves se cachèrent dans les cavernes et dirent aux montagnes : « Refermez-vous, dérobez-nous à la face du Seigneur, car voici venu le jour de sa colère, et qui peut subsister[1] ».

Plus brièvement, une très ancienne légende chimu dit qu’autrefois les hommes vivaient « dans l’obscurité » et « Manco-Capac, ses frères et ses sœurs, se vantaient d’être sortis de Pacari-Tamba, la caverne du devenir, le premier jour où le soleil avait repris sa place dans le ciel[2] ».

Le tableau des concordances nous donne les dates suivantes :

Eveil de la Vierge : 13100 – 12700,

Royaume de la Vierge : 12100 – 11600,

Fin de l’ère de la Vierge : 10950,

Fin de la religion-mère : 8700 – 8300.

 

Eveil du Lion : 10950 – 10550,

Royaume du Lion : 9950 – 9450,

Fin de l’ère du Lion : 8800,

Fin de la religion-mère : 6550 – 6150.

 

Et n’importe quel manuel de géologie nous enseigne que la dernière glaciation (Würm final) s’est étendue de 12000 à 8850, selon le tableau suivant :

Il apparaît que l’ère de la Vierge (13100 – 10950) correspond sensiblement aux deux premières phases de la glaciation et que son « royaume » se situe à la veille de l’oscillation de Bölling, qui dut en marquer le point culminant. On pourrait penser, alors, que l’Age d’Or des écrivains grecs recouvre une réalité, puisqu’il nous suffirait pour l’inclure dans l’Histoire de le dater de cette période qui précéda la destruction glaciaire.

La soudaineté de la catastrophe nous est d’autre part affirmée, tout à la fois, par la légende et par la science. Dans les Avesta, les Arvas fuient vainement l’avance épouvantable des glaces, tandis que des mammouths sibériens ont été retrouvés gelés vifs, la panse pleine des végétaux qu’ils n’avaient pas fini de digérer.

Dans Hésiode, l’Age d’Or est décrit comme un temps où les lois n’existaient pas, où nul outil ne forçait la terre, qui produisait d’elle-même ses fruits. Ici encore, les recherches scientifiques ne démentent pas la légende, et nous savons maintenant qu’une espèce de blé sauvage (Triticum dicoccoïdes), antérieure à l’agriculture « sèche » des Gémeaux, était parfaitement comestible[3]. Bien mieux : nous n’ignorons plus qu’à l’encontre d’autres végétaux, le blé peut conserver sa valeur nutritive pendant des millénaires (ainsi que l’ont prouvé la découverte et l’examen de certaines réserves mortuaires).

N’est-il pas à supposer que le présent de la Vierge à l’humanité put être cette conservation d’une espèce de céréale sauvage pendant la dernière glaciation de Würm ? On sous-entend tout ce que cela suppose : la volonté de survivre, la prévision de la catastrophe, l’organisation de refuges et de réserves, l’institution de sanctions rigoureuses et cruelles. Mais, à ce prix, l’homo sapiens aurait survécu au fléau et, pour la première fois peut-être, une espèce vivante évoluée aurait franchi le cap mortel des glaciations.

Ainsi s’expliquerait tout ensemble l’universelle association de l’Epi et de la constellation de la Vierge, les Mystères d’Eleusis et l’urne de Pandore[4], le titre générique de Déesses des Moissons donné aux déesses-vierges et le souvenir tenace des grottes où l’homme parvint à subsister.

La caverne du devenir de la légende inca et les grottes de l’Apocalypse seraient alors à prendre dans un sens littéral, que viennent confirmer les fouilles d’Asie Centrale et de Palestine, ainsi que la thèse archéologique selon laquelle, au VIIIe millénaire avant J.-C., des peuplades (mal rassurées) vivaient encore dans des cavernes et des abris sous roche.

Mythiquement, le souvenir de la Vierge enfermée, « prisonnière de sa maison », a pu donner naissance à l’emblème de la Tortue, connu dans l’Inde (3ème mue de Vichnou), en Chine (culte de l’Empereur Noir) et en Crète, où cet animal était l’une des représentations de la déesse Britomartis.

Au même ordre de souvenir mythique s’apparenteraient les grottes où « devaient » s’accomplir les Mystères de Perséphone, d’Isis et de Cybèle, ainsi que le mythe de la grotte où le Saoshyant perse allait naître d’une Vierge, où le Jésus de Saint Luc naît de la Vierge Marie.

D’autre part, la nécessaire prévision de la catastrophe (sans laquelle le salut n’eût pas été possible) aurait doté la Vierge — sur dix mille ans — de la constante vertu prophétique qu’on lui voit. Les souverains chinois du IIIe millénaire tiraient connaissance de l’avenir à partir de la carapace de la Tortue ou des os du Mouton (et notre jeu des osselets est sans doute un vestige d’une pratique analogue). Isis prophétisait comme la Vierge de Delphes ; également, les Vierges Vestales à Rome, les Vierges Aclla au Pérou…

Enfin, la survie nostalgique de la Déesse, apparemment plus tenace et plus fervente aux premiers siècles avant J.-C. que la nostalgie du Roi à notre époque, s’expliquerait de même aisément ; car on peut croire que les créations solaires : l’élevage du cheval, l’invention de la roue, l’institution de la royauté, pour importantes qu’elles fussent, n’ont pas égalé dans le souvenir des hommes l’incomparable bienfait que fut la préservation de l’humanité pendant les dernières glaciations.



[1] L’Apocalypse, VI, II-17.

[2] CRISTOBAL DE MOLINA, Ritos y Fabulas des los Incas.

[3] PEAKE, The origins of agriculture.

[4] L’urne d’où s’échappent les sept fléaux meurtriers et où demeure l’espérance. A Eleusis, de même, un réceptacle clos contenait l’épi.

 

Jean-Charles Pichon 1963

 

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LES JOURS ET LES NUITS DU COSMOS – TROISIEME PARTIE – 4 L’AGE DES DIEUX

IV

L’AGE DES DIEUX

 

Le tableau des concordances assigne pour origine aux religions du Lion le XIe millénaire, aux religions de la Vierge le XIIIe millénaire, selon le schéma :

Eveil des Poissons : 200 av. J.-C. — 200 ap. J.-C. ;

Eveil du Bélier : 2350-1950 av. J.-C. ;

Eveil du Taureau : 4500-4100 av. J.-C. ;

Eveil des Gémeaux : 6650-6250 av. J.-C. ;

Eveil du Cancer : 8800-8400 av. J.-C. ;

Eveil du Lion : 10950-10550 av. J.-C. ;

Eveil de la Vierge : 13100-12700 av. J.-C.

Dans les deux derniers cas, le Dieu, à travers toutes ses mutations, aurait donc vécu 12 000 ans — ou peut-être 12 900 ans, si l’on tient compte de la période « post-mortem » de nostalgie mythique : la Vierge, de 13100 à 1100 (ou 200 avant J.-C.) ; le Lion, de 10950 avant J.-C. jusqu’au royaume chrétien (ou jusqu’à notre temps). Or ces chiffres, 12000, 12900, me rappelaient plusieurs notations curieuses relevées au cours de mes lectures.

La première est d’Hérodote : « Les prêtres égyptiens m’affirmaient qu’aucun dieu n’était apparu sous la forme humaine depuis 11 340 ans. Mais ils m’enseignaient que, durant cette période, à quatre reprises, le soleil s’était levé en un point du ciel différent ».

Ce texte date du Ve siècle avant J.-C., et les 11 340 ans en question devaient être répartis, selon Manéthon (qui écrira deux siècles plus tard), en trente dynasties memphites et dix dynasties thinites (2 140 ans), plus 5 813 ans où les rois « mânes » auraient occupé le pouvoir jusqu’à la première dynastie « historique » de Manès, vers 4000 avant J.-C.

Les quatre « déplacements » du soleil au cours de cette période correspondraient alors aux quatre changements d’ère que notre tableau dénombre entre l’ère du Lion et l’ère des Poissons, soit :

Entrée dans le « champ » du Cancer : 9300 — éveil du dieu : 8800-8400.

Entrée dans le « champ » des Gémeaux : 7150 — éveil du dieu : 6650-6250.

Entrée dans le « champ » du Taureau : 5000 — éveil du dieu : 4500-4100.

Entrée dans le « champ » du Bélier : 2850 — éveil du dieu : 2350-1950.

Quant au « dieu vivant » dont les prêtres font mention (et duquel Manéthon date le début de l’histoire égyptienne), il aurait, selon cette chronologie, vécu au XIIe siècle millénaire, soit au temps du « royaume » de la Vierge et peu avant l’entrée dans le « champ » du Lion.

Au Ve siècle avant J.-C., le « champ » se modifie pour la cinquième fois, l’humanité entre dans l’ère des Poissons ; d’où, l’impatience des prêtres. En fait, 660 ans plus tard, au IIe siècle, douze mille ans seront accomplis et la nouvelle « grande année » pourra prendre son cours.

 

Platon

Ce thème de la Grande Année était également familier aux Grecs et aux Romains. Virgile, Apulée, connaissent l’expression. Jean E. Charon raille Cicéron d’avoir estimé précisément la Grande Année de Platon à 12 954 ans.

Or, cette estimation paraissait à certains esprits du Moyen Age assez précise, effectivement, pour être dangereuse. L’un des maîtres de Duns Scot, le franciscain anglais Guillaume (de Warre) dit Varron, grand pourfendeur des thèses de l’éternel retour, ne commettait à coup sûr aucune erreur involontaire lorsqu’il affirmait : « Platon… enseigne qu’au bout d’une grande année, toutes les choses qui existent maintenant reviendront dans le même ordre et qu’elles seront numériquement les mêmes ; en sorte qu’à l’époque où les planètes, au terme de cette grande année de 36 000 ans, reprendront leur disposition actuelle, nous nous retrouverons tous dans cette même école[1] ».

Extraordinaire, ce texte comporte au moins trois inexactitudes. 1° Le rythme de la Grande Année n’était pas lié au mouvement des planètes mais à celui des constellations ; 2° si les choses se retrouvent « numériquement » les mêmes, il n’est pas question que les mêmes élèves écoutent les mêmes maîtres dans les mêmes écoles au terme d’un cycle quelconque ; les Grecs comme les Chinois n’ont jamais cessé de faire la claire distinction entre les « nombres » et les « choses[2] » ; 3° le Nombre donné par Varron est faux[3].

Mais, justement, ce nombre : 36 000, ne représentant aucune réalité et n’offrant aucun sens, le franciscain pouvait sans danger le donner en pâture aux esprits avides d’anecdotes. Au contraire les 12 954 ans de Platon eussent risqué d’évoquer aux lecteurs de Guillaume de Warre, relativement instruits en science astrologique, le temps où le soleil se lève dans six « champs » différents (sur douze), c’est-à-dire le temps où la terre parcourt la moitié du zodiaque (à raison de 2 159 ans pour 30°, selon Pythagore).

Ils auraient pu alors se demander si cette grande année platonicienne ne représentait pas en fait le temps où notre planète demeure exposée — de près ou de loin — aux influences d’un « champ » donné, en partant de l’hypothèse que ces influences ne pourraient agir au-delà de la suppression de l’angle (180 degrés).

Pour étrange qu’elle semble, l’hypothèse était parfaitement conforme aux croyances de Platon et de son époque, à savoir qu’une moitié de la « 10ème sphère céleste » nous demeure toujours cachée (mais ce n’est jamais la même moitié). Les 26 000 ans plus ou moins qui accomplissent le cycle précessionnel représentaient ainsi le temps où toutes les constellations du zodiaque, l’une après l’autre, auraient pris la terre dans leurs « feux » ; et 13 000 ans plus ou moins, le temps où une constellation donnée se fût trouvée de « ce côté-ci » du ciel. Car ce ne peut être une coïncidence si les 12 954 ans de l’Année platonicienne représentent exactement la moitié du temps où, selon Pythagore, le circuit zodiacal est accompli : 2 159 X 12 = 25 908.



[1] GULIELMI VARRONIS, Quaestiones in libros sententiarum, Lib. II, dist. I, quaest. VII. Manuscrit 163 de la Bibliothèque municipale de Bordeaux.

[2] « De ce principe naît toute génération, toute transformation, toute forme, toute qualité, etc. Mais prendre ce principe pour la génération, la transformation, la forme, etc., c’est commettre une erreur. » (LIE TSEU, Le vrai classique du vide parfait.) — « Les choses ne sont que l’apparence des Nombres » (Hieros logos).

[3] CICERON, De la nature des dieux, II. — TACITE, Dialogue des orateurs, 16.

 

L’Avesta

Ces théories doivent faire sourire. Cependant, le sourire se crispe lorsqu’on sait que, bien avant Platon, deux théories analogues avaient été déjà longuement exposées, l’une en Iran, l’autre dans l’Inde, par des hommes — des prêtres — dont les croyances ne coïncidaient pas et dont rien ne prouve qu’ils connaissaient réciproquement leurs œuvres.

La première se trouve dans l’Avesta, livre attribué à Zoroastre mais dont seule la partie la plus ancienne, les Gathas, peut avoir été l’œuvre du prophète. Le système prétend recouvrir, en fait, l’histoire entière de l’humanité ; mais c’est là une prétention que nous avons déjà notée, au sujet de la Bible et des livres sacrés sumériens comme au sujet de L’Evangile Eternel et du Zohar, des légendes irlandaises, péruviennes ou mayas. Tous les grands inspirés ont tendu à confondre l’histoire de leur Dieu et l’histoire du monde.

Cette histoire, selon l’Avesta, s’étendrait sur douze millénaires, subdivisés en quatre périodes de trois mille ans. Dans la première période, Mazda crée le monde spirituel, « âge d’or » ou « royaume » de la religion solaire : le « mérok ». Dans le seconde période, le monde s’arrache au spirituel, il se « matérialise » ; alors, l’homme originel, Gayomart, règne sur la terre avec le taureau originel (taureau encore très « ouranien »), premier représentant du monde animal.

Dans un troisième temps, l’esprit du mal, Ahriman (représenté par un Serpent), s’introduit dans la création et tue l’homme et le taureau ; le mal envahit le monde et, pendant trois mille ans, Ormuzd et Ahriman se combattent.

Peu après le début de la quatrième période apparaît Zoroastre lui-même (Zarathoustra), chargé de détruire Ahriman ; le prophète échoie dans sa mission et le monde retombe en l’emprise des démons pour une période de mille années, au bout de laquelle un autre prophète doit surgir. A la fin du cycle (la fin des temps), Zoroastre, sous le nom de Saoshyant, renaîtra et triomphera du mal.

La remarque immédiate qu’appelle ce cycle est qu’il ne semble pas être la création de Zoroastre (quel prophète annonce son propre échec ?), mais celle des Mages mazdéistes, entre le Ve et le IIe siècles avant J.-C. Un premier schéma, zoroastrien, aurait couvert seulement neuf millénaires. Si l’on admet cette hypothèse (presque assurée depuis que le premier schéma a été reconstitué), le cycle en question serait l’œuvre du « second prophète », annoncé comme devant venir mille ans après Zoroastre, et ce dernier aurait vécu entre le XVe et le XIIe siècles avant J.-C.

Selon Hermodore le platonicien, la vie de Zarathoustra aurait été antérieure de 5 000 ans à la guerre de Troie ; selon Xanthos le Lydien, de 6 000 ans à Xercès ; selon Eudoxe et Aristote, de 6 000 ans à Platon. Les trois estimations concordent sensiblement et nous donnent pour dates extrêmes 6500-6300 avant J.-C. Il n’est pas question de les retenir. Mais on ne peut non plus négliger le fait que les Grecs des Ve et IVe  siècles avant J.-C. reculaient aussi loin dans le temps l’existence du prophète mède. Ce fait suffit à ridiculiser les historiens qui, hier encore, dataient la naissance de Zoroastre de 600 ou de 700 avant J.-C. Aujourd’hui, on la recule (non sans discussions) jusqu’au Xe siècle ; il n’est pas impossible que, demain, on admette tout simplement les données du Livre Sacré.

Selon ces données, la Grande Année de l’Avesta peut se décomposer de la manière suivante :

Vers 10500 : Mazda crée le monde spirituel.

                Le Mérok : 3000 ans.

Vers 7500 : l’homme « originel » Gayomart.

                Le temps d’Ormuzd (solaire et ouranien) : 3000 ans.

Vers 4500 : Ahriman (le Serpent) intervient. Sacrifice du Taureau.

Vers 1500 : début de la quatrième période.

                1500-1200 : Zoroastre naît.

                500-200 : le « nouveau prophète » (mazdéiste).

Vers 1500 ap. J.-C. : Saoshyant, prophète des Temps Nouveaux ;

                Mazda, le dieu-lumière, triomphe.

En certains points, ce schéma recoupe notre tableau de concordance, selon lequel :

1° L’éveil du Lion se situe entre 10950 et 10550 ;

2° L’éveil de la religion sacrificielle du Taureau se situe entre 4500 et 4100 et l’aurore de la première mue du Serpent, 2150 ans avant l’aurore de la première mue gémique, soit entre 4000 et 3700 ;

3° Le « royaume » bélique, où l’esprit du Bélier imprègne le monde, correspond à l’époque où Zoroastre « disciple d’Abraham » aurait vécu (1400-900) ;

4° Les derniers symboles solaires sont exhumés au XVe siècle de notre ère (dieu solaire des Incas, Aigle du Saint Empire, exil des Parsis, nostalgie de Krishna).

Cependant, en d’autres points, les deux schémas s’opposent : selon nos conclusions, l’avant-dernière mue du Lion aurait commencé vers 2400 avant J.-C. pour s’achever au IVe siècle avant J.-C. Puis, dans sa forme active, la dernière mue s’étend de 150 avant J.-C. (Mithridate) jusqu’aux IXe ou Xe siècles de notre ère. AU XIe siècle les rites solaires autres que nostalgiques auront disparu.

 

La grande année indienne

Or, la division en tranches de trois millénaires est une création originale des Mages perses, mais la durée de 12 000 ans pour l’ensemble de la Grande Année figure déjà dans la doctrine indienne de l’éternel retour. Telle qu’on la trouve dans le Rig-Véda, elle se présente sous l’aspect d’un « jour de Dieu », dont l’existence entière couvre des millions d’années.

Ce « jour » de 12 000 ans comporte quatre périodes : une de 4000 ans (le Krita-yuga), une de 3000 ans (le Trêta-yuga), une de 2000 ans (le Dvapara-yuga) et une de 1000 ans (le Kâli-yuga), séparées l’une de l’autre par des crépuscules et des aurores de plusieurs siècles, proportionnellement à la période donnée : 4 siècles pour 4 millénaires, 3 siècles pour 3 millénaires, etc.

A la lumière de ce nouveau schéma et selon nos propres concordances, le cycle zoroastrien deviendrait, en ce qui concerne le Lion :

Eveil :                        10950-10550

Krita :                        10550-6650

Crépuscule :                         6550-6150

Aurore :                      6150-5850

Trêta :                         5850-2850

Crépuscule :                          2850-2550

Aurore :                      2550-2350

Dvapara :                   2350-150

Crépuscule :                             350-150

Aurore :                          150-50 (av. J.-C.)

Kâli :                                   50-950 (ap. J.-C.)

Agonie :                           950-1050

 

Et, en ce qui concerne la Vierge :

Eveil :                        13100-12700

Krita :                        12700-8700

Crépuscule :                          8700-8300

Aurore :                      8300-8000

Trêta :                         8000-5000

Crépuscule :                          5000-4700

Aurore :                      4700-4500

Dvapara :                   4500-2500

Crépuscule :                          2500-2300

Aurore :                      2300-2200

Kâli :                            2200-2100

Agonie :                      1200-1100

 

Pour les périodes étayées par des dates précises (Dvapara et Kâli du Lion ; Kâli de la Vierge), nous devons admettre que le cycle indien coïncide très précisément avec les données actuelles de l’histoire, à cette seule exception près qu’une nostalgie de plusieurs siècles vient s’ajouter aux douze mille ans du cycle.

Cette correspondance peut être confirmée :

1° par l’exemple du cycle cancérique, où les dates certaines (historiques) coïncident avec le schéma indien.

Première période :

Eveil :                        8800-8400

Krita :                         8400-4400

Crépuscule :                        4400-4000

Deuxième période :

Aurore :                    4000-3700

Trêta :                       3700-700

Crépuscule :                          700-400

Troisième période :

Aurore :                      400-200

Dvapara:                    200 av. J.-C. – 1800 ap. J.-C.

Crépuscule :                        1800-2000

 

2° par l’exemple du cycle gémique, où toutes les dates coïncident :

Première période :

Eveil :                        6650-6250

Krita :                        6250-2250

Crépuscule :                        2250-1850

Deuxième période :

Aurore :                    1850-1550

Trêta :                       1550 av. J.-C. – 1450 ap. J.-C.

Crépuscule :                        1450-1750

Troisième période :

Aurore :                    1750-1950

 

3° et par l’exemple du cycle taurique, restreint à la période vécue :

Première période :

Eveil :                        4500-4100

Krita :                        4100-100

Crépuscule :                          100 av. J.-C. – 300 ap. J.-C.

Deuxième période :

Aurore :                      300-600

Trêta :                         600- (3600).

 

La dégénérescence

En outre, la dégradation croissante indiquée par les noms indiens : Krita, Trêta, Dvapara, Kâli, illustre parfaitement l’évolution des mythes au cours de leurs mutations successives (pour les périodes que nous pouvons connaître).

Elle nous mène en effet d’une mue créatrice, civilisatrice (les Achéens, les Musulmans) à une mue réaliste, symbolique et socialisante (institution de la royauté : le Lion, de l’Empire : le Cancer, de la Démocratie : les Gémeaux), pour aboutir à l’âge de mort où le Mythe se détruit lui-même en tentant de détruire le monde (Hittites, Huns et « Barbares », Kâli du Cancer demain).

Sur le plan historique, cette dégénérescence semblerait correspondre à un éparpillement croissant du mythe originel, que l’on constate en effet à chaque mue nouvelle de la divinité.

La première mue se présente comme un syncrétisme entre trois religions au maximum. En notre VIe siècle, par exemple, la Vierge et les dieux antérieurs ont disparu ; le Lion est près de sa fin ; les Poissons n’ont pas encore établi leur « royaume » ni formulé pleinement l’esprit qui les anime. C’est donc à partir du Cancer (la Pierre Noire, le Croissant) et du Bélier (la Bible) que l’Islam, première mue du Taureau, va se constituer. Autre exemple : au XVIe siècle avant J.-C., la première mue des Gémeaux (achéenne ou pré-maya) a le choix entre le Lion (les lionnes de la porte de Mycènes ou le puma) et le Taureau, sous sa forme héroïque : Héraklès, ou onirique : Dionysos.

A l’origine de la seconde mue, le panthéon universel offre un choix identique, mais s’y ajoutent les vestiges de la première mue. Le Lion, ainsi, vers 2400 avant J.-C., a le choix entre le Taureau, alors dans sa puissance, et les Gémeaux, tout près de leur premier crépuscule ; mais s’y ajoutent les syncrétismes antérieurs de la première mue solaire (mythes ouraniens et cancériques). D’où, le panthéon akkadien : dieux de l’orage, taureaux ailés (gémiques), dieu du soleil (Shamash), symboles solaires (le cheval, le lion) et cancériques (la déesse Ishtar)…

En sa troisième et dernière mue, la religion cosmique a fait le tour de toutes ses possibilités et n’en exclut aucune. Le panthéon hittite (dernière mue de la Vierge) recevait les dieux de tous les pays conquis ; à Cnossos, se retrouvent la double hache ouranienne, la déesse-vierge, la déesse-mère aux serpents, les symboles gémiques, le taureau Minotaure… Aux premiers siècles de notre ère, les Parthes adoraient à la fois les dieux solaires dans leur période kâli : Mazda, Mithra ; gémiques (Ormuzd et Ahriman) ; tauriques (le taurobole) ; béliques (l’esprit zoroastrien) et ne demandaient qu’à reconnaître le dieu-poisson, comme on le vit quand ils voulurent déclarer la guerre à Rome, à l’annonce de la mort infamante de Néron.

 

Sympathies et antipathies

Il peut surprendre que ni le panthéon mycénien ne s’ouvre aux mythes du Cancer, ni le syncrétisme islamique aux Gémeaux, car au XVIe siècle avant J.-C. le Serpent est honoré par toute la terre et, au VIe siècle de notre ère, les Gémeaux jouissent d’une sympathie universelle.

Mais, en effet, la haine que se vouent l’une à l’autre deux religions successives apparaît comme une loi de l’éternel retour. On sait le mépris que les prêtres de Jérusalem montraient pour le Christ et pour ses apôtres ; plus tard, ce mépris tournera en violence. De Saint Jacques et de Saint Etienne jusqu’à Saint Jean, de nombreux disciples seront suppliciés, lapidés ou emprisonnés. Saint Paul déclare que cinq fois il a reçu des juifs quarante coups de fouet moins un et que trois fois il fut battu de verges[1] ; Saint Pierre est battu de même. Plusieurs fois, les Actes des Apôtres font état de persécutions que les nouveaux croyants subissent des juifs[2].

Dans le même temps, le Talmud accueillait cent calomnies contre Yeshou le nazirien, appelé parfois Ben Pandera, bâtard d’un soldat romain, et l’on peut supposer que ces railleries blessaient les chrétiens autant que des coups de fouet ou de verge[3].

Nous savons également quelle revanche sanglante l’Eglise du Christ triomphante a prise sur le peuple du Bélier. Dès le XIIIe siècle, c’est par centaines de milliers que doivent se compter les juifs persécutés ou tués sans autre forme de procès. Les procès vinrent plus tard, avec l’Inquisition ; mais, dans les fêtes populaires (à Sienne, à Rome, à Venise, en Grèce, dans le midi de la France, en Allemagne, en Angleterre) il n’y avait pas besoin d’un article de loi pour lapider ou rouer de coups les malheureux juifs perdus au milieu d’une foule.

Cette hostilité véhémente, nous la retrouvons dans toutes les religions antérieures. Au début de l’histoire d’Israël, le clan d’Abraham a dû fuir Our, la ville du Taureau, et Abraham lui-même ne cache pas son mépris pour les Babyloniens (les hommes de Babel). Tous les prophètes, de David à Ezéchiel, expriment la même horreur pour les adorateurs de Ba’alit, de Baal, de Bêl-Mardouk, et ce sont bien des adorateurs de ce Dieu (le Veau d’Or) que Moïse massacre à son retour du Sinaï. Plus tard quand, en même temps que les béliers de l’Holocauste et de l’Installation, on sacrifia un taureau à Yahvé, il fut dit « taureau du péché », pour qu’aucune confusion ne fût permise.

La Genèse fait mention, symboliquement, de plusieurs mythes antérieurs : le Serpent, gardien de l’Arbre du Savoir, ou les Frères, Abel et Caïn, s’entretuant. Seul, le Taureau est passé sous silence, comme s’il n’avait jamais existé. A l’inverse, la Babylone de Nabuchodonosor fera une place au Lion, à la déesse Ishtar, etc., mais le Bélier sera exclu du panthéon.

C’est le Taureau qui tue le plus faible des Gémeaux : Iphiclès ou Castor. Ce sont les Gémeaux (ou leur symbole, l’oiseau) qui détruisent le Serpent : le grec Héraklès, le maya Huhnapu, l’oiseau indien Garuna ou l’égyptien Osiris (dont le jumeau et l’adversaire, Seth, est alors pris lui-même pour un dieu de la pluie, cancérique). Et ce sont des Serpents qui noircissent la queue du « cheval Indra », qui blessent le dieu solaire Ré, qui empoisonnent lentement le géant Loki.

L’hostilité est réciproque : sur toute la terre, au même moment, le Serpent tente de vaincre les Gémeaux. Les Seigneurs Infernaux Camé s’attaquent aux frères du Popol Vuh ; des reptiles cachés dans le berceau d’Héraklès et d’Iphiclès menacent leurs vies ; Seth dépèce Osiris. Et, de même, précédemment, des dieux solaires avaient tenté de vaincre des monstres reptiliens (Indra, Odin ou Ré), tandis que le prophète de Mazda, Zoroastre, identifie le serpent Ahriman au Mal.

Le Serpent a survécu aux attaques solaires ; les Gémeaux survivront à l’attaque du Serpent, et, plus tard, le Taureau aux attaques des Gémeaux. Il arrive même que le Père pardonne au Fils : la Vierge Vinâta venge Indra, Arunna cherche Télépinou, Isis sauve Ré ; le Cancer chinois s’incarne en la figure gémique du Yin et du Yang ; les Gémeaux achéens respectent Héra au mufle de vache, Zeus le bovin, Dionysos ; enfin, le Croissant musulman honore les patriarches comme des prophètes.

Au contraire, le Fils ne pardonne jamais au Père. Le Lion est absent de tous les panthéons cancériques (aztèques, chinois) ; le Cancer, des panthéons gémiques (et, quand la déesse-mère paraît à Rome, le figuier des Jumeaux y dessèche). L’Islam refuse le simulacre gémique, etc. On ne voit que dans l’hérésie les Poissons pactiser avec Yahvé (le protestantisme), le Bélier avec Mardouk-Bâl (les Samaritains), le Taureau avec le Gishzida gémique (Goudéa).

La croyance au rythme complexe des « grandes années » ne fut donc pas seulement indienne ou platonicienne. Les survivances mythiques attestent que de nombreux peuples en tenaient compte dans leurs figures et leurs calculs astrologiques. Les textes également. C’est ainsi qu’aux IIIe IIe et Ier siècles avant J.-C., où l’astrologie fit l’objet d’études passionnées en Chine et au Mexique, en Egypte, en Perse, à Rome, etc., ces sympathies et ces antipathies entre les Signes furent consignées dans des tableaux considérés comme « scientifiques », puisqu’ils étaient basés sur l’observation.

Exemple :

En d’autres tableaux, les Signes s’accordaient deux à deux, comme « complémentaires » : les Gémeaux et les Poissons, le Lion et le Taureau ; ou, au contraire, devaient s’exclure l’un l’autre comme présentant de trop grandes analogies : le Cancer et les Poissons, tous deux « signes d’eau » et féminins, le Lion et le Bélier, tous deux « signes de feu » et virils[4].

Appliquant ces règles à l’Histoire, on ne peut qu’être frappé par leur exactitude. Les Poissons, en effet, tolèrent les Gémeaux (complémentaires). Nous avons vu l’Egypte aux mythes gémiques favoriser le dieu nouveau (Sérapis) et ces états gémiques que furent la Grèce, Rome, la Chine du Yin et du Yang accueillir le Christ et le Bouddha ; réciproquement, des bouddhistes recueillir les jumeaux Açvins, les premiers chrétiens admettre le culte de Castor et Pollux ; et même la création gémique par excellence, la dialectique, renaître au cœur de la chrétienté moyenâgeuse[5]. La notion du bien et du mal évangélique, puis la contradiction manichéenne et scolastique (libre arbitre-déterminisme) préparaient ainsi Kant, Hegel et, très directement, le renouveau gémique que fut, au siècle dernier, le socialisme marxiste (où les termes de la contradiction devinrent l’Utile et le Nuisible, le Bon et le Mauvais).

Au contraire, les Poissons craignent l’esprit taurique (féminin comme le leur), méprisent l’esprit bélique (qui les précède) et ont fait du Serpent le symbole même du Mal (répulsion par analogie).

Précédemment, le Bélier obéit au même rythme d’affinités et de répulsions. Il tolère le Cancer (le Serpent d’Airain biblique), son « complément ». Mais il redoute l’esprit gémique, méprise l’esprit taurique et se tient à l’écart de tous les mythes solaires.

Plus haut dans le temps ? Le Taureau tolère le Lion (et le Soleil, Shamash) ; mais il craint l’esprit cancérique — Gilgamesh combat le serpent, Mardouk détruit Tiamat — ; il méprise l’esprit gémique et se tient à l’écart des cultes de la Vierge.

Ces tableaux expliquaient tout, sauf un détail : l’amitié que le Taureau montrait pour le Scorpion (le gardien du Soleil), le Bélier pour la Balance (la notion d’Exactitude) et que les Poissons montreraient pour la Vierge, bien que ces Signes fussent deux à deux analogiques (sinon sur le plan des éléments).



[1] IIe Epître aux Corinthiens.

[2] Actes des Apôtres, VIII, I ; XII, I.

[3] La Mishna date des Ier et IIe siècles ; augmentée de la Gemara de Jérusalem, elle est datée du IVe siècle, et du Ve sous le nom de Talmud de Babylone.

[4] Parmi les innombrables ouvrages qui traitent de ces « sympathies » et « antipathies » astrales, il faut citer le Corpus Hermeticum, les Apotélesmatika, attribués à MANETHON, la Mathesis de FIRMICUS MATERNUS, et, naturellement, le Liber Hermetis Trismegisti latin, très postérieur (VIe siècle ?). En Chine, nous aurons le Yao-Tien, le Yi King, le Li Ki, etc.

[5] En ces mêmes XIIe et XIIIe siècles, une dialectique analogue à la scolastique créera, au cours du bouddhisme, les deux courants du « Noir » (Krishna) et du « Charmant » (Râma), qui se fondront dans le « Système » gémique (Tantra) au XIVe siècle.

 

L’axe mystique

Or, si l’on admet que la Grande Année représente sensiblement la moitié du zodiaque (12 000 ans de mues successives, plus 900 ans de nostalgie), il s’ensuit que deux « grandes années » en feront le tout complet, selon l’enchaînement :

Vierge et Poissons

Lion et Verseau

Cancer et Capricorne

Gémeaux et Sagittaire

Taureau et Scorpion

Bélier et Balance

Les astrologues inventèrent donc, pour justifier l’entente paradoxale, l’expression « axe mystique », qui est encore, sous diverses formes, utilisée de nos jours[1].

Ici encore, les « esprits forts » du XXe siècle peuvent sourire. Il reste que cette expression et la croyance qu’elle exprime éclairent un certain nombre d’anomalies ou d’étrangetés relevées au cours de notre étude. La mystérieuse phrase des Templiers : « Notre-Dame (la Vierge) fut au commencement de notre religion et en elle et en l’honneur d’elle, s’il plaît à Dieu, sera la fin de notre religion » devient en clair : « Nous savons et reconnaissons qu’avant la Grande Année des Poissons fut une Grande Année de la Vierge, et nous espérons qu’après le cycle des Poissons (Dieu nous épargnant le cataclysme final) la Vierge renaîtra pour un autre cycle ».

De même s’expliqueraient, non moins ésotériques, les vers mille fois commentés de Virgile : « Voici que revient la Vierge, le grand rythme des siècles va recommencer et la grande année reprendre son cours » (IVe Eglogue). Mais on voit bien la double erreur que commettent le Poète et l’Ordre. Pour Virgile, le début de l’âge nouveau (des Poissons) se confond avec un recommencement de la Vierge, que les Poissons continuent. Pour les Templiers, il n’existe rien que l’axe mystique — Vierge-Poissons-Vierge, à l’exclusion de tous les autres.

Ces croyances, également, expliquent la « chronologie » de Zoroastre, selon laquelle la Religion (solaire) devait s’achever vers le temps de l’âge du Verseau[2]. Elles expliquent les traces permanentes du Sagittaire dans les Gémeaux (centaures de la mythologie grecque, mention de la sarbacane dans le Popol Vuh), ainsi que les traces du Scorpion dans le Taureau (massue du roi Scorpion dans l’Egypte taurique, légende des hommes-scorpions dans la Genèse sumérienne).

Elles éclairent enfin sous un nouveau jour la doctrine du péché originel et de la perte de l’Eden, commune aux religions du Bélier (Adam et Eve dans la Bible, la boîte de Pandore dans la mythologie). En fait, nous ignorons tout de la Grande Année de la Balance, achevée peu avant que s’ouvre celle du Bélier et qui ne renaîtra que dans huit mille ans ; cependant, le signe astrologique évoque l’équilibre, la paix, la justice rayonnante et l’on peut penser que les Sémites du IIIe millénaire avant J.-C. avaient gardé de leurs dieux disparus (les El ouraniens) une ardente nostalgie, dont les premiers versets de la Genèse se feraient l’écho.

Il n’est pas excessif de voir dans le culte de la Justice et de l’Exactitude, tel que l’expriment la Bible, l’Avesta, les œuvres des Brahmes et de Confucius, la légende d’Ulysse enfin, un équivalent du culte de la Vierge dans la religion chrétienne et dans le bouddhisme chinois. C’est que la Balance et la Vierge correspondent à des signes d’ordre et d’harmonie, alors que le Bélier et les Poissons correspondent à des signes de chaos et de trouble.

Au contraire, le Taureau est un signe de force et de création, le Scorpion un signe de nuit. Aussi ne trouverait-on aucune nostalgie d’un Eden disparu dans les religions sumériennes (la nostalgie naîtra plus tard, après la sortie du « royaume » taurique). Mais, au contraire, l’homme du Scorpion vit à l’intérieur des montagnes (légende de Shamash), alors que l’homme du Taureau est l’habitant du Tell, éminence naturelle, et le prêtre celui du Ziggourat, éminence artificielle : l’homme qui vit sur la montagne. Encore imprégnés de cet esprit, c’est de même au sommet de la montagne (Sinaï, Hébron) que les premiers prophètes du Bélier rencontreront leur Dieu.


[1] « Un Vierge et un Poissons, c’est l’impossible compréhension et l’aversion irrémédiable de deux univers incommunicables ; et pourtant leur unité serait un accomplissement transcendant » (La Vierge, collection « Le Zodiaque », Ed. du Seuil).

[2] Selon les hindouistes, le 10e avatar de Vichnou (le dieu du Verseau) viendra monté sur un cheval blanc (symbole solaire).

 

L’axe mystique

Or, si l’on admet que la Grande Année représente sensiblement la moitié du zodiaque (12 000 ans de mues successives, plus 900 ans de nostalgie), il s’ensuit que deux « grandes années » en feront le tout complet, selon l’enchaînement :

Vierge et Poissons

Lion et Verseau

Cancer et Capricorne

Gémeaux et Sagittaire

Taureau et Scorpion

Bélier et Balance

Les astrologues inventèrent donc, pour justifier l’entente paradoxale, l’expression « axe mystique », qui est encore, sous diverses formes, utilisée de nos jours[1].

Ici encore, les « esprits forts » du XXe siècle peuvent sourire. Il reste que cette expression et la croyance qu’elle exprime éclairent un certain nombre d’anomalies ou d’étrangetés relevées au cours de notre étude. La mystérieuse phrase des Templiers : « Notre-Dame (la Vierge) fut au commencement de notre religion et en elle et en l’honneur d’elle, s’il plaît à Dieu, sera la fin de notre religion » devient en clair : « Nous savons et reconnaissons qu’avant la Grande Année des Poissons fut une Grande Année de la Vierge, et nous espérons qu’après le cycle des Poissons (Dieu nous épargnant le cataclysme final) la Vierge renaîtra pour un autre cycle ».

De même s’expliqueraient, non moins ésotériques, les vers mille fois commentés de Virgile : « Voici que revient la Vierge, le grand rythme des siècles va recommencer et la grande année reprendre son cours » (IVe Eglogue). Mais on voit bien la double erreur que commettent le Poète et l’Ordre. Pour Virgile, le début de l’âge nouveau (des Poissons) se confond avec un recommencement de la Vierge, que les Poissons continuent. Pour les Templiers, il n’existe rien que l’axe mystique — Vierge-Poissons-Vierge, à l’exclusion de tous les autres.

Ces croyances, également, expliquent la « chronologie » de Zoroastre, selon laquelle la Religion (solaire) devait s’achever vers le temps de l’âge du Verseau[2]. Elles expliquent les traces permanentes du Sagittaire dans les Gémeaux (centaures de la mythologie grecque, mention de la sarbacane dans le Popol Vuh), ainsi que les traces du Scorpion dans le Taureau (massue du roi Scorpion dans l’Egypte taurique, légende des hommes-scorpions dans la Genèse sumérienne).

Elles éclairent enfin sous un nouveau jour la doctrine du péché originel et de la perte de l’Eden, commune aux religions du Bélier (Adam et Eve dans la Bible, la boîte de Pandore dans la mythologie). En fait, nous ignorons tout de la Grande Année de la Balance, achevée peu avant que s’ouvre celle du Bélier et qui ne renaîtra que dans huit mille ans ; cependant, le signe astrologique évoque l’équilibre, la paix, la justice rayonnante et l’on peut penser que les Sémites du IIIe millénaire avant J.-C. avaient gardé de leurs dieux disparus (les El ouraniens) une ardente nostalgie, dont les premiers versets de la Genèse se feraient l’écho.

Il n’est pas excessif de voir dans le culte de la Justice et de l’Exactitude, tel que l’expriment la Bible, l’Avesta, les œuvres des Brahmes et de Confucius, la légende d’Ulysse enfin, un équivalent du culte de la Vierge dans la religion chrétienne et dans le bouddhisme chinois. C’est que la Balance et la Vierge correspondent à des signes d’ordre et d’harmonie, alors que le Bélier et les Poissons correspondent à des signes de chaos et de trouble.

Au contraire, le Taureau est un signe de force et de création, le Scorpion un signe de nuit. Aussi ne trouverait-on aucune nostalgie d’un Eden disparu dans les religions sumériennes (la nostalgie naîtra plus tard, après la sortie du « royaume » taurique). Mais, au contraire, l’homme du Scorpion vit à l’intérieur des montagnes (légende de Shamash), alors que l’homme du Taureau est l’habitant du Tell, éminence naturelle, et le prêtre celui du Ziggourat, éminence artificielle : l’homme qui vit sur la montagne. Encore imprégnés de cet esprit, c’est de même au sommet de la montagne (Sinaï, Hébron) que les premiers prophètes du Bélier rencontreront leur Dieu.


[1] « Un Vierge et un Poissons, c’est l’impossible compréhension et l’aversion irrémédiable de deux univers incommunicables ; et pourtant leur unité serait un accomplissement transcendant » (La Vierge, collection « Le Zodiaque », Ed. du Seuil).

[2] Selon les hindouistes, le 10e avatar de Vichnou (le dieu du Verseau) viendra monté sur un cheval blanc (symbole solaire).

 

Une loi de « la chute des dieux » ?

Egyptiens, pythagoriciens, zoroastriens, Indiens, Chinois, Romains d’accord pour lier l’histoire des religions (et l’Histoire même, qui en découle) aux cycles de l’éternel retour ? Cela dérange à coup sûr nos habituelles pensées. On n’ose imaginer cependant que le plus assuré des matérialistes puisse croire en toute bonne foi que sa science — vieille d’un siècle — démente une certitude plusieurs fois millénaire. Alors ? Le plus honnête ne serait-il pas d’admettre qu’ici « quelque chose » nous échappe, et de la constater à défaut de le comprendre ?

Mais, justement, l’esprit ne renonce pas à comprendre ; on conçoit que Platon, Ovide (et d’autres) aient préféré de mauvaises explications à point d’explication du tout ; et l’on peut supposer que, si nos contemporains en revenaient un jour à l’antique croyance, il leur faudrait l’expliquer de même.

J’avancerai cette hypothèse : ne serions-nous pas en présence de l’application d’un principe de « vieillissement » ou de « décélération » inconnu comparable au principe d’accélération découvert par Galilée en 1633, lorsqu’il constata que « si on prend un quelconque nombre de fractions de temps égales à partir du premier instant où le corps quitta la position de repos pour commencer sa chute, la vitesse atteinte pendant la première et la deuxième fractions de temps prises ensemble sera le double de celle que le corps aura atteinte pendant la première fraction de temps ; la vitesse atteinte en trois fractions de temps sera le triple, en quatre fractions elle sera le quadruple de celle que le corps avait atteinte au terme de la première fraction de temps[1]… ».

On sait que cette loi lui avait été suggérée lorsqu’il avait dix-neuf ans, par l’observation de l’oscillation d’un lustre dans la cathédrale de Pise. Mais ce fut seulement dix-neuf ans plus tard qu’il put réaliser les expériences nécessaires, à partir du roulement d’une bille dans une rainure de bois. « Il mesura le temps que mettait la bille à parcourir une longueur connue en recueillant et en pesant l’eau qui, durant la chute, s’écoulait par un robinet à jet constant. Il trouva ainsi que, lorsque le poids d’eau écoulée devenait double ou triple, la distance parcourue était quatre ou neuf fois plus grande[2]. » Quel que soit le poids du corps, la formule demeurait identique ; elle avait donc valeur de loi (dite « de la chute des corps ») : les espaces parcourus sont proportionnels aux carrés des temps.

Débarrassée de son appareil mystique (éveil, aurore, crépuscule, agonie), la loi de vieillissement des Dieux exprimée par le Rig-Véda se présente sous une forme analogue (inverse). A un premier temps de 4800 ans (400 + 4000 + 400) succède une mue de 3600 ans (300 + 3000 + 300), puis une deuxième de 2400 ans et une troisième de 1200 ans. Soit, en prenant ce dernier nombre pour unité : U = 1200, la formule simple :

4U + 3U + 2U + U.

Or, il se trouve que 1200 ans plus ou moins représentent l’unité de temps cosmique pour les peuples les plus divers (dès qu’ils admettent le calendrier de 12 mois à 30 jours) : c’est la petite « Grande Année » des Romains, les 1260 ans de Joachim de Flore, les 1260 « jours » de l’Apocalypse[3].

Pure coïncidence ? Fantaisie sans support ? Peut-être. L’analogie ne saurait être un argument : l’observation, point davantage. La formule de Galilée n’était pas « fausse » — et nul n’a le droit de prétendre que la formule indienne le soit — mais elle demeurait inintelligible, faute d’un « système » qui la contînt et l’expliquât.

L’observation la plus précise, la plus minutieuse, déconcerte. Au contraire, fût-elle audacieuse, pénétrante, l’intuition ne résout aucun problème. Vers le temps où Galilée jouait avec ses billes, Huygens, physicien et géomètre, ressentait la nécessité d’une « attraction » cosmique, qui eût régi tout l’univers. Mais la formule née de l’observation et l’hypothèse née de l’intuition exigeaient une synthèse qui confirmât celle-ci et justifiât celle-là. Pourquoi la chute des corps obéit-elle à la formule ? Comment les corps célestes s’attireraient l’un l’autre ?

En une seule équation, Newton, se basant sur les lois de Kepler, résolut les deux énigmes : dans l’univers entier, tous les corps s’attirent proportionnellement à leurs masses et en rapport inverse du carré de leurs distances.

On remarquera qu’en se généralisant, la formule de Galilée devient une loi statique. Galilée étudiait les corps en mouvement ; Newton les caractérise en leur « état » et dans leur « position ». D’autre part, ce dernier remplace deux masses incomparables (une bille et la planète) par des masses comparables : les corps célestes.

Les deux principes ne se détruisent pas : ils se complètent. Encore un pas — quelques siècles — et les notions nouvelles de vitesse (rapport espace-temps) et d’énergie (rapport entre la masse et la vitesse) permettraient l’élaboration d’une troisième formule, qui ne contredirait pas non plus les deux premières, bien qu’on en puisse déduire de tout autres conséquences !

Malheureusement, en ce qui concerne notre problème, nous en sommes à peine au point d’étudier les mythes en mouvement, leur histoire, et le rapport de ces « masses » incomparables : le cosmos et l’homme. Aussi n’est-ce pas demain que naîtra l’Einstein de l’éternel retour, quand l’univers mythique, en possession de son Galilée depuis trois millénaires, attend encore son Newton.



[1] G. GALILEI, Entretiens et démonstrations mathématiques à propos de deux nouvelles sciences, Florence, 1890.

[2] FERNAND LOT, Les jeux du hasard et du génie, Plon, 1956.

[3] 1200 ans représentant 12 siècles, comme l’année 12 mois ; 1260 ans représentent 42 « générations » de 30 ans. L’écart n’est ici que de 60 ans, mais cette incertitude troubla tout l’Occident chrétien de la fin du XIIIe siècle à la fin du XVe. Différemment, les 18 mois de leur année inspiraient aux Mayas une « grande année » de 936 ans (18 « siècles » de 52 ans), cependant que leurs mois de 20 jours donnaient aux Aztèques une unité U égale à 1040 ans (20 « générations » de 52 ans). L’écart entre les deux nombres (104 ans) représente le « siècle vénusien » ; il explique la nécessité, dans la dernière période du cycle, de prévoir et d’orchestrer tous les 52 ans une possible « fin de monde ».

Jean-Charles Pichon 1963

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LES JOURS ET LES NUITS DU COSMOS – QUATRIEME PARTIE – 1 LE SECRET DE L’APOCALYPSE

QUATRIEME PARTIE

LE FLUX ET LE REFLUX

 

I

LE SECRET DE L’APOCALYPSE

 

APOCALYPSE, Paul Paris (peinture sur galet). Photo Patrick Lanoë

 

J’ai retardé jusqu’à présent l’analyse de l’Apocalypse, que j’aurais pu ébaucher plus tôt, parce que cette analyse, pour être parfaitement claire, devait s’appuyer sur les études des divers Mythes et de leurs mutations successives, dont Saint Jean, l’auteur du poème, avait nécessairement une certaine connaissance.

Historiquement, la Vision dut être composée entre 70 et 90 de notre ère, c’est-à-dire en un temps où :

1° les premières œuvres chrétiennes ont vu le jour : les Epîtres de Paul, les premiers Actes (de Paul) et trois évangiles sur quatre : le premier de Matthieu, celui de Luc et celui de Marc, ainsi que de nombreux textes que l’Eglise rejettera : évangile des « Hébreux », évangile des « Egyptiens » ;

2° le temple de Jérusalem n’existe plus ; à la veille de leur dispersion définitive, les sectes juives s’opposent de tout leur pouvoir à la propagation de la religion nouvelle ;

3° le Taureau a disparu du monde (premier « crépuscule » du Mythe) ;

4° les dieux gémiques (Ormuzd et Ahriman en Perse, Castor et Pollux en Grèce, Romulus et Rémus…) gardent un prestige certain, parmi les chrétiens eux-mêmes (première mue) ;

5° le Lion renaît dans les cultes solaires des Grecs (Apollon), des Egyptiens (Horus), des Nubiens (Madoulis), des Scandinaves (Wotan) et des Romains (l’Aigle impérial), ainsi que dans le Mithraïsme des Parthes (dernière mue) ;

6° le Cancer est entré dans sa seconde mue : dieux-serpents en Inde, au Pérou ; dieux-Camé au Mexique ; Serpent Jaune et Tao en Chine ; Hermès, Isis-mère, Junon-Canathos sur tous les bords de la Méditerranée ;

7° la nostalgie de la Vierge affleure encore dans les œuvres littéraires (Lucain, Ovide, Virgile et bientôt Apulée), ainsi que dans les mystères d’Eleusis.

Période exceptionnelle et qu’on dirait unique, si elle ne se renouvelait tous les 2150 ans… Nos arrières-petits-fils verront, de même, dans deux siècles :

1° les premiers rites du Verseau naître au jour, et l’enseignement du Dieu Nouveau se propager ;

2) les chrétiens à la veille de leur disparition ;

3° le Bélier disparu du monde ;

4° les dieux tauriques (hindouistes et musulmans) jouir d’un prestige croissant, parmi les servants du Verseau eux-mêmes ;

5° le Serpent renaître en Chine et chez les Kurdes (maîtres d’un nouvel Empire), ainsi que dans certains pays d’Amérique du Sud ;

6° les Gémeaux affermis dans leur seconde mue ;

7° la nostalgie du Lion produire ses dernières œuvres, avant que le Verseau n’ait recréé à ses fins le Mythe révolu[1].



[1] Vers 2000 avant J.-C., les villes sacrées du Taureau (Sumer) étaient détruites l’une après l’autre, les dieux gémiques n’existaient plus (premier crépuscule), mais les déesses-mères dominaient les cultes akkadiens et phéniciens, et les Cananéens adoraient le Serpent ; le Lion entrait dans sa deuxième renaissance (Elam, Indo-européens, Goutéens), la Vierge revivait en Crète, chez les Hittites — et la nostalgie des dieux de l’Ouragan (de la Balance en Egypte) imprégnait la plupart de ces panthéons. Alors, Abraham institua le premier sacrifice du Bélier.

 

Les sept églises

Au milieu de cette extrême confusion, au Ier siècle après J.-C., l’auteur de l’Apocalypse, Jean, intervient pour mettre un peu d’ordre et de clarté, annoncer la mort des dieux morts, la faiblesse des dieux moribonds, rassurer les servants nostalgiques de la Vierge et leur annoncer que la Déesse va revivre dans le Dieu nouveau. Enfin, pour faire un choix entre les mythes vivants, rappeler que celui-ci est un allié, celui-là un adversaire, et enseigner une longue patience à ceux qui croient le « royaume » proche.

« Je suis l’Alpha et l’Oméga, dit le Seigneur, Celui qui était et qui vient, le Tout-Puissant. » Pendant dix-huit siècles, ce mot a été pris comme une simple profession de foi, quand il était le résumé d’une démonstration sans faille, dont le poème tout entier déroule les anneaux.

Au début de la Vision se dresse l’Ange aux sept chandeliers d’or, dont l’auteur dit qu’ils sont les sept Eglises d’Ephèse, Smyrne, Pergame, Thyatire, Sardes, Philadelphie et Laodicée. Et l’Ange, « le Premier, le Dernier, le Vivant » adresse aux sept Eglises sept messages différents, dont chaque mot a été pesé.

Ephèse a connu l’Agneau (par la prédication de Paul) : l’Ange a pour elle une tendresse particulière et lui promet l’arbre de vie. Smyrne demeure en la puissance « des Juifs menteurs et de la synagogue de Satan » : aussi, le ton se fait plus sévère. Pergame, l’ancienne capitale belliqueuse d’Attale, est encore un trône de Satan, parce que, longtemps, elle a mangé les viandes offertes en sacrifice « et adoré le Taureau Balaam » ; mais Pergame, elle aussi, recevra la Pierre blanche, sur laquelle est écrit le Nom que personne ne connaît (et qui compensera l’hérésie de la Pierre Noire).

Thyatire également se nourrit de « viandes sacrées » ; plus gravement, elle écoute la fausse prophétesse Jézabel et se livre à l’impudicité ; mais que Thyatire brise ses « vases d’argile » et l’Ange lui promet l’étoile du matin. L’Etoile du Matin, les vases d’argile et la prophétesse évoquent tous trois les cités gémiques (l’Egypte et la Grèce) et c’est la vieille menace de Moïse au pharaon que l’Ange redit à ceux qui ne se repentiront point : « Je frapperai de mort leurs enfants. »

Pour Sardes, l’Annonciateur n’a que menaces : tous y seront « surpris par le voleur », à l’exception de ceux qui auront gardé leurs vêtements sans souillure. Car « tu as la réputation d’être vivant, mais tu es mort ; sois vigilant et affermis le reste de vie qui t’est donné ». Ce « reste de vie » peut être soit la mue (seconde) du Cancer, soit la dernière mue du Lion. Mais la violence du ton ne se retrouvera que dans les versets relatifs au Serpent Ancien.

Philadelphie aussi (ou ce qu’elle représente) est une chose presque morte ; il lui reste très peu de puissance, mais elle a gardé la Parole et l’Ange lui promet la préservation à travers l’épreuve prochaine, « afin que nul ne lui ravisse sa couronne ». La Couronne, symbole de la Royauté, ne commande qu’une seule interprétation ; et Jean lui-même la précise quand il promet d’écrire sur Philadelphie le nom de la Jérusalem Nouvelle : le « royaume » à venir.

Enfin, à Laodicée, qui « n’est ni froid ni chaud », l’Envoyé ne promet ni l’arbre de vie, ni le pardon, ni la couronne — mais, ironiquement, conseille d’acheter un or éprouvé au feu, afin que sa richesse soit véritable. Laodicée se situait en territoire séleucide, et sa divinité, Laodiké, avait été la déesse-vierge des Antiochos.

 

Les quatre animaux

Tout cela est obscur encore, bien qu’évidemment ces Cités n’aient pas été choisies par hasard et qu’on puisse pressentir dans leur énumération un « sens » qu’il reste à découvrir.

Puis, Jean est enlevé en esprit jusqu’au trône de Dieu, où sont « vingt-quatre vieillards assis et où brillent sept lampes : les sept Esprits de Dieu ». Du trône sortent des éclairs, des voix et des tonnerres ; autour du trône sont quatre animaux « remplis d’yeux » : un lion, un taureau, un aigle et celui qui a « comme la face d’un homme ». En ce lieu est apporté un livre scellé de sept sceaux et le Livre est remis à une cinquième bête, un Agneau à sept cornes et à sept yeux : il est reconnu digne de le recevoir et d’en briser les sceaux, « parce qu’il a été immolé pour le salut de tous les hommes ». Et les vingt-quatre vieillards et les quatre animaux adorent le nouvel élu.

Les exégètes ont généralement donné aux quatre animaux deux sens très différents : les quatre points cardinaux ou les quatre empires terrestres de Mésopotamie, d’Egypte, de Rome et de Grèce. Les plus subtils ont fait remarquer que les deux sens pouvaient se compléter : par rapport à Jérusalem, centre du monde, le taureau mésopotamien est au nord, le lion parthe à l’est, l’aigle grec et romain à l’ouest et « celui qui a la figure d’un homme » pourrait être, au sud, l’Egypte (mais pour quelle raison ? On ne le dit pas).

De toute façon, les commentateurs sont d’accord pour reconnaître en eux la représentation idéale de « toute la création vivante », en quel cas j’imagine qu’ils doivent figurer les quatre signes antérieurs au Signe de l’Agneau, puisqu’ils sont, de même « nature » que lui, figurés aussi par des Bêtes. Le taureau est le Taureau ; le lion, le Lion ; l’aigle, les Gémeaux ; « celui qui a la face d’un homme », la postérité de David. Ce sont là tous les mythes vivants au temps de l’Apocalypse, à l’exception du Cancer (le Serpent) pour lequel la haine de Jean est si forte qu’il ne peut se résoudre à le placer au pied du trône de Dieu[1].



[1] Je n’ai pas trouvé d’explication pleinement satisfaisante pour les 24 vieillards ; mais il se pourrait que Jean ait « arrondi » à 2000 ans, symboliquement, l’écart « précessionnel » entre deux Signes, que d’ailleurs il connaissait mal ; les 24 vieillards représenteraient alors les 24 millénaires (en fait 25 800 ans) qui séparent deux renouvellements cosmiques.

 

Les six premiers sceaux

Il est singulier qu’on se soit toujours appliqué à rechercher dans le poème une vision « prophétique » et jamais une vision symbolique, synthétique de l’histoire de l’humanité. Il y est pourtant clairement dit que six sceaux sur sept ouvrent l’esprit à ce qui fut : c’est pourquoi l’Agneau les brise aisément ; le septième demeure caché jusqu’aux deux tiers du poème. Or, les six premiers sceaux découvrent :

1° un cheval blanc monté par un homme qui porte un arc. On reconnaît là le Centaure, c’est-à-dire le Sagittaire, dont le « royaume » se serait situé entre le XIXe et le XVIIe millénaires ;

2° un cheval roux, celui qui ôta la paix sur la terre. « Et l’homme qui le montait reçut une épée. » Homme de guerre armé de l’aiguillon, j’y reconnais le Scorpion, dont le « royaume » dut s’épanouir entre le XVIIe et le XVe millénaires ;

3° un cheval noir ; celui qui le monte porte une balance, et ce détail dispenserait de tout commentaire, si l’auteur n’ajoutait : « Et j’entendis une voix qui disait : Une mesure de blé pour un denier ! et : Ne gâte pas l’huile et le vin ! » Ce trait, qui rattache à la Balance l’art du commerce et la richesse avaricieuse, en fait également un signe aboli, sans Dieu, auquel Jean prête l’une des caractéristiques du peuple juif à son époque (puisque le Bélier prolonge le Signe ancien[1]). Le règne de la Balance se serait établi entre le XVe et le XIIIe millénaires ; sa « grande année » s’est achevée vers 3300-3200.

4° un cheval de couleur pâle. « Celui qui le montait se nommait la Mort et l’Enfer le suivait. On lui donna pouvoir sur la quatrième partie de la terre pour faire mourir par l’épée, la famine et la dent des bêtes fauves. » Le règne de cette créature aurait duré du XIIIe au XIe millénaires. Il correspond, innommé, au passage dans le signe de la Vierge et au commencement de la dernière glaciation.

Cette période est plus longuement décrite et révélée par l’ouverture des 5ème et 6ème sceaux : elle s’et prolongée jusqu’au VIIIe millénaire (et englobe, par conséquent, le « royaume » du Lion et les débuts du Cancer), cependant que les servants de la Vierge continuaient d’implorer le dieu qui les abandonnait. Il faut reconnaître en ces derniers ceux qui se lamentent ainsi : « Jusques à quand, ô Seigneur Saint et Vénérable, ne ferez-vous pas justice et ne redemanderez-vous pas notre sang à ceux qui habitent sur la terre ? » « Alors, on leur donna des robes blanches et on leur dit de se tenir en repos, jusqu’à ce que fussent rassemblés tous leurs compagnons, qui devaient mourir avec eux ».

Selon le tableau des concordances, nous sommes entre 11000 et 10500, au lendemain du règne de la Vierge, au temps de ses premières persécutions par les Nouveaux Croyants du Lion. Mais, brusquement, la terre tremble, le soleil noircit, la lune s’engloutit, les étoiles tombent du ciel. « Et le ciel se retira comme un tapis qu’on roule ; les montagnes et les îles furent déplacées. » A cette recrudescence terrible du fléau, les hommes ne songèrent plus qu’à fuir ; les plus puissants comme les plus pauvres cherchèrent asile dans les montagnes, pour y attendre la fin de la colère de Dieu.

« Alors, quatre anges retinrent les quatre vents et l’ordre fut donné de ne plus faire de mal à la terre, à la mer, aux arbres et aux plantes, afin de permettre aux hommes d’être rachetés par l’Agneau. » Alors, on dénombra les Justes des tribus, qui seraient marqués du septième sceau.

« Quant à ceux qui étaient revêtus de la robe blanche (les servants de la Vierge), ils seront reçus de Celui qui trône, ils n’auront plus faim, ils n’auront plus soif et nulle chaleur brûlante ne les accablera. Et Dieu essuiera les larmes de leurs yeux » — parce que les Poissons succèdent à la Vierge et que, d’une certaine manière, ils l’accomplissent.



[1] Ainsi les astrologues contemporains en viennent-ils à donner au signe de la Vierge un caractère d’avarice et de continence, par analogie (peut-être inconsciente) avec la continence avaricieuse des « bien-pensants », serviteurs de la Vierge Marie.

 

Les temps historiques

Après les six premiers sceaux viennent les sept trompettes (après ce qui fut caché dans le Mythe le plus ancien, le plus ésotérique, ce que proclame la légende ou l’histoire). Les quatre premières racontent les évènements qui marquèrent la fin du Fléau : une grêle de feu (de même, Ovide évoque, au lendemain du déluge, la course affolée de Phaéton, qui embrase l’univers[1]), la montagne jetée dans la mer, la chute de l’étoile Absinthe qui empoisonne les eaux et l’obscurité (d’un tiers) du Soleil, de la lune et des astres.

De cette étoile tombée (où je vois la fin du « royaume » cancérique, au VIIe millénaire) naît une épaisse fumée, qui se trouve être une nuée de sauterelles, dont le pouvoir est de tourmenter les hommes pendant cinq mois, de telle façon qu’ils souhaitent la mort ; mais ils ne meurent pas[2]. Cette cinquième trompette a été précédée par le cri d’un grand aigle : « Malheur aux hommes, à cause du son des trois dernières trompettes dont les anges vont maintenant sonner ! »

Dans l’Aigle, nous avons appris à reconnaître un symbole gémique, en sorte que ces évènements doivent bien être datés du VIIe millénaire (éveil des Gémeaux). C’est alors que surviennent de nouveaux combattants, « sauterelles cuirassées », qui nous sont décrits comme des hommes aux chevelures de femmes, « et le bruit de leurs ailes était comme un bruit de chars à plusieurs chevaux qui courent au combat ». Leur chef se nommait en hébreu Abaddon et « Apollyon » en grec. On peut y reconnaître les grands guerriers celtes, adorateurs du Lion ou du Soleil, qui durent, vers cette époque, traverser l’Asie Mineure et toute l’Europe, allant vers l’Ouest. Mais il peut également s’agir de ce mystérieux empire d’Anatolie qui disparut au cours du IIIe millénaire et dont nous ne savons rien ; ou bien d’un ancien empire égyptien, antérieur à 4000 et que nous tenons encore pour légendaire. Dans tous les cas, ce qui est décrit ici ne peut être que la première mue du Lion (Balance + Lion + Cancer) aux dieux ouraniens, daté par nos concordances de 5800 à 2800 environ.

Plus précisément, la 6ème trompette annonce un évènement que nous reconnaissons sans erreur possible : la libération des quatre anges liés sur le grand fleuve Euphrate. Les nouvelles armées portent des cuirasses couleur de feu, d’hyacinthe et de soufre et leurs chevaux ont des têtes de lion. Enfin leurs queues, semblables à des serpents, ont des têtes qui mordent et blessent.

Ce détail (queue-serpent du cheval) évoque l’Indra pré védique ; et son étrangeté même exclut l’idée d’une coïncidence. Mais, d’autre part, l’image définit le scorpion, dont précisément la « queue » seule est dangereuse. Or, nos concordances donnent pour fin à la « grande année » du Scorpion 5500-5400 environ (vestiges légendaires en Sumer, archéologiques en Egypte) et pour dates extrêmes de sa dernière mue : 6600-5400.

La dernière mue du Lion (Parthes et Sassanides) sera un syncrétisme Lion-Taureau : Mithra ; la dernière mue de la Vierge (Hittites, Cnossos) un syncrétisme Vierge-Gémeaux : Arunna et les aigles (ou taureaux ou lions) doubles, Britomartis à la hache double. De même, la dernière mue de la Balance, achevée vers 3200, semble bien avoir été un syncrétisme Balance-Cancer : dieux ouraniens et déesses-lunes. Il s’ensuit que la dernière mue du Scorpion dut être, effectivement, un syncrétisme Scorpion-Lion. Du moins savons-nous qu’à l’époque où certains « nomes » honoraient encore une déesse-scorpion, Selkit, les Egyptiens adoraient également des dieux identifiés au Soleil (Ur ou Horus).



[1] OVIDE, Métamorphoses, II, 209 à 271.

[2] Nous verrons que 42 mois également 1260 ans ; 5 mois égalent donc 150 ans. A partir de la fin du « royaume » du Cancer (la chute de l’étoile Absinthe) vers 7000, cela nous donne 6850 ; or, selon nos tableaux, l’ère des Gémeaux s’ouvre vers 7100 et leur « éveil » commence en 6650.

 

Les sept tonnerres et les deux témoins

Tourmentés par les « Lions-Scorpions », les hommes ne se repentaient pas de leurs meurtres et de leurs enchantements ; « ils continuaient de rendre des cultes à des idoles d’or, d’argent, d’airain, de pierre et de bois ». Ces traits nous peignent l’image que Jean pouvait se faire des anciens empires élamites (Suse I), des antiques cités halafiennes ou anatoliennes datées de 5000 avant J.-C.

En effet nous voici à l’éveil du Taureau, dont « sept tonnerres » disent l’histoire ; mais Jean reçoit l’ordre de taire leur enseignement. Est-ce par pudeur, comme on n’oserait aujourd’hui rappeler certains excès du peuple juif ? Est-ce par politique, en un temps où la vieille Babylone sans dieu s’ouvre à tous les exilés ?

Les deux explications valent plus encore pour le silence dont Jean, de même, entoure l’histoire du Bélier (car il n’est point facile de parler « objectivement » d’un Dieu Vivant, dont les fidèles sont partout — et généralement estimés). De la religion d’Abraham et de Moïse, Jean dira seulement qu’il en reste un « petit livre » (la Bible ?), que l’Ange lui donne à dévorer. « Et il était dans ma bouche doux comme du miel (symbole effleuré de l’Abeille) ; mais il laissa une amertume en mes entrailles. »

C’est par un subterfuge, cependant, qu’il va conter ce qu’il brûle de dire : l’agonie des religions du Taureau et du Bélier. Car, si toutes les évolutions mythiques se correspondent, qu’importe de décrire celle-ci ou celle-là ?

Ayant averti le lecteur qu’il lui fallait « prophétiser sur beaucoup d’autres peuples, nations, langues et rois », l’auteur de l’Apocalypse va entreprendre de « mesurer le Temple de Dieu, son autel et ceux qui l’adorent » ; quant au parvis du Temple (les formes extérieures du Mythe), il ne s’en souciera point, toutes les Nations y ayant libre accès.

Le Mythe qu’il choisit, quatre détails le décrivent :

1° le roseau qu’on lui donne ;

2° le symbole de la dualité : les deux témoins, les deux candélabres, les deux oliviers ;

3° les pouvoirs que reçoivent les élus : celui de faire pleuvoir et d’empêcher la pluie ; celui de changer les eaux en sang ; celui de frapper la terre de toutes sortes de plaies ;

4° le nom de leur grande ville « appelée en langage figuré Sodome ou Egypte, là même où leur Seigneur a été crucifié ».

Le « roseau » évoquait déjà l’Egypte, et les « miracles » des témoins étaient ceux-là que les prêtres du pharaon effectuèrent devant Moïse et que Moïse, mage égyptien lui-même, reproduisit en les amplifiant. Enfin, la dualité est d’essence gémique, ainsi que nous le savons ; en sorte que les « deux témoins » seront considérés indifféremment comme Seth et Osiris (le Seigneur supplicié et ressuscité), Ormuzd et Ahriman, Castor et Pollux, etc.

La Ville Sainte (ce put être Suse ou Thèbes, comme ce sera plus tard Warka ou Jérusalem) est livrée aux Nations pendant 42 mois, et les peuplent « la foulent aux pieds » ; puis les témoins, revêtus de sacs (signe d’exil et d’affliction) ont le droit et le pouvoir de prophétiser encore pendant 1260 jours. On remarquera que 42 mois égalent 1260 jours.  De ce nombre, Joachim de Flore fera 1260 ans ou 42 « générations » de 30 ans : les conséquences qu’il tire de son calcul sont fausses, car il voit en ces 1260 ans le temps du « royaume », dont l’Apocalypse précise plus loin qu’il n’excède pas 1000 ans. Mais j’en crois le principe exact et que le « jour » de Jean correspond précisément à une année.

Replacées dans le contexte historique, les dates ci-dessus nous donneraient : pour la fin du « royaume » gémique : 4250 ; pour la destruction du Temple et le début du « deuil » : 3000 ; pour la mort des deux témoins et leur résurrection : 1850. L’Histoire ne les infirme pas. La date choisie par les Egyptiens eux-mêmes comme début de leur nouvelle ère est 4253 (ou 4241) ; les dernières grandes cités gémiques 5Suse II) disparaissent vers 2800 ; le crépuscule gémique (invasions indo-européennes) et le renouveau du Mythe (Mycènes) se situent entre 2250 et 1550. C’est alors que les corps des deux témoins, tués par « la bête de l’abîme » (le Taureau Noir de l’abîme : Enkil) demeurent exposés sur la place d’Egypte aux regards des Nations, en châtiment des maux qu’ils firent subir à la terre — car, au-delà de son « royaume » aucune Eglise ne se maintient innocente.

Cette exposition dure très peu de temps : trois « jours » et demi. Puis, un esprit de vie anime les deux cadavres et ils s’élèvent au ciel, comme, dans la légende grecque, les Dioscures gagnent leur constellation.

Historiquement, ces trois « jours » correspondent aux années les plus noires de la période intermédiaire en Egypte, aux « 70 rois en 70 jours » de Manéthon, entre 2250 et 2242. Mythiquement, la mort des trois jours et la résurrection qui suit se rattachent étroitement au thème des Gémeaux. Nous l’avons noté au sujet de la cérémonie indienne « upanayana » (syncrétisme Gémeaux-Cancer), et au sujet du Thespésios de Plutarque (Gémeaux-Lion). C’est également le mythe du jumeau Huhnapu renaissant dans le maïs glorieux.

On doit donc supposer que Jean avait connaissance des traditions et mythes égyptiens et grecs, très populaires en son temps ; mais il fallait aussi qu’une science approfondie de l’éternel retour lui eût suggéré ces rythmes, sur le triple modèle de la légende gémique, de l’histoire babylonienne et de l’histoire d’Israël.

En ce qui concerne la religion taurique, ses Villes Saintes (Eridou, Warka, Kish, puis Ourouk, Our, Lagash) n’ont cessé d’être profanées et piétinées, soit par des schismes ou hérésies, soit par des nations étrangères : Elamites, Akkadiens, Oumman-manda, Ammorites, Goutéens, etc., tout au long du IIIe millénaire — de 3000 jusque vers 1850 à peu près. Quant à l’exil du Taureau, il englobe la domination ammorite, puis kassite, puis élamite, puis sémitique et, pour finir, assyrienne — jusqu’au renouveau, très éphémère, de Babylone sous Nabuchodonosor (605).

En ce qui concerne la religion bélique, il est certain qu’au IXe siècle avant J.-C., au lendemain du schisme d’Israël, son temps de « royaume » est achevé. Désormais, ses Villes Saintes, Béthel, Jérusalem, seront livrées à la profanation — des hérésies et des idoles étrangères (en Juda même, dès Athalie : 843), puis des envahisseurs assyriens et babyloniens, perses, séleucides, ptoléméens, romains…

Il est également remarquable que le calcul prophétique de Jean nous donne comme date, pour la fin de cette période (la fin de la résistance juive) le Ve siècle après J.-C. (-850 +1260 = 410 ; -800 + 1260 = 460), alors que la dernière résistance religieuse du Peuple et son véritable exil doivent être datés de la mort du dernier Patriarche et de la fin du Patriarcat : 425.

 

Les signes précurseurs

Immédiatement après l’intermède des Témoins (« témoins » des cycles de l’éternel retour comme des bornes-janus le sont des limites d’un champ), la 7ème trompette sonne enfin, pour annoncer que « l’Empire du Monde passe au Christ, qui règnera désormais sur les siècles à venir », c’est-à-dire l’entrée dans le Signe des Poissons. Selon les initiés judéo-chrétiens et selon les astronomes grecs et égyptiens (Hipparque, Ptolémée), ce changement zodiacal s’était produit dès le VIIIe siècle. Mais l’entrée dans le Signe n’est pas l’avènement du Dieu, que de nombreuses restaurations de mythes anciens doivent précéder. Aussi bien, ces « faux prophètes », le poème va d’abord les décrire.

Le premier Signe mutant est symbolisé par le Serpent : un serpent-dragon à sept têtes et à dix cornes (images de ses syncrétismes successifs), qui traîne dans son sillage le tiers des étoiles du ciel, soit quatre signes zodiacaux sur douze : le sien, plus les trois aux quels il a survécu, les Gémeaux, le Taureau et le Bélier.

Ainsi que dans certaines traditions australiennes, le Serpent veut dévorer une Femme et l’enfant qu’elle porte (le Christ encore dans le sein de la Vierge) et la Femme doit s’enfuir dans le désert, où Dieu lui a préparé une retraite, afin qu’elle et l’enfant y soient nourris pendant 1260 « jours ».

La précision a suscité mille commentaires au Moyen Age, l’opinion la plus répandue étant que cet épisode devait être pris comme une affabulation de la Fuite en Egypte de Joseph, de Marie et de Jésus. A partir de là, Joachim de Flore calculait que le « royaume » du Christ devait s’achever en 1260, et l’évènement lui a donné singulièrement raison. Je ferai cependant remarquer :

1° que Jean ne parle pas d’un « royaume » mais d’une « vie préservée », comme dans l’attente du Règne ;

2° qu’en conséquence, dater la fuite au désert de la naissance de Jésus reviendrait à reporter le début du Règne (et la victoire de l’Eglise) à 1260 ; or, il ne se peut qu’à la fin du Ier siècle, l’Apocalypse ait reculé le Royaume aussi loin dans le temps ;

3° que les évènements qui suivent sont antérieurs à la naissance du Christ et non pas postérieurs ;

4° qu’enfin, il se pourrait que le récit de « la Fuite en Egypte », dont traite un seul évangéliste (Matthieu, 13-23), ait été inventé beaucoup plus tard et ajouté au texte primitif pour justifier précisément le passage de l’Apocalypse. Nous savons en effet qu’un premier évangile de Matthieu, le seul authentique, se présentait comme un simple recueil des Paroles de Jésus, et que l’évangile que nous connaissons sous ce nom est de beaucoup postérieur[1].

Pour toutes ces raisons, je tiens que les 1260 « jours » de Jean représentent la période d’attente, puis d’éveil du Dieu, soit : de l’entrée dans le Signe des Poissons (vers 740-700 avant J.-C.) jusqu’à l’avènement de l’Eglise triomphante (520-560 après J.-C., selon ce calcul). Or, les grandes conversions des chefs barbares commencent à la fin du Ve siècle (Clovis : 499) et l’unification de l’Eglise est datée de 533.

Vaincu par l’ange Gabriel et précipité sur la terre, « le Serpent ancien, qui est appelé Satan », recouvre des forces et poursuit la Femme. Revêtue des deux ailes du grand aigle, elle s’enfuit de nouveau au désert, où elle est nourrie « un temps des temps et la moitié d’un temps », et le serpent, dépité, l’abonne pour faire la guerre au reste de ses enfants. « Il s’arrêta aux sables de la mer ».

Selon certains commentateurs, le serpent désigne ici le conquérant Alexandre et les rois séleucides, Antiochos III, Antiochos IV, de la domination desquels les Ptolémées égyptiens délivreront Juda. Il est certain que l’Aigle est le symbole des Gémeaux ; ce sera dans les royaumes gémiques, l’Egypte, la Grèce, Rome, que naîtra et se développera l’ébauche du Dieu Nouveau, Sérapis (vers 330), dont Hadrien dira que les chrétiens le confondent avec leur Christ. Mais le Serpent n’était le dieu privilégié ni d’Alexandre ni des Antiochos[2].

Une fois encore, je pense qu’il ne faut pas se presser de rattacher les épisodes de l’Apocalypse à des évènements historiques (secondaires dans la Vision de Jean) et d’identifier ses symboles à des Etats ou des empires définis. La victoire de l’Ange, plutôt, me semblerait correspondre au « crépuscule » du Serpent (700-400) : effondrement des cultes assyriens et phéniciens d’Ishtar et d’Astarté. La renaissance du Serpent (400-200) correspondrait alors au renouveau de ce dieu (Serpent de Pallas, Pierre Noire, Isis-Mère, Hermès, Asclépios, etc.) et représenterait le réveil de tous les peuples qui l’adorent : Spartiates, Carthaginois, Romains…

Le 2ème Signe mutant est une « bête de la mer », plus difficile à définir. On retrouve en elle des symboles cancériques (le léopard, c’est-à-dire la Panthée), tauriques ou béliques (les cornes) et solaires (sa gueule est une gueule de lion) ; enfin, ses pieds sont ceux d’un ours. L’une de ses sept têtes est blessée à mort, mais elle guérit et toute la terre, saisie d’admiration, la suit et la respecte : « Qui peut combattre comme elle ? » Au temps de l’Apocalypse, deux empires légitiment ce cri : Rome et les Parthes. Chez tous les deux, les dieux solaires sont adorés (Mazda ou l’Aigle au foudre des légions) et les deux panthéons sont également complexes. Cependant, c’est à Rome que la « panthée » recouvre la déesse-mère, et c’est la Perse renaissante sous les Parthes qui se laisse le mieux comparer à une bête blessée à mort. On peut donc croire qu’ici encore l’auteur de l’Apocalypse entend figurer le réveil d’un Mythe (dernière mue du Lion) et plusieurs empires successifs plutôt qu’un empire défini.

En effet, il précise d’une part qu’il a été donné à la bête de mer d’agir pendant quarante-deux mois, c’est-à-dire tout le temps où l’Enfant est préservé ; d’autre part que, si puissants et cruels qu’ils soient, les empires combattants meurent d’avoir combattu. « Si quelqu’un emprisonne, il sera emprisonné ; si quelqu’un tue par l’épée, l’épée le tuera. C’est la patience et c’est la foi des saints. »

Le 3ème Signe est une bête de la terre ; elle a deux cornes semblables à celles d’un agneau, mais elle parle comme le serpent. « Elle fit qu’à tous, petits et grands, riches et pauvres, libres et esclaves, on mit une marque sur la main droite ou sur le front, et que nul ne put acheter ou vendre s’il ne portait la marque du nom de la Bête ou le nombre de son nom. Or, c’était un nombre d’homme : 666. » Tous les commentateurs — depuis Saint Augustin lui-même — ont cru reconnaître dans cette description l’empereur Néron. Les arguments tirés du nombre 666 ne sont guère convaincants, car ils reposent le plus souvent sur une application des règles cabbalistiques, qui furent postérieures à la prophétie. Il reste que l’Empereur s’ouvrit très jeune aux influences messianiques (des prêtres juifs, puis de Paul lui-même) et que la description pourrait convenir à l’homme qui voulut que tous fussent égaux, « petits et grands, riches et pauvres », et que tous portent sa « marque » dans la Rome nouvelle : Néropolis. Mais on ne peut dire de lui qu’il ait parlé comme le Serpent (se soit soumis aux mythes cancériques) : farouchement opposé aux cultes romains, dont celui de la Déesse-Mère, il avait professé — jusqu’au délire final — la plus grande vénération pour la déesse-poisson Atargatis.

Enfin, bien qu’il soit dit que 666 est un nombre d’homme (de création humaine, en opposition aux mythes imposés par Dieu), il n’est pas dit que la 3ème bête soit un homme. Mais si la première bête symbolise le Cancer (Serpent) et la seconde le Lion, il faut que celle-ci prophétise un réveil prochain du Taureau, dans un syncrétisme Taureau-Cancer, dont la « marque » sera le Croissant et l’idéogramme Aleph, première lettre de l’alphabet hébraïque. Or, Aleph est égal à l’unité (1 ou 60 chez les Chaldéens), tandis que le nombre 6 est représenté, dans le même alphabet, par la lettre « Vav », qui se prononce V ou ne se prononce pas, selon la vocalisation. 666 se traduit alors AVA ou AA ; et c’est l’instant de rappeler qu’au Ier siècle après J.-C., le Taureau n’est plus guère figuré, en Jordanie et en Transjordanie, que par les inscriptions palmyréniennes et safaïtiques où se lit le nom d’Allah[3].

Si l’on admet cette interprétation, on ne peut qu’être frappé par l’ampleur et la précision de la prophétie, et notamment de l’incidente : « Cette bête exercera toute la puissance de la première bête (le Serpent) en sa présence. » A partir du VIIe siècle, en effet, tous les empires du Serpent menacés par le Dieu nouveau, l4islam sera la seule puissance conquérante en face de la montée de l’Esprit — et cet empire durera précisément jusqu’à la fin de la seconde mue du Cancer, au XVIIIe siècle.

Le 4ème signe dénombre les 144 000 fidèles de l’Agneau sur la montagne de Sion, parmi lesquels sont les hommes « vierges », rachetés d’entre les hommes, comme ayant été les prémices de l’Agneau. Le 5ème annonce la chute de la seconde Babylone (Jérusalem) et promet aux martyrs une vie éternelle : « Heureux dès maintenant les morts dans le Seigneur ; qu’ils se reposent de leurs travaux, car leurs œuvres les suivent ! »

Les 6ème et 7ème signes proclament le Fils de l’Homme et confirment son triomphe. Il sera celui qui moissonne et cueille le fruit mûr (langage que pouvaient comprendre les servants des Gémeaux) ; et ses soldats chanteront le cantique de Moïse (pour que le lien ne soit pas rompu, qui unit le Bélier à l’Agneau).



[1] Sous sa forme actuelle, il n’apparaît pas avant le XIVe siècle.

[2] Alexandre restaura le Taureau ; les Antiochos tentèrent de restaurer la Vierge.

[3] De même, les Celtes rattachaient au mythe du Taureau le nombre 666 (mort du roi Bress).

 

Les sept coupes et le royaume

Si l’on doutait encore que le poème soit tout entier construit sur le principe de l’éternel retour, le doute, à partir du XVIe livre, ne serait plus permis ; car les évènements qui préparent au triomphe de l’Eglise du Christ et au Royaume apparaissent calqués sur ceux qui préparèrent jadis le triomphe d’Israël et de son Royaume.

Aux dix plaies qui désespérèrent l’Egypte (et qui symbolisaient elles-mêmes les fléaux du second millénaire, où s’abîmèrent Babylone, Troie, Cnossos, Mycènes, etc.), correspondent ici sept coupes que déversent sur l’humanité des anges de la Colère. La première sera un mauvais ulcère, « cancer » dirait-on aujourd’hui ; la seconde, le sang d’un mort qui empoisonne la mer ; la troisième, un poison répandu également dans les fleuves et les sources ; la quatrième, une sécheresse ; la cinquième, la venue des ténèbres ; la sixième, le dessèchement de l’Euphrate (que traverseront à pied sec des rois venus d’Orient, comme jadis le Peuple traversa la Mer Rouge).

Nous reconnaissons l’erreur où tombent volontiers les « prophètes » : déduire trop fidèlement l’avenir du passé — ou est-ce le mal traduire ? Le Fléau qui précédera le royaume chrétien n’aura aucun rapport avec les prédictions de l’Apocalypse[1] ; un mot le contiendra : les invasions barbares.

Au contraire, Jean est grand prophète quand il annonce que les trois Bêtes renaissantes (le Serpent, le Léopard-Lion et le Faux-Agneau dont le nombre est 666) susciteront des « esprits impurs semblables à des grenouilles », qui inciteront au combat les rois de toute la terre. Et ce sera, de nouveau, la victoire des élus sur ces autres Philistins, « en un lieu dit Armageddon » (parce qu’il s’y reproduira la victoire de Déborah et des Hébreux sur leurs ennemis, près de la ville de Mageddo).

La septième coupe est répandue dans le ciel même, où éclate un grand tremblement : les villes civilisées s’anéantissent et la Grande Babylone (la troisième dans le récit), représentée par une Femme pourpre assise sur le Serpent aux sept têtes — qui sont aussi sept montagnes —, « ivre du sang des saints, des martyrs de Jésus », connaît enfin la destruction. Car « Dieu a permis de donner toute royauté à la Bête, à la Prostituée, jusqu’à ce que la Parole soit accomplie. »

Le spectacle est à coup sûr inattendu de la Femme à l’Enfant et son ennemi le Serpent confondus en un seul symbole ; c’est pourquoi l’Ange prévient le prophète de ne pas s’en étonner. « La bête que tu as vue jadis était et n’est plus. » Celle-ci est donc une autre, bien qu’elle soit également la même (en une autre de ses mues) et l’une quelconque de ses sept têtes — et une huitième à venir, qui sera sa perdition. « Quant à la Femme que tu as vue, c’est (maintenant) la grande cité qui a la royauté sur tous les rois. » Au Ier siècle après J.-C. (comme à la fin du Moyen Age) : la Ville aux sept collines, Rome.

Le poème s’achève par l’annonce de la fin provisoire d’un « royaume » (le Serpent sera de nouveau délié au terme d’un millénaire, pour sa dernière mue) et l’annonce du triomphe d’une Eglise nouvelle après la mort définitive de la Bête. C’est la description de la Ville du Bonheur, où jaillit le fleuve de vie, clair comme du cristal ; et, tout auprès du fleuve, pousse l’Arbre de Vie, « qui donne douze fois par an ses fruits, un fruit par mois, et dont les feuillages guérissent les nations » : l’arbre cosmique à douze branches.

C’est aussi l’une des prophéties les plus ambiguës qui soient. Elle annonce bien évidemment le « royaume » chrétien ainsi que le savaient les prophètes du Moyen Age, de Glaber à Nostradamus. Mais, d’une autre manière, elle prédit les épreuves qui achèvent ce royaume : la mer empoisonnée et les fleuves desséchés (la sortie du Signe des Poissons) et le renouveau dernier du Serpent ancestral. En sorte que les derniers évènements du poème se situent sous le Signe suivant : « Et je vis un nouveau ciel et une nouvelle terre ; car le premier ciel et la première terre avaient disparu, et il n’y avait plus de mer ».

L’ultime vision de la Jérusalem Nouvelle ne serait plus, en ce cas, celle du « royaume » chrétien mais du « royaume » du Verseau, après la destruction de la Prostituée de Rome (la même Femme jadis préservée) et la mort définitive du Serpent. Selon nos tableaux de concordances, cette dernière agonie doit s’achever entre 3100 et 3200 et le « royaume » s’établir vers la même époque : 2150 ans après le « royaume » chrétien, soit de 2900 à 3400.

Sur cette prophétie, Nostradamus n’hésitait pas à prédire les derniers grands combats entre l’Orient et l’Occident et le dernier effondrement « lunaire » pour les années 1607, 1700, 1727 de l’ère du Verseau ; à partir de la date, précisée dans « l’Epître à Henri II », du 14 mars 1557 : les années 3164, 3257, 3284. D’autre part, Nostradamus donnait 7000 ans au règne de la Lune (et des lunaires), dont il situait le départ du IVe millénaire avant J.-C. Soit, à dater de la 1ère mue du Cancer : 3800 avant J.-C. — 3200 de notre ère.



[1] Aucun rapport, sauf un : leur finalité — la destruction du vieux monde.

 

Les cycles de l’Apocalypse

Tel est le livre de Saint Jean, la tentative la plus ambitieuse, mais aussi la plus réussie depuis le Rig Véda, d’une synthèse de l’Alpha et de l’Oméga (des cycles de l’éternel retour), établie en fonction de la légende et de l’histoire. On ne concevrait pas que cette œuvre n’ait pas reposé sur une théorie numérique des cycles, apparemment différente des systèmes indien et zoroastrien, et qu’il nous faut étudier plus précisément.

La constatation la plus évidente est que le système johannique ne se contente pas, comme le système perse, de circonscrire l’évolution d’un seul mythe (ou, comme le système indien, un rythme unique valable pour chaque dieu) ; mais il tient compte de tous les mythes dont les « grandes années » se poursuivent et dont, en effet, les mues ou les syncrétismes se déroulent simultanément. C’est ainsi que des mutations du Serpent, du Lion, du Taureau ont lieu pendant l’éveil du Dieu chrétien ; précédemment, les deux témoins gémiques ont survécu aux royaumes taurique et bélique, etc.

Cependant, chaque « grande année » ne semble pas être l’objet d’une étude particulière. Qu’il s’agisse de la profanation du Temple, de l’exil du peuple élu ou même d’une mue combattante (la dernière mue du Lion), le nombre 1260 convient parfaitement.

Il convient de même à définir la période qui va de l’entrée dans un nouveau Signe jusqu’au Royaume de Dieu : temps de préservation de la Femme et de l’Enfant ; alors que le temps du Royaume (qui correspond à « l’enchaînement » des autres mythes) durerait un millénaire.

Si l’on rassemble en un tableau ces renseignements éparpillés dans le poème, on obtiendra la succession :

1° un temps de « préservation » de l’Esprit Nouveau, de l’entrée dans le Signe au Royaume — 1260 ans ;

2° le Royaume — 1000 ans ;

3° un temps de profanation et de piétinement du Temple — 1260 ans ;

4° un temps d’exil et d’affliction, d’une durée de 1260 ans, qu’achève brusquement la mort des « témoins » — et leur résurrection dans une première mue.

L’ensemble : 1260 + 1000 + 1260 + 1260, nous donne le chiffre 4780, qui correspond à peu près aux 4800 de la Krita indienne (400 + 4000 + 400). Mais, quant aux diverses mues du Dieu, l’Apocalypse se montre beaucoup moins précise que le Rig Véda. Nous savons seulement que les mues combattantes ont le droit et le pouvoir de se déchaîner pendant les 1260 ans qui précèdent chaque « royaume » (sur lesquels, 5 « mois » ou 150 ans pourraient représenter l’apogée de la destruction, le temps de violence par excellence, si l’on se réfère à la première indication numérique donnée par le poème : le fléau des sauterelles, nées de l’étoile Absinthe) et que ce droit et ce pouvoir sont donnés à chaque Mythe jusqu’à sept fois successives, les sept têtes du Serpent. 1260 X 7 = 8820 ans.

La « Grande Année » johannique atteindrait donc 13600 ans (8820 + 4780) contre 12954 ans selon Platon et 12000 selon le Rig Véda et l’Avesta. Or, ces écarts ne peuvent surprendre. Pour Platon, le rythme « précessionnel » est de 2159 ans ; pour Saint Jean, de 2260 ans ; d’où une différence de 101 ans pour chaque signe — et de 606 pour la moitié du zodiaque. Corrigée en ce sens, la Grande Année de l’Apocalypse n’atteindrait que 12994 ans, avec un écart de 40 années sur le rythme platonicien. Quant au calcul du Rig Véda, il offre avec de Platon et de Jean cette différence essentielle qu’il débute à l’éveil du Dieu, cinq siècles après l’entrée dans le Signe ; pour le reste, nous ignorons tout de l’idée que les prêtres indiens pouvaient se faire du rythme précessionnel… quinze siècles avant J.-C.

On ne se cache pas qu’en ce qui concerne l’Apocalypse, tous les calculs possibles manqueront de rigueur et que le peu de clarté qu’on y trouve est susceptible d’interprétations différentes. Ce manque de précision déçoit — jusqu’au moment où l’on s’avise d’établir un tableau de concordances conforme aux seules indications indiscutables du poème. Il apparaît alors que les 1000 ans de Royaume et les 1260 ans de « non-royaume » s’enchaînent indéfiniment sans solution de continuité, si bien que le temps de préservation de l’Esprit Nouveau est aussi le temps de profanation du Temple antérieur et le temps de déchaînement du Mal.

En partant de la date-clef de l’entrée dans les Poissons : 747 selon Ptolémée (nombre que j’arrondis à 750), nous obtenons ainsi :

750 avant Jésus-Christ — 510 après Jésus-Christ : non-royaume, profanation du Temple du Bélier ; mues combattantes ; préservation de l’Esprit Nouveau.

510 — 1510 : royaume (chrétien) ; exil du peuple juif ; autres mythes enchaînés — à l’exception des nouveaux Philistins (servants du Croissant et du nombre 666).

1510 — 2770 : non-royaume, profanation des Temples chrétiens ; hérésies et schismes ; mues combattantes ; préservation de l’Esprit Nouveau.

2770 — 3770 : royaume (du Verseau) ; exil des peuples chrétiens ; autres mythes enchaînés, etc.

 

Et, en remontant le temps :

750 avant Jésus-Christ — 1750 avant Jésus-Christ : royaume (bélique) ; exil des chaldéens (babyloniens) ; mythes enchaînés — à l’exception des Peuples de la Mer, les Philistins (servants d’un syncrétisme Gémeaux-Lion).

1750 — 3010 : non-royaume, profanation des Temples du Taureau (Kish, Lagash…) ; mues combattantes ; préservation de l’Esprit Nouveau.

3010 — 4010 : royaume (taurique), etc.

Sur une durée de quatre millénaires, ces dates peuvent sembler satisfaisantes : elles ne le seraient pas au-delà. Pour la principale raison que l’écart précessionnel de 2150 ans (approché par Platon à 9 ans près) est ici de 2260 ans ; d’où un décalage croissant de l’évènement historique, à mesure qu’on s’éloigne, dans le passé ou dans l’avenir, de la date-clef. Les cabbalistes et les prophètes chrétiens s’en montreront souvent embarrassés, soit qu’ils déforment le sens des rythmes johanniques, comme Joachim de Flore, soit qu’ils en modifient les nombres, comme les cabbalistes, qui attendaient pour 1490 (au lieu de 1520-1560) la fin du « royaume » chrétien.

Je ne vois guère que Nostradamus pour avoir respecté le schéma de l’Apocalypse (à quelques années près), quand, à dater de 1557, il affirmait vouloir prophétiser tous les évènements à venir (du Verseau) jusqu’à la fin de la nouvelle ère : 3790.

 

Le Newton de la Mythique

Le cycle de Saint Jean présente le second inconvénient de commencer dès l’entrée dans le Signe, en un temps où le Mythe n’est aucunement créé. Il y a maintenant cinq siècles que le Verseau a fait suite au Signe des Poissons, et je ne sais personne qui soit capable d’en imaginer le Dieu.

Enfin, aucun « royaume » ne dure un millénaire. Le royaume hébraïque (le temps de ses miracles) ne déborde pas cinq siècles, de l’Exode (1440) au schisme d’Israël (933) ; le royaume chrétien ne commence pas avant le VIIIe siècle et s’achève au XIIIe.

Il n’en est pas moins vrai que le rythme apocalyptique d’un « jour » et d’une « nuit » du Cosmos, même s’il doit être modifié, demeure une découverte inestimable. D’une part, il simplifie le système complexe des mutations, et de telle sorte que les mutations y apparaissent négligeables, conséquences ou « contre-champs » de l’absence de royaume. D’autre part, le schéma johannique rend intelligible un système qui ne l’est sous aucun autre aspect.

En effet, notre esprit admet difficilement l’hypothèse de Grandes Années simultanées, régies par une formule que justifie seulement le déroulement de l’Histoire ; mais nous pouvons admettre un rythme de pulsations cosmiques comparable à l’alternance des jours et des nuits, ou des saisons. Mieux : il doit satisfaire notre besoin de logique que les millénaires y soient soumis comme la journée de vingt-quatre heures et l’année. Car comment des périodes strictement définies seraient-elles contenues dans du temps informe ? Ou bien, ne faudrait-il pas prétendre que rien ne peut l’être, l’heure pas plus que le millénaire ? Et, s’il en est ainsi, de même que pour vivre l’homme dut inventer le jour et la saison, ne lui convient-il pas de créer, en quelque étape de son évolution, une « horloge de l’éternité », où d’autres rythmes apparaissent ?

Je déplorais l’absence dans les sciences mythiques d’un théoricien dont l’œuvre fût comparable à celle d’un Newton : c’était trop vite dit. Trahi pendant seize siècles (depuis saint Augustin) par l’exégèse chrétienne, puis catholique, il se pourrait que Saint Jean eût été ce découvreur.

 

Digression sur les fléaux

De toutes les prophéties de l’Apocalypse, la plus produite et commentée est naturellement celle de la libération de Satan, le serpent ancien, au terme du « royaume ». Naturellement : la menace d’une catastrophe excite plus l’esprit qu’une promesse de bonheur. Au « royaume », on ne commence de croire que lorsque le temps en est proche ; le Fléau, on le craint d’instinct, comme par une très longue habitude de craindre. Cela en vient au point où la plus merveilleuse profession d’espérance, l’Apocalypse, est reçue comme l’annonce de la Fin des Temps, d’un cataclysme universel.

Cependant, la menace, ici, n’était point tellement effrayante : « Quand les mille ans (du Royaume) seront accomplis, Satan sera relâché de sa prison, et il en sortira pour séduire les nations qui sont aux quatre extrémités de la terre, Gog et Magog, afin de les rassembler pour le combat : leur nombre sera comme le sable de la mer… » (XX, 7-9).

Dans ces versets, l’annonce d’une ou de plusieurs guerres est tempérée par le verbe « séduire », qui indique une promesse, fallacieuse peut-être mais significative : les destructeurs et les bourreaux ne daignent rien promettre. Puis, des « nations » se rassembleront : gage d’ordre et d’équilibre. Enfin, le nombre des combattants (a fortiori, celui des humains) sera « comme le sable de la mer » : gage de richesse et de développement démographique.

Deux siècles avant Saint Jean, l’auteur du songe de Daniel avait prophétisé qu’une époque viendrait où « les méchants feront le mal et aucun méchant ne comprendra ». « Depuis le temps où se sera interrompu le sacrifice perpétuel et où se sera dressée (en Israël) l’abomination du dévastateur, il y aura 1290 jours. Heureux qui tiendra et parviendra jusqu’à 1335 jours[1] ! »

Nous savons que les « jours » bibliques sont des années ; en sorte que le « mois » biblique égale 30 jours (une génération de 30 ans). Selon qu’on date « la fin du sacrifice perpétuel », c’est-à-dire la fin du « royaume » bélique, du schisme (933) ou de la destruction d’Israël (721), la prophétie nous reporte vers 357 ou 569 après J.-C. ; c’est-à-dire, précise le prophète, « quand on aura achevé de briser la force du peuple saint ». Cette ultime résistance (le Nouveau Patriarcat) fut brisée en 425, et c’est tout au long du Ve siècle que les hordes « barbares » ont déferlé sur les Empires « civilisés ».

La plupart des commentateurs veulent que la prophétie de Jean et celle de « Daniel » se recoupent ou s’identifient. Mais il semblerait plutôt qu’elles ne peuvent concerner les mêmes évènements. En effet, les Gog et Magog de l’Apocalypse s’instaurent après une « royauté » chrétienne, dont la durée aura été de 1000 ans ; soit, en partant du temps même où l’Apocalypse fut écrite, vers 1080. Mais l’auteur du poème sacré n’aurait pu décompter les mille années à partir de sa propre époque, puisque le « royaume » n’existait pas encore et que lui-même prédit les plus terribles épreuves avant son avènement. Il ne pouvait guère en espérer l’avènement avant trois ou quatre siècles, c’est-à-dire pour le moment où Daniel avait prévu la fin de l’Horreur, 1335 « jours » après la fin du « royaume » bélique, vers la fin du VIe siècle[2]. C’est alors que Satan sera « enchaîné pour mille ans » et l’Eglise du Christ triomphante.

S’il était besoin d’une preuve littérale à cette interprétation de la prophétie johannique, les mots « Gog » et « Magog » nous la donneraient, puisque Jean les emprunte aux psaumes d’Ezéchiel, où leur sens n’est pas douteux :

Voici que je viens à toi, Gog,

prince de Rosch, de Mosoch et de Thubal…

Perses, Ethiopiens et Libyens seront avec eux,

tous avec le bouclier et le casque[3].

Les Ross étaient un peuple mystérieux dont les Byzantins et les Arabes musulmans feront les anciens occupants des régions du Taurus et des bords de la Volga. La coutume est de voir en « Mosoch » le peuple des Scythes, dont la menace, au VIIe siècle avant J.-C., avait lourdement pesé sur le royaume de Juda. Quant aux mots : Perses, Ethiopiens et Libyens (Egyptiens), ils n’exigent aucun commentaire, la domination éthiopienne sur l’Egypte étant datée, historiquement, de 730 à 663 avant J.-C. L’ensemble représente l’idée qu’Ezéchiel pouvait se faire des divers peuples combattants au lendemain de l’effondrement du « royaume » bélique, de ceux qui reprennent les armes quand Dieu n’est plus écouté.

Presque tous, sur le plan mythique, adoraient le Soleil, l’Ours, la Panthée et les déesses-mères, divinités du Lion et du Cancer. 2150 ans plus tard, le Gog et le Magog de l’Apocalypse seront donc les Empires adorateurs du Cancer (Lune ou Serpent) dans sa deuxième mue ou des Gémeaux (dans leur première mue) : Mongols en Chine, Aztèques et Incas en Amérique du Sud, Empires combattants d’Europe…

Dans un cas comme dans l’autre, le « déliement de Satan » ouvre la période de « liberté » qui, quatre siècles plus tard, s’épanouira dans le renouveau matérialiste des petits royaumes hellénistiques, de la Chine de Houang-ti et de la Rome universelle — ou de nos XIXe et XXe siècles savants ; époques où les peuples, en effet, sont « comme le sable de la mer » et les promesses pareilles aux rêves, illimités[4].



[1] Livre de Daniel, XII, II, 12.

[2] L’Apocalypse nous a donné le nombre : 1260 « jours » après l’entrée dans les Poissons : vers 704 avant J.-C., selon nos calculs. Soit : 556 après J.-C. Mille ans plus tard, nous sommes en 1556. Nostradamus calculait : 1557.

[3] Ezéchiel, XXXVIII, 3-5.

[4] Une des superstitions de nos contemporains est que ce développement démographique caractérise notre époque et n’a point eu d’antécédent. Or, LIE TSEU, au IIe siècle avant J.-C., parlait déjà de petits rois provinciaux dont les sujets étaient au nombre de « plusieurs millions » (Le vrai classique du vide parfait) ; Corinthe, ai Ier siècle, comptait plus de 500 000 habitants ; la Rome impériale 1 200 000 à 1 500 000 habitants. A quels chiffres s’élevaient alors les populations de l’Empire romain et de l’Empire parthe, de la Palestine et de la Syrie, des pays celtiques et hellénistiques, de l’Egypte et de l’Ethiopie, etc. ? Le nombre : un milliard nous semble excessif : il est sans doute insuffisant, à tenir compte des formidables hécatombes qui ont précédé le « royaume » chrétien (Ve siècle). C’est ainsi qu’entre 1315 et 1350, la famine et les pestes auraient anéanti plus de la moitié des populations de l’Europe (pour ne rien dire du reste du monde, duquel nous sommes mal informés).

 

Le fléau dévastateur

Le Fléau prédit dans le Livre de Daniel précède le « royaume », qu’il prépare : déluge de 3800-3700, invasions du second millénaire, ruée barbare de notre Ve siècle. Il se présente comme une destruction radicale de l’ancien monde, où nulle nation n’est épargnée.

Pour n’évoquer que les deux derniers exemples :

1° Les invasions de 1700-1500 avant J.-C. ont balayé l’Assyrie, la Babylonie, l’Elam (les Kassites), l’Asie Mineure (les Hittites, les Hourrites), l’Egypte (les Hyksos) et probablement mis fin à la dynastie Kie en Chine, cependant que d’autres fléaux (déluges ou invasions) détruisaient au Pérou la seconde Tiahuanaco, au Mexique la première civilisation maya, et qu’en Inde la ruée aryenne faisait table rase de l’ancienne culture. Lorsque le Fléau s’apaisa, il ne restait plus rien, en Asie Occidentale, des anciens royaumes de Mésopotamie ni de l’antique Phénicie ; Cnossos n’existait plus, ni Suse, ni Ougarit. Les rares Etats qui survécurent ou renaquirent : l’Egypte, l’Achaïe, la Médie, adoraient le dieu ou les symboles du Bélier.

2° En 378 après J.-C., la défaite des légions romaines devant les Goths ouvre aux barbares les routes de l’Empire. Les légions ne sont plus invincibles : l’Empire romain a donc vécu ! Effectivement : entre 378 et 450 (élection de Marcien, premier empereur sacré par l’Eglise), les barbares auront rasé le vieux monde : les Alains, les Suèves, les Burgondes domineront en Germanie, en Gaule ; les Wisigoths en Aquitaine. Alaric aura pillé Rome (410), les Vandales seront maîtres en Afrique et les légions auront évacué la Bretagne. Ce ne sera pas avant la fin du Ve siècle que les « barbares » commenceront de se convertir et que Byzance (sous Justinien) pourra espérer revivre.

A l’autre bout du monde, en Chine, le vieil empire connaît de même son Attila (Lieou Ts’ong : 310-318), « cinq espèces de barbares » s’y combattent et le déchirent — et cet état de choses dure jusqu’à la conversion de Leang Wou-ti au bouddhisme (502) et la dynastie Souei, qui suivra (589).

Or, de leur temps même, ces grands dévastateurs étaient reçus comme des « envoyés » ou des « fléaux de Dieu ». Aussi bien les prêtres d’Amon sous la domination hyksos que les Assyriens sous celle des Kassites savaient que le seul salut possible serait l’accueil et l’adoration du Nouveau Dieu. Ce fut alors qu’à Babylone le bélier remplaça le taureau comme victime de sacrifice, qu’Amon prit une tête de Bélier, que les Philistins tremblèrent devant l’Arche d’Alliance. Ainsi, en notre VIe siècle, les moines bouddhistes, les Toltèques du Yucatan, les chrétiens de Byzance et de Rome savent que le triomphe du Dieu Nouveau est le seul remède à leurs malheurs.

 

Le déliement de Satan

Tout autre est le réveil de Satan au terme du « royaume ». Là, point de déluge ni de barbares ; mais, d’abord, un immense accablement (au cœur de la chrétienté moribonde, comme au Mexique ou en Chine) ; puis, la famine ou la peste.

Si des peuples combattants profitent du désespoir pour créer des empires (Mongols, Aztèques, Incas ou Espagnols), ce sont des organisateurs, des dictateurs farouches, non de simples destructeurs comme les Goths ou les Huns. Si cruels qu’aient été les rites aztèques, la tyrannie de Gengis Khan, les outrances de l’Inquisition, il reste qu’aux quatre extrémités de la terre, Gog et Magog furent de grandes cités, dont les chefs « séduisaient » par l’apparat, le luxe, les divertissements et les fêtes populaires. Ils ne donnaient pas le bonheur à leurs peuples ? C’est que rien ne l’aurait pu, que le mal était plus profond et qu’en soi-même personne ne trouvait plus d’espérance. Les saints mystiques ne savaient que souhaiter la mort[1] et les bons moines se flageller.

Dans nos schémas, la prophétie de Daniel prend place au début de la Montée de l’Esprit, de la Marche à la Lumière, immédiatement après l’éveil du Dieu Nouveau ; la prophétie du « déliement de Satan » et de Gog et de Magog prend place après la sortie du « royaume ». Or, il semble que, précisément, le premier fléau provienne d’un excès de forces, qui doit se dépenser en Dieu ou hors de Dieu : excès de nourriture cosmique, débordement d’une énergie que ne limitent plus l’ancienne morale ni la raison. Attila doit détruire comme Augustin prêcher ; car chacun doit aller jusqu’au bout de lui-même, comme un enfant brisera tout ce qu’il touche ou comme un autre s’émerveillera de toutes les formes de la vie. Au contraire, le second fléau provient d’un brusque retrait des forces, d’une faiblesse irrémédiable, d’un mortel découragement.

L’une et l’autre prédictions, ainsi, nous confirment l’hypothèse nouvelle d’un « rythme cosmique » analogue au double mouvement du flux et du reflux, de l’éveil et du sommeil, de l’inspiration et de l’expiration, que, sous des aspects divers, nous pouvons observer chez tous les êtres vivants.

 

Jean-Charles Pichon 1963



[1] « Je meurs de ne pas mourir » (SAINTE THERESE D’AVILA).

 

 

 

 

 

 

 

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LES JOURS ET LES NUITS DU COSMOS – QUATRIEME PARTIE – 2 LES CYCLES DU RETOUR

II

LES CYCLES DU RETOUR

 

Résumons-nous.

1° Pour l’éveil mythique des dieux des Poissons, nous avons les dates légendaires :

483 : Parinirvâna du Bouddha en Inde,

336 : création de Sérapis en Egypte.

et, pour dates extrêmes de l’éveil historique :

200 avant Jésus-Christ : premiers textes messianiques, concile bouddhique historique, éveil de Rome à l’universel,

200 après Jésus-Christ : développement irrépressible du christianisme en Occident et du bouddhisme en Orient.

2° Pour l’éveil du Bélier, nous avons les dates :

Vers 2350 avant Jésus-Christ : apparition des Cananéens,

vers 1850 : développement du Mythe, en Egypte avec Joseph et ses fils ; sur les bords de la Mer Noire et à Béthel avec les Hétéens.

3° Pour l’éveil du Taureau :

Vers 4500 : apparition du peuple d’Ubaid,

vers 4200 : début de la nouvelle ère en Egypte.

Le crépuscule du dieu taurique (Mardouk) s’ouvre vers 100 avant J.-C., soit entre 141 (Mithridate enlève Babylone aux Hellénistiques, restaurateurs du Taureau) et 64 (début de la domination romaine sur Babylone).

L’aurore de la 1ère mue taurique est doublement datée :

En Inde : entre 400 et 600 après Jésus-Christ, avènement du nouvel hindouisme et croissance de Çiva ;

En Arabie : entre 400 et 600, développement du culte de la Pierre Noire, création d’Allah antérieurement à Mahomet.

1ère mue du Taureau (Croissant et Bélier) :

622, l’Hégire.

4° Pour l’éveil des Gémeaux, une seule date, hypothétique, nous est donnée par les vestiges natoufiens : vers 7000-6800.

Le 1er crépuscule des Gémeaux (destruction de l’Anatolie, troubles en Egypte) se situe vers 2250.

La 1ère mue des Gémeaux (Gémeaux solaires) peut être triplement datée :

En Egypte : restauration, nouvel Empire : 1580 avant Jésus-Christ ;

En Achaïe : double lion à Mycènes : 1600-1500 ;

Au Mexique : période dite pré-maya : vers 1500 ;

En Chine, l’avènement des Yin, aux dieux plus contestés (mais culte assuré de l’Empereur Blanc), se situe à la même époque.

Cette première mue s’achève, en Europe, par la prise de Byzance (1453 après J.-C.) et l’abolition de tous les rites gémiques (agraires ou magiques) ; au Mexique, par la fin des derniers Mayas (1461).

Suit un crépuscule de trois siècles (jusqu’au milieu du XVIIIe siècle).

Une aurore gémique, encore rationalisée, se laisse percevoir depuis 1760-1780.

5° Pour l’éveil du Cancer, nous sommes réduits aux hypothèses (religions de la pluie et de la lune dès le VIIIe millénaire ?) ; de même, pour l’éveil de la 1ère mue (dont il nous reste pourtant ces vestiges : pierres levées, pierres trouées, pierres noires).

Le crépuscule de cette 1ère mue se situe clairement entre 700 et 400 avant J.-C. (suppression de Chang-Ti en Chine ; suppression de l’Assyrie et fin — provisoire — des déesses-mères). Ce crépuscule est jalonné, en Chine, par les cultes successifs, affolés, des ducs Ts’in.

L’aurore de la 2e mue (400-200) est indiquée, en Occident, par la lente renaissance des déesses-mères (Egypte, Carthage) ; en Chine, par l’enseignement de Lao-Tseu. Elle aboutit, en 200 avant J.-C., à la résurrection du Serpent en Chine, à Sparte, dans l’Inde ; de la Pierre Noire à Rome ; d’Hermès en Grèce. Egalement : à l’institution concrète de l’Empire.

Interrompue par l’avènement du « royaume » du Christ et du Bouddha (de Tonapa, de Kukulkan, etc.), cette mue renaît et se prolonge (Alchimie et Magie Noire, Serpent Jaune en Chine, Serpent à plumes au Mexique) jusqu’au XVIIIe siècle.

La seconde mue cancérique est donc à dater de 200 avant J.-C. à 1800 après J.-C. ; son crépuscule de 1800 à nos jours (effondrement des Empires).

6° L’éveil du Lion nous est historiquement inconnu : les plus anciens vestiges d’un culte solaire ou léonin (Pérou, Tchécoslovaquie) sont confusément datés des Xe, IXe ou VIIIe millénaires.

Nous savons seulement que les légendes mythiques de tous les peuples (Japonais, Chinois, Mongols, Indiens, Egyptiens, Iraniens, Sumériens, Celtes, Péruviens, Mayas) gardent souvenir d’une ère solaire aux mythes léonins : œil du ciel, cheval, géant, lion, antérieure à l’ère cancérique aux mythes lunaires. Vers 2800-2500, Sumériens, Egyptiens, Phéniciens ou Indiens pleurent la disparition du dieu ou content que ses blessures sont le fait du Serpent.

C’est vers 2350 avant J.-C. qu’apparaît le Lion sur les bas-reliefs élamites et akkadiens (ainsi qu’à Lagash). Cette mue connaît (ou crée) l’institution concrète de la Royauté. Elle dure jusqu’à l’effondrement des Perses, vers 320 avant J.-C.

L’aurore de la dernière mue du Mythe correspond à l’avènement des Parthes (Mithridate : 141 avant J.-C.), puis du Wotan nordique, des Huns asiatiques, etc. En 109, Rome reçoit l’Aigle royal comme unique emblème des légions.

On peut considérer qu’au Pérou la naissance (ou la renaissance) chimu se situe vers la même date.

En Perse, l’anéantissement des Sassanides (VIIe siècle après J.-C.) ne mit pas fin à cette mue : la religion de Mazda y était encore vivante au Xe siècle, malgré la pression musulmane.

Au Pérou, l’antique civilisation solaire des Chimus s’écroula également vers le IXe ou le Xe siècle. Au lendemain du « royaume » (dieux-poissons), le Viracocha des Incas sera plutôt un dieu cancérique qu’un dieu solaire.

La même notation vaut pour les cultes solaires des peuplades tatares et mongoles, christianisées par de légendaires Prêtres Jean (les Nestoriens) et transformés en cultes gémiques à partir de Gengis Khan et des Mongols chinois ; ainsi que pour les Celtes, dont les conversions massives commencent dès le VIIIe siècle.

7° La dernière mue de la Vierge (la seule que nous connaissions) se situe entre 2200 et 1200 avant J.-C. : elle correspond au dernier développement des royaumes crétois (Minoen moyen et Minoen récent) et à l’établissement d’un vaste Etat hittite, dont les dernières traces, vers le Taurus, datent de 1100 avant J.-C.

8° Antérieurement à ces cultes de la Vierge, nos tableaux suggèrent que ces mythes nés sous le Signe de la Balance auraient achevé leur dernière mue vers 3300 ; l’historien des religions les connaît sous le nom de mythes ouraniens et en retrouve des traces nostalgiques tout au long du IIIe millénaire. Ces traces, plus clairement rattachées à la Balance dans les Livres des Morts égyptiens, sont comparables aux nostalgies que la Vierge perdue fera naître (en Phrygie, puis en Grèce) tout au long du Ier millénaire avant J.-C.

9° Des mythes du Scorpion, nous ne connaissons que les nostalgies (antérieurement à 4000) : légendes sumériennes, vestiges égyptiens.

 

La synthèse

Or, il se trouve que ces diverses données peuvent être inscrites dans un unique tableau, dont l’extrême précision, au terme d’une recherche empirique menée sur dix millénaires à travers soixante civilisations, doit mériter le nom de « preuve ».

La concordance

J’avais établi aux deux tiers ce tableau des mythes mutants (entrepris sur la base des documents archéologiques, historiques et légendaires les moins suspects de partialité), quand je me suis avisé de sa surprenante rigueur.

Non seulement les mythes se succédaient selon des rythmes comparables et prévisibles (ce que m’avaient enseigné déjà le Rig Véda, l’Avesta, l’Apocalypse), mais ils se correspondaient dans le temps et dans l’espace, et de telle sorte qu’il fallait croire en leur mutuelle dépendance. Pour n’en prendre que quelques exemples, il était évident que la première mue gémique (Gémeaux-Lion) subissait une éclipse de deux siècles pendant le crépuscule de la seconde mue du Lion (350-150) : domination de la Macédoine sur la Grèce, création des royaumes séleucides ; ou que la première mue taurique (Taureau-Cancer) subissait une éclipse de deux siècles pendant le crépuscule de la seconde mue du Cancer (de 1800 à nos jours) : effondrement de la Turquie, éparpillement et colonisation de tous les Empires musulmans (Moyen-Orient, Afrique du Nord, Pakistan, etc.).

Pareillement, la première mue gémique ne retrouvait jamais sa pleine puissance après la mort du Lion (1050), ni la première mue cancérique (Cancer + Vierge) après la mort de la Vierge (1100 avant J.-C.), etc.

Il paraissait donc que l’éternel retour entraînât non seulement une « similitude » de tous les schémas mythiques mais une véritable interdépendance ou « déterminisme de simultanéité ». J’aboutissais, en quelque sorte, à une « algèbre temporelle » à laquelle seraient soumis tous les évènements de l’Histoire, comme en rendent compte les tableaux suivants.

Je m’aperçus alors qu’en fonction de ce second tableau, une autre formulation des cycles pouvait être établie, fondée sur l’ensemble des mythes « vivants » à chaque période :

Le flux et le reflux

Il apparaît immédiatement que le nombre des Dieux ou des Mythes vivants va en diminuant pendant certaines périodes (de 6 à 3), puis en croissant (de 3 à 6). Il serait logique de penser que leur nombre croît quand l’influence cosmique est la plus grande, qu’il diminue quand l’influence cosmique fait défaut.

Or, les dates qui ressortent de nos tableaux :

déclin :          3250-2350

                        1100-200 avant Jésus-Christ

                        1050-1950 après Jésus-Christ

regain :         2350-1100 avant Jésus-Christ

                        200 avant Jésus-Christ — 1050 après Jésus-Christ

correspondent sensiblement aux courbes d’éloignement et de rapprochement du Royaume :

Bélier : éveil : 2350-1950 ; montée au Royaume : 1950-1400 ; Royaume : 1400-900 avant Jésus-Christ.

Poissons : éveil : 200 avant J.-C. — 200 après J.-C. ; montée au Royaume : 200-750 ; Royaume : 750-1250.

Néanmoins, les deux mouvements ne coïncident pas exactement ; la divergence la plus étrange entre eux étant que la courbe de « reflux » s’amorce (par l’agonie définitive d’un Mythe) au cœur même du Royaume, où l’on pourrait penser que l’influence cosmique est à son maximum[1].

L’explication que je trouve au phénomène est que le rythme « précessionnel » demeure une invention humaine, postérieure aux premières « astrologies » sumérienne et chinoise : une grille vraisemblable posée sur un « réel » inconnu. Le second rythme est d’une autre nature et, de quelque manière, les Indiens pré-védiques, les Celtes et même les Péruviens du lac Titicaca aux VIIIe ou VIIe millénaires en avaient déjà connaissance ; car sa « réalité » devait s’imposer aux hommes aussi clairement que les alternances de la lumière et des ténèbres ou des périodes de froid et de chaleur.

Par la suite, on pourrait déduire de ces alternances des « palais » différents : le printemps, l’été, l’automne, l’hiver — ou des « moments » diurnes et nocturnes : l’aurore, le jour, le crépuscule, la nuit ; mais c’est arbitrairement alors qu’on établirait ces étapes dans un mouvement interrompu. Quand quitte-t-on le jour pour le crépuscule, le crépuscule pour la nuit ? Scientifiquement, on l’établit avec une extrême rigueur par des horaires fondés sur les mouvements de la terre ; humainement, on le ressent avec moins de précision — et les deux connaissances ne coïncident pas toujours. Le soleil éclaire encore, alors qu’il n’est plus là ; il éclaire avant d’apparaître.

Mais c’est une autre image à laquelle je songe : le mouvement des marées sur une plage du Nord où, quand la mer se retire, elle se retire si loin qu’on ne la distingue plus. Elle s’approche (le flux) sans que personne en ait conscience. Un homme a de meilleurs yeux et l’annonce, seul d’abord ; mais personne ne l’écoute. Un peu de temps passe, puis on commence d’entrevoir la mer, de distinguer que quelque chose bouge là-bas. Alors, elle vient très vite, et de plus en plus vite. Les coquillages sortent du sable, comme attirés par une promesse de fraîcheur ; sur les rochers, les algues desséchées revivent — et la mer envahit la plage.

Son premier acte y est de destruction : les châteaux de sable, les tentes oubliées là et les gens qui s’attardent sont submergés, noyés ou balayés. Enfin, voici la mer étale, l’eau salée, fraîche, où les petites vies vont renaître, les grandes se purifier. Le Royaume…

Mais, quand le reflux a commencé, de même, personne d’abord ne s’en aperçoit. Le Royaume est toujours là : l’eau qui, lentement, se retire, baigne encore, rafraîchit, ravive les existences. Une heure s’écoule avant que la plage soit de nouveau veuve de la mer. Et, même alors, l’humidité l’imprègne, l’odeur saline purifie l’air, il y a des trous dans le sable où l’eau est demeurée. Il faudra qu’encore un peu de temps passe pour que la mer ne soit plus qu’un souvenir, que des milliards d’animalcules meurent sans connaître la joie de la vie et que les enfants reconstruisent des châteaux sur un sol cru durable et stable, dans l’oubli que la mer existe et périodiquement revient.

Cette analogie contient toutes les phases du grand mouvement alternatif que nous avons analysé : les deux fléaux s’y retrouvent : raz de marée, puis sécheresse ; le prophète également, et ces quelques-uns, rares, les saints ou les poètes, qui gardent le souvenir comme un trou de sable l’eau. L’incrédulité s’y retrouve, puis le temps d’attente et la joie. Si bien que ceci doit être autre chose qu’une image : un parallèle exact entre le flux et le reflux des mers et cet autre va et vient cosmique, où s’approchent des planètes ou s’en éloignent de grandes vagues d’énergie, comme soumises aux pulsations régulières de quelque « cœur » inconnu de notre Voie Lactée.


[1] Cependant, cette amorce du « reflux » est caractérisée par une soudaine perte d’innocence, un amoindrissement de confiance dans le Dieu, au cœur même du « royaume ». Vers 1100 avant J.-C ;, les « tribus » d’Israël demandent un roi. Vers 1050 après J.-C., la naïveté, la pureté de l’art roman cèdent à l’enrichissement, à l’orgueilleuse splendeur des cathédrales gothiques.

Jean-Charles Pichon 1963

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LES JOURS ET LES NUITS DU COSMOS – CONCLUSION

CONCLUSION

 

Au terme de notre étude, pouvons-nous définir le « retour éternel » ? Mathématiquement, je le pense ; spirituellement, moins que jamais. Nous avons vu que pour les bouddhistes et les chrétiens de l’ère des Poissons, le Retour se présentait comme une saisie ou un rejet de l’Universel ; pour les Israélites du Royaume, comme un don et un retrait de Dieu ; pour les prêtres-rois du Taureau, comme une création ou une destruction immanentes et concrètes ; pour les témoins des Gémeaux, comme une dialectique élémentaire ; pour les Sages de l’ère cancérique, comme une préhension ou une appréhension de la réalité — et l’on peut croire que pour les Celtes, les Perses, les Huns, les Mongols, il ne fut que la victoire périodique, renouvelée, de la lumière sur les ténèbres.

Qu’est-ce donc ? Une alternance du jour et de la nuit ? Un reploiement du temps sur soi-même ? Un va et vient où des démons joueurs se complaisent ? La création d’un Etre qui nous rêve et nous oublie, comme le romancier rêve et quitte son héros ? La main sans cesse offerte et retirée d’un Juge ? Une immense Passion qui se lasserait d’aimer ? C’est à la fois tout cela — et autre chose puisque, demain, les hommes du Verseau inventeront pour l’exprimer une autre image, tout aussi vraie, tout aussi fausse.

Or, l’important n’est pas l’exactitude ou la fausseté de l’image (car, mythiquement, il n’est de vérité que temporelle : nos erreurs d’aujourd’hui furent vérités hier ou le seront demain) ; mais, très précisément, son efficacité. En effet, plus nous avons avancé dans notre recherche, plus clairement nous est apparu que ces images mythiques, les Symboles, sont doués d’une existence propre, de pouvoirs de survie, de communication, d’envoûtement indéniables, dès l’instant qu’ils s’inscrivent dans une courbe donnée, rythme adapté au temps où ils s’exercent et pourtant harmonique à d’autres temps, où coexistent d’autres Mythes, eux-mêmes soumis aux Lois de l’Univers — ensemble de tous les rythmes et de tous les rapports. Si bien que le « principe de causalité », fût-ce sous sa forme la plus naïve, n’était pas faux, mais insuffisant, tronqué.

Voici cependant l’instant de distinguer entre ce « rationalisme d’hier » et les tendances contemporaines des sciences, moins « réalistes » qu’on ne l’imagine. A la superstition du fait, le biologiste et le physicien, comme l’historien et l’ethnologue, ont substitué la notion d’information, infiniment plus subtile. Ce sont des informations que la macromolécule communique aux cellules vivantes, et ce sont de même des informations que le chimiste et l’ethnologue recueillent au terme de leurs recherches. Il y a là plus qu’un jeu de mots : l’indice d’une véritable identification entre la relativité de nos connaissances et la relativité des lois et des principes aux quels se soumettrait le Réel même.

Nous croyons savoir qu’il en est ainsi ; et, d’une certaine manière, une réalité relative et temporelle ne fait également que croire en sa propre existence. Ces « informations » ne sont pas éloignées des « monades » leibniziennes. Encore un pas, et nous devrons reconnaître que les plus hauts penseurs : Platon, Saint Jean et Marc-Aurèle, Saint Thomas, Saint Albert et Spinoza, Leibniz, Edgar Poe, Nietzsche ne s’y trompaient pas : ce n’est pas la Raison qui crée les Mythes ; ce ne sont même pas les peuples ; et ce qu’ils créent — philosophies, divertissements, techniques — n’influence qu’accessoirement leur évolution réelle. Car, dépouillée de l’anecdote (le récit renouvelé des guerres), l’Histoire évolutive de l’homme se réduit à quelques thèmes sacrés — six en douze millénaires — que l’humanité périodiquement s’efforce de s’assimiler et de matérialiser dans des œuvres durables.

Quant aux grands guides rationalistes qui, d’Aristote à Sartre, en passant par Houang Ti, Auguste, Torquemada, Descartes et Loyola, Karl Marx et Ford, ont tenté de justifier le processus inverse, par l’aberrante notion de « progrès planifié », je ne vois pas qu’ils aient fait autre chose que beaucoup de mal, provocant les conflits, fanatisant les masses, enorgueillissant l’homme et le désespérant. L’essence ne précède pas et ne suit pas l’existence. L’essence est l’existence : là où elle fait défaut (lorsqu’on lui substitue des valeurs planifiantes, référentielles), le vivant doit renoncer à être ; il ne peut plus que subsister — peu de temps !

Mais toute existence est conditionnée par sa propre forme, et toute forme par ses limites : le contenu par le contenant. De même, toute « essence » ne peut être conçue que comme un rapport, un lien du contenant au contenu ; à tel point que la croyance en l’Essentiel a toujours entraîné une foi panthéistique (Marc-Aurèle, Spinoza, Poe, Nietzsche) ou universaliste, Dieu étant l’Ame des âmes ou le Registre des Idées (Platon, Saint Thomas, Leibniz, Bergson), c’est-à-dire une conscience aiguë et permanente des rapports de la partie au tout. Nécessairement contenu, l’Etre n’a d’autre choix que d’accepter l’osmose ou la refuser ; et c’est en fait le sens du millénaire conflit entre les mystiques d’une part, les rationalistes de l’autre.

Cependant, le combat n’est jamais égal, ni son issue douteuse. Dans les époques d’étroite soumission au cosmos (où vit le Dieu), le rationaliste n’a guère de chance d’être entendu : on le tuera comme l’incarnation du Mal, ou bien on l’exposera sur la place publique, en témoignage de ce qu’est un « possédé », un « exclu ». Dans les époques où l’homme est libéré de l’influence cosmique (où meurt le Dieu ancien, où germe le Dieu nouveau), le mystique sera considéré comme « aliéné » et soigné (ou rejeté) comme tel. Et cela est bien et juste, car le mystique ici, le rationaliste là, sont réellement « autres », aliénés, séparés ; ils vivent ailleurs que dans leur temps.

 

Liberté ou puissance

Une différence, toutefois — et singulière ! Les époques mystiques sont précisément celles où naissent les œuvres les plus originales, où s’imposent les plus puissantes personnalités ; les époques matérialistes, dites « de liberté », celles où les lois sociales imposent aux hommes la plus manifeste uniformité — jusqu’à l’instant, fatal pour eux, où ils ne présentent plus nul caractère individuel. Aux créateurs géniaux des ziggourats, des pyramides, que l’on compare le morne peuple assyrien ; aux prophètes d’Israël les mornes écrits romains ; aux cathédrales, aux œuvres des bouddhistes chinois, aux statuettes toltèques, l’architecture des H.L.M. et des buildings américains. A quel point tous les hommes devaient se ressembler à l’époque de la toge et des Jeux dans le cirque, nous pouvons en juger à l’époque du veston et de la consécration de Monsieur Tout-le-monde par le jeu télévisé.

Ainsi tombe le dernier argument opposé au mythe du Retour : admettre la loi des cycles, n’est-ce pas dénier à l’homme toute liberté ? Cet argument n’est jamais démontré, et l’on imagine mal comment il pourrait l’être. Qu’on admette ou refuse les Cycles, voit-on survivre éternellement une religion, un empire ? Voit-on un homme survivre ?

Ne sommes-nous pas liés au même rythme de vie, de la naissance à la mort, et ne vivons-nous pas en le sachant ? Cette âpre connaissance nous empêcherait-elle de jouir, de procréer et de créer, de vouloir ? Pourquoi donc une cité, un peuple cesseraient-ils de s’épanouir et d’accomplir leur tâche en sachant que la loi de toute chose est la leur ? Mais il ne semble pas qu’une nation s’épanouisse en l’ignorant.

Mircéa Eliade l’a remarqué : « L’homme des civilisations archaïques est libre à tout moment de n’être plus ce qu’il fut, libre d’annuler sa propre « histoire » par l’abolition périodique du temps et la régénération collective[1]. » Et cela est vrai pour tous les hommes de la tribu. Au contraire, « la liberté de faire l’histoire, dont se targue l’homme moderne est illusoire pour la quasi-totalité du genre humain[2] ». Car ce n’est pas au temps du Royaume (Israël, Moyen Age chrétien) que s’imposent les Dictateurs, c’est au temps de la chute de Sumer, dans le sage monde hellénistique — ou dans notre siècle raisonnable[3].

En effet, quoi qu’on pense de l’éternel retour, il reste que toutes les époques, et celles-là mêmes où on le nie, y demeurent liées et soumises : les Instructions des pyramides ou les écrits de Pline l’Ancien, entre autres, sont là pour le prouver. Sans doute les Egyptiens du IIIe millénaire et les Romains du Ier siècle n’avaient-ils pas conquis l’espace ni désintégré la matière. Ils n’en étaient pas moins assurés de survivre ; et leurs cités, leurs traditions et leurs cultures n’en furent pas moins détruites, inexplicablement, comme soufflées par le verbe d’un vieillard irascible ou d’un jeune crucifié.

Tous les esprits ne sont pas mûrs pour cette révélation ; il en est qui préfèrent penser que l’évolution humaine fut l’œuvre des grands empires techniques et combattants : hittite, assyrien, romain ou espagnol. Rêvent-ils ce cauchemar : que la cruauté d’Assour ou le sadisme romain n’aient jamais eu de terme ?

Toutes les sociétés « rationalistes » ne sont pas cruelles ou sadiques ? Sans doute. Le mal qu’elles accomplissent par vertu n’en est pas moins grand. Notre tolérance et notre humanisme, pusillanimes jusqu’à la mièvrerie, hygiéniques jusqu’à la nausée, ont déjà fait pousser les champignons géants d’Hiroshima et de Nagasaki ; ils cultivent d’autres démons. Qu’est-ce qui permet le Fléau ? C’est qu’il fut nié.

En un temps, le début du XIXe siècle, où il y avait quelque mérite à s’en souvenir, Joseph de Maistre le rappelait expressément : « Les savants européens sont dans ce moment des espèces de conjurés ou d’initiés, ou comme il plaira de les appeler, qui ont fait de la science un monopole et qui ne veulent pas absolument qu’on sache plus ou autrement qu’eux. Mais cette science sera incessamment honnie par une postérité illuminée qui accusera justement les adeptes d’aujourd’hui de n’avoir pas su tirer des vérités que Dieu leur avait livrées les conséquences les plus précieuses pour l’homme[4]. »

Plus nettement, quatre-vingts ans plus tard, Nietzsche le redisait en une formule terrible : « Voyez, dans l’évolution d’un peuple, les époques où le savant passe au premier plan : ce sont des époques de fatigue, souvent de crépuscule, de déclin — c’en est fait de l’énergie débordante, de la certitude de vie, de la certitude d’avenir[5]. »

Le merveilleux est que, bon gré mal gré (et contre l’homme lui-même, qui se cramponne), ces périodes passent et l’homme se retrouve soumis à l’univers qu’il avait prétendu régir. « Alors, toute la science changera de face : l’esprit, longtemps détrôné et oublié, reprendra sa place. Il sera démontré que les traditions antiques sont toutes vraies, que le Paganisme entier n’est qu’un système de vérités corrompues et déplacées ; qu’il suffit de les nettoyer pour ainsi dire et de les remettre à leur place pour les voir briller de tous leurs rayons[6]. »

La prédiction n’était pas des plus banales au temps du premier Empire ; elle le serait aujourd’hui, où nous voyons de Broglie, Heisenberg lui faire écho : « L’espace dans lequel l’homme se développe en tant qu’être spirituel a plus de dimensions que celle-ci seule où son activité s’est déployée au cours des derniers siècles. On pourrait en conclure que, après de longues périodes, l’acceptation consciente de cette limite conduit à une certaine stabilisation où les connaissances et les forces créatrices de l’homme s’ordonnent d’elles-mêmes autour d’un centre commun[7]. » Ce centre, il na saurait être le concept de « quantité » par lequel un Louis Armand prétend remplacer la Forme, pas plus que le démon Légion n’eût suppléé à l’espoir suscité par le Logos[8]. Des « philosophes » le croient encore ; on doit les plaindre, quand le biologiste ne le croit plus.



[1] Mircéa ELIADE, Le mythe de l’éternel retour.

[2] Idem.

[3] Pour ne point parler de cette autre espèce de dictature qu’exerce le « technicien initié » (architectes égyptiens et sumériens du IIIe millénaire, médecins, rhéteurs, navigateurs du Ier siècle avant J.-C. ; physiciens, biologistes, etc., de nos jours).

[4] J. DE MAISTRE, Les soirées de Saint-Pétersbourg, (1809).

[5] Frédéric NIETZSCHE, La Généalogie de la Morale, (1887).

[6] Joseph DE MAISTRE, opus cité.

[7] W. HEISENBERG, La nature dans la physique contemporaine. C’est également la « révélation » de TEILHARD DE CHARDIN : « Par jeu conjugué de deux courbures, toutes deux de nature cosmique — l’une physique (rondeur de la Terre), et l’autre psychique (l’attraction du Réfléchi sur lui-même) —, l’Humanité se trouve prise, ainsi qu’en un engrenage, au cœur d’un « vortex » toujours accéléré de totalisation sur elle-même » (La place de l’homme dans la nature, le groupe zoologique humain, Albin Michel, 1956).

[8] LOUIS ARMAND, de l’Académie Française, Plaidoyer pour l’Avenir.

 

[…]

 

Dieu

Le rationaliste cherche la Vérité. Le mystique pressent qu’elle peut se trouver, mais qu’elle ne se cherche pas, comme si l’action même du chercheur interdisait de la saisir entière. Car il chemine et ne voit pas ce qui demeure ; ou il s’arrête pour observer — et ne voit pas que tout continue. Il s’ensuit que le Réel n’est pas nommable, qu’à l’échelle du raisonnement il n’existe pas — et que chacun peut le créer, en le nommant.

Ou bien cette création se soumet au mouvement de l’évolution ; alors, elle est fructueuse, bonne et durable. Ou bien, elle ne s’y soumet pas, soit anachronique, soit prématurée et son échec démontre son erreur. Donc, il convient d’abord de garder les yeux ouverts et l’esprit libre. « Ayez toujours de l’huile dans votre lampe, disait Jésus à Marie, sœur de Marthe, pour être prête quand l’heure viendra. » Et Mahomet, plus présentement encore : « Là où tu tournes les yeux, là est la face d’Allah. »

Donc, aussi, s’oublier soi-même. « Toutes les catastrophes, toutes les souffrances, tous les dangers qui menacent le monde trouvent leur source dans l’attachement au Moi, pourquoi y rester attaché ? », dit un texte bouddhique du XVIIe siècle. Puis, se soustraire aux illusions des sens et de la connaissance rationnelle, car « des murs forment la maison, mais le vide qui s’étend entre eux constitue l’être de la maison »[1]. Se faire regard, absence, accueil. Attendre et voir : consigne suprême de la réalité mystique.

Plus que jamais, voici l’instant de l’appliquer, en cette fin du XXe siècle où, pour la première fois depuis deux millénaires, Dieu peut être conçu hors des mythes qui l’ont incarné (puisque nulle Eglise n’est plus assez forte pour l’y asservir), sans que son Nom soit objet de rire ou de mépris (puisque les temps du matérialisme s’achèvent) ; en ce temps, le nôtre, où quelque nouvel Abraham va pouvoir évoquer Elohim, tous les dieux, quelque Christ prononcer les sublimes paroles : « L’heure vient où l’adorateur n’adorera plus dans un temple ou sur cette montagne, mais en esprit, en vérité[2]. »

Le Dieu qui vient, je ne sais ce qu’il sera, et je Le sers en L’ignorant, en avouant mon ignorance ; mais je sais ce qui peut m’interdire de L’accueillir quand Il sera là : le refus de ma place dans l’Univers, les œillères de l’orgueil, le mutisme de l’égoïsme, les railleries de la vanité. Je crois aussi que tous les hommes, un jour ou l’autre, accèdent à ce pressentiment ; mais c’est pour la plupart au moment de leur mort — trop tard, et non seulement pour eux mais pour les destinées de notre humanité, car il n’est pas de progrès pour elle — pour nous — qui ne soit dans le sens du progrès inimaginable de l’Univers.

Il reste que ces vérités, dures et précises, sont lettre morte pour celui qui ne les a pas organiquement vécues. Quant à celui qui les vit (dans la joie, la puissance que donne l’abandon aux Forces Régulatrices), bien vite aucune action ne lui semble préférable à la naïve prière — que toutes les religions, toutes les hiérophanies, tous les mystiques ont enseignée.

« Kal est l’âme immortelle, connaissance et pensée, il gouverne les vivants, il règne sur les morts ! » proclamait un hymne égyptien du IIIe millénaire avant J.-C. Cinq siècles plus tard, un auteur anonyme du Rig-Véda priait le dieu nouveau (bélique) de se laisser nommer ; Saint Paul s’humiliait de même devant la stèle au Dieu Inconnu et quotidiennement, aujourd’hui, la prière du moine tibétain renouvelle la supplication. L’hindouiste du XVe siècle honorait en Çiva celui qui danse pour la conservation du monde : « Toi qui, au-delà de tout, renfermes tout ! », et Apulée, au second siècle, glorifiait de même Isis en la nommant l’Eternelle Renaissante.

« O Toi qui, avec plus ou moins d’argile blanchâtre, as donné aux hommes différentes couleurs, garde-nous, et nos femmes et nos enfants, sans préférer les hommes rouges aux noirs, les noirs à ceux qui sont plus noirs que la nuit et les hommes pâles à ceux qui sont plus blancs que l’aube », supplient encore certains Indiens (Winnebagos) du Wisconsin.

C’est la prière cachée de l’incantation que je prononçais naguère chaque soir en m’endormant (et dont je puis aujourd’hui seulement rétablir le sens véritable) :

« Père, qui meus les roues du ciel, toi qui donnes le blé, la paix, l’amour et l’œuvre, qu’en tous tes noms ton Nom soit sanctifié ! Qu’une fois encore ton Royaume arrive ! Qu’une fois encore ta Volonté soit faite sur la terre comme elle est faite dans les cieux ! Et qu’il en soit toujours ainsi ! »

Jean-Charles Pichon, 1963


[1] LAO TSEU, le Tao Te King, II.

[2] Selon Jean, IV, 21-24.

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L’ARBRE ET LA FORET

Le 28 octobre 1994, à l’occasion de la réédition de son livre « L’histoire universelle des sectes et sociétés secrètes », Jean-Charles Pichon a donné à Nantes, à l’instigation de Lauric Guillaud, une conférence intitulée « L’arbre et la forêt ». Il y parle, entre autres sujets, des visions du monde selon les rationalistes et les mythologues, des travaux de ces derniers sur l’histoire des croyances de l’humanité…

(Document audio)

Il manque certains passages, le temps de changer de cassette…

L’ARBRE 1

L’ARBRE 2

L’ARBRE 3

L’ARBRE 4

L’ARBRE 5

L’ARBRE 6

L’ARBRE 7

L’ARBRE 8

 

Illustration Pierre-Jean Debenat

 

 

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LA QUESTION ET LE JEU

AVANT-PROPOS

« La Question et le Jeu » fait partie d’un vaste ensemble intitulé « Le Rire du Verseau », qui comporte plus d’une dizaine d’ouvrages.

Presque à chaque fois que j’allais voir Jean-Charles, il me parlait de son récent travail, puis me disait : « C’est le dernier, je n’ai plus rien à dire ». Et 6 mois plus tard, la même scène se reproduisait.

Pourquoi ajoutait-il sans relâche — ou presque — un nouvel ouvrage à cette somme? Il nous en fournit au moins une réponse dans la préface de l’un d’eux, intitulé « L’Enigme », que je vous livre ici, à titre de témoignage sincère et prenant.

Pierre-Jean Debenat

 

L’ENIGME

 

Le propos de cet opuscule ne fut pas de résumer six mille ans d’histoire et autant de poèmes, d’études, d’assertions et de claires remises en question, comme l’ont tenté les six mille pages écrites pendant près de soixante ans. Il ne fut au départ — il y a six mois — que de résumer la trentaine d’ouvrages accumulés.

Mais ces livres, en effet, ne faisaient que résumer, c’est-à-dire reprendre, répéter au plus court les six mille qui m’ont précédé.

Ils n’apportaient rien de neuf à ce que mes pères ont dit; ou, plutôt, s’ils en apportaient, ce n’était que ce nouveau particulier, étrange, que toute œuvre comporte, tissé de paradoxes, d’insuffisances et d’approximations. Ils ne permettaient aucune saisie du Tout, sinon — parce qu’il reste un vestige, tout de même, de tout travail — un dédoublement de l’Enigme.

Le saisissable : nombrable, figurable, nommable, est faux ou, sinon, frappé par la faux au terme : partiel et mortel. Ma lecture de l’univers doit être sans cesse modifiée.

L’insaisissable, innombrable, infigurable, innommable, qui me demeure caché, demeure aussi, hors de tout change, l’objet de ma quête ou de mon œuvre, comme seule réalité, si bien que je ne puis pas m’arrêter de quêter ou d’œuvrer — sans fin.

Il devait donc m’apparaître un jour, enfin, que ce qui peut — ou doit — résoudre l’énigme, insaisissable mais « donné », saisissable mais craint, rejeté, maudit était ce particulier, paradoxal ou approximatif qui gênait à la fois dans les œuvres d’autrui et dans les miennes. L’œuvre à faire pouvait et devait être la plus courte possible, particulière, originale, nouvelle en tous ses mots, figures et nombres. Non pour qu’elle soit plus belle, plus vraie, meilleure que toutes les autres, mais pour qu’elle soit autre et jamais encore proposée.

Si, dans les pages qui suivent, on cherche des vestiges, des traces du plus ancien, du plus commun, du plus durable, on les y trouvera certainement. Mais c’est qu’on ne fait du neuf qu’avec du vieux.

Un autre jour — lointain? je l’ignore — ce que j’expose ici sera lui-même ancien, commun, au terme de sa durée.

La justification de l’opuscule? Ce jour n’est pas le mien.

 

Jean-Charles Pichon

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« Pourquoi cela est-il là, plutôt qu’une autre chose? » Parce que le temps est venu de meubler le local et d’en ouvrir les fenêtres.

I

LE JEU DES QUESTIONS

 

1

Lexique

 

La question de Martin Heidegger semble à ce point générale que sa généralisation peut offenser. Celui qu’elle offense tentera de la ridiculiser; il y parviendra sans peine :

Qu’est-ce que Cela?

Comment est-ce « Etre »?

Où est-ce, là?

Le « Où » exige un territoire – ou une carte. Dans la pensée du questionneur, s’agirait-il d’une concrétisation (la France, l’Europe, l’Occident), que localise seulement une cartographie: de la France dans l’Europe, de l’Europe dans l’Occident?

Ou s’agit-il d’un territoire: celui où je vis, celui que j’occupe, celui que je vois: un marais de la Brière ou de la Camargue? De pures virtualités (ou de simples images) pour celui qui n’y vit pas?

Une institution que l’homme du pays tient pour le produit d’une machine (française, européenne, mondiale)?

Une constitution organique, que l’homme d’un Etat doit tenir pour un rêve: le pays, un simple composé de légendes, de traditions, d’images fugitives et contingentes?

Le « Comment être » pose une question plus exigente. Car, dans la question de Martin Heidegger, le copule « est » est, bien évidemment, le plus imprécis… Depuis que l’humain existe – des milliers, sinon des millions – d’années, rares sont ceux qui ont défini l’être, et ceux-là même sont si nombreux, contradictoires, qu’ils ne nous ont laissé aucune réponse certaine: est-ce obéir, se révolter? Disjoindre, joindre? Se remplir, se vider? Etre JE, est-ce vivre pour moi, perdurer, m’accomplir? Pour toi, que j’aime ou contre toi que je hais? Ou pour lui, que j’ignore et qui me presse?

Suis-je plus entièrement, absolument, au Nord, au Sud, à l’Est, à l’Ouest, quand je regarde en haut, en bas, vers ma gauche ou ma droite? Quand j’ambitionne une condition avouable, ou ma libération?

Le problème est trop complexe pour que je l’aborde de front.

Reste la question la plus courte, si évidente qu’elle bloque l’esprit et rend la question dérisoire: qu’est-ce que Cela?

Est-ce une image, virtuelle dans le rêve (une chaise, une table), ou l’image de cette chaise, de cette table hors du rêve?

Est-ce le symbole concret, visualisé, que portent les dessins de la tapisserie, de tout « mandala », de tout ésotérisme? Ou le symbole mathématique, physique, chimique, astrophysique, dont se constitue toute machine humaine?

Nous commencerons par là.

Le vocable

Les trois questions annexes, sitôt que je les pose, m’apparaissent plus mêlées que Heidegger ne le prétend. Je ne puis suggérer l’une sans évoquer la seconde – et la troisième.

Car si Cela est une image ou un symbole, l’une et l’autre, nous le voyons, peuvent être concrets (liés à un territoire) ou abstraits (cartographiés) et leurs êtres, par suite, sont de natures différentes, non seulement entre eux mais en soi-même (concret ou abstrait, réel ou virtuel).

Dans tous les cas, une dualité perdure, qui fait dilemme: « cela, plutôt qu’autre chose ». Et cette contradiction doublée – interne, externe – se présente au questionneur comme une inversion constante – ou bien toujours possible – : de cela à son contraire (ceci).

Or, si je traite de Où?, je dirai une figure – topologique au premier chef: une carte ou un territoire. Mais, seule une étendue peut être figurée: l’aspect de la chose. Le concept ne l’est pas, que je dois symboliser: Dieu, la vie ou la mort. Je ne puis donc voir en Cela seulement une figure.

Si je traite du : Comment être? cela doit être nombré, soit par la distance qui sépare cela de la limite (du territoire ou de la carte): les cardinaux, soit par la progression de la chose en + ou par sa dégression en-. Mais des Cela ne peuvent être nombrés ou calculés, sinon par l’à peu près, l’approximation, qui préside au calcul. Ainsi de la constante de Planck, « h », mesure de la double erreur commise sur la distance (la probabilité de position) et la vitesse du corpuscule (sa quantité de mouvements). Cependant, « h » est bien un Cela, et toute une science s’y fonde.

Mais l’insituable, non figurable, et l’innombrable (l’Unité) peuvent toujours être nommés: Dieu ou JE. Par le vocable, la question: « Quoi cela? » embrasse la figure (l’aspect) et le non-figuré (le concept), le mesurable, en +, en -, et le non-mesurable: l’être en soi.

Qu’en est-il donc de l’inversion, si je ne traite que du Cela le plus généralisé: le vocable?

1) il peut s’inverser dans sa forme, ou par la position de la lettre dans le mot, si je traite du vocable comme « signifiant »;

2) il peut s’inverser par son sens, ou la tendance, la direction que la phrase lui donne, si je traite du mot dans la phrase (son signifié).

Car le mot (signifiant) contient des lettres (elles-mêmes signifiantes). Mais il contient aussi des sens divers, s’il est un homonyme. Il est contenu dans quelque phrase – signifiante ou non -, mais aussi en tant que signifié dans des contenants formels, des signifiants synonymes.

1) l’inversion des lettres dans le mot

Aucun exemple n’en serait plus probant que celui que donne Lacan dans son séminaire, lorsqu’il traite de l’Agalma de Platon, en son Banquet (et en d’autres oeuvres, telles que le Phèdre, dont Lacan ne parle pas).

L’Agalma est un mot de Socrate, qui le définit: une monture, un enchâssement (son « âme »), dont il fait une monture tout autre, un coursier, sous le nom de « destin ».¨

Parce que Socrate est une manière de dieu, auquel rien ne répugne, il n’a cessé d’avouer, tout au long de sa vie, que le montage est fait de parures (le bracelet d’or et de pierres précieuses) et que son destin, son coursier, lui est ultime défense, parage, ainsi qu’il l’expose à Criton, dans le discours nocturne qui précède sa mort. Il suggère, dans et hors l’Agalma d’autres amalgames: ceux qui font font le miroir et le mélange. L’Agalma, ainsi, n’est plus qu’une parade: des parures exposées à la défense (parage) qu’offrent toutes les banlieues.

Platon n’expose pas ces parures: il les intériorise, par les 3 Vertus.

Il n’avoue pas vraiment les défenses, les parages: il les extériorise, les image, par les 4 jeux.

Lacan n’en dira rien, ni de l’amalgame, car que serait l’analyste qui s’avouerait miroir en même temps que mélange? Mais il dira l’affect, qui trouble le malade, l’affectation que doit feindre le médecin. Il cherchera, éperdument, une monture/support (le symptôme certain) entre l’enchâssement des parures (des images) et le coursier qu’on nomme la vie (en ses symboles). La 3è monture: toujours un vocable, dont il jouera, s’y fiant.

Cette 3è monture, la parade, entre la parure et le parage, Platon la nomme: Idée – et Kant, le répétant: Catégorie. Quant au symptôme, entre l’imaginaire et le symbole, on sait assez que ni Lacan, malgré ses « noeuds borroméens », ni aucun de ses successeurs n’ont su clairement le définir.

Pour nous tous, le problème demeure ce qu’il fut pour les hellénistiques: le choix nécessaire -et impossible – entre Agalma et Amalga.

L’inversion d’une lettre.

2) l’inversion des mots dans la phrase

Elle se dénonce d’abord en l’origine d’un dieu; ensuite, en son déclin.

Les quatre siècles qui ont précédé le Christ ou le Bouddha de Charité Cakyamouni apparaissent entièrement contenus dans l’inversion nécessaire de « l’amour de la science » à « la science de l’amour »: des sophistes aux élégiaques, mais aussi de Socrate à Jésus.

Un renversement analogue caractérise les quatre siècles que nous vivons, de 1728 à 2160 (ou plus ou moins): de la « création de la liberté », fruit de la Franc-Maçonnerie spéculative, à la « liberté de la création », à laquelle nous aspirons tous.

Des 3: un Hermès trismégiste ou notre trilogie républicaine (Fraternité, Egalité, Liberté), aux 4 que formule le Christ, que l’Esprit formulera.

En la dégénerescence du dieu – ou, tout au moins, en la constatation de son déclin – l’inversion se présente comme différente, plus tragique, mais ce n’est encore que celle du mot dans la phrase.

Il y a deux mille ans, le Taureau se mourait, il s’absentait ou « s’endormait » puisque les dieux sont immortels. Après quatre mille ans de triomphe, puis de conflits. Dès Socrate et Platon, des centaines de prophètes avaient prédit cette fin (l’éloignement du démiurge), ils attendaient la Création Dernière (et la fin de toutes ses créations, y compris l’Homme).

Quand cela se produisit pourtant, au 2è siècle avant J.-C., par la destruction des 7 merveilles, des Jardins de Semiramis, du premier Phare d’Alexandrie, du Colosse de Rhodes, du Sphinx d’Alexandrie, de la Lampe éternelle, on constata qu’il ne s’agissait que d’une « dernière création ». Et, de fait, Rome ne créa plus rien, elle ne fabriqua que des copies et des plagiats d’Homère, de l’atrium, de la colonne, d’Hippocrate et d’Euclide – jusqu’à sa fin, quatre siècles plus tard. Le démiurge fut honni de tous (les élégiaques, puis les chrétiens) et par Augustin encore. Mais ce ne fut pas la Création Dernière: d’autres suivirent, par un Islam, puis une Chrétienté triomphants.

De même, depuis le 18è siècle, des milliers de prophètes attendent le Jugement Dernier, en une fin du monde telle que toute vie y disparaîtrait, rendue au Paradis ou à l’Enfer. Mais tout ce qui se passe dans le monde nous montre qu’il ne s’agissait en fait que du « dernier jugement ». Seule la Justice s’abîme, non pas l’humanité, bien que le passage soit aussi rude de « l’homme bon » au « bonhomme », dans le désastre, que le passage inverse, merveilleux, de « la création de la liberté » à « la liberté de création ».

3) Il reste que la sous-question générale: Quoi cela? en entraîne une troisième: si le cela s’inverse toujours en un ceci, par déclin ou par renaissance, quel est le cela nominé, un change, qui motive cette corruption ou autorise ce regain?

Ou bien: quelle porte ou quel seuil (imagés ou symbolisés) se dressent au milieu de l’ascension ou de la chute – ou quel chemin s’est-il ouvert ici ou là?

Je répondrai brièvement, ne traitant que de cela:

a) ce chemin est une déchéance, mais le vocable ne déchoit qu’en son sens;

b) cette porte lui échoit, mais il n’est d’échéance pour le vocable élu qu’un changement de forme.

La déchéance, le change de sens, se dira une métonymie.

Le change de forme – ou de position formelle – se dira une métaphore.

a) la déchéance

Elle s’opère par le canal de la pluralité des sens.

J’en donnerai ces 3 exemples, de déclins consécutifs à l’apogée d’un dieu: de Création, de Justice, d’Amour; les changes de sens d’Opus, de Prescription, de Caritas.

1) Opus ne dit pas l’oeuvre sans dire l’opulence: une saisie de la totalité du monde. Il porte encore ce sens dans l’ancienne Grèce et même dans le vieux latin: opulentia. C’est peu à peu que le vocable restreint son acception, pour dire seulement: l’oeuvre de création, puis, finalement, un court ouvrage, un opuscule, seulement technique.

Quand le Taureau s’endort, ou la Vache, il n’a plus que ce dernier sens. Et, quand la Vache renaît, dans l’Inde ou dans l’Islam, rénovant le Souverain Créateur, l’Oeuvre renaîtra tout autrement, pour ne rien dire de l’opulence.

2) D’Abraham à Moïse, dans la divinité présente de la Justice (Iaveh, Brama), « prescription » dit: ce qui est avant toute inscription, pour que l’Inscription soit. Car nul n’écrit les lois encore: seul, Dieu les dicte au Juge, à l’Inspiré.

Mais, déjà, quelque hérétique, un servant de l’antique Créateur Mardouk ou Apis, le Taureau, a écrit des lois. Ces Hammourabi ou Ptah ont donné au vocable le sens: ce qui inscrit, imposé par là-même. Après Moïse, le Grand Inscripteur, les édits se multiplieront et les nouvelles rigueurs de même, bien que mille prophètes, justes ou législateurs (de Salomon à Solon) s’opposent à la perversion de sens, se veulent encore des inspirés.

Il faudra Jésus ou Cakyamouni (après le Jésus du Temple et Gautama) pour que « prescription » emprunte un 3è sens: non plus ce qui est avant l’écrit, non plus l’écrit, mais l’oubli de l’écrit, par humaine compassion.

Puis, deux mille ans seront nécessaires pour que « prescription » perde ce troisième sens et disparaisse, abolissant toute justice. Car, en ce 20è siècle, quelle prescription est de Dieu? Laquelle écrite une fois pour toutes, dans l’afflux des jurisprudences? Laquelle peut se dire oubli, pardon, au temps de Dreyfus, des procès de Moscou, de Nüremberg et de la poursuite échevelée de quelque bouc émissaire?

On ne sait plus, ne régit plus, ne pardonne plus. On tue ou l’on enferme à vie, au tribunal avant la prison ou l’asile.

3) Caritas (Charité) ne connait pas ce destin: il ne l’a pas vécu jusqu’au bout, puisque son dieu n’atteint qu’à ses deux mille ans de vie. Mais, en lui aussi, l’agalma cède lentement à l’amalgame. Le divin Amour s’est fait pitié, clémence, compassion. Il a pris le sens d’entraide sociale. Comme l’opus et la prescription, la charité doit cesser d’être l’apanage d’un seul (l’Etre-dieu) pour se perdre dans les plusieurs, sinon les opuscules et les jurisprudences:  le charisme, qui attire, l’aumône, qui soutient. Comme les livrets naguère ont perdu l’opulence, puis les codes la prescription divine, combien de comités, de commissions, de socialismes préparent aujourd’hui le déclin définitif de Caritas, la charité sublime?

b) l’échéance

Ni le dieu ni le vocable qu’il prodigue aux humains ne disparaissent au terme des quatre millénaires. C’est même alors que le dieu, perdant l’Image première et la protection sans limite qu’il offre, s’universalise en concept, en une entité de « symbole physique ». Or, c’est alors que le Mot se complexifie, se diversifie, par le change formel. Opus s’est fait « opera », ce qui opère – jusqu’aux refuges du spectacle et de la musique, puis « opération » dans le sens alchimique, dans le sens chirurgical, etc. Bijou, parure; puis défense, parage: de la monture à la parade alors.

Nous ne savons quels changes formels devra subir « prescription » pour dépasser sa première mort. Mais on sait le magma de procès, de procédures et de processus, d’institutions et de crispations où le nouveau vocable sera pris.

Des dieux plus anciens, les Gémeaux, ont vécu huit mille ans de déclin et deux « absences » déjà, 1è et 2è morts. Nous ignorons le vocable qu’ils portaient – ou qui les portait – au 7è millénaire avant le Christ. Leur agalma est révolu depuis trop longtemps. Mais il fallut qu’il se rattachât au Simul (le semblable) dont témoigne le mythe de similitude. Seulement, dès les Frères ennemis: Abel/Caïn, Amphion/Zétos, Jacob et Esaü, ou Josèphe et ses frères, pour ne rien dire des autres, étrusques ou romains, aucune similitude n’était plus évidente entre les deux motiés de Dieu (le Bien et le Mal). Ils ne sont nés de nouveau, sous le dieu d’Amour, que dans le vocable: symétrie.

Au temps de leur 2è mort, entre le 13è et le 17è siècle, « symétrie » même eut les deux sens: le semblable topologique (la même forme, la même colonne, la même figure, la même chose) et le proportionnel, interne à la chose même: la partie est de même nature que le tout. Une symétrie de position « ex », une symétrie de possession « in ».

Il fallut dire comment deux êtres se joignent, et comment deux parties se joignent dans la totalité. Spinoza inventa l’axiome: la puissance d’affection (entre les autres) est liée à la puissance d’affection que JE porte en soi (son « essence »). Puis, Kant a corrompu l’axiome entre la contingence (le sentiment) et la nécessité (de la loi): entre le phénomène et le « noumène ». Puis, de fausses traductions de Spinoza l’ont confirmé, autour de 1900. A la limite, l’essence n’existe pas: c’est une forme vide; seuls demeurent les rapports – tout affectifs – entre les êtres.

Le vocable: symétrie ne signifiait plus rien, sinon un jeu de figures.

Il a continué de se dégrader, en « simulacre », « simulation ».

En même temps, « affectation » retombait en « affect », une maladie selon Freud, le Mal selon Lacan. Du malade on ne cherchait plus à définir que son affection (la tuberculose, la vénérienne ou le sida, toujours un mal lié à l’amour).

C’est, aujourd’hui, l’affectation en ses deux sens: l’emploi et la  simulation. L’axiome de Spinoza devient: « En son emploi/l’affectation, le jeu social sera mieux assumé que l’affectation/simulation y sera mieux réussie, admise par le plus grand nombre ». Le don de soi n’est plus proportionnel à l’essence de l’être (une forme vide), mais la réussite sociale, en son emploi, l’est au masque emprunté.

Si je remonte d’une tranche la suite des millénaires, je trouve la Pierre Levée, la Sagesse première, la grande Kratophanie du mythe encore vivant – après dix millénaires. Je ne dirai rien des Inconnus, ni du vocable premier, ni du second. Car il y a trop longtemps que le divin Serpent n’est plus que Satan, que la vérité de l’ondoiement n’est plus que le venin de la vipère. Mais un prophète au moins, Vico, a étudié le passage d’educare à educera, de l’éducation à la science. Ce fut au 18è siècle, en l’attente de la 4è mue ou renaissance de l’Immortel. Si l’éducation fait le prince, l’enseignement n’abrutit que le jaque, le sans-classe, le paria: educare élit le JE, educera trompe, illusionne le trivial, inéligible. Educare fait le héros, educera fait le savant, le pleutre et le négateur des dieux.

Cependant, par l’enseignement, le Savoir survit, qui fut l’une des acceptions du Sepher premier, puis d’Isaac, de Joseph, de Josué, de Jésus (de tous les Yochua) – et du scientifique aujourd’hui. Par l’éducera le Serpent existe à nouveau, pour mille ans: son krita ou âge d’or retombé au kali, son âge de mort.

Nous verrons d’autres exemples, d’autres nominations de ce fragile regain dans le déclin irrésistible, puisque le Serpent refuse que ses ondulations et ses méandres ne soient qu’une ultime de l’Inversion. Puisque aucun savant ne sait se démentir, ne veut avouer son ignorance.

On dira qu’affection, affect, affectation ne doivent plus rien au Simul premier des Gémeaux: ils lui doivent les symétries, puis les simulations, les simulacres.

On dira que les vocables: educare, educere, ne doivent plus rien au mot (inconnu) qui fut avant le Sepher, la Sagesse de Jacob. Ils lui doivent le sifflement du serpent, le S, que Jésus a exalté avant que d’autres vocables, educare, educere, ne le sauvent de la mort, par le change de l’S en C.

Mais, une fois dressé l’inventaire de tous ces changes, de sens ou de formes, que reste-t-il de la Question: « Pourquoi cela est-il… »?

Une question plus subtile ou plus précise: « Pourquoi cela ou ceci (le même ou l’autre) est-il, existe-t-il… »?

Il nous faut décider de l’être.

Comment est-on? Comment suis-je?

2

Comment est- ce être ? Les nombres

On joue, avec plaisir et plénitude, des mots et de leurs lettres, d’une phrase et de ses mots. Tout semble clair, tenir à ces deux existences : la forme et le sens, le signifiant et le signifié. Il y a le signifiant qui contient un certain nombre de signifiés : l’homonyme (opus, prescription, charité), cela que sa vie dégénère toujours; mais aussi des formes diverses qui peuvent contenir un seul sens, les synonymes, comme l’enchâssement et la monture, ou la monture et le coursier, ou la parade des parures et la parade/parage, dans la forme : parade ou dans les formes : exposition, défense. JE espère toujours qu’un renouveau peut en sourdre.

Puis, cette distinction ne me suffira plus. Car il me faut inverser le mot dans la phrase pour que soient en effet l’Amour, la Liberté. Ou l’inverser de la même façon pour que la Création Ultime ne soit plus que l’ultime création, ou le Jugement Dernier que le dernier jugement.

Où se situe la différence, l’abîme entre l’avènement et la fin ?

Un pas encore : des lettres aussi sont homonymes – le « à », qui dit la direction (je vais à Paris), la possession ( ce chien est à moi), l’usage (une scie à métaux, le fusil à flèches), et même le mode (un travail à la main ou à l’usine). D’autres lettres sont synonymes : le J français, le R espagnol en Juan, ou l’I et le J, le U et le V en Juan et Ivan.

Ici encore les synonymes font le regain (petit, dans une période donnée comme courte) : le S du Savoir et du Serpent dans le C d’educere, ou le S de Similitude, puis de simulation dans le F d’affection, affect, affectation (comme on le voit dans les textes du Moyen Age chrétien et de la Renaissance).

Ce n’est pas sans l’adjoint ou le retrait d’autres lettres à la lettre première, que De Saussure nomme « synchroniques » ou Jakobson « métonymiques », contre le Diachronique et le Métaphorique des générations longues, puisque le regain synchronique ou métonymique est des plus courts. Par de tels ajouts ou retraits on dira la 1è, la 2è ou la 3e personne, le singulier et le pluriel, le verbe et l’adverbe – ou les groupes latins, allemands, mais toujours des « groupages », des combinaisons, alors que le mot « en soi » poursuit sa déchéance : du Sepher à l’enseignement, de la symétrie au simulacre, de l’affection à l’affectation.

Clairement, ici et là, JE ne joue plus du contenant et du contenu (de signifiés, de signifiants), je ne joue plus du vocable seul. Je conçois l’UN et les plusieurs : j’introduis la notion de nombre en la question : « Pourquoi cela est-il ? » Qu’est-ce que c’est, être ?

Ana et meta – De fait, je n’ai pas nommé les inversions susdites. Mais elles portent des noms – précis et qui distinguent déjà l’unicité de la pluralité.

L’inversion d’une lettre se dit un « metagramme » (d’Agalma et Amalga). L’inversion d’un mot dans la phrase se dira « metabole » (de l’homme bon au bonhomme). Celle de l’image, d’un ensemble à l’autre, se dira « metaphore », comme de l’enfance dans la vie au printemps dans l’année. Mais l’anagramme dira l’inversion de plusieurs lettres dans le mot (aimer en Marie). L’anastrophe dira celle de plusieurs mots dans une phrase, ridicule ( le « Vos beaux yeux, Marquise…. » du Bourgeois gentilhomme) ou logique, grammaticale, comme le déplacement du sujet et du complément de l’après à l’avant le verbe : « Manges-tu de la confiture ? – J’en mange ».

Quant au change de plusieurs concepts dans un système, au lieu d’une seule image dans les ensembles (la métaphore), il se dira une « analogie ». Tel le change qu’opère Galilée, de la grâce à la pesanteur, par le pendule, ou celui qu’impose Newton de la pomme à la lune, par l’attraction universelle. Bien que la grâce échoie et que la pesanteur déchoie, ou bien que la pomme tombe quand la lune ne tombe pas.

La métaphore et l’assertion qu’elle suppose, d’Hermès (le plus petit est comme le plus grand) peuvent ne conduire qu’à la litote, et à toutes ses extravagances poétiques : la terre est bleue comme une orange, d’Eluard (la terre est ronde, l’orange aussi, la terre est dite « la planète bleue », l’orange doit donc être bleue aussi), mais c’est que cette litote joue du « donc ».

L’analogie et le principe qu’elle exige ne conduisent qu’à l’enthymène (le 3e terme ou le tiers exclu), car Galilée proclame l’accélération et Newton l’attraction : ils les nombrent mais ne justifient pas leurs inventions, sauf par le nombre, et un Newton l’avoue : je ne sais pas ce qu’est l’Attraction Universelle. Un autre enthymène, celui de Descartes : je pense, donc je suis, élimine de même le Principe dont il use : « Est-ce que je pense parce que je suis ? Est-ce que je suis parce que je pense ? » Lequel précède l’autre, de la lecture ou de l’acte ?

Considérant Meta (métagramme, métabole, métaphore), je constate que ce cela ne joue que de l’UN. Jouant de l’objet Ana (anagramme, anastrophe, analogie), je dois admettre que cela s’instaure dans la pluralité, des lettres, des mots, des phrases et des symboles.

Qu’est-ce que cela signifie ? Ou de quoi est-ce la forme ?

Comment est-ce : l’être ? Dans celui de la litote ? Dans celui de l’enthymène ?

Ni la litote ni l’enthymène ne sont des existences, des réalités. La première nie les apparences, les aspects de cela : le plus petit n’est pas le plus grand, bien que la base la plus petite contienne autant de points que la base la plus grande, dans les triangles pendulaires d’Aristote. L’enthymène nie le « tiers exclu », le principe fondamental sans lequel je ne puis inventer le système de Descartes ou celui de Newton.

Comment me garder de la litote et de l’enthymène, si je joue de Meta et d’Ana ?

Par l’image/symbole de l’Arbre et de la Forêt.

L’Arbre et la Forêt

La forêt contient de nombreux arbres. C’est ce que chacun sait plutôt qu’il ne le voit. Car son regard ne contient pas la forêt tout entière; et, s’il s’élève assez pour voir toute la forêt, en hélicoptère, d’une colline, il ne voit plus les arbres.

Mais l’arbre contient une forêt, de feuilles, de branches, de racines, et c’est ce que chacun voit, découpant l’arbre, bien que cela demeure inconcevable.

Cependant, l’arbre est seul, unique, sur la colline, contenant de sa forêt. La Forêt, une autre unité, contient cent arbres, dans la plaine. Mais l’arbre se perd en la forêt, un parmi les plusieurs. La mort de la forêt suit celle de ses arbres; son unité, un jour ou l’autre, se dissout, s’évapore dans le désert.

Que disent les nombres, ici et là ?

D’emblée, d’assurance hasardée, on prétendra que le vocable seul joue du contenant et du contenu, par les synonymes ou l’homonyme, des signifiants ou des signifiés, mais que le nombre ne procède pas ainsi : il n’est que progression, +, ou dégression, -. Cela (ou ceci) n’est donc que du vocable : il répond au « Quoi, cela ? ». Le nombre dit la vie, en progression, en dégression. Par le + ou le -.

Mais ce n’est pas si simple : les plusieurs naissent de l’UN, ou ils s’y fondent. Il demeure quelque chose du cela dans l’être (cela est ou n’est pas), et du vocable dans le nombre : je peux écrire : trois, quatre, ou figurer le 3 par trois I, le 4 par V moins I, cent par C, 1000 par M.

D’une manière plus surprenante, les nombres, comme les mots, peuvent se contenir ou être contenus. J’en donnerai cet exemple, le plus parfait : les trois nombres-clés de l’Apocalypse, 3,5  , 42, 1260.

En tant que « chiffres », le plus grand contient le plus petit : 1260 trente fois 42, 42 douze fois 3,5.

Mais les nombres calendériques vont à l’inverse : 3,5 ans contiennent les 42 mois (de 30 jours), et les 42 mois contiennent 1260 jours.

Si je prends le « jour » pour une image de « l’année », comme tous les prophètes juifs (car le jour, comme l’année, est fait de 2 périodes, de croissance, puis de décroissance de la lumière), les 42 mois seront 42 cycles saturniens, de 30 ans chacun (1260 ans) ou 3,5 abraxas (de 360 ans chacun).

Je pourrai donc dire que les chiffres sont évolutifs dans un sens, en +, ou dégressifs dans l’autre, en -. Et que les nombres calendériques, positionnels, ne le sont pas. Si je pose 1 devant 7, 7 devant 9, 9 devant 0, j’obtiens 1790 (dans le cadre d’un cycle dont l’origine – tout illusoire – serait 0).

Le 29e jour, sans doute, est fait de 20+9, mais ce peut être de 19, le nombre de Mahomet, +10. Ou même de 12+7 (selon Moïse). Cela ne changera rien aux déclinaisons de la lune, ni au Pentateuque, au Coran. Car l’assemblage calendérique, deux puis neuf, fera toujours 29.

Cette distinction : chiffres arithmétiques (évolutifs/involutifs) et nombres positionnels, n’est ni reconnue ni admise en certaines périodes de l’Histoire. Mais elle s’annonce, puis s’impose, à partir du IVe siècle avant J.C. ou dès notre 18e siècle, par Vico, sir William Hope, Potocki, entre 1728 et 1800.

L’arithmétique et le calendrier

Je ne dirai rien, pour l’instant, des innovations sophistes, puis hellénistiques, ce m’est assez de noter leur affinement, leur perfectionnement dans l’Apocalypse. Mais la future « révélation » est à venir, d’où l’importance des annonceurs, des audacieux de notre 18e siècle.

Les trois auteurs poursuivent le même objet : la définition et la datation de la période rationaliste, qui approche alors de son apogée, que Vico dit « du peuple », Potocki des « sans dieu » et que William Hope limite à la période républicaine, au triple mythe « spéculatif », de fraternité, d’égalité, de liberté – dans l’attente d’un dieu nouveau.

Mais leurs conceptions des numérations apparaissent diverses.

Vico joue de phases successives : un temps des dieux, théologique, un temps des héros, aristocratique, un temps de civilisation, populaire; mais, en chaque phase, le rythme se renouvelle, de croissance, d’apogée, de déclin.

Potocki considère que les « phases » se constituent de « combinaisons », plus riches et complexes chez l’homme que chez l’animal, chez l’adulte que chez l’enfant, chez le génie que chez l’homme normal.

Il nomme ces phases des « combinaisons », contenues dans des séries, et les fonde sur 2, 3, 4, 5 lettres, etc.

Mais l’homme fut d’abord un animal, le mature un enfant, l’instruit un ignorant. Puis, l’humanité dégénère jusqu’à se situer en-deça de l’animal, le sénile peut moins que l’enfant, le génie – Newton ou Kant – tombe en démence, bien en dessous de la norme. Chaque être suit cette courbe – ou « chapeau » – de Gauss, de part et d’autre d’une apogée. Sur 2000 ans, le destin du dieu d’Aaron, imâm de Moïse, puis du dieu d’Ali, imâm de Mahomet, montre que, pour les dieux, il en va de même.

A la déclinaison/groupage de la combinaison s’oppose donc la déclinaison/déclin de l’être en soi.

Le groupage n’est qu’un moment dans un tel destin, en l’apogée de la puissance combinatoire, comme le nombre dans une suite. Mais ce destin lui-même, lié à son apogée, n’est qu’un moment dans une autre suite (une fonction), dont l’animal, l’enfant, l’adulte, le normal, le génie, le dieu ne sont que des étapes nombrées.

Plus simplement, ou naïvement, Sir Hope positionne en effet ses nombres : il place deux 7, deux 8, deux 6 l’un auprès de l’autre, pour dire non pas 14 (2×7), 16 (2×8), ou 12 (2×6), mais 77, 88, 66. Il en fait le temps que dure une période définie par quelque mythe particulier – le bien, la nature, la science.

A d’autres degrés, ces phases se constituent et s’ordonnent en d’autres périodes : par exemple, 77 + 12 + 88 en 177 ans, sa « grande période ». Il en établit 2 ( x 177= 354 ans), de 1732 à 2096, date à laquelle un autre Octave-Auguste ressuscitera le dieu de Chaldée, le Taureau, dans une Rome nouvelle : les Etats-Unis.

Au 2e siècle avant J.C., une oeuvre, la Kosmopoiia, avait distingué les 4 périodes de Dieu : les Personnes, les Anges, les Rires, l’Inversion, mais joué de 4 structures (l’Archer, le Scorpion, la Balance, la Vierge), puis de 3 inversées : Hermès (mémoire), Kairos (lumière), Phryné (la Vierge) afin de dire l’approche du Iachos ou Poisson futur, jouant des 9 – par le Serpent cancérique et le Miroir gémellique alors.

En notre 20e siècle, les jongleurs de la Forme Vide : Jarry, Kafka, Roussel reconstituent les 4 phases des combinatoires, puis les 7 et les 9, dans le Surmâle et Faustroll, La colonie pénitentiaire, Locus Solus. Ou Michel Leiris, disciple de Roussel, dans Le point cardinal.

Alors, le scientifique lui-même, technite macédonien ou technocrate, de ces époques – ou d’Akkad, deux mille ans plus plus tôt – utiliseront, pleinement ou non, les séries/suites et les séries/fonctions, les nombres positionnels et les directionnels – jusqu’à la perfection des Deux Chemins égytptiens, de l’Apocalypse ou de l’oeuvre encore à naître.

Mais, étrangement, – merveilleusement – les trois prophètes du 18e siècle avaient comme figuré déjà une telle forme vide, car Vico et Sir Hope écrivent vers 1728/1732, et Potocki compose son Manuscrit entre 1797 et 1815, mais il en situe l’écriture en 1737. Potocki est un polonais, Hope un écossais, Vico italien (de Naples). Mais Potocki situe son ouvrage en Espagne.

C’est déjà le schème des Machines célibataires (Jarry, Kafka, Roussel) entre 1900 (1896) et 1914.

Mais les quadrilogies de la « machine célibataire » – les cardinaux encore – ne se nombrent plus par des dates (incertaines alors) ni se positionnent par des pays d’Europe : les nombres recouvrent ceux de la Kosmopoiia, les 4 s’avouent pour ce qu’ils sont, les Cardinaux.

Est-ce que les positions (des 3 prophètes du 18e siècle ou de Jarry, Kafka, Roussel) contiennent les 4 directions de leurs machines ? Ou n’est-ce pas une direction commune (vers l’Amérique ou vers la demoiselle pendue) qui ordonne, argumente les 4 cardinaux ?

Qu’en serait-il si le schéma ne recouvrait plus les 6 ans d’écriture des Célibataires sur les 36 (1896/1932), ni les 72 ans des oeuvres prophétiques (1732/1800) sur les 432 ( du Mayflower à l’Auguste yankee), mais 864 ans (+ ou -) sur 5000 ans alors (Hope dit 4-8-7-6, en nombres positionnés) depuis l’éloignement du Chaldéen ?

Que seraient les Cardinaux alors ? Et lesquels les 3 personnages, que Sir Hope nombre 5 ?

Comment est-on ? Serait-on plus ou moins dans le cycle saturnien, dans les 360 de l’Abraxa, ou dans une double ère précessionnelle ?

Au degré de liberté près.

La polarité

Nous savons cela du moins.

Les nombres se contiennent les uns les autres, calendériques ou valorisés, comme les vocables, signifiants ou signifiés. Mais ils ne font pas que se contenir : ils s’accroissent ou décroissent, valorisés, en même temps que, positionnés ils se tiennent dans ou hors un cela autre. Dans une durée là, dans un cycle ici.

Valorisés, ils se positionnent de part et d’autre de l’Unité, de l’Un vocatif, qui n’est pas un nombre. Fractionnels en deça, entiers au-delà.

Mais, valorisés, en + ou en -, dans les plusieurs, au-delà du UN, ou les parties, en deça du UN, ne doivent-ils pas aussi, surtout, se positionner ?

Ce sera autour du 0 (zéro) – la Forme Vide – qui ne se suggère que peu avant l’avénement du dieu, et ne révèle toutes ses merveilles que peu après cet avénement. De l’Akkadien à l’Assyrien, de l’Hellénistique au Romain, de l’Européen au grand Etat en formation.

Dans un premier temps, lettre plutôt que nombre, l’inconnu akkadien ou le X romain, 0 complète seulement le nombre-fondement : le 6 sumérien, donnant 60, ou le 9 de Pythagore, donnant 10.

Puis, il mène l’Unité à l’infini, comme les 100 de Platon dans sa République : 4 pi ou 12,56 deviennent 1256 (approximatifs ou irrationnels).

Puis, 0 devient une limite, comme l’UN à l’autre bout de la série.

+ n’est plus le progressif mais le positif.

– n’est plus le dégressif mais le négatif.

Puis des notions : le peuplement, le dépeuplement – ou le même et l’autre – changent encore les sens des signes + et -.

Aux dialectiques premières : le contenant et le contenu, l’un et le plusieurs, elles en adjoignent de nouvelles, que les peuples nous ont nommées de différentes façons (nous les étudierons) mais qui se raccordent toutes aux notions de pôles (contraires ou semblables) ou de polarité.

C’est alors, dans un dernier temps, que les signes + et – ne disent plus des numérations seules, mais, localisés, des emplacements, de part et d’autre de 0 d’abord, puis admis ou exclus, sacrés, profanes, de bénédiction, de malédiction.

Ouverts et fermés, ces lieux, mais, plus généralement, discontinus, – -, et continus, __. Par le même (unique ou continu), et par les autres (pluriels, discontinus).

C’est ce que raconte, en des schémas sans cesse repris, l’histoire connue de l’humanité.

a – Les Deux chemins égyptiens ou de l’exilé Outou-Enlil, puis d’Abraham, de Jacob et de ses fils vers l’ouest, puis des tribus vers l’est, en la quête du bon lieu et du bon peuplement, jusqu’à la grande question de Moïse, des Juges, des Rois et des Prophètes : quelles doivent être les 3 tribus du Sud, celles du Nord, de l’Orient, de l’Occident (le lieu d’avenir) ?

b – Et, deux mille ans plus tard, depuis les marginaux Booz ou Osée, les prophètes du Poisson (Tobie), puis les premiers chrétiens et, d’ailleurs, les derniers. Convient-il d’épouser sa soeur ou sa cousine, la fille de son clan, de sa tribu – ou l’étrangère, l’impure même, qui rajeunira le sang ? Puis, plus généralement, comment associe-t-on, comment dissocie-t-on le mieux ? Par les pôles semblables ou les pôles contraires ? Par les mêmes ? Ou par l’autrement ?

Ana, meta

On pourra – devra – donc dire, en simplifiant, que les nombres – positionnels, valorisés – sont comme des chemins (comment est-ce : être ?) qui vont des vocables (quoi, cela ?) à des figures ou des lieux (où, là ?), ou dans le sens inverse, si les questions s’échelonnent en :

Où, là ?

Comment est-ce : être ?

Quoi, cela ?

Rien n’interdit, ces chemins, de les nommer encore Ana et Meta.

Mais les plusieurs, les autres (Ana) disent le partage, le démembrement, l’analyse, l’anatomie, l’enthymène et l’analogie, puis le refus (de la mauvaise tribu ou du mauvais parti) : l’anathème et, finalement l’isolement de l’anachorète en son désert.

Meta, l’unique, le même, dit l’Etre (métaphysique), la litote et la métaphore, la métalogique des irrationnels, une quelconque métachronologie ou science des cycles.

Qu’en serait-il si je ne jouais plus que des figures, des lieux, – et ne posais que la seule question : où, là ?

Que deviendraient alors l’autre, le même ?

Que figureraient Ana et Meta ?

3

Les réponses : où, là ?

La question de Martin Heidegger n’est pas seulement des plus imprécises, par la non définition de cela, de « est », de où. Elle est éminemment tricheuse. Car elle semble porter sur le Cela, « plutôt qu’autre chose », sur le choix de l’objet – ou du sujet. Mais elle est telle qu’elle se poserait de même si elle traitait de l’autre chose : Pourquoi cette autre chose, ceci, plutôt que cela ?

Si je traite du sujet plutôt que de l’objet, je demanderai : Pourquoi suis-je là plutôt qu’un autre ?, la question reste, en son essence, la même, ainsi que le problème qu’elle pose.

Je devrai toujours répondre :

tantôt, « pour que telle autre chose advienne »;

tantôt, « parce que telle chose est advenue ».

Par une vocation, une Cause, ou par une explication, une cause.

Il en sera de même si je traite d’un objet : pourquoi ce lit est-il là ?

Pour que je m’y repose, car la pièce où il se trouve est une chambre à coucher.

Parce que le premier locataire, ma mère, ma femme, moi-même, a placé le lit là, dès le premier jour.

Les réponses pourraient être tout différentes : pour que l’harmonie de la chambre y gagne; parce que l’ouvrier a fait le lit tel, plutôt qu’un canapé, destiné au salon.

Mais on voit qu’en tous cas, la réponse ne porte pas sur le cela : ce peut être n’importe quoi, n’importe qui. Elle porte sur l’emplacement, le lieu. Simplement, il ne s’agit plus seulement d’un lieu de l’espace : la carte ou le territoire de la sémantique générale, mais d’une figure temporelle : dans l’avenir le Pour que, dans le passé le Parce que.

1 – Pour que

Nous l’avons noté déjà. Selon la période ou l’ère, la réponse sera différente. Au temps des nomades sémites, des anciens Grecs ou des brahmanes, le lieu est cardinal, et le dilemme est de peuplement ou de dépeuplement. La vocation, la Cause s’accomplira en cette tribu, cette caste ou cette phratrie – puis dans ce Temple propice à la bénédiction.

Au temps, qui a suivi, des prophètes de l’Amour, bouddhistes ou chrétiens, et des Eglises postérieures, le lieu sera le joint, la plénitude de l’union, du couple à la communauté des saints, puis un temple encore (différent de celui des Grecs ou des Hébreux), où la Cause sera soutenue et la Vocation accomplie.

Si je savais remonter les temps au-delà de la sumérie ou des dynasties égyptiennes, ou prévoir les temps qui suivront, d’autres dialectiques – et d’autres réponses – s’offriraient à moi, plus anciennes que le peuplement, plus nouvelles que l’union (de l’autre et du même). A l’infini.

Car le Sepher, le Simul, l’Opus exigèrent d’autres réponses que la prescription. Les mots en formation, les opéras et les affectations, en exigent d’autres, bien différentes.

Pour simplifier ou pour réduire, je m’en tiendrai au temps le plus court, celui des Machines Célibataires, et, dans ce temps, je me cantonnerai aux « pour que » réellement posés par les grands questionneurs de la période 1896/1930, élargie de la toute première question (Igitur, 1866) à la toute dernière question (les dernières notes de Chardin, 1946). Car les 3 questionneurs ont été Mallarmé, Valéry et Teilhard de Chardin.

La dialectique, là, joue de l’ennemi et d’un refuge (contre l’adversaire). Les refuges sont divers, nominalement; l’adversaire n’est qu’un : la Presse. Mais les Trois donnent des sens différents au mot « presse »; ils ne donnent qu’une figure aux refuges.

a) Pour Mallarmé, la presse n’est que d’information : le quotidien, l’hebdomadaire ou le mensuel. Il ignore la radio, la télévision, bien qu’il en pressente les ravages. Il recouvre tout cela du vocable : séduction (l’affectivité dévoyée) et lui oppose la Transposition, qui somme toute ne pousse qu’au hasardeux : le Coup de dé sera sa réponse (en 1896), trente années après l’Igitur.

A la fleur jointe dans le bouquet (le « donc ») de sa jeunesse, moteur de toute presse informative, il opposera la fleur « hors de tout bouquet », dont la Cause est de croître, de pousser – pour être. Hasardeusement, car le coup de dé, jamais, n’abolit le hasard.

b) La presse de Valéry, disciple de Mallarmé, est autre : elle joue du temps plutôt que de l’espace. Considérant des temps divers mais qu’il ne cesse de comparer (nous vivons d’autres temps hellénistiques), il découvre qu’en ces périodes, la précipitation l’emporte toujours sur la patience, sur l’harmonie sportive du joueur.

Cette précipitation – le déclin de la Musique – est ce qui interdit l’harmonie de l’Architecture : nul durable ne s’y accomplit.

Lui aussi, il ignore l’avenir : Beaubourg, les pyramides du Louvre ou verreries de la nouvelle Bibliothèque, qui le démontreront. Mais il connait la Tour Eiffel, les buildingd new-yorkais, les H.L.M. :ils lui suffisent. Pour ne rien dire de la corruption du Sport par l’exploit (de l’huissier) et le record (toujours une vitesse accrue). A tous ces adversaires, que la Presse contient, il impose la pousse lente de la fleur ou du génie, l’une et l’autre de longues patiences qu’il nomme « le Sport intellectuel ». Une patience, une pousse, faite d’attente et d’attention. La vertu de Monsieur Teste.

Une transposition encore (celle des mots dans Le Bateau Ivre ou dans Le Cimetière Marin, contre les sensibleries du Lac, selon ses propres exemples).

Une autre architecture contre la musique échevelée. Même si la construction parfaite ne s’observe plus, en notre époque, que dans le royaume lointain des morts, avant que le Marin ne soit plus qu’un cimetière.

c) L’information entraîne la précipitation : il faut informer le plus vite possible : le scoop est le record, l’exploit par excellence.

Puisque l’information retombe au néant très tôt, il lui faut gagner sur le temps, prendre au départ la durée – courte – qui ne s’obtient pas au terme. La presse devient une pression, une oppression, la pire contrainte. A la première définition de la presse (l’information), et à la seconde (la précipitation), Teilhard adjoint cette troisième : le camp de concentration, qu’il a vu naître et prosperer, dans l’Etat stalinien, puis dans l’Etat nazi.

Mais, plus qu’il n’incrimine Staline, Hitler, il incrimine le temps qu’il vit et le processus même qui, fatalement, conduit de la fleur en bouquet au camp de concentration. Le chemin fatal de toute vie, maintenant : la Biosphère.

Il lui lui oppose la pousse lente des générations (car ce temps n’est qu’un parmi d’autres) : la Noosphère, la Sphère vide – où rien ne se passe, sinon le déplacement (une autre fatalité) des formes.

Contre la presse, toujours, une pousse. Mais quelle ? Une transposition, un sport, une noosphère ?

A lire toute l’oeuvre du poète, du philosophe et du savant, il se découvre aisément ce qu’ils entendent par ces « pousses », alors que, pour les trois, la presse appartient au Serpent, au Ver, que Mallarmé dénonce dans « La crise des vers », Valéry dans le faux, le mauvais emploi du « vers » (la direction) et Teilhard dans la contrainte de « l’envers des choses », la trop prenante biosphère.

A ce ver en sa reptation, la vélocité de sa course, l’étouffement de ses anneaux, Mallarmé oppose le Vierge ou la Vierge (Hérodiade), Valéry la droiture de l’Archer Apollon, Chardin le Verbe Intérieur, l’Inconscient déifié, le Christ-Oméga. C’est que le Serpent fut le Sepher, le bâton-serpent ou le Serpent d’Airin de Moïse, puis la Sagesse du Bouddha et de Jésus, le Savoir sacré de l’hermétisme et de la gnose, la chose en soi du scholastique.

Puis, les trois prospecteurs demeurent des chrétiens. Ils ne peuvent renoncer aisément à l’Amour, dont les composants furent une Vierge (l’anagramme Marie), « Celui qui envoie, l’Arkhon » et le Verbe en même temps que le dieu de Sagesse. Du désastre scientiste, c’est donc la Vierge, l’Archer et le Verbe qu’il est en question de sauver : l’ultime poussière, pousse, dans la déesse pure et vide, la pulsation de l’oeuvre en soi, la pulsion qui, un jour, libère le captif, l’étouffé, de l’embrassement du monstre tortionnaire.

S’il n’est un disciple du Serpent, du Ver, l’homme qui répond Pour que ne sera qu’un mythologue. Son instrument sera l’image, l’Idée de Platon ou le Noumène de Kant. L’homme des formes, que le virus ou le cancer – et le vers dit blanc – anéantissent.

2 – Parce que

L’autre réponse à la question « Où, là ? » se situe dans le passé, la cause y séjournant.

a) L’un dit : parce que ce pouvait être ainsi. Ou mieux : la possibilité en existait dès l’origine (du mythe, du noumène), la probabilité de position, en chaque coup de la partie (comme aux échecs, au bridge). Il suffisait de connaître – ou de percevoir – les donnes du Jeu pour en prévoir l’issue.

Qu’il s’agisse des vocables, des nombres ou des figures, nous constatons que l’inventaire de leurs fins (comptables) ne peut être simple. Kant nomme ce domaine celui de la Contingence, et nous voyons pourquoi : les « cela » sont proches ou non les uns des autres, car con-tingence ne dit rien d’autre qu’une extrême proximité. Les choses tiennent ensemble (co-tiennent) ou non.

Mais qu’est-ce qui tient à quoi dans une forme vide ? Mallarmé a dit le hasard, Valéry le « sport » de Monsieur Teste, Chardin l’immense sphère du Néo (néant).

Cela existe sans doute, et le nombre le détermine, en probabilité, par le + (l’inventaire des profits) ou par le – (l’inventaire des pertes). Mais qu’est-ce qui fait le profit, la perte ?

Est-ce la 2e dimension qui ouvre la ligne, dans la surface ?

Est-ce la 3e dimension qui la referme, dans le volume ?

Est-ce que je passe mieux par le continu ou le discontinu ?

Qu’est-ce qui peuple ou dépeuple, de l’approche ou de l’éloignement ?

Lesquels unissent, des mêmes ou des contraires ?

Pour que cela soit là plutôt qu’une autre chose, ai-je dû suivre la voie d’Ana, celle de Meta ?

b) Un autre répond : c’est comme cela parce que cela devait être. Contre le hasard (le « jeu » de l’islamique) il choisit la loi. Ou, selon Kant, contre la contingence il mise la nécessité.

Mais quelle loi est assurée, laquelle, à coup sûr, nécessaire ?

Si mon enjeu est le peuplement ( le +) contre le dépeuplement (le -) je dirai que l’approche peuple et que l’éloignement dépeuple. Cela est assuré dans le temps : j’approche le jour que je remplis, en vivant les secondes, les microsecondes. Je vide le jour dont je m’éloigne : le souvenir m’y livre des heures; mais des mois dans l’année passée; des années en mon enfance – des évènements distants l’un de l’autre de dizaines d’années dans le temps historique, de centaines dans le temps légendaire.

Dans l’espace, cela est moins sûr. Plus je m’approche du lieu dont vision faisait une forêt, plus je la dépeuple, au point de n’y plus considérer qu’un arbre. Plus je m’éloigne d’un lieu, plus il se peuple, de toute une forêt, toute une ville.

Si mon enjeu est l’union ou la conjonction, le continu contre le discontinu, la 1e loi est non moins claire, définie depuis Empédocle (5e siècle avant J.C.) jusqu’à Bolos (2e siècle avant J.C.). La sympathie se fonde sur les mêmes, la ressemblance : je ressemble à mon frère, j’imite celui auquel je prétends ressembler.

Des siècles ont été nécessaires pour que la loi s’inverse, par l’appréciation du Zéro, et par le change du + et du – en positif, en négatif.

Si tout objet contient deux pôles (le +, le -), deux objets ne peuvent se fondre par le rapprochement des semblables : l’union de deux pôles positifs dans le nouvel objet ferait que celui-ci n’aurait plus que des pôles négatifs.

Pour que le nouvel objet, né de la conjonction, conserve ses deux pôles contraires (positif/négatif), il faut que les contraires seuls s’unissent : un +, un -.

Les contraires doivent s’unir; les semblables ne le peuvent pas.

Mon enjeu serait-il le passage ?

La première loi ne pose pas problème. J’entre ou je sors par l’ouverture, le discontinu, car je ne passe pas au travers d’un mur compact, une porte m’y est nécessaire.

Mais une seconde loi, née de l’electra hellénistique ou de notre électromagnétique, énonce le contraire. Le courant passe lorsque le fil est continu. Interdire le passge, ouvrir le circuit disent : briser le fil, créer une discontinuité.

Ce ne serait là que trois exemples, mais il en est bien d’autres, que suggèrent les enthymènes de Descartes, de Newton : une loi cachée, 3e alors – le tiers exclu – inverse, là, le « je pense parce que je suis » en « je suis parce que je pense »; ou bien, ici, une gravitation préservatrice en un Big Bang démesuré.

La terre tourne-t-elle autour du soleil ? On le croit aujourd’hui, et de nombreux astronomes l’ont prétendu dans la période hellénistique (dans la période akkadienne ?).

Le soleil tourne-t-il autour de la terre ? Parce qu’on le voit, des millions d’hommes l’ont cru, entre le temps akkadien et le temps hellénistique, entre celui-là et le nôtre. En des périodes tellement plus longues que les brèves périodes rationalistes, que, regardant loin dans le passé, nous assurons que ces ancêtres ont toujours cru en un soleil mobile et une terre immobile. Seule notre intelligence, notre science, nous ont permis de rectifier l’erreur (dans l’ignorance ou le refus d’Akkad et de la Macédoine).

Les 2 et les 3

En son début, son élaboration, la figure parle encore des nombres, les premiers, le 2 et le 3, puisque le UN n’est pas nombrable (Meta).

Le Pour que dit une forme à venir : la Cause vocative, et cette vocation est double : une pression ou une pulsion. Mais il y a 3 presses, donc 3 pousses.

Le Parce que dit le passé, une cause, ou mythique ou phénoménale, par le possible ou par la loi, mais les images mythiques sont contingentes, hasardeuses, les lois sont inversibles toujours : aucune n’est plus certaine que son contraire.

D’où : entre l’image et le symbole, Lacan a pressenti le symtôme; entre les 2 jugements : le catégorique (ET), le disjonctif (OU), Kant a suggéré l’hypothétique; entre la Grammaire, qui impose, et la Rhétorique, qui joue, Boèce a situé la Dialectique; entre le Vrai, qui prétend savoir, et le Beau, fruit de la création, Platon a défini le Bien. Etc.

C’est que le Pour que vit à l’avenir, mais que les 2 sens y passeront : du passé à l’avenir la presse, du devenir au devenu la pousse.

Le Parce que vit du passé, mais les 2 sens n’ont cessé de s’y croiser, de s’y passer, qu’Edgar Poe nomme le « hogien », le phénoménal, vers l’avenir, et le « cantien », le nouménique, du devenir au devenu.

Si les 2 voies subsistent dans le passé ou dans l’avenir, et si chacune d’elles se dédouble, il n’y a plus 2 voies mais 4. Un point se situe en leur jointure ou leur carrefour, que celui-ci nommera le UN et celui-là la Forme Vide, mais un 3e lecteur la moyenne ou le moyen : le carrefour passager.

Selon Platon, dans sa République, ces points, qu’il nomme des « termes », et ces traits – d’un point à l’autre – qu’il nomme des « distances » composent à jamais la figure de l’univers.

Mais le milieu de Lacan est un « moyeu » : le symptôme, entre l’aspect (l’image) et le sens symbolique.

Celui de Boèce est un croisement, une moyenne – dialectique – entre la Grammaire de l’en-soi et la Rhétorique du vide.

Celui du scientiste ou du comptable est au coeur de la Forme Vide : le milieu qui entoure (du gang, du professeur, de l’informatique).

Seuls Platon ou Kant osent dire les 3 sans les préférer l’un à l’autre, par les 3 Vertus ou les 3 Jugements : le O lettre (signifiant/signifié), le 0 nombre (entre le positif et le négatif), le O figure, le cercle de la forme vidée.

Dans cette figure – dans ses redondances – les points sont 3, ou 5, ou 7, ou 11 – puis 17 ou 19, les nombres premiers.

Les tirets sont 4, 6, 8, 10 – les nombres pairs.

Issus, les points des seules 3 dimensions, les traits ou les tirets du redoublement des 2.

Ana et Meta

A la fin, bien évidemment, les figures reconduisent aux lettres. Car toutes, figures et lettres, sont faites de traits et de points. Et, d’abord, la courbure du cercle ( du O), dont le point est au centre – ou les droitures de la croix (de l’X): le néant ou l’infini.

La figure recouvre ou découvre, selon que je la vois ouverte ou fermée (la ligne dans la 2e ou 3e dimension). Mais la recouverture, la cache (un -) se fait le recouvrement comtable (un +). Le découvert, le désert, une casse, (un -) se fait aussi un + en toute découverte. Selon que je considère l’inscription des fins, comptable, ou la fin de toutes les inscriptions, le terminus.

C’est Léon Bloy, au temps du Coup de dé (1896) ou peu avant, qui définit le mieux la figure terminale, par l’image du train ou du tramway : un terminus et une tête de ligne.

Or, c’est ce que disent les deux vocables : Ana – un inventaire des anecdotes et des axiomes, des principes, l’aboutissement de la voie hogienne, de la cause à l’effet; Meta : de la borne aux termes du cirque romain, auquel ou à laquelle se retournent les chevaux, les coureurs et les tramways, pour revenir.

Mais, aussitôt, cent questions nouvelles se posent.

Comment le A d’Ana et le M de Meta imposent-ils l’X et le O ?

Où à l’inverse ,

Pourquoi y a-t-il un nombre/lettre, contenant/contenu ?

Une figure/nombre, la polarité, et un nombre/figure (le + ou le -, la cache, la casse) et leurs contraires ?

Une figure/lettre, le cercle ou la croix ?

La complexité se fait telle que JE ne peut plus répondre à la question de Heidegger : Pourquoi cela est-il , plutôt qu’une autre chose ?

Car la lettre s’est faite le mot, la phrase, le concept; le chiffre une série (suite ou fonction), puis la jonction du zéro et de l’infini – l’Enigme; la figure rébus ou la lettre imagée.

Mais une autre question s’impose, par cette complexité :

Pourquoi cette question ? Pourquoi ce pourquoi, quand il en est tant d’autres ?

Un autre chapitre s’ouvre, dans le jeu des questions.

4

Pourquoi cette question? Le manque

Supposé que cela soit toujours là et que cette présence me convienne, on ne voit pas pourquoi – ni même comment – je poserais la Question. Si cela était toujours là, je ne connaîtrais pas une autre chose; si cela me convenait, je n’en voudrais pas d’autre. La Question suppose dons une absence de l’objet (un manque) et une exigence du sujet (un excès).

Pourquoi cela est-il là, qui ne peut pas y être?

Pourquoi cela est-il là, que je ne veux pas y voir, plutôt qu’autre chose, que je souhaite ?

Dans ce chapitre, je traite de la première question, de la présence et de l’absence.

Les distinctions que j’y vois, peut-être, paraîtront au lecteur arbitraires, théoriques.

Il se trouve que le philosophe ou le philologue ne se posent jamais que la 1ère, et que tout le connu (légende, histoire) n’en pose pas d’autre.

Puis, que le nombreur, le mathématicien, n’en pose pas d’autre que la 2ème, ni l’Histoire étudiable, depuis Sumer.

Enfin, que l’ère dernière, de deux mille ans, en pose une 3ème.

Dans ce processus, au passé, je semblerais donc aller de la dialectique la plus générale (le traitement et l’entretien) à la plus réduite ou particulière (l’or et le graal) par une dialectique intermédiaire, nombrée : le système et l’ensemble. Comme des huit millénaires – au moins – à un nombre déterminé de siècles (50?) – puis aux 20 siècles que nous connaissons assurément.

A – le traitement et l’entretien

En sa forme la plus générale, cette dialectique semble renouveler celle – fondamentale – du sujet, de l’objet,

à condition de dédoubler le sujet en « sujet de la phrase, acteur » et « sujet du prince, de l’expérience », lu;

et de dédoubler l’objet en « objet réel, obstacle » et « objet virtuel, objectif ».

Traitement dit un change, au transitif : je traite l’objet (le fer) ou le sujet captif (l’hôte) pour le changer – en cet objet utilisable (l’épée) ou ce sujet conditionné (par la secte ou le milieu mondain).

Mais, autrement, intransitif, il dit le discours, la conférence du Seul : je traite de tel sujet, de tel objet. Meta parle, dispose.

Le traitement n’est plus qu’une lecture (de l’UN).

Entretien dit le maintien. J’entretiens l’hôte en son conditionnement, ou cette fourchette d’argent en son éclat et son usage : je les maintiens en leur état. Au transitif.

Mais, à l’intransitif, je m’entretiens de tel objet, de tel sujet, avec d’autres personnes. L’entretien se fait relation, dialogue, et il peut advenir que l’opinion d’autrui prévaille. Ana change les donnes mêmes, l’énoncé du problème.

La dialectique première (traitement, entretien) se dédouble en quadrilogie : le change et le maintien, la lecture et l’acte.

Or, il est sûr qu’en toutes les vectrices de la quadrilogie, (les 4 branches de la croix) quelque chose manque : ou l’acte dans le discours ou la lecture dans l’action, ou le change ici, le maintien là.

C’est parce que cette chose manque que l’action ne me suffit pas, ni la lecture. Ni le change ou le maintien.

Je dis que cette dialectique recouvre des millénaires. De fait, la Pierre Levée la porte (toutes les kratophanies), par le lieu-dit et sa répétition, dans les lieux les plus divers. Plus clairement peut-être, les Frères l’imposent, semblables puis ennemis. Puis, le verbe interne, l’inspiration, et le formulé de la création.

L’éloignement et l’approche, le peuplement et le dépeuplement des Nombres.

La chose même et la même chose, la chose autrement, l’autre chose des polarités amoureuses.

Mais on la ressent, cette dialectique, dans la disposition des grottes glaciaires (dans un périmètre régional) et l’ordonnancement des salles en chaque séjour. Cela fut déjà lu (inscrit avant de l’être), un acte – religieux? – et la prémonition ou la constatation de la fin de l’acte.

Cela fut fait pour maintenir, dans l’espoir ou la crainte d’un changement.

Mais aussi cette dialectique préside aux cycles les plus courts, si minuscules qu’il faut l’électronique, en deçà de l’information, afin d’en rendre compte. Car c’est à chaque seconde, à chaque microseconde, que l’acte (la quantité de mouvements) et la lecture (de la probabilité de position), par les nombres valorisés, positionnels, disent et font le change et le maintien de la particule.

Il s’agit donc bien de la dialectique la plus générale, quadrilogique alors. Dont le Yi King primitif fait les 8, les échecs les 16, la Kabbale les 32 (voies), ou le Yi King contemporain, mais inventé par Confucius (?) les 64.

Dans le dédoublement.

B – Le jet et la relation

Le jet a pu se dire « mode », et la relation « rapport » au cours des âges, sans modifier cette dialectique.

Elle se dédouble aussi, dans l’instant.

Le jet est jection (injection) et « mode » l’être en soi ou les modes. Il subsiste en objet, sujet.

La relation est rapport, mais récit. Entre plusieurs rapports, d’un seul le récit.

Le rapport de Sumer, la fraction de 60, sur 2 : 30, sur 3 : 20, sur 4 : 15 laisse un reste, un jet. Le problème : comment réduire ce reste à une fraction?

Platon nomme « termes », les modes, aboutissements des jets ou vertus, au nombre de 3. Il nomme « distances » les relations, les rapports, en leurs fractions.

Euler, puis Galois, et les calculateurs « modernes » situent les relations dans un ensemble (elles sont 2) et 2 « ensembles » dans leur système. Entre les deux ensembles, les « jections » se trouvent être au nombre de 3 : l’injection dans le vide, la surjection s’il y a surcharge, bijection si les éléments relationnels demeurent inchangés en leur nombre.

Il y a deux mille ans, l’hellénistique nommait son système « baderne ». Les ensembles y étaient des cercles calculables par le rayon et la constante Pi (22/7).  Les jections y étaient plutôt comme des fractales ou des espaces mal nombrables entre les cercles.

Mais, de l’hellénistique jusqu’à nous, ou, tout au moins, jusqu’au 18ème siècle, ce sont les systèmes qu’on englobe dans un ensemble divin.

Le système, dialectique, présente l’aspect d’une croix : les 2 chemins, projetés. Du système 1 au système 2 s’établissent les relations logiques, au nombre de 3 : dans le système (in), en dehors (ex), à l’interface ou au seuil, en entrée ou sortie.

Mais les systèmes sont inégaux en leurs durées. Seules, les relations sont constantes.

Quelques exemples :

Joachim de Flore nomme « incubation » une petite période de 900 ans, et « royaume » ou « présence » une période de 1260 ans, dans l’ère de 2160 ans : 2160 = 900+1260.

Le rapport de l’ère à l’unité : 2160/1260 donne 12/7 ou (e-1).

De l’unité à l’incubation, le rapport est 1260/900 ou 7/5.

Moïse et Mahomet se fondent sur le nombre 19.

Mais, pour Moïse, les 19 englobent les 12 tribus et les 7 jours, des nombres qui ne cesseront de jouer, par leurs puissances, tout au long des livres sacrés : 12 x 12 = 144, 7 x 7 =49 (la 49ème est la sabbatique).

Mahomet, le prophète, englobe 19 années en chaque sourate de son Coran. Pour lui, 19 = 11 + 8, les 11 serments (les 11 derniers versets) et les 8 anges gardiens de « la Table Gardée ».

Les hindouistes doublent 7 en 14 (mahayuga). Le doublement de 5 leur donne le 10, les Dix Yugas : 4 + 3 +2 + 1, dans le sens du déclin, et le doublement du 50, 100 : 100/14 = 7,14 (ou e-2 x 10).

Mais ils n’ignorent pas le Saros, de 19 ans lunaires (18 solaires), inventé par Meton, au 5ème siècle avant J-C.

Tous ces ensembles chronologiques englobent des systèmes divers, en projection, et des relations logiques entre les systèmes, dont les agents/sujets seront des entités, des noumènes ou des dieux.

C’est à l’inverse des badernes ou de nos systèmes mathématiques, qui englobent 2 ensembles (0 et 1), contenant des 2 relations (d’équivalence ou d’ordre), et les 3 jections, entre les ensembles.

En se fondant sur les phénomènes hogiens.

Les 3 jections et les 2 relations ensemblières imposent  la figure a : une croix ou 2 triangles (un X) entre 2 O.

Fig 4                                 O)(O                                       )O(

(a)                                                                                         (b)

Les 3 relations logiques et les 2 projections systématiques exposent la figure b : un O entre 2 X.

Si les 2 branches de l’X se nombrent par 24 : 12 x 2, les diamètres des cercles se nombrent 15 ou 9. 24 =15 + 9. Dans le rapport : 15/9 ou 5/3.

Si les 2 branches de l’X se nombrent 19, les diamètres des cercles sont 12 et 7. 19 = 12 + 7, dans le rapport 12/7 ou (e-1).

« e » vaut alors 19/7, UN se nombre 7/7 et Pi : 22/7, etc.

Dans tous les cas, la succession des ères ou des périodes se présente comme une chaîne sans fin, de OO ou de XX.

On dira que, dans l’ensemble ou le système, les jets et les relations ne cessent d’être présents. Mais, quand la relation/rapport y est, la relation/récit n’y est pas. Ni la projection systématique quand la jection entre les 2 ensembles prévaut. Des lexiques comparables, par leur ambiguïté commune, aux traitements et entretiens des cycles plus grands ou plus petits!

C – Le graal et l’or

Grands ou petits les cycles A opposent seulement 2 modes l’un à l’autre : la lecture/l’acte ou le change/le maintien. En « étendue », ils couvrent la carte et le territoire;  temporellement, par la pensée, ils englobent un passé qu’il s’agit de maintenir, un futur qu’il s’agit de faire. Pour reprendre l’antinomie de Spinoza : l’étendue et la pensée. C’est pourquoi je les retrouve à l’infini, d’une part et, d’autre part, au plus profond de la matière dispersée. Dans les utopies les plus permanentes et les dipsodies les mieux éprouvées, pour reprendre l’antinomie de Rabelais.

Moyens, les cycles B opposent seulement 2 modalités de pensée l’une à l’autre : le système et l’ensemble. En cet univers tout humain, les composants de l’utopie se diront images, contingences (Idées, noumènes); les constituants de la dipsodie se diront symboles, nécessités ou phénomènes. S’y distinguent les 2 chemins de Poe : cantien (tout à la fois de Platon et de Kant), hogien, comme depuis Aristote ou Hegel.

Mais aucun de ces cycles A ou B ne dit l’Etre en soi, le UN, en tant que « signe » ou « indivis ». Par modestie le cantien, par refus et peur le hogien; ou parce que le signe indivis est hors de l’image (de l’étendue) et du symbole (de la pensée) : l’introuvable ou inefficace symptôme, en l’asymptote.

Je ne puis cependant dessiner le cercle avant d’avoir situé son centre, ni tracer le triangle dans l’ignorance de son sommet.

Je ne puis dire le passé ou projeter le futur sans m’être situé, en mon entier, hic et nunc, ici maintenant.

Le défaut de ce centre, de ce sommet, demeure le défaut par excellence, l’absence absolue. Mais je ne puis le nombrer, car UN est innombrable, fait d’une infinité de fractions, ouvert à une infinité de factorielles et de fractales. Je ne puis le figurer : chaque point est un support en même temps qu’un terme, chaque tiret dit une distance (entre 2 points) et une tendance, depuis ce point-là.

Puis-je LE nommer? Pas plus que je ne peux nommer Dieu. Car chaque temps, cycle, période, LUI donne un nom particulier – ou, plutôt, 2 noms différents. Ce fut le dieu de Feu et le dieu de Vérité pour les fils de Jacob, puis les Hébreux; le dieu d’Eau et le dieu du Bien pour les apôtres, puis les disciples et les chrétiens.

Une seule chance d’ordre en ce chaos : l’objet, ou les objets.

Car les peuples de l’IHV, puis tous les peuples, un jour, ont quêté une Terre Promise en même temps qu’honoré une Arche (d’alliance).

Les peuples de l’IHS, puis tous les peuples, un autre jour, ont quêté l’Or en même temps que voulu ou regretté un Graal.

Les constituants de la Justice, le peuplement et le dépeuplement, ne sont plus en rien notre problème : nous ne les concevons plus qu’à peine. Les constituants de l’Amour, le même et l’autre, nous importent encore : ils tiennent à notre chair.

C’est donc de l’Or et du Graal qu’il convient de parler.

J’aurais tout dit d’un mot :

A)    le cœur de l’alchimie, l’OR, est une jonction entre 2 disjonctions, un continu entre plusieurs discontinus;

B)    le cœur des Quêtes, le Graal, est le point où le contenant englobe le contenu, où je ne distingue plus le liquide de la coupe, le sang du ciboire.

N’en disons pas plus, pour l’instant.

a –  l’alchimie, l’Or

L’historien date son début de –360 (une épître de Démocrite) mais la légende fait d’Empédocle un alchimiste (il traite de l’union et de la désunion) et le philosophe doit reconnaître dans l’agalma de Socrate la quête d’une union, et dans l’amalga du sophiste une disjonction. Empédocle et Socrate renvoient à –432. D’une lecture ou de l’autre, c’est alors que l’alchimie naît : une simple science des teintures, qu’Archimède dénoncera en –220. Il n’est question que de donner à tel tissu ou à telle monnaie de bronze l’apparence de l’or (ou d’une couleur noble, telle que la pourpre).

La fin de l’alchimie, légendairement, par les écrits, se situe autour de 1800(Cyliani, Cambriel, le Balthazar de Balzac). Historiquement, les imposteurs du 18ème siècle dénoncent sa fin dès 1728, par la fin de l’œuvre, de l’opéra en Franc-Maçonnerie, puis le comte de Saint-Germain, Cagliostro, mais d’abord Law, sous la Régence. Le temps est, de nouveau, aux faux-monnayeurs.

Nous avons daté le scandale de la fausse monnaie de –220, d’Archimède. On en parlera encore 4 siècles plus tard.

Ce scandale est de notre époque, mais il a pris naissance il y a 4 siècles, par l’institution de la « comptabilité double » et du crédit : on torture le faux-monnayeur au 15ème siècle. Il se prolongera bien pendant deux siècles.

Les vrais quêteurs suivent Archimède : Marie la juive, puis Cléopâtre. Ce sont des chercheuses. Il faudra Pline, au temps de Cléopâtre, pour dire les 4 opérations, que symbolisent le Grain, le Pélican, le Caméléon ou Salamandre, le Phénix.

Il faudra Zozime – et tous les Aenius ou Olympiodore – pour dire le Feu (l’Arkhon, les anges, l’homme d’argent) et l’Eau (Hermès, les démons, l’homme de cuivre); entre le 3ème et le 6ème siècle après J-C. La distinction : forme/matière n’apparaîtra qu’au 12ème siècle, par les alchimistes arabes, les premiers kabbalistes, Roscelin et Abélard, Villeneuve, puis Lulle (le Grand Albert ou saint Thomas).

Mais, entre la dialectique : Arkhon/hermès et l’antinomie médiévale : Forme/matière, entre 700 et 1100, une autre dialectique a prévalu, du genre et de l’espèce, issue des 2 délits.

Le 1er délit dit la pierre enterrée (comme le Grain). D’une pierre enterrée, qu’on découvre, 3 faces sont visibles sur les 4. Il en manque une : ce manque, 1er délit, fait que la totalité de la pierre ne soit pas connue du découvreur – son existence de Signe.

Le 2ème délit réside dans le joint qui se découvre en la pierre (ou le bloc) arrachée à la terre. Pour utiliser cet objet, il faut lui arracher les paillettes de l’or, ou les feuillets d’ardoise, briser le joint.

Un arrachement, de la terre, répond au 1er délit.

Un déliement, une rupture du joint, répond au 2ème délit.

L’arrachement recouvre tous les aspects; le déliement vient à bout du joint. Mais l’ensemble des aspects (espèces) et la présence du joint (genre) ont constitué l’Or en soi, selon Etienne. L’Or n’est rien que la coexistence des aspects et du joint.

Cela (l’or) est bien ainsi : l’Histoire le démontre. Car, à mesure que la dissolution s’impose, les aspects et le joint se distinguent, ils s’opposent, par l’attribution du mouvement à la forme (Villeneuve, Lulle et les Augustiniens), puis à la matière (les Dominicains, Occam et d’Autrecourt, Ripley).

Du 15ème au 19ème siècle, les espèces se font spécialités, par les techniques, puis de pures spéculations – jusqu’aux espèces monétaires, dans le triomphe du faux-monneyage ou du crédit.

Dans le même temps, les genres se font les généralités ou l’œuvre dangereuse des génies, le gène obscur et ténébreux, qui gêne et le problème – tragique dans le déclin de l’Amour – du mâle et de la femelle, des genres sexuels.

A la fin comme au début, non seulement le genre et l’espèce apparaissent inconciliables, mais les espèces se diversifient, ainsi que les aspects et les spécialités – ou l’alliage matériel et l’effigie trompeuse. Les genres s’opposent, se combattent, se nient, qu’ils soient sexuels ou démoniaques.

C’est alors qu’aux deux matières (le soufre et le mercure, l’Arkhon/l’Hermès, le sec et l’humide) qui ne se joignent plus, doit s’adjoindre une troisième : le « mixte » jadis, le « sel » à partir du 16ème siècle.

Cependant que les 4 Opérations acquièrent lentement un sens (chez les Anciens) ou le perdent (chez les Modernes).

b – les quêtes, le Graal

Tout autrement se propose le mystère du Graal. Depuis le percement du Flanc par la lance légionnaire, qui fit jaillir le Sang Réal, jusqu’au dernier récit des quêtes, sur 1260 ou 1296 ans.

Dans un 1er temps, les apôtres, puis les chevaliers ont bu le sang, sans trop en connaître toute la vertu. Puis, le jet s’est affaibli, on a dû quêter le lieu où il sourçait encore. Le type de ces quêteurs est Gauvain, que caractérisent son élection : il est fils de roi, son entourage : sa famille, car il n’affronte que des cousins, des tantes, sa mère même, et son parcours, de l’Est à l’Ouest, comme les apôtres sont allés de Jérusalem à Rome, puis en Bretagne et au-delà. Le Soleil Souverain lui-même, par son éclat, son « jour » et son chemin dans le ciel, du lever au coucher.

Dans un 2ème temps, les quêtes ne cherchent plus que la vase ou la coupe – à demi pleine, puis vide : celle dont le contenu, invisible, « grée à chacun ». Le type en est Galaad, l’orphelin, le jaque, qui va parmi des étrangers, de l’Ouest vers l’Est (ainsi qu’autrefois les tribus de Moïse). Ce n’est plus le combat qu’il cherche et qu’il affronte, mais c’est le choix au carrefour qui l’interpelle, le hante. Car, privé du blason, lui, l’orphelin, il a dû y tracer la croix, avec son sang. Mais ce carrefour, sur son bouclier, est à l’image de (ou symbolise) les 4 voies entre lesquelles il doit choisir, depuis le pays de Galles jusqu’à Sarraz, la ville des musulmans.

Entre les deux quêteurs, le troisième : Perceval ou Parcifal. Un noble, mais privé de son père et de sa famille qui, tantôt va vers l’ouest, sur les pas de Gauvain, tantôt vers l’est, fidèle compagnon de Galaad, le questionneur éperdu : qu’est-ce que le Graal? Le Sang Réal ou le vase dont le contenu grée à chacun? L’amour est-il la prise brutale et passionnée de Gauvain, ou le chaste apitoiement de Galaad?

On rejetterait ces quêtes comme légendaires et, de fait, elles ne seront dites que longtemps après l’acte, de Chrétien de Troyes, le conteur de Gauvain, avant 1200, à la Queste Cistercienne, qui conte Galaad, après 1200. En 1200, Buron aura dit Perceval.

Mais, de 1100/1120 jusqu’à 1200, ce sont les actes du 5ème au 7ème siècle que les conteurs auront dits : l’histoire du Roi Arthur et de ses chevaliers. De 1200 à 1260/90, ce sont les actes de Perceval et de Galaad que les conteurs diront (tous accomplis au-delà de la mort du Roi, le roi « fait néant »).

Car les premiers n’ont servi que le Roi. Les seconds n’ont voulu que le guérir, puis que le pleurer. Le trouble de Perceval n’est pas la fin du Christ-Amour : le dieu n’a jamais été si grand, si puissant sur la terre entière. C’est la disparition du Christ-Roi, dont la croix ne sera plus que de bois désormais, par décision conciliaire, au 7ème siècle précisément.

Le Cœur

En son attente, il a été quêté – ou bien œuvré –  comme un Royaume (une Terre Promise, 2160 ans plus tôt). Mais cette Terre Promise était l’Egypte, enfin perdue. Ce Royaume avait besoin d’un roi, le Souverain aboli. Ce qui survit? L’Arche ou le Graal.

La fin de la Vierge a fait la fin de la Terre Promise première; la fin du Roi a fait la fin du premier Graal. Le temps qui s’ouvre, tribal ou féodal, ne connaîtra, pour quelques siècles, que la pluralité des juges ou des saints.

Cette Terre, ce Royaume, ce Cœur n’était donc pour l’homme qu’une absence? La terminaison d’Eurydice, de Sita dans l’Inde, d’Izanami au Japon, d’Iphigénie en Grèce antique; ou celle du Roi (fait néant). Mais c’est le dieu de Justice, alors, qui s’empare de l’humain; ou le dieu d’Amour qui le dévore – universellement.

La promesse de Dieu aux patriarches : « Je vous donnerai l’Egypte », s’est brisée en Josephe, le dernier patriarche : « Vous devrez quitter l’Egypte un jour ».

La promesse de Dieu aux apôtres : « Je serai toujours avec vous », s’est rompue en Jean, le dernier apôtre : « Je ne serai pas toujours avec vous ».

D’une certaine manière, le Cœur est ce point où la promesse : « je te donne l’Eden », faite au 1er Adam, s’inverse dans le défi : « tu ne toucheras pas à l’Arbre », imposé au 2ème Adam, mâle, non plus androgyne.

Car, en ce cœur, il est exigé de l’humain qu’il ne vive plus pour lui-même, servi par Dieu, mais pour Dieu, dont la vocation échappe entièrement à l’humain.

Le Royaume, la Présence plus généralement, est l’entrée dans la nuit ou la Ténèbre, qui se disent Minuit ou la Noël, le point où la lumière renaît. Ce n’est jamais que le cœur de l’ombre, l’indiscernable mais irrejetable Unité.

Qu’il s’agisse de la Terre ou de l’Or perdus, de l’avènement de l’Arche ou du Graal, ce cœur se situe en un seul point : la naissance de Moïse, jouant l’Osiris sauvé des eaux, ou celle de Charlemagne; ou de leurs pères, vers 1500 avant J-C, ou vers 660.

Le temps du miracle dure les 107 ans, à 12 ans près. Il s’achève par la fin de l’Exode (-1392?) ou par la fin des précurseurs, maires du Palais, et l’avènement de Charlemagne (768). Le temps de l’Or réuni (espèce et genre) mais du roi fait néant, ou de Perceval, si je traite de la seule ère chrétienne.

Les triangles et la croix

Ainsi se constitue l’étrange figure – la plus banale – où la seule croix compose, ou recompose les triangles (4).

Car, étrangement, la réduction des cycles s’accompagne nécessairement de la multiplication des nombres utilisés, du plus vaste concept à l’objet le plus court.

A l’infini, les cycles A n’ordonnent que les 2 voies, du traitement et de l’entretien. Mais le dédoublement de l’un et de l’autre en lecture, acte, change ou maintien, m’impose – avant que d’en traiter ou de m’en entretenir – le change des 2 en 4 – et le maintien de cette quadrilogie.

Les cycles moyens, humains, se fondent aussi sur les 2 : le jet et la relation, puis les 2 relations internes à chaque ensemble, ou les 2 projections internes à tout système. Mais ni le système ne se constitue sans admettre les 3 jections, ni l’ensemble ne s’image sans tenir compte des 3 relations logiques. Ambitieux, le synthétiseur – le rationaliste Bureau ou l’adepte maudit de l’Apocalypse – devra donc jouer du 6 : les dimensions de l’Algorithme universel ou le nombre de la Bête. 3 x 2.

Les cycles objectifs – C –  ne jouent plus des 2 : l’objet n’est qu’UN : l’or ou le graal. Mais l’alchimie d’une part, la Quête de l’autre se fondent essentiellement sur les 3 et les 4 :

soit les 4 opérations (et leurs symboles animaux), les 3 matières, traitées en chaque opération;

soit  les 3 personnages quêteurs (et les périodes successives de leur action, puis des lectures qu’on peut en faire), mais les 4 instruments dont ils usent tous trois : la table, la coupe, l’arche, l’arme.

Les 3 demeurent immuables, immuables et reconnaissables d’un cycle à l’autre, même si les formes du vocable se modifient, comme des 3 pouvoirs égyptiens (l’Akh, le Ba, le Ka) aux 3 vertus de Platon, aux 3 Arts de Boèce, aux 3 Personnes d’Erigene, aux 3 Jugements de Kant.

Les 4 se diversifient sans fin : les 4 opérations dans les 12 phases de l’œuvre, les 4 instruments, par le doublement, la quadrature (contenu/contenant, continuité/discontinuité), puis les 8 et les 64 du Yi King, les 32 voies de la Kabbale, etc.

Pour ne dire que le doublement :

la Table est d’Emeraude : le jâkut, issue d’Hermès, ou Ronde, la table des Elus (apôtres ou chevaliers) . Mais ce put être, en un autre cycle, de la Justice, la Table des lois de Moïse, la Table Gardée de l’Islam;

la  Coupe est le récipient (plein ou vide), mais aussi le partage – et le blason, le plan, le cadastre né du partage;

l’Arme est l’épée, par excellence (d’estoc ou de taille), et ce qui pénètre : la lance, la flèche, ou ce qui taille : les couteaux, les ciseaux; aussi anciens, les uns, les autres, que le silex;

l’Arche est un pont qui enjambe le fleuve, la rivière (Gauvain en rencontre un grand nombre sur son chemin) – ou le bateau, la nef, que Galaad utilise souvent. D’alliance ou maritime, déjà, pour les Noé de Sumer et de la Bible.

Comme éternels, ces instruments, dans leurs « mentions », leurs formes vocatives, mais, d’une période à l’autre, divers en leur « usage », leurs emplois, les sens donnés aux mots.

Plus subtilement, les 4 opérations de l’alchimie renvoient aux 4 éléments de Sumer, aux 4 cardinaux des Hébreux, aux 4 jeux de Platon, aux 4 « sciences » de Boèce. Les 4 instruments renvoient aux 4 fleuves de l’Eden, aux 4 patriarches, aux 4 Evangiles, fondements des religions maîtresses, et de l’Islam aussi, par les 4 califes.

Elles-mêmes 4, les religions encore dicibles :

du créateur Mardouk (d’Apis ou de Rudra ailleurs);

du  justicier IHV (Brahmâ, Amon ou Zeus ailleurs);

de l’amant IHS (le Bouddha ou Quetzalcoatl);

de l’esprit libre ou de liberté ailleurs, par l’Islam et par toutes les sectes messianistes depuis le Moyen Age finissant.

Or, chacun de ces dieux embrasse les 3 personnes : de Terre, Mardouk, de Feu IHV, d’Eau l’IHS, d’Air le Libérateur à naître. Et ces 4 englobent les 12 (4 x 3) en même temps que chacun des 4 recouvre les 3.

Par les Fils ou les Tribus, les Apôtres ou les Chevaliers, les Signes du Zodiaque à coup sûr, que Sumer connaissait déjà.

On pourrait dire, plus simplement, que les 3 renvoient aux 3 jections systématiques, aux 3 relations logiques, ensemblières; les cycles C reproduisent, en les affinant, les cycles B.

Mais que les 4 renvoient à l’éternel (les A) : la lecture et l’acte, le change et le maintien.

Si LA question exige une telle complexité et de tels retours, de l’objet dernier au concept premier, plus que jamais l’autre question se pose : Pourquoi ce pourquoi? Ou bien, si cette question s’explique par un manque, de la promesse au défi, ou d’un délit à l’autre, pourquoi l’homme/JE ne peut-il se satisfaire de ce défaut, qui le fait ce qu’il est? Sans rechercher plus loin, questionner plus avant…

5

Pourquoi cette question?

L’insatisfaction

A la question : pourquoi ce Pourquoi (cela est-il là plutôt qu’une autre chose?), je dois répondre, comme à toute autre : pour que ou parce que.

Le Parce que, nous le constatons, est un piètre mystère. Il n’appelle qu’une réponse : le manque, l’absence. Cela ne peut être là, ni le dit dans l’acte, ni le maintien dans le change, ni à l’inverse.

Cela ne doit pas être là : ni le rapport dans le récit (en relation), ni la projection – magique – dans la jection mathématique, bien qu’un système comporte des ensembles, et l’ensemble des systèmes.

Historiquement ou légendairement, cela n’est pas là, ni l’espèce et le genre dans le Graal, ni le vide et le plein dans l’Or, bien que les Quêtes soient contenues en l’alchimie, comme 1260 en 2160. Mais le 4 dans le 3, chacun des 3 ici : les 3 dans le 4, chacun des 4 là.

Le Pour que appelle de tout autres réponses.

On pose la question par désir ou besoin que cela soit.

Ou par refus et peur que cela soit.

Les Parce que, au mieux, sont des cercles, concentriques ou non.

Si je traite des objets, l’Or ou le Graal, l’alchimie encercle les quêtes. Mais, alors que le Graal n’est plus qu’un souvenir et l’or en soi qu’une nostalgie, le symbole, par le système, et les images en leur ensemble hantent nos amphithéâtres et nos laboratoires, sous les noms de « mythes » l’ethnologie, et de gènes, de virus, de prions, de fractales mathématiques toutes nos biotechniques ou bio quelque chose.

Mais, au-delà des ensembles mythiques et des systèmes dits rationnels, les cycles A et leur quadrilogie (acte/lecture, maintien/change) constituent plus que jamais les cadres de l’informatique et de ses média. J’en donnerai ce seul exemple : les bulletins publicitaires remis par les grandes firmes pharmaceutiques à leurs représentants (visiteurs médicaux) pour être distribués à leurs destinataires : les médecins clients.

Ces destinataires sont de quatre sortes (espèces? Genres?), déduites de deux dialectiques complémentaires.

Les médecins théoriciens (voués au discours) ou praticiens, auxquels seule importe l’action médicale; sûrs d’eux et de leurs doctrines les premiers, plus humbles les seconds.

Les médecins progressistes remettent tout en question, par leur foi en l’avenir (et traitent volontiers d’erreur le traitement ancien). Le conservateur n’admettra pas si volontiers l’erreur, mais il craindra le délire du « savant fou ». Il s’en tient au seul éprouvé.

Cela ne veut pas dire que le théoricien conservateur soit pire que le praticien progressiste, en leurs extrêmes. Ni que le théoricien progressiste vaille mieux que le praticien rétrograde.

Tous les 4 diront se fonder sur le symptôme. Mais comment le symptôme de l’un serait-il le symptôme de l’autre, en acte ou en lecture, change ou maintien?

On voit qu’ici et là, la seule réponse : le symptôme, ou le choix de la réponse tient à des questions différentes, que posent des médecins tout autres. Où l’un voit une preuve de ses théories, l’autre voit un espoir, une foi en ses pratiques. Où l’un voit une projection – possible – du progrès, l’autre ne distingue que telle jection, en excès ou en manque.

La réponse tient à la question. Pourquoi ce symptôme est-il là? Ceci ou cela en leurs définitions, dépendent du questionneur (et, accessoirement, de l’insatisfaction du patient, du malade).

De Spinoza jusqu’à Lacan, sur les trois siècles, il apparaît que le chercheur (ou le créateur) qui n’atteint pas à cette quadrilogie trébuche en toute dialectique : la pensée/l’étendue, le noumène/le phénomène, la substance/l’essence, l’image ou le symbole. Cependant, une douzaine d’écrivains, poètes ou philosophes, depuis 1800 jusqu’à notre époque, ont tenté de sauver les deux dialectiques, par une antinomie tout autre, de l’œuvre, à défaut de l’alchimie, de la fonction, au-delà des Quêtes.

Ce pourrait être Goethe et son Faust, Balzac, en ses Lambert et Balthazar  (le romantisme à son terme) et Verne en son premier ouvrage, Maître Zacharius, qui disent l’Oeuvrier en son déclin. Puis  Courteline (Les Ronds-de-cuir) et Kafka, son arpenteur K, ainsi que beaucoup d’autres en notre 20ème siècle.

Or, les premiers semblent aboutir, être recensés, par une nouvelle de Melville : Le campanile; les seconds jaillir, être suscités, par le personnage du même auteur : Bartleby. Le Campanile raconte le destin d’un ouvrier du Moyen Age : le Mécanicien; Bartleby annonce, prophétise le fonctionnaire kafkaïen, puis stalinien.

Le jaque et le maudit

La nouvelle médiévale raconte l’histoire d’un mécanicien qui rêve de créer le jaque-marteau, le jaquemart automate, qui sonnera les heures – comme Zacharius, l’horloger médiéval, voudra créer le mouvement perpétuel, et y parvient par l' »échappement », ou Balthazar renouveler l’alchimie par le bon emploi des pôles électromagnétiques. Dans une autre nouvelle de Balzac, un autre personnage, maître Cornelius, nous apparaît plus inspiré par Faust : il veut préserver son avoir, son or, comme l’autre sa jeunesse. Il cache son trésor si bien, pendant le jour, qu’il ne retrouve plus la nuit et crie au vol.

Le même secret, la même cache, (le 1er délit) est un élément primordial dans le destin de l’oeuvrier, mécanicien, horloger ou orfèvre.

Ce qu’il s’agit de cacher est toujours un crime : le pacte avec le diable, les vols de l’usurier, le meurtre que le mécanicien a commis, cachant le corps de sa victime dans le bronze de la cloche. D’où, la fin effroyable de Faust, de Zacharius, de Balthazar, et celle du Mécanicien, tué par son automate.

Melville, pourtant, caractérise son héros par un trait plus particulier. C’est un jaque, un enfant trouvé. On notera que Faust aussi ignore son origine, que Zacharius et Balthazar (Cornelius?) sont des juifs, qui ont rejeté leur dieu, ou des rejetons douteux d’une race appauvrie. Tous, ils vivent pour leur or, ou pour cette passion vaine d’être enfin glorifiés, grâce à une invention géniale – et restitués en leur jeunesse, une origine privilégiée.

Leur insatisfaction – causale – s’exprime ainsi : « Pourquoi cela (le nouveau croyant) est-il là, dans le Temple, en la présence de Dieu, plutôt que moi? Pourquoi ne suis-je pas l’élu? »

Ce désespoir est ce qui cause le crime, sa cache et la fin terrible du maudit.

L’élu et le fonctionnaire

Tout autre est le fonctionnaire de Melville, de Courteline ou de Kafka. Il naît de son élection, de sa nomination au poste que, désormais, il devra occuper, chez le notaire, dans un service ministériel ou au Château. Elu du peuple (c’est la même chose), il aura son siège au Sénat ou à la Chambre des députés, sinon au Comité Central.

On dira que ces élus aussi commettent des crimes : une déclaration de guerre ou le goulag. Mais il n’est de crime qu’individuel (prémédité). La fonction légitime tout acte, puisqu’elle l’exige, serait-elle pire, en ses effets, que le forfait individuel.

D’où la question : « Quelle est au juste ma fonction? »

Pourquoi m’a-t-on élu? La folie s’annonce là, de K. ou du Rond-de-cuir, de Bartleby. Par l’oubli ou la perte, ou la non-connaissance du document premier, de la lettre d’embauche ou de l’assignation, qui, en définissant l’objet de l’élection, innocente du crime.

Ni l’arpenteur ni le chef de service dément du Service des Dépôts ne trouveront la lettre du Château ou le dossier perdu. Quant à Bartleby, le copiste, quand il reçoit un ordre écrit, d’avoir à quitter l’Etude du notaire, ou d’aller en prison plus tard, il y obéit toujours sans surseoir; car il ne s’est jamais révolté, préférant seulement (lui, le préféré, l’élu) ne pas quitter son bureau, ne pas copier, ne pas travailler ou même ne pas recevoir de traitement, de salaire.

Mais ces ordres d’expulsion ou d’emprisonnement ne seront pas la vraie Lettre, espérée toute une vie ou depuis le premier poste, nous dit enfin Melville, au Dépôt des Lettres au rebut, non délivrées.

Dans une autre nouvelle, La colonie pénitentiaire, Kafka, de même, fonde sa « machine célibataire », quadrilogique, sur des lettres, inscrites, non lisibles, sur le ruban d’en haut, et inscrites à nouveau, dans la chair du coupable, qui n’a pas su les lire. A la fin du supplice, le condamné mourra dans « une explosion de joie », comme Bartleby heureux contre son mur. Mais le tortionnaire, qui veut vérifier l’appareil, ne connaîtra que l’horreur d’une mort sans rachat.

(On se rappellera le roman d’un autre auteur, contemporain de Poe, Hawthorne, où « la lettre écarlate » se subdivise de même, cousue sur le vêtement de la coupable, une adultère, inscrite dans la poitrine de son amant, un prêtre. L’explosion de joie leur est la naissance d’une fille, « ange de l’avenir », que la foule meurtrière reconnaîtra un jour pour ce qu’elle est).

Comme l’oeuvrier, le jaque, est destiné au crime et à sa cache, le fonctionnaire, l’élu l’est-il au sacrifice, à la dévoration, pour lui-même salvatrice?

Le traître et l’otage

Quelque part dans le Temps, le jaque et l’élu se joignent : Gauvain le fils de roi et Galaad, le sans-père, en Perceval. Ou les fils de Jacob et les tribus en l’homme Moïse.

Mais ils s’étaient joints déjà, dans le conflit, quatre ou cinq siècles plus tôt (430 ans, selon la Bible), dans le dernier patriarche : Josephe, ou le dernier évangéliste : Jean.

Ses frères (le plus acharné d’entre eux : Juda) ont vendu Josephe aux marchands; un autre traître, Judas, vend – il doit – Jésus aux hommes du Sanhédrin. Le traître est toujours Juda(s), la victime Yesouah ou Yoshua. Le bravache, le héros, mais l’ambitieux d’abord, le pressé, le forcené, contre le sage ou le saint, dont Josephe et Jésus portent également le S.

Comment le jaque ouvrier devient-il ce traître, ce criminel? Comment l’élu, le grand innocent devient-il cette victime? Nous l’avons vu.

Il est non moins sûr, évident, que, dans le premier rapport, le traître doit se saisir de l’élu, faire de lui son otage, le mener au supplice. Mais le traître devra cacher son crime – pendant 30 ans; et la victime devenir la nourriture de son peuple tout entier – l’hostis, l’étranger au monde des oppresseurs, puis le pain sans levain, l’hostie. On notera que Josephe, grand ministre d’Egypte, nourrit d’abord ses frères, avant de les accueillir et d’en faire les maîtres de l’Egypte, comme Jésus nourrit d’abord ses apôtres avant de conquérir le monde par eux.

Or, c’est le même Josephe qui dit aux Frères : « Vous ne resterez pas toujours en Egypte », et c’est le même évangéliste, Jean, qui fait dire à son Christ : « Je ne serai pas toujours parmi vous ». Le point où la Promesse se change en Défi. La promesse s’accomplira 432 ans plus tard, par l’Arche de Moïse ou le Graal de Perceval. Mais cet accomplissement sera concomitant avec la quête d’une autre Terre Promise, d’un autre Or, en la mort de la Préservatrice (la Vierge) ou d’un autre Souverain (Lion). Par l’Exode ou le « roi fait néant ». Le défi s’éploiera, se manifestera (par le Fléau), s’incarnera pleinement (dans le refus des dieux) pendant les mille ans, plus ou moins.

Pour que la charité succède à la justice, ou le Paraclet, le Libre Esprit, à la charité.

Ces contingences mythiques – en leur contingentement – nous ont éloignés de la jonction première, du traître et de l’otage, et de la seconde, l’Unité même, de l’accord indivis de l’image et du symbole : le symptôme divin.

Or, le dépositaire des lettres, le Facteur dit à la fois le voyageur réduit à sa tournée et celui qui fait, l’oeuvrier. Et l’élu/otage se dit aussi bien d’un seul mot : l’Enfant.

Le facteur conduit au sens : il distribue les lettres à leurs destinataires, qui peuvent lire. Mais il ignore son origine, il est un jaque, et c’est ce qu’il ne peut supporter, car pour lui il n’est pas d’élection à attendre. Il lui faut trouver, inventer, construire.

L’enfant est réduit au cens, au recensement qui l’a élu (à la vie). Il ignore tout du sens, de son élection, de sa mission, de sa vocation, sauf cela : il est né pour être.

C’est l’ignorance de son origine qui porte le facteur, l’enfant trouvé, (mais le traducteur, plus simplement) à œuvrer, plutôt que de traduire, à commettre le meurtre et en périr. C’est l’ignorance de la Lettre, autre innocence, qui conduit l’étranger, l’otage, à se faire une nourriture, l’hostie.

La figure est telle (le facteur bien avant le nouveau-né, comme le sophiste avant le Fils, ou le Franc-maçon spéculatif avant l’Esprit) :

Mais le vrai facteur, annonciateur, bien sûr, n’est pas le sophiste, ou le spéculatif. C’est Socrate ou, mieux, Diotime, les inspirateurs de Platon; ou Jean-Jacques Rousseau et les Mères quiétistes et occultistes, les inspirateurs de Kant. Plus qu’à de mi des élu(e)s.

Lequel précède l’autre?

On en discutera longtemps.

Pour les auteurs que nous avons cités : Balzac ou Verne d’une part, Courteline et Kafka de l’autre – et pour Melville, leur joint, il ne fait pas de doute que le facteur oeuvrier, le jaque, a précédé le fonctionnaire (Lénine le croira encore), parce que le Moyen Age a précédé les Temps Modernes, ou l’œuvre de la foi les égarements de la raison.

Mais est-ce bien sûr?

La fin du Moyen Age a eu ses tortionnaires, ses rationalistes (l’Inquisition) puis les bûchers de Calvin, la Saint-Barthélemy mais les atrocités de Cromwell : des créateurs au premier chef, de quelle utopie?

Les temps dits « modernes » ont eu leurs victimes, parmi les défenseurs de la Liberté surtout : quiétistes, camisards, romantiques, maudits. Mais ni le Moyen Age n’avait d’otages, sorcières ou Frères du Libre Esprit, ni les temps dits modernes n’ont manqué de bourreaux, de Robespierre à Staline. Victimes et traîtres sont de tous les temps.

Il est exact que, sur 30 ans, le dit du dernier romantique (Gautier) précède celui du premier expliciteur de l’Evolution (Bergson); et que, sur trois siècles, l’œuvre de Shakespeare, le génie, avait précédé de même Darwin. Mais Shakespeare regardait vers l’avenir : un dieu à naître, et Gautier vers le passé : les dieux-rêves. Darwin regardait vers le passé : les origines de l’homme, et Bergson vers l’avenir : l’homme – machine à faire les dieux. Lesquels étaient facteurs, lesquels élus? Pour y comprendre quelque chose, il nous faut remonter plus avant.

Gautier explique Shakespeare, et le tue en l’expliquant. Bergson commente Darwin et alimente sa doctrine en l’exaltant.

Or? Un unique objet/sujet est à la source du nouveau Prométhée de Shakespeare : son Caliban de La Tempête, et de l’homme-singe de Darwin, l’Indien de la Terre de Feu, que Magellan décrit en ses voyages, sans le juger. Shakespeare a lu le Voyage, Darwin l’a recommencé. Le poète y voit – par l’essor même de son génie – le semblable du Prométhée d’Eschyle (ne doutant pas d’être lui-même l’Eschyle des Nouveaux Temps). Car Prométhée, avant le ténébreux sauvage, avait accepté d’être l’otage, la victime des Blancs (ou des Vautours) pour que, dans le futur, un autre dieu soit. Dans le sauvage, Darwin ne voit qu’un homme-singe : tous les hommes étant égaux, selon le dogme spéculatif, il tient la preuve que tous les hommes furent d’abord des singes – et que Dieu n’existe pas.

En un peu moins de trois siècles, Shakespeare déclinera en Gautier : le Rêve créateur en rêve suspecté. En un peu plus de 30 ans, Bergson sauvera Darwin, prouvant de la sorte non seulement le bien-fondé de l’évolutionnisme mais son ouverture à l’avenir. Mais trois cents séparent Caliban de l’homme-singe, moins de trente le mot de Bergson du mot de Gautier.

Une seule origine : Magellan (1520).

D’où la figure :

Mais cette figure n’a pas de sens, temporellement, puisque les 4 : Darwin, Shakespeare, Gautier, Bergson furent postérieurs à l’Odyssée de Magellan. En quel domaine, ni temporel ni spatial, présenterait-elle un sens?

Ne me faudrait-il pas, plutôt, y distinguer les triangles imbriqués de Poe en Euréka, de l’indivis à la dispersion? Ou les cônes concentriques de Yeats et de Joyce?

Des cercles concentriques, différemment, depuis l’indivis, l’Indien de la Terre de Feu, jusqu’à la Forme Vide de Mallarmé, jusqu’à l’homme-machine et le dieu-rêve, inconciliables.

Comment passer d’une figure à l’autre?

Les multiples et les premiers

Comme toujours l’erreur serait de s’en tenir à la seule dialectique, sous prétexte que Shakespeare et Gautier furent poètes, mais Darwin et Bergson des esprits scientifiques.

Des Anglais, Darwin regardait au passé de l’humanité; il croyait au maintien d’une doctrine au moins : la sienne. Mais Shakespeare regardait à l’avenir de l’humanité : son dieu à naître.

Des deux Français, c’était le scientifique qui regardait à l’avenir des dieux : le produit d’une humaine machine, et le poète romantique qui regardait au passé des dieux : des rêves.

Cette quadrilogie n’est pas autre que celle où les firmes pharmaceutiques cloisonnent, catégorisent les médecins. Or, des 4, les dédoublant, je ne saurais faire que les 8 : n’y a-t-il pas, chez les Disciples de l’Evolution, de plus théoriciens et de plus praticiens, de moins progressistes, de moins rétrogrades? Chez les poètes, un Valéry sait distinguer Le bateau ivre du Lac, la technique de l’émotivité. Et Mallarmé déjà, bien avant De Chardin, avait su opposer le passéisme du Chevalier (la biosphère d’Igitur) au coup hasardeux du joueur de dés (réinventant une noosphère).

Au-delà, ce seront les 16 pièces des échecs ou les deux ensembles de 8 (les « ciels ») du Yi King primitif, etc.

Une figure bien différente s’obtient si je ne la construis à partir de la croix ou des ellipses opposées (un analemme) mais à partir de quelque triangle ou des trois cercles concentriques.

Au-delà des 3, je trouve le 5ème : le sommet commun aux deux triangles.

Ou le véritable centre des cercles concentriques, tout autre que les 4 cardinaux ou les 4 écrivains ou médecins des quadrilogies.

Ce 5ème sans doute (Magellan) pourra être localisé hors des 4, comme l’origine des parcours, ou au croisement de la croix (symptôme), au cœur de la figure, ou même comme englobant de tous les systèmes, tous les ensembles susdits : le milieu même où tout s’est accompli (le voyage et les récits, l’homme-singe et le Caliban prophète).

Mais ces 3 « milieux » ne se confondent pas avec les cardinaux : ils s’y adjoignent, nombrant les 7 : 4 + 3.

On le notera (dans la stupeur) : si ana joue des analyses, anatomies ou anathèmes, sans fin, métacentre dit les 4 cardinaux et leur centre, métatarse les 5 doigts du pied, métacarpe les 5 doigts de la main.

Méta s’offre partout comme une quinte-essence.

De telles métagénèses (métaphysiques) ont formulé les grandes machines septénaires du 13ème siècle : le Colloque des oiseaux, d’Attar, Aurora consurgens (de Saint Thomas?).

1, 2, 3, 5, 7 : les nombres premiers.

4, 8, 16, 32 : des multiples ou, du moins, des puissances de 2. Mais tout multiple n’est, au départ, qu’un multiple de 2 : 3 x 2 = 6, 5 x 2 = 10.

Quand il n’est pas un multiple de 2, il s’obtient encore par redoublement :   3 x 3 = 9, ou 5 x 5 = 25.

Or, Méta s’est offert à nous, d’abord, comme un déplacement de l’UN (une lettre dans le mot, un mot dans la phrase) et Ana comme l’expression même des Plusieurs, de la pluralité. Les  nombres méta demeurent donc « premiers » tout au long de leur parcours; les nombres ana des multiples, tout au long du leur.

Mais c’est Méta qui dit la borne, en bout de piste – et le retour.

C’est Ana qui dit l’inventaire des fins, le florilège. Méta la tête de ligne, Ana le terminus, dans le vocabulaire de Bloy.

Comment les deux acceptions s’accordent-elles?

Il n’est pas l’heure encore de répondre à cette question, mais elle se pose – ou se posera – sous la forme : « Pourquoi répondre? »

En ce qui concerne la question de Heidegger, elle se brise là sur la question : Pour quoi ce pourquoi?

Un jeu la rompt, celui que Raymond Roussel, le maître de la Forme Vide, propose en son ouvrage : Comment j’ai écrit mes livres.

La lettre

Je n’en donnerai qu’un exemple, parmi ceux qu’il choisit (mais les autres ne sont pas moins probants) : le palindrome :

« les lettres qu’écrit le blanc – de la craie – sur la bande du vieux billard » : une mention;

et « les lettres qu’écrit le blanc (Rimbaud?) sur la bande du vieux pillard » : un usage.

Le palindrome – des mots ici – est moins parfait que les palindromes de lettres : EVE, ICI, Esope reste ici et se repose, Sator arepo tenet opera rotas. A cause du change de « b » en « p ». Mais il remplit le même office : le change d’un analemme, d’un nœud, d’un X, en cercle, ou 0.

D’une lecture à l’autre.

Le même Roussel ira plus loin dans son dernier ouvrage : « Les nouvelles impressions d’Afrique », qui ne jouera pourtant que la quadrilogie :

Elle nous permet la figure 10, indiscernable sans le 5 :

(la lettre perdue)  le fonctionnaire                           l’automate (vide)

Fig 10 le traître/l’otage

(l’enfant trouvé)  le facteur                                         l’enfant (plein)

qui résout, très provisoirement, notre problème.

A condition, bien sûr, de répondre à la question : « Pourquoi questionner? »

6

Pourquoi questionner?

Qu’en sera-t-il si je pose la question la plus générale : pourquoi questionner? Apparemment, je n’y retrouverai aucune des sous-questions que pose la question de Heidegger : ni les aspects, relatifs au Cela : le vocable, le nombre, la figure, ni les concepts de direction, leurs sens, liés aux nombres, ni les ouvertures/fermetures que toute figure impose (ouverte par l’angle, fermée par le cercle).

Qu’y pourraient être le même et l’autre (le signifiant, le signifié)? L’unité, la pluralité, le nombre directionnel et le positionné? Ou Ana et Méta, jusqu’à cet inventaire et cette borne – sinon le conditionnement de la fermeture, la libération de l’ouverture?

Pourtant nul ne doute qu’en fin de compte, ce soit la question qui se pose. Car, en elle, précisément se propose toute l’étrangeté de l’humain, lorsqu’on veut le distinguer des autres vivants. Sans doute, certains diront que cette étrangeté réside dans la TÊTE et dans le cerveau qu’elle contient, au point qu’on ne dira plus qu’un homme est mort quand son cœur a cessé de battre, comme il en serait d’un éléphant, d’un loup, mais quand son cerveau a cessé de fonctionner. Ceux-là ne voient en l’humain qu’une fonction, toute cérébrale.

D’autres diront que  l’étrangeté réside dans la MAIN, dont l’animal serait démuni. Et le « chaînon manquant » serait en somme un singe qui se servirait de sa main aussi bien que l’homme. Ceux-là font de l’humain le facteur, celui qui fait.

L’homme pourrait questionner parce qu’il est l’HOMME, doué d’un cerveau accumulatif, fonctionnel, et d’une main copieuse, factrice.

Mais est-ce bien sûr?

On découvre de plus en plus, de mieux en mieux, que l’animal mémorise – et qu’il accumule donc : tel animal craint l’eau ou le froid, quête l’ombre ou la lumière, ainsi que la plante. Comme Potocki l’imaginait, le pissenlit a sa fonction; il combine ainsi que Newton, des combinaisons seulement moindres.

Si l’insatisfaction de l’humain tient au désir ou à la peur (que cela y soit, ou que cela n’y soit plus), il n’est qu’un vivant comme les autres, car tous reculent parfois, et tous ont faim. Le guide, le chef des éléphants a pour fonction, mission, de dire : « Arrêtez! Un ennemi est là! » ou « En avant! Une réserve d’eau est proche! »

Quand l’amibe quitte l’amalgame des siens, c’est pour dire : « Allons-y! Là, nourriture! » Quand il se retrait dans le groupe, c’est pour crier : « Attention, danger! Halte-là! » Et la fleur lance de mêmes avertissements, quand elle entraîne toute la plante vers la lumière ou le moucheron à dévorer, ou se reploie, et la reploie tout entière, en l’accueil d’une petite ou longue « dormition ».

L’humanité de même a ses guides, ses prophètes. Qu’elle les écoute ou non, les suive ou tue, c’est une toute autre question.

La main est peut-être le propre de l’homme, mais la saisie ou le lâcher, la prise ou mise ne le sont pas. La patte prend aussi, et, par suite, elle œuvre : l’oiseau construit son nid, le castor un barrage, la fourmi sa montagne. La plante – carnivore ou non, a pris la proie; elle l’engrange ou non, comme l’araignée. Le singe s’arme d’un bâton et le serpent de son venin. Les constructions de l’humain durent plus longtemps qu’une termitière, mais c’est là tout ce qu’on peut dire. Là où il y a dessin, serait-ce d’une toile arachnéenne, il y a une manière de main. Là où il y a dessein – de fuite par peur, d’avance par désir, il y a une tête, qui sait.

Poursuivre ou revenir

Si la question porte sur un dessin, que peut y répondre le JE (vivant)? Je passe, ou je ne passe pas.

Si elle porte sur un dessein, la réponse de JE sera : je l’accomplis ou non, par le désir, l’acharnement, ou la peur et la fuite.

Il advient que le problème le plus complexe se résolve par la figure la plus simple. Ainsi de la question : pourquoi questionner? Car je ne peux y répondre qu’en nommant les Passages.

Ils seront 2, selon que cela passe ou ne passe pas, au carrefour : le passage à niveau, le PAN; ou selon que cela s’y passe ou non, (l’attaque, la fuite) dans le combat, le conflit, le passage à tabac : le PAT.

Le premier passager est seul : à lui de choisir!

Les seconds seront au moins deux, et de leur affrontement naîtra la victoire (l’avance) ou la défaite (le retrait) de l’un ou de l’autre.

Les 2 passages seront + ou – moins passagers, mais comme un train ou un vol de canards, + ou – rapide l’un; comme une rue, un sentier, un chemin le second, = ou – peuplés.

Puis, l’analyse du vol montrera que l’oiseau est + ou – peuplé lui-même (en charge énergétique, si la vitesse se lie à la charge, en « h », comme Planck le prétend) : e = fh.

Un autre recul – une vue synthétique de la ville et de ses rues – montrera que telle rue est la plus passagère à cette, en ce moment du temps : en jour de semaine ou à la sortie des bureaux.

C’est alors que la Masse (inerte ou pesante) se distingue de l’Energie, comme dans l’équation d’Einstein : C² = E/M.

Mais ces systèmes, qui jouent du symbole « passager », du vol ou de la rue, n’infirment pas les images d’ensemble : le PAN, le PAT.

Que le passage à niveau soit passager, en certaines heures, ou non, en d’autres, et que le passage à tabac le soit, si deux armées s’affrontent, ou non, dans un combat de boxe, cette distinction ne change pas la nature du PAN (cela passe) ou du PAT (cela se passe).

Que cela passe ou se passe, il y aura, dans le seul ou les plusieurs, avance ou recul, progression ou régression, poursuite ou retournement.

Les rendus

Visiblement, ici ou là, je peux jouer de dialectiques bien diverses : l’unité, la pluralité – Méta ou Ana – le Même ou l’Autre – la fermeture, l’ouverture. Je peux même nombrer les 2 figures par 4 (la croix) ou les triangles (3) et tenter, poursuivant, de nombrer par les multiples, depuis 4, ou ne pas quitter les premiers (1, 2, 3 – 5, 7 – 11, 13) selon que je trace des tirets ou des points.

Je n’en reviendrai ainsi qu’aux vocables, aux nombres et aux figures, ou à leurs sens : sémantique, directionnel, sensoriel. Sinon aux croix que dessinent les sens, aux milieux qui centrent les croix.

Les aspects, les sens, les croix, les milieux seront 3.

Les aspects pourront être les vertus de Platon, les sens les arts de Boèce, les croix (cardinale, mutante, fixe) les espèces de Scot Erigène – par les Personnes, et les milieux les jugements de Kant.

Mais ces 4 reconstituent la croix :

Sur les 2160 ans, ce serait de nouveau l’alchimie; sur les trois siècles les actes du Graal.

Ni cette figure ni ces nombres (calendériques) ne répondent à la question en jeu : pourquoi questionner? Ils en dégoûteraient plutôt. Et ils en dégoûteront toujours ceux qui refusent les 12 (3 x 4).

Mais un vocable nouveau s’est imposé en ces débats : le « rendu ».

Car rendu est l’homme épuisé, mais aussi l’homme au terme de son retour (rendu chez lui).

Le rendu dit le rendement (d’une machine ou d’un ouvrage); mais aussi la restitution.

Le facteur œuvre pour poursuivre (le traducteur trahit) : ils espèrent de leur œuvre ou de leur trahison, un rendement +, valorisé.

Le facteur fidèle n’a que restitué la lettre à son destinataire. Au terme, il n’a effectué que sa tournée.

L’enfant qui poursuit, devenu l’otage, finit par ne plus rien comprendre à sa fonction, à sa mission. Mais, s’il revient sur son chemin, il se vide, ayant nourri.

Les 4 rendus, ainsi, privilégient le retour, le pendule, le triangle, le l’alchimie ou des quêtes.

Clairement, je ne puis plus parler de l’UN, au cœur pourtant de la figure, au 7ème siècle (l’Or et le Graal); il me faut dire les plusieurs. De la promenade (le retour) et l’aventure (toujours au-delà), il me faut passer à la course, au pèlerinage, qui exigent de nombreux acteurs.

La déférence et le contingent

Deux JE se trouvent en piste. Ils peuvent se combattre, s’opposer, ou se réunir, allant du même pas, dans le même sens. Supposé qu’ils ne disposent, chacun, que de leurs mains (ou pieds) et de leur tête, que peut-il leur advenir, que peuvent-ils tenter?

Les vocables le disent : un handicap (la main sur la tête ou le chapeau), un cap-in-hand (une soumission : le chapeau à la main) puisque le mot, en anglais, ne dit que cette humilité, ce respect.

Le handicap impose un contingentement, le cap-in-hand une déférence. Pour que tous soient égaux, le handicap. Pour que les distinctions, les différences demeurent, le cap-in-hand.

Comme les 4 passages ou les 4 « rendus », cette dialectique dédoublée : main dans la tête, tête dans la main n’a que faire apparemment, avec les dialectiques et les quadrilogies déjà recensées, des 4 médecins, de l’entretien et du traitement, de l’alchimie et des quêtes.

La question : « Pourquoi questionner? » semble tout autre que les questions plus particulières : Pourquoi cela? Pourquoi cette question?

Pourtant, le contingent, que disent le rendu/reddition et le handicap, ne précise que la limite imposée à toute différence : change, conflit ou course, par une équivalence imposée aux rivaux.

La déférence, que disent le rendu/restitution et le cap-in-hand, ne limite que l’équivalence, des pèlerins dans le pèlerinage, par l’intervalle qui sépare les distinctions, les différences, entre le fils de roi et le jaque, l’objet ou le sujet, puis le sujet de la phrase et le sujet du prince ou du laboratoire.

Le handicap du contingent limite les divergences, de poids, de taille, d’âge, d’intelligence, en cette course, ce combat, ce PAT.

Le cap-in-hand, sa déférence, limite les convergences, de fraternité, de similitude, en ces carrefours, pareils pour tous, qui jalonnent le pèlerinage.

Le handicap, ainsi, contrôle le change que suscitera le PAT.

Le cap-in-hand contrôle, en les maintenant en leurs états, d’autres carrefours, d’autres PAN entre ceci et cela. Car, après le pèlerinage, le fermier retournera à sa ferme, le prince à son château.

Simplement, la course et la procession disent la pluralité seule, des rivaux ou des compagnons, quand les dialectiques fragmentaires n’ont posé que des individus (le facteur, l’enfant, le traître et l’otage) ou des dilemmes conceptuels au mieux : le joint et la disjonction, les modes et les relations, le contenu dans le contenant (le plein), le contenant sans contenu, le vide.

Les dialectiques restreintes n’ont reconduit – par projection – qu’aux 3 (l’illusion d’un symptôme, d’un centre, d’un milieu). Pour fuir ces 3 (aspects, sens, croix, milieux), je n’ai retrouvé que les 4 : passages, rendus, main/tête ou tête/main.

Mais, ainsi, je suis passé des seules 3 dimensions (1, 2, 3) à de tout autres séjours, de la pluralité, où les multiples, issus du 4, s’opposeront à d’autres « premiers ».

Ces multiples seront-ils toujours « ana »? Et ces premiers « méta »? Ou s’inverseront-ils, en leur sens propre?

L’inversion cesserait-elle de s’imposer ici, par la question ultime : Pourquoi questionner?

Les espèces et les genres

Nous le voyons du moins : l’ultime question se pose au cœur de la Forme Vide, que je nommerai N désormais. Car c’est là que l’aspect ou l’espèce devient les espèces (monétaires), et le joint, le genre, les genres sexuels, dans la pluralité.

La dialectique des espèces monétaires joue de l’effigie et de l’alliage – tous deux des amalgames. Mais la lettre de l’imprimeur en joue aussi, par le caractère (romain ou italique) et le corps ( du 7, du 9).

Une forme et une matière, toujours.

Les genres sexuels posent un problème différent, de continuité, de joint – ou de discontinuité, de disjonction. Ce sont les alchimistes de la Renaissance (Ripley, Andreae) qui, retrouvant les sexualités de Marie la juive et de Cléopâtre, ont su le mieux parler de ces genres. L’Unité s’est faite de leur union, la Forme Vide leur disjonction. Ils ont localisé l’Union à l’ouest, mais aussi en quelque nuit impénétrable : le minuit, la Noël; et la désunion à l’est, mais aussi dans le plein midi ou l’été de la pluralité, où toutes les choses sont distinguées l’une de l’autre – et la femelle du mâle.

Mais, bien sûr, cette union ne dit que le coït, miraculeux. Cette désunion, de la femme enceinte et de l’homme chasseur, annonce la naissance de l’enfant, à laquelle elle dispose.

Ce ne sont là que termes, des extrêmes : U, N.

En d’autres temps : celui d’Homère, ou celui de Tristan et d’Yseult – au lendemain de la Terre Promise ou du Royaume – les conteurs ont dit les parcours, de la désunion à l’union Ulysse, dans le pressentiment de l’Amour, de l’union à la désunion (Tristan ou Abélard), dans l’annonce de sa fin.

L’histoire d’Ulysse et de Pénélope précède celle de Tobie et de Sarah, de Daphnis et de Chloé, de Philémon et de Baucis, les couples réussis.

Celles de Tristan et Yseult, ou Héloïse et Abélard (de Juliette et de Roméo, dans le premier état du conte) précèdent tous les divorces et drames qui ont suivi.

Toutes ces histoires, je ne vais pas les redire. La dégénérescence du vocable : Caritas, a raconté d’avance le déclin de l’Amour. Quant aux couples réussis, ils répètent seulement, en l’affinant, le conte d’Ulysse et de Pénélope, par la victoire sur les démons, sur l’arrogance de la jeunesse, sur le déclin de la vieillesse. Mais, déjà, l’Odyssée en a tout dit. Puis l’exemple d’Ulysse nous resservira, tout autrement.

L’Odyssée conte une aventure démente, jusqu’en Islande (où le séjour chez les morts la brise et la renverse), et le retour le plus fidèle de l’aventurier auprès de l’épouse, chez lui. De nombreuses péripéties, dans les 12 Iles, illustrent l’analemme, vers l’ouest, puis vers l’est, en même temps qu’elles localisent, minutieusement, les étapes du périple. L’éloignement de Pénélope s’opère par des affrontements virils, des combats entre hommes. Contre les monstres : anthropophages ou ténébreux, cyclopes. Le retour vers l’Epouse, depuis le séjour en l’île de Circé, s’opère par la saisie progressive de l’amour, de Circé, de Calypso, de la chaste phénicienne Nausicaa.

Au terme, c’est l’archer, le tireur de l’arc, qui reconquiert son épouse et son royaume, une autre Vierge, que sa fidélité a re – virginisée. Mais cette fidélité – nous devrons nous en souvenir – s’est formulée, car tout se formule, par la tapisserie que la Fidèle a refaite chaque jour, la défaisant chaque nuit.

Ce parcours, parmi d’innombrables rencontres, et cette ressaisie, quotidienne, des fils, non moins nombreux, nous disent les 2 aspects de la pluralité : ex ou in. Mais c’est aussi le contingentement qu’impose le handicap; le cap-in-hand en sa fidélité. Des millions d’époux et d’épouses auront vécu ces avatars et vécu de recommencements, dérisoires les uns comme les autres, afin de se retrouver à l’est, en Ithaque, inversant de la sorte tous les pronostics.

Car, partout et toujours, tout doit être inversé.

Le midi, le plein été sont des splendeurs aussi.

Quelle question, ici, n’apparaît pas futile?

Ou dangereuse? Elles ne font, les questions, que la folie (Tristan), la castration (Abélard), le désespoir et le suicide (Roméo).

Jean-Charles Pichon 1996

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II – LA QUESTION DES JEUX

         II

LA QUESTION DES JEUX

 

7

Quelle réponse faire?

 

Quelle réponse donner à la question : « Pourquoi questionner »?

Nous avons dit : poursuivre ou revenir. La réponse nous suffit si nous parlons du Seul : le facteur traître ou fidèle, l’enfant adultéré, ou bien revenu en sa fonction d’élu (sacrifié). Par la déférence le facteur, par le handicap l’enfant, comme nous le voyons par les vies de Poe ou de Baudelaire, du colonel Lawrence, de Jean Genet : des élus arrachés à leur élection de Fils, par l’orphelinat ou la bâtardise, le beau-père monstrueux (Allan, Aupic) ou le père, la mère renégats.

Sinon la faille première de l’homme, parmi la multitude des animaux : un cerveau imparfait et qui questionne toujours, bien au-delà de l’avance et du retour, qui assassine ses guides et ses prophètes, à cause du handicap premier : il ne sait plus pourquoi il est élu. Tous les enfants passeront, passent, ont passé par là.

Pourquoi Allah choisit-il l’homme pour complice, allié ou partenaire privilégié? A cause de la folie de l’homme, car les montagnes, les fleuves, le lion et le serpent ont refusé cette élection, selon le Coran. Avec exactitude.

Mais le handicap et la déférence (cap-in-hand) ont donné le choix — un autre choix déjà que la poursuite ou le retour; d’innombrables partages : entre le droit et le courbe, puis, dans le courbe, entre le pli et la fronce — ou entre soumission et révolte, conduit et réduit, condition et libération, etc.

La pluralité des desseins découle de celle des dessins territoriaux : le projet du basque n’est pas celui du rhénan, ni celui du flamand celui du wallon. Mais ils créent, ces desseins divers, d’autres dessins, cartographiés : l’Espagne, l’Allemagne, les deux Belgiques. Une République coupe la Bretagne en deux, et la Vendée en deux, pour créer la « Loire inférieure » ou « atlantique », détruisant de la sorte les deux pays. Un traité de Versailles suscite, dans le monde entier, de tels Etats fantômes, par l’association cartographiée de la Tchéco-slovaquie, de la Yougo-slavie, du Congo Belge ou du Soudan Français.

L’Etat tue les pays, ou l’humanitariste les hommes.

Que se passe-t-il donc là, quand à cent pays, Rome donne le nom : hellénistiques, ou les U.S.A. d’aujourd’hui le nom de « caucasiens »?

Quelque chose qui a commencé dès le déclin de la Grèce (-432) ou l’avènement de la Macédoine (-360), le déclin de l’Islam (1728) ou l’avènement de la France (1800). Sinon, un siècle avant Philippe ou Bonaparte, les délires des derniers rois macédoniens ou français; deux siècles plus tôt, vers -509, la fin des Etrusques ou, dès le Mayflower (1620) l’affrontement avec les Indiens, puis leur massacre.

Car la recherche est sans fin, quand elle ne quête que les causes.

L’origine de Rome? Non la victoire de Postumus, mais les Gémeaux, Romulus et Remus, au 8ème siècle, sinon Enée, au lendemain de la chute de Troie (-1200),… Celle des U.S.A.? Non l’arrivée du Mayflower, mais Colomb, au 15ème siècle, sinon les Vikings du 10ème : la naissance des Aztèques et des Incas, des Séminoles et des Hopis alors.

Comment s’y retrouver?

En recherchant la 1ère Troie (Jéricho ou Cnossos) sous la dernière ville découverte? ou le dialogue de Platon sous une hymne chrétienne? ou la peinture primitive sous la dernière? En grattant la toile ou le parchemin, la terre du pays? Cette quête suscite une figure : le palimpseste, l’analemme, la bande de Moebius (qui fut de Platon).

Elle est sans fin, comme celle du premier homme : un ossement toujours a précédé le squelette, et celui-ci le « chaînon manquant ».

Car il y eut un dessin d’enfant, une tache de peinture, ou un récit, peut-être oral, avant la première écriture, sinon le papyrus lui-même; une tribu, un clan, un nome, un tell avant la première ville, sinon, bien sûr, le pays même.

Quels handicaps, brisures, cassures firent le premier homme avant Poe? Le premier singe avant le premier homme? Le premier oiseau, reptile, poisson, amibe avant le premier singe?

Je n’en aurai pas la moindre idée aussi longtemps que je n’aurai pas considéré en face le problème de la Pluralité.

La pluralité

Afin de progresser de question en question, depuis la plus particulière : « Pourquoi est-ce là, plutôt qu’une autre chose? » jusqu’à la plus générale : « Pourquoi questionner? », j’ai usé de dialectiques diverses : le même et l’autre, Ana et Méta, les multiples (depuis 4) et les premiers (1, 2, 3). Mais la pluralité portait encore un nom, un seul : l’autre, Ana, la série.

Je m’aventure en des séjours, au-delà des dimensions (3) et des quadrilogies (le 4, premier multiple), où ces dialectiques ne suffisent plus, ni ces triangles.

La croix révèle son contenant : un cercle ou une pendule, qui joue de Pi. Le triangle, ou l’angle, révèle son contenu : une oscillation, un pendule.

Or, une infinité de directions, de sens, se découvre entre les cardinaux : les obliques : diagonale ou hypoténuse, diamètre, matrice, intégrale ou différentiel, sur lesquels les mathématiques géométriques se fondent — depuis Pythagore (ou Imouthès, deux mille ans plus tôt).

Et une infinité d’oscillations, non moins, fondées sur le même paradoxe, d’Aristote : toutes les bases du triangle, de la plus petite à la plus grande, exigent le même temps.

Qu’en est-il alors du même et de l’autre? De Méta et d’Ana? Des premiers et des multiples?

a) Le même et l’autre, figurés, ne sont qu’une figure, propre à l’Amour. Un aspect et ses sens, le point et le tiret; ou une croix — de la passion, et son centre, indifférencié.

Les sémites, les fils de Jacob et les tribus de Moïse ont ignoré cette dialectique, non moins que les Hittites, les Assyriens, les races, nombreuses, nées d’Abraham, ou de Noé, en remontant les temps.

Leur problème était celui du peuplement et du dépeuplement.

En ces jours que nous vivons, trop visiblement, la chose même (l’individu ou le territoire) n’a plus de sens. On ne dit plus que l’affectation (le souci de la même chose, de l’équivalence). L’autre chose n’en a guère plus, dans le refus des pays, des races, des sexes, des corporations, le souci est de l’autrement, comme d’un office à l’autre, du balayeur au P.D.G., en cet emploi, une autre affectation.

Mais la même chose et la chose autrement ne jouent plus de la chose même et de l’autre chose, dans l’Amour. La dialectique chrétienne, bouddhiste, a disparu. De quoi parlera-t-on demain? De semblables et de différences (différentiel?) dans un ordre intégral — celui du Mac Donald’s ou de la firme japonaise…

Dans le fait, une quadrilogie : la chose même et la même chose, l’autre chose, la chose autrement. Puisque l’affectation/simulacre m’a interdit d’être moi-même, par les handicaps imposés; et que l’affectation/service n’exige de moi qu’une symétrie de proportion (la partie dans le tout) contre la symétrie d’accord et d’harmonie, par une feinte déférence, un cap-in-hand de simagrée.

Bien évidemment, ni ceci ni cela — des conditionnements de religion, d’église — ne peuvent créer Dieu.

En la corruption du mythe gémellique (huit mille ans d’existence!) la dialectique « le même et l’autre » ne nous propose plus que les Frères ennemis.

b) C’est d’une manière plus subtile que Méta et Ana perdent leur caractère propre. J’ai dit que Méta disait l’unité : le change d’une lettre dans le mot, celui d’un mot dans une phrase; et qu’Ana disait la pluralité, les inversions de plusieurs lettres, de plusieurs mots. Mais voici que se propagent, en cette mode : le modernisme, les vocables : métamorphose, anamorphose.

Chérie des poètes romantiques, la métamorphose dit un change de formes, mais d’une forme synonymique à quelque autre, qui maintiendrait le même sens (signifié), comme lorsque je joue de « parure » à « parage » dans le sens de « parade ».

Ou comme les fils de Jacob et les apôtres, deux mille ans plus tard, vont dans le même sens : de l’est vers l’ouest (l’Egypte ou Rome). Et les tribus dans le même sens que les chevaliers, vers l’est, depuis l’ouest : ou de l’Egypte au Jourdain, ou de la Bretagne à l’Orient. Vers l’ouest, l’élu; vers l’est, le jaque. La métamorphose a seulement changé les servants de l’IHV (Iahvé) en disciples du Christ (IHS). Ou les quêteurs de la Terre Promise dans les quêteurs du Graal.

Chérie des techniciens, hogiens selon Poe, et des joueurs de la Forme Vide, l’anamorphose dit le change de sens en la même forme. Léonard de Vinci l’a peut-être inventée, par le vautour caché dans la robe de la Mère, Holbein l’a poursuivie (la tête de mort dans l’avant-plan de ses Ambassadeurs), Escher l’a accomplie, pleinement, en presque toutes ses peintures. Mais le 4 dans une figure non nombrée, le visage de la jeune et celui de la vieille dans le même visage ou les cerises et les vers de Dali en témoignent tout aussi bien.

En ce jeu homonymique, c’est bien la forme unique, peinte une fois pour toutes, qui comporte en soi des images (sensées) différentes, comme les 4 opérations de Pline et celles d’Evola, deux mille ans plus tard, ou les 4 instruments : la table, la coupe, l’arche, l’arme pour le quêteur du Graal ou celui de la Terre Promise. Bien que, sur ces deux mille ans, les usages en soient autres.

Change de formes dans la métamorphose? Change de sens dans l’anamorphose? Est-ce assez dire?

Ne l’oublions pas : il n’y plus que question après celle-là : Pourquoi questionner? Il ne peut y avoir que des réponses, nécessairement ludiques, puisque elles ne peuvent plus être rationnellement, sérieusement, apportées. Les métamorphoses, là, ne sont plus que des jeux de la matière, les anamorphoses que des jeux de formes, liés entre autres à l’habileté, la technique, du peintre ou du poète, sinon du mathématicien.

L’anamorphose tient à la technique, la métamorphose à l’ethnie.

c) les multiples et les premiers.

Bien sûr, le démembrement — par la pluralité — du Même et de l’Autre, ou de Méta et d’Ana, demeure ludique, par un jeu de figures ou de vocables. Cela fut ainsi, dira-t-on, mais ç’aurait pu être autrement. Osera-t-on dire que les jeux de nombres sont non moins ludiques, en même temps que contingentés?

Nous le constatons du moins : la Pluralité même n’est pas un concept des plus simples, ni même des plus évidents.

Il y a une pluralité fractionnelle, des parties dans l’UN. Peut-être abstraite ou virtuelle, car le pubère contient les mêmes parties que le bébé, mais sans laquelle je ne peux rien mesurer.

Il y a une pluralité des phases de la vie, en progression puis en dégression, de part et d’autre d’une apogée (très peu de temps après la puberté).

Je les nombre, pour faire court, M1 et M2; car elles jouent toutes deux de Méta, l’être en soi.

Il y a une pluralité, A2. Nous sommes plusieurs passants en cette rue passagère. Nous sommes plusieurs (de la même famille ou non) qui prennent ce train.

Il y a une pluralité de moyens de locomotion ou de cycles : plusieurs rues dans cette ville, plusieurs trains dans cette gare, peuplés ou non, plus ou moins passagers.

Passagers et passages, ces plusieurs sont Ana (A), bien que les passants se bousculent, s’affrontent, et que les passages ne soient que des carrefours (PAT ou PAN).

 

Le manège et le drapeau

On voit qu’ici l’Objet se présente différemment, et que les objets divers sont pourtant le même. Je les figurerai, ces objets, par le manège et le drapeau. L’oserai-je?

Le manège est constitué d’un pivot moteur et de figurines, de « fanfreluches » dit Rabelais.

Le drapeau est constitué d’une hampe et d’une effigie (enseigne).

a) le manège.

Le pivot est au centre, les silhouettes au pourtour.

L’UN est interne, la pluralité externe. Des parties (éléments du moteur) font le centre; des phases dans le tournoiement montrent cette figurine, un cheval, ou celle-là, une auto. Je pourrai dire l’auto une cinq-chevaux sans ajouter vraiment à la pluralité des figures alentour. Car la pluralité est des figures externes; il importe peu que cette figure, cette fanfreluche, soit constituée de 5 éléments (les 4 membres et le sexe) ou de 4, si le personnage est manchot, amputé d’une jambe ou impuissant. De toute façon, elle a cette place dans le manège/entour. Les danseurs à loisir peuvent évoluer, lever ou abaisser les membres qu’ils ont, autour de la piste de danse.

Mais le pivot-moteur ira plus ou moins vite, il sera plus ou moins fonctionnel, nouveau ou usagé, intact, détérioré. Et cela est très important : le manège marche bien ou non.

b) le drapeau.

Ici, l’extérieur se montre par les enseignes, fait (e) s d’étoffe. Il se fonde sur la hampe, qui toutes les enseignes ou pavillons. Puis-je réduire le pivot-moteur à une hampe, les silhouettes, fanfreluches, à des enseignes?

Réduire la métamorphose (du manège au drapeau, ou à l’inverse) à une anamorphose : un centre et un pourtour, dans tous les cas?

Je ne répondrai à cette question, encore, qu’en jouant des mots : hampe et enseigne, là, afin d’y retrouver le pivot et les silhouettes.

Enseigne est un homonyme riche : il se prête à l’anamorphose. On peut y distinguer :

l’emblème, fait d’étoffe tissée, du drapeau,

la marque d’une maison de commerce, placardée à l’entrée du magasin,

et, abstraitement :

un cas particulier (à telle enseigne, à la même enseigne),

une argumentation, sinon une preuve : à telle enseigne que…

Mais le nom, au masculin, décrit aussi une élection particulière : l’homme qui porte le drapeau, avant d’être seulement un élève officier.

Au contraire, par déformation classique du sens, au cours des siècles, le nom a donné le verbe : enseigner. Puis, de ce sens : enseignement, il n’a cessé de se disperser, se particularisant. On ne parlera plus que de l’enseignement laïc ou religieux, primaire ou secondaire, public ou privé.

L’élu est devenu fonctionnaire.

La mention primitive (un signe) s’est pervertie par l’usage.

Hampe ne dit rien que cela : le manche, de bois ou de métal qui supporte le ou les enseigne (s).

Afin que ce sens soit conservé au cours des âges, il faudra transformer la forme du mot, en de nombreuses métamorphoses.

Le vieux français disait son origine : la lance (hante), mais le vieux germain disait tout autre chose : ce qui contient, la panse du bœuf (wampa).

Jouant du double support, ce qui se dresse en avant et ce qui contient, l’empeigne dit cette tige en avant du pied, et l’empennage, un bouquet de plumes à l’arrière de la flèche ou à la queue de l’oiseau.

Comme enseigne en vient à se réduire à l’S, écrit « c », d’enseigner ou d’educere, hampe conserve, en ses changements de forme, le « p » premier du mot — jusqu’e ses plus étranges métamorphoses.

Le P qui porte l’enseigne.

Le S que trace dans l’air l’étoffe de l’enseigne au vent.

On aimerait rattacher les deux vocables, et les objets réels, ou les concepts qu’ils disent, à des dialectiques déjà éprouvées. A celles, peut-être, qui ouvrent ce livre, et qui dédoublent, en l’UN, l’agalma et l’amalga de Socrate et de Lacan : monture, parade.

On peut certes considérer la hampe comme une monture/enchâssement et l’enseigne au-devant de la compagnie d’uhlans comme la monture/coursier par excellence. Mais le moteur du manège est non moins le coursier et les silhouettes externes  s’y enchâssent tout comme les enseignes à la hampe, dans le drapeau.

Dira-t-on les enseignes parures, comme les fanfreluches du manège? En quoi la parade des enseignes se distingue-t-elle de la parade des silhouettes, des fanfreluches?

L’un peut-il donc se faire l’autre?

Effectivement. Une hampe circulaire et des enseignes qu’on disposerait sur son pourtour comme des godets (une image familière au bio technicien) ne constitueraient qu’un autre manège.

A l’inverse, vu de loin, comme d’une colline on regarde une fête foraine, le manège n’est plus qu’un drapeau dont le pavillon central, qui contient le moteur, s’offre comme une hampe, et le tournoiement des figurines comme celui des enseignes au vent.

C’est cela même qu’Ezéchiel prétendait avoir vu : les 4 roues semblables aux 4 faces de bêtes (par le moyen des Semblances), et que l’Apocalypse décrit longuement : comme des enseignes ou des silhouettes, les 6 (sceaux, trompettes, tonnerres, signes, coupes, cités/montagnes), et comme le squelette de la Chose, une hampe mais un moteur, les  7 phases vivantes en chacun des 6 : 7 sceaux, trompettes, tonnerres, etc.

Ici et là, l’anamorphose et la métamorphose se joignent ou se confondent — comme dans la hampe circulaire ou le manège vu de loin. Comme, dans l’Unité, la lecture de l’acte et l’acte de lecture. Comme d’autres objets aussi.

 

La pièce et la tour

Car métamorphose ne dit pas seulement : change de formes, mais aussi réalité du changement, une réalité substantielle : la chose même est concernée, comma quand je passe de la tour au fou dans le jeu d’échecs. Les différences ne sont pas seulement formelles, elles sont dynamiques, liées aux mouvements : la tour se meut en ligne droite, le fou en oblique. Ce ne sont pourtant que des pièces, et le vocable dira, dans une seule langue (française) : une chambre, une monnaie ou un spectacle, anamorphique alors.

Anamorphose ne dit pas seulement un change de sens, mais une lecture. C’est l’observateur qui se déplace ici, et, se déplaçant, change en image le symbole abstrait, comme dans les dessins de Vinci et d’Holbein. En regardant la figure de haut (de loin) ou à l’horizontale et de tout près.

Ainsi dirai-je que la Tour est un tout (un édifice, où les pièces sont des chambres),

un pourtour, un entour (par le tour de la pièce de terre ou de la pièce d’eau),

une habileté, une rouerie : un tour de cartes, l’escamotage d’une pièce, ou le talent de l’auteur si la pièce est spectacle,

le moteur, le moyeu de l’appareil, qui, généralement, unit ou relationne des pièces séparées.

Or, la pièce et la tour ne sont qu’un seul objet, au jeu d’échecs, bien que la tour n’ait que cette forme et cette conduite, quand la pièce peut être un autre élu (un fou, un cavalier, le roi, la reine) et même un jaque, le pion. Quand les tours (2 ou 4) ne sont qu’une partialité dans les 16 ou 32 pièces (le nominatif le plus général), commun. Les tours contenues dans les pièces, comme les 4 dans les 32.

On n’oserait pas de tels jeux (de mots) dans un propos auguste, si le jeu d’échecs, précisément, ne se retrouvait en tous les détours du Graal ou de ses quêtes. Car ce jeu est l’épreuve que la Dame du Château du Graal impose à Gauvain d’abord, à Perceval ensuite. Experte en ce jeu, d’abord.

Nous avons suspendu les Quêtes en 1260 ou 1296, un peu moins de 13 siècles après l’an 0. Et l’histoire active de l’alchimie en 1728 ou 1800, 2160 ans après 432 ou 360 avant J.-C. Nous ne voyons pas encore comment le Graal peut se métamorphoser en un objet tout différent. Mais nous commençons de distinguer comment 1728 (ou 1800) reproduit -432 (ou -360), de Socrate à Rousseau, ou de Platon à Kant. Parce que l’inventaire (Ana) s’y fait la borne (Méta) autour de laquelle le coureur, le coursier tourne. Quand le terminus se fait tête de ligne.

Ce sera notre figure 12, qui englobera les 12 du prophète Ezéchiel (3 X 4) et les 12 de l’Apocalypse (6 X 2); bien que la somme : 3 + 4 soit 7.

Je donne à cet inventaire, au terme des questions, le nom de donne, tout au début du jeu. Donne de règles, distinctes en chaque jeu : d’échecs, de dés, de cartes (ou de rugby, d’escrime, de judo); et donne d’éléments, également propres à chaque jeu : pièces, dés ou cartes (sinon les joueurs eux-mêmes : 11 ou 13, 4 ou 2).

De ces règles et de ces éléments, que vais-je faire?

Quelle que soit la réponse, comment, par quels chemins, vais-je la faire venir?

 

Note 1 — Régulés, les nombres jouent de la période (e-1) ou 2160 et de 3456 (pour « e »), comme je l’exposerai en annexe.

7776 = e + 2(e-1) ou 3456 + 4320,

4356 = e + (e-1)/2 ou 3456 + 1080.

Différemment, 7776 = 12 X 648,

4536 = 7 X 648,

et 7776/4536 = 12/7 ou (e-1), selon Platon, l’Apocalypse et Flore.

Les Rose-Croix jouent du 1/3 de 648 : 216, ou du 1/6 : 108.

3456 = 8 X 432, ou 16 X 216 ou 32 X 108,

4536 = 21 X 216 ou 42 X 108,

7776 = 36 X 216 ou 72 X 108.

 

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Comment la faire venir

 

De même que le « Quoi, cela? » de la première question (Heidegger), on voit que le premier problème de la réponse se déduit d’un inventaire, d’un recensement sémantique. Le sémanticien ici — ou l’épistémologiste — parlera de « topiques ». Le joueur dira : la donne.

De même que le « Comment être? » de la première question, le deuxième problème que pose la question sera : « Comment la faire venir? », par quels chemins?

Le sémanticien parlera d’Insertions, et l’informaticien de Canal (entre le message et le code). L’un et l’autre seront nombrés, ainsi que la deuxième question.

Le joueur aussi se fondera sur un certain nombre de règles ou d’éléments. Mais il devra distinguer entre les règles ou éléments qui entrent en jeu dans la partie (que jouent tous les joueurs, selon le jeu choisi) et ceux qui entrent en jeu dans ce coup-là, conditionné par la répartition des éléments : pièces, cartes ou dés, et par leur localisation : le pion se dirige en ligne droite ou en oblique, le roi peut roquer ou non, le valet vient après le roi ou le domine selon qu’il est d’atout ou non (à la belote).

Si je joue des dieux, ils seront généralement 12, en presque tous les panthéons (assyriens ou babyloniens, hittites, romains ou hindouistes, bouddhistes, etc.). Mais les entités purent n’être que 10 (Intelligences de l’Islam ou Sephiroth des mathématiques décimales), sinon les 13, en certaines périodes maya, bien que les lettres du Coran soient 12, comme les Fondamentales de la Kabbale, ou les Images du « royaume » maya.

Mais les vies des dieux, ou leurs insertions ne joueront que des 7, comme dans l’Apocalypse ou chez Ezéchiel (3 + 4), bien que le Yi King y adjoigne l’Unité, en 8, et que le quêteur scientiste de l’algorithme universel en retranche l’UN, en 6. Le 12 n’est alors que le doublement de ce nombre.

A notre connaissance, l’Apocalypse est le seul écrit qui se fonde sur le jeu plus complexe des 12 et des 7. Mais c’est en ne traitant que de la période de 6, au demi de 12 (le cycle).

Un autre jeu complexe est celui de l’hindouisme, mais cet ésotérisme double les 7 en 14 (yugas).

Les autres textes sacrés adjoignent seulement le 7 au 12, en 19, comme le Pentateuque ou le Coran : 7 + 12 = 19.

L’Apocalypse

Tout prophète ou maître du temps est un joueur.

L’auteur de l’Apocalypse (on le nomme Jean) joue aux dés, à la passe anglaise, aux craps. Car il joue des deux dés et de leurs 6 faces, dont les combinaisons possibles sont au nombre de 42 : 6 X 7.

Considérés comme des « mois », ces 42 contiendront 1260 jours et seront contenus en 3,5 ans. Si bien que, lorsque Jean parle des 3,5 ans ou des 1260 jours, il dit encore les 42 « mois ».

Ce serait là un bon exemple d’anamorphisme, qu’il conviendrait de nommer : anavalence, puisque les nombres, alors, se font calendériques (positionnels). Mais le mot prêterait à confusion, puisque les 42 englobent à la fois les 6 périodes de l’Apocalypse, et les 7 phases en chacune.

Or, les phases sont clairement quantitatives, liées au destin de chaque entité : en formation, en +, ou en déclin, en -.

Ezéchiel ne recourt qu’aux similitudes (semblables), la vertu des Gémeaux — le 3ème terme de sa trilogie, entre les Roues et les Figures bestiales. Le Cœur, dira la kabbale du Yetsira, entre la Roue et le Dragon.

L’Apocalypse, comme Potocki plus tard, ne dit que le déclin des Gémeaux (les Deux Témoins), divins en leur ère (scellée), puis mesureurs, puis propagateurs des plaies, en l’avènement des Coupes. Mais ils devront renaître, ou l’un des deux, dans la Jérusalem Nouvelle, au terme des villes/montagnes, dans le Cavalier Blanc : l’Arkhon suprême.

Comme toutes les entités : le Roi/Lion et le Serpent/Cancer, après la Vierge, ils auront alors traversé les 7 phases, plus les 3 de leur emprisonnement, de leur « grande mort ».

7 + 3 = 10, les 10 Rois ou les 10 Têtes du Serpent.

Les 7 Vierges aussi bien, les 7 réveils d’Ishtar, plus les 3 ans et demi ou 42 mois de la retraite au désert.

C’est alors le Roi Lion qui menace le Souffle de Vie, inspirateur du « livre de miel », ou le Serpent qui poursuit la Vierge, ou les Gémeaux qui dénaturent le Roi.

Mais, dit l’Apocalypse, le Temple hébraïque, depuis de le temple de toile (de Moïse), a uni le Roi, Adonaï, et le Souffle, Elohim, en IHV.

L’Eglise de la Ville aux 7 collines unira la Vierge et le Serpent, en Jésus-Christ, le fils d’Hermès et d’Aphrodite, l’hermaphrodite.

Un autre jour, le Maître et les Témoins s’uniront dans l’Institution du Verseur, de l’Inverseur, le dieu aux Coupes.

Et il faudra encore que le Serpent (mort) et la Création taurique s’allient en la Caper (capricieuse et capable) de la future Babylone, avant que le Cavalier à l’arc renaisse, par la nouvelle Mesure et le nouvelle Justice. L’aboutissement, le terme, de la quête apocalyptique.

2160 ans après le royaume de la Caper,

4320 après le royaume de l’Inverseur,

6480 ans après le temps des vendangeurs et moissonneurs, la Parousie chrétienne, au 7ème siècle,

8640 ans après l’écriture du Livre de miel, hébraïque,

10800 ans après Sumer, Mari ou Ekidu,

12960 ans après une Atlantide gémellique, où les Témoins étaient divins, et l’Horus/Anzati un mort, dispersé par le Seth — ou les Camés, en Amérique.

10 unités de 1296 ans (les 10 Têtes du Serpent ou les Rois) dans la Grande Année.

Car le temps suprême d’un dieu est aussi le temps de l’anéantissement de son père, comme il en est chez les humains.

C’est la mort du Cavalier à l’arc qui a fait le triomphe des Gémeaux;

la mort du Verbe scorpionnaire (Enki ou Min) qui a fait la gloire du Taureau (Mardouk, Apis);

la mort du Souffle, du Vent (Elohim, El) qui a fait l’expansion universelle du dieu de Justice;

la mort de la Vierge qui a créé le Fils, IHS.

La mort du Roi (le roi fait néant) fera, dit l’Apocalypse, la parousie de son fils, le Messie Verseur, qui videra les mers.

La mort du Serpent fera le temps des la Terre Première, capricorne, sa fille.

La mort des Gémeaux (de la symétrie) fera la splendeur de l’Archer, du Sagittaire, leur fils, quand les temps se seront retournés.

Un monumental édifice! Que fonde le sacrifice du Père, mais nous ne sommes pas assez savants du Jeu pour le comprendre (ou seulement l’admettre).

Nous n’en sommes qu’au manège ou au drapeau, que nous constatons seulement, sans les comprendre bien.

Œuvrant sur les douze millénaires, l’Apocalypse déborde — de tous côtés — le nôtre. Comme un jeu ses parties, ses coupes, et le JEU les jeux divers.

 

Des échecs au porche d’Amiens

Les dés ne furent pas le premier jeu. Les échecs les ont précédés, qui jouent des 8,16, 52 et les 2 cercles du Yi King (8, 16,64), sinon, presque certainement, les 4 figures du « jeu de mains »: le puits, la feuille qui le recouvre, les ciseaux qui coupent la feuille, la pierre qui écrase les ciseaux. Toujours les instruments des quêtes, les opérations de l’alchimie, ou les 4 Eléments en-deçà!

Aux échecs, les 52 pièces se partagent en 16 noires et 16 blanches, puis les 16 en 8 pions et 8 figures : les 4 dédoublées, des Souverains (Roi et Reine), des Tours, des Fous, des Cavaliers.

Jouant du même dédoublement, pour dire le nombre d’éléments atomiques contenus dans les corps, depuis l’hydrogène (2): la série de Mendeleïev.

Sa formule: 2 n au carré a semblé à Caillois une invention maîtresse, une « symbolique permanente » du plus haut niveau.

C’est seulement la série que donnent les produits des nombres pairs par les nombres entiers: 1×2, 2×4, 5×6, 4×8, 5×10, etc.

Les 42 de l’Apocalypse découlent d’un tout autre calcul: 6 x 7. Ils utilisent un nombre premier:7 dans ce domaine des jeux qui n’usait, jusqu’alors, que des pairs, des multiples ou des puissances.

L’invention médiévale des cartes, née de la Kabbale et des Tarots, semble en être revenue tout d’abord aux multiples, sinon aux pairs, par les 22 « atouts » (cabalistiques), ou les 52 cartes, puis les 52. Mais, par les 4, « as » ou figures: le roi, la dame, la cavalière, le valet, tous ces jeux préservaient la Tête. Puis, le 1/4 de 52 est 13 (la donne du bridge).

Un autre jeu de cartes me semble plus étonnant, en même temps que mieux accompli. Etrangement, ce fut, pendant deux ou trois siècles, le jeu des opprimés, des otages, révoltés de l’être : camisards, vendéens, arabes d’Afrique du Nord. Les uns le nomment les Aluettes, les Vendéens; d’autres (dans le midi de la France) la Vache; les Africains le Doulo.

Ce jeu retrouve le nombre de Sumer: 60. Il se constitue de 4 x 15 cartes : le maître, un intermédiaire (2 d’écrit, 2 de chêne, 9 de coupes, 9 de deniers), un as, puis les 4 figures: roi, dame, amazone, valet, puis 8 cartes nombrées: les 10, moins l’intermédiaire et l’as.

Il se joue entre 4 partenaires, qui ne sont que 3 : les 2 adversaires et le maître, le conducteur du jeu, qui connait le jeu de son aide, par les signaux que celui-ci lui envoie: de la main, pour dire les intermédiaires, et de la tête (la bouche, les yeux) pour dire les Maîtresses qu’il possède.

En chaque partie, l’enjeu sera 2 points (la totalité des plis) ou un seul point, selon l’annonce du Conducteur.

Clairement, les 32 cartes nombrées (8 x 4), les 4 intermédiaires, les 4 as et même les 16 figures (4×4) se formulent par des chiffres, car les figures demeurent valorisées : elles le sont en tout jeu de cartes : le roi prime la dame comme 4 prime 3, la dame l’amazone, comme 3 est plus grand que 2, l’amazone le valet, comme 2 contient le 1.

Les Maîtresses ne le sont pas: de pures entités.

Le Maître (des épées ou des styles),

la Dame, que figure le cygne, maîtresse des coupes,

la Vache, maîtresse des chênes ou des bâtons, de Terre,

le Borgne, scorpionnaire, le maître des monnaies, des deniers.

Depuis que j’ai lu Ruskin, et son traducteur: Proust, le jeu m’évoque une création du 13ème  siècle — le grand porche de la cathédrale d’Amiens, qui de même, se fondant sur des textes éprouvés: la bible hébraïque et les Evangiles, avait tenté d’atteindre à une « symbolique permanente », selon le mot de Leibniz.

Les 4 maîtres y sont les effigies du haut : le Christ, puis Firmin (le saint), David et Marie.

En découlent les 36: 5 x 12,

le zodiaque, à la droite du porche, sous Firmin,

les 12 apôtres, en 6 vertus et 6 vices,

6 rois et 6 vierges à gauche, sous Marie. `

A la base du porche se retrouvent les 16 des Echecs et du Yi King:

les 4 grands prophètes israélites; puis les 12 petits (en 3 groupes

de 4 ou 4 de 3).

L’ensemble: 4 + 36 + 16 donne le nombre 56, comme les cartes de la Vache, si j’en exclus les Maîtresses, non nombrées.

Pourquoi 56? Je ne l’ai pas su d’abord. Mais le nombre se retrouve à Stonehenge, des millénaires avant la Vache ou le commentaire de Ruskin et de Proust  (la quête du Temps perdu). Il ne peut donc être hasardeux.

J’y ai trouvé plus tard (je jouais aux Aluettes, en mon enfance) ce commentaire scientiste.

56 = 8 au carré – 8 = 7 au carré + 7.

Une équation de la série: N au carré – N = n au carré + n, déduite de la formule de Poincaré: N = n + 1.

D’autres ésotérismes jouent d’autres équations de la même série.

7² — 7 = 6² + 6, les 42 de l’Apocalypse,

6² – 6 = 5² + 5, les 30 du mois sumérien,

5² – 5 = 4² + 4, les 20 figures mayas (nombrées)

4² – 4 = 3² + 3, les 12 éternels.

Les nombres premiers ne sont pas exclus de cette série, plus qu’ils ne le sont de la série des factorielles inverses:

1/1 + 1/ (1×2) + 1/ (2x3x4) + 1/ (1x2x3x4x5) ou:

1, 1/2, 1/6, 1/24, 1/120, 1/720, 1/5040…, dont Platon tire la sommation 12/7, en s’arrêtant a 1/5.040, et dont Euler tire, deux mille ans plus tard, la sommation « e-1 », affinant les 12/7 ou 1,714 en 1,718.

De – 452/-360 a 1728/1800 encore : le domaine de l’alchimie.

C’est en ce temps que les dés ont vu le jour, puis les cartes, des jeux bien plus subtils que les osselets, les « dames » ou les échecs.

Par l’intervention des nombres premiers.

Mendeleieff, ici, marque un déclin. Mais il n’est pas le seul parmi les hogiens, les scientistes.

Que vivent les Ruskin, les Proust, les joueurs de la Vache! Les bons « facteurs »!

Le lituus

Ce cri poussé, bien sur, il serait illusoire de croire que Ruskin et Proust, ou les révoltés de la Vache aient dit ce qu’ils ont dit pour la première fois de l’Histoire. Le porche d’Amiens date de huit siècles, et Stonehenge, peut-être, de huit millénaires.

Sans remonter aussi loin, les vocables nous disent que les Sémites d’Abraham, puis les Hébreux de Moïse, et les peuples de leur époque, Egyptiens, Hittites, Assyriens, jouaient déjà du cercle (ou du demi-cercle) et de la pyramide ou du triangle. Les fils de Jacob et les tribus de Moise les disaient : lituus.

Le vocable disait le cercle, l’embouchure de la trompette, porteuse du Souffle Elohim, et le bâton fourchu, plus tard le bâton-serpent de Moïse, l’insigne du pouvoir, du Guide.

Les Patriarches le figuraient, ce lituus, en son mystère; ils ne l’avaient pas inventé.

Quatre siècles plus tôt, les Akkadiens ou les habitants de Lagash — les rationalistes de l’époque — avaient formulé le demi-cercle, l’arc, et son diamètre (la droite), trouvant ainsi le 11 et le 7 (figure 13) et le rapport 11/7 = Pi/2.

 Dès le 23ème  siècle ou le 22ème  avant J.-C., les Egyptiens fondaient leurs croyances, à demi rationnelles, à demi théologiques, sur les 2 chemins: le courbe, de Seth, et le droit, de Ra (une science, une autorité)-

Puis les Assyriens avaient créé la dialectique de l’Arc et de la Fleche.

Mais, dès le 27ème  siècle, ou le 26ème, Imouthès, puis Chéops avaient créé la Pyramide (un triangle volumineux). Ce triangle nous semble éternel, vieux de cinq mille ans. Il nous permet de figurer les 3 périodes :

Trois enseignes liées à la même hampe. Au pourtour du Manège. Ainsi que les 3 flèches dans la main du licteur.

Or, ces 3 ne sont mas vraiment distincts du cercle. Ils n’en figurent que le quart, par la Croix.

 La 1ère coupe

Elle se situe, nous l’avons vu par Galaad, en la fin de l’Unité, la Terre Promise d’Egypte ou le Sang Réal — et donc, également, par Moïse ou Josué, répartissant les 12 aux cardinaux. Deux mille ans avant Moïse, ce fut le partage de l’Arche/nef, pour isoler, en chaque douzième, les races (bestiales encore). Car l’architecture de la Nef n’était pas moins précise que celle des tribus, ou celle des chevaliers-quêteurs.

Le partage jouait déjà des 12, ou des 24, des 48, des 60, les nombres de Sumer étant trouvés.

 Du cercle naît la croix, et les 4 triangles, dont la Pyramide n’est que  le préféré.

Or, ce n’est rien que l’action du bâton, de la flèche, du diamètre et du rayon dans le cercle : du droit dans le courbe.

Mais le cercle fermait, fût-il de la Voix, du Souffle. Le droit, le triangle ouvre. Par le nombre d’Or d’abord (voir l’annexe).

Au cercle, la tête ou la pendule, quelque pendule s’accroche, qui fut dans le cercle, quelque triangle ou quelque queue. Ce pendu cependant…

Les nombres ne disent jamais que ce tête-à-queue.

Mais quelle anamorphose! Telle que l’Histoire n’y voit que des métamorphoses, comme du lituus au licnon. Parce que l’historien ne sait pas toujours se coucher ou se relever quand il le faut.

 

Le coup et la partie

Comme ils explicitent la question:  » Comment est-ce: être? », les nombres sont indispensables pour dire les chemins de la réponse, ils disent comment la faire venir. Mais, là encore, on voit qu’ils reconduisent à des figures; il faut donc que, d’une autre manière, ils procèdent aussi des vocables. L’insertion et le canal du sémanticien et de l’informatique ne sont-ils pas des mots?

Depuis le manège ou le drapeau, ces mots disent d’abord des objets: la pièce, la tour. Ils peuvent dire des positions: de la partie dans le jeu, du coup dans la partie. Et même des propositions: celles de Leibniz après Descartes (le oui et le non de Pythagore), puis celles de Boole: le + (et), le x (ou), fondements de toute l’informatique, deux mille ans après le dilemme de Zénon et le sophisme.

Commentant les quatrains de Nostradamus qui prédisaient la fuite et la prise à Varenne, Georges Dumézil refuse la traduction classique des « deux parts »: les deux époux, le Roi et la Reine. Il joue du mot : de (ux) parts, pour dire les deux départs, vers la liberté ou vers la prison. Il ne semble pas considérer les deux partis (royaliste, révolutionnaire). Les 3 acceptions du mot sont pourtant possibles. Un Raymond Roussel aurait pu écrire, comme Nostredame par son jeu de mots :  » des deux partis, le bon était parti (le fiancé – ou l’amant de la Reine) : le mariage fut rompu, au point que les époux seront séparés : l’une des parts du couple royal (Louis XVI) sacrifiée avant l’autre (Marie-Antoinette) ».

Au couple a succédé la coupe, par le coup précis de la guillotine. Ou par le couperet.

Aux cartes, c’est toujours l’atout qui coupe, si le coup a été bien joué, ou que la donne permettait celui-là. Josué ou Galaad ont été cet atout, dans les 2.160 ans, par l’anamorphose de l’Arc-en-ciel en Arche d’alliance, ou du Sang Réal au Saint Gréal.

Dans le domaine des dieux.

Mais aussi Saint-Just dans le monde des hommes, et dans le petit cycle des 180 ans : « La mort du roi sera le moteur même de la Révolution (et de l’âge à naître) ». La Coupe est ce qui donne la victoire au Parti — qui formule le triangle dans Le cercle.

Ces jeux : pièce/tour, coup et coupe, partie et parti, ouvrent sur beaucoup d’autres.

Le coup n’est qu’une partie de la partie, mais il englobe toute la partie, dont il décide, par la coupe. Il n’a qu’une situation d‘emploi dans la partie, comme la pièce. Mais, tour, il a un rôle particulier (par sa forme et ses directions, horizontale/verticale).

0r, le rôle n’est pas seulement cette élection : il englobe les emplois ou des causes diverses, dans le rôle d’équipage ou le rôle judiciaire.

L’emploi n’a pas seulement cet usage partiel (de valet, par exemple).

Mais, de l’emploi de valet, sont nés les rôles — inoubliables, élus — de Scapin, de Sganarelle, de Figaro. Deux mille ans plus tôt, le rôle de Sosie.

Le rôle et l’emploi jouent de sujets (de la phrase ou du prince), comme – ou + assujettis.

D’autres mots ne diront que des positions : la station et l’état.

Les stations (ferroviaires) sont dans l’Etat (la France).

Les états de Jésus, dans le chemin de croix (14 stations) sont propres à cette station-là.

D’ou, le jeu de mots de Jarry: le chemin de fer du Surmâle, et le chemin de croix de Faustroll, et la synthèse:  » le chemin de croix considéré comme une course cycliste ».

Nous arrêterons la: les exemples seraient sans fin.

C’en est assez pour démontrer que, dans le jeu, le mouvement a disparu.

Qu’il s’agisse d’objets (la pièce, la tour), de positions (la station, l’état) et de propositions (le rôle, l’emploi), il ne s‘agit jamais que du coup et de la partie: lequel est dépendant de l’autre?

Lequel est contenant, contenu?

A la limite il faut bien dire que la dialectique de l’Unité (acte et lecture) a disparu. Et que les vocables de l’UN n’ont plus de sens : monture, parade.

Il n’y a plus que ce qui sort et disparait : une fin, ou qui entre, s’inscrit dans l’inventaire: une entrée.

Mais, dans la fin, il y a le terme, ou ce qui subsiste après le terme: la mouture/salaire, dans le sens médiéval, et le relief/vestige.

Dans l’inscription, il y a le relief/remblai, autour de la borne : méta, qui indique le chemin du retour, et la mouture/copie, le duplicata du cycle précédent dans le nouveau, d’hier dans ce jour-ci.

Car nous sommes dans — ou autour de — la forme vide, dans l’ouverture (la fronce) ou la fermeture (le pli) de l’analemme ou du cercle, entre autres, mais de ce palimpseste ou de ce palindrome, de la bande de Moebius et de la 2ème  coupe.

Cette réponse immobile, inerte, où vais-je la faire venir?

Qu’est-ce que j’attends ou qui m’attend? Dans l’Au-delà de la mort, la Forme Vide parfaite?

 

9

où la faire venir?

 

Avant de se fonder sur le 3 et le 4, (sur la dernière des dimensions, le 3ème  nombre premier et sur le premier multiple), les questions ont posé le 2 (la dialectique), 2ème  dimension et base des multiples pairs.

Au point que certains, les facteurs, les hogiens, les systématiques, les rationalistes refusent le 3 (le tiers exclu), pour ne parler que de la lecture et de l’acte, du signifié et du signifiant, ou des 2 « ensembles » dans le système, ou d’un continu synchronique, d’un discontinu diachronique (la coagulation, fusion, et la dissolution, fission) de l’alchimie, etc.

Le domaine que nous tentons de décrire, des jeux, semble d’abord proscrire toutes ces dialectiques. Il n’y est plus que des pluralités, au lieu de la dualité : premiers/multiples. Il n’y est plus que des cens, des recensements, au lieu de la dualité : mention/usage, signifiant/signifié. Il n’y est plus de lecture et d’acte, ni d’imagerie ou de symbolique autour de l’UN, faute de l’UN et de ses sens.

Tout y est pluralité, cens, image.

Or, il n’est de raisonnement que dialectique, selon les raisonneurs.

Comment, donc, puis-je poursuivre mon raisonnement au-delà?

Etrangement, il me faut répondre: par le 4, le premier des multiples.

a) Car, des pluralités j’ai distingué les 4 : M1, M2, A1, A2, traitant des parties et des phases en M, des autres et des autrements en A.

Sans doute les pluralités peuvent être de lettres dans le mot, de mots dans la phrase, de phrases dans la proposition, de propositions dans le discours, le raisonnement.

Elle peut être de points et de tirets dans la ligne, de lignes (droites ou courbes) dans la surface, de surfaces ouvertes ou fermées dans l’image, d’images (visibles, audibles ou non) dans le rébus.

Elle peut être de nombres, de séries (suites ou fonctions), de fonctions convergentes ou divergentes, convergentes vers l’UN par Pi et ses fractions, ou vers 0, par les constantes « e » ou issues de « e ».

Fondé sur des propositions irrationnelles (des contingences), sur des rébus (concrets/abstraits), sur des constantes ou des fractions, parmi bien d’autres positions, l’univers des jeux se présentera d’abord comme un inventaire doublé d’une fin.

Une mouture/salaire la fin des inscriptions dans ce cycle : quotidien, mensuel, annuel.

Un relief/vestige l’inscription des fins, comme, au-delà de l’inventaire, il demeure le crayon qui le dressa (trop usé pour y figurer).

Bien que ce puisse être tout à l’inverse, si je fais du relief un remblai — de la piste autour de Méta; et de la mouture une copie, une reproduction du cycle.

b) le jeu exclut le mouvement. Il n’exclut pas le change. Si le facteur, celui qui fait, et l’élu se mêlent, se confondent, au point que l’innocent l’emporte sur le tricheur, le technicien, c’est qu’on ne sait plus bien, a la limite, s’ils sont les deux aspects du Même (les 2 Wilson, Hyde et Jekyll, Dorian et son portrait) dans l’anamorphose, ou si, ennemis, ils ne doivent pas changer de l’un à l’autre, se métamorphosant, comme le vaurien en saint (Augustin, Paul ou Saint François d’Assise) et le maudit, Hölderlin, Rimbaud, Artaud, en pur prophète et guide.

Par la métamorphose ou l’anamorphose, d’autres transmutations ou substitutions s’opèrent, bien que ces changes/transpositions ne soient en rien des mouvements, des transports. La substitution s’opère en ce lieu (d’une pièce à l’autre), la transmutation en ce temps — l’instant du sacrifice, de la messe. Maintenant le fils devient un père, ou le vivant un mort, la larve un papillon, la branche nue la branche fleurie, la bave d’escargot une étoile.

Ici, la tour a pris la place du fou, pris.

Le mouvement de la tour ne sera pas celui du fou. Le mouvement, l’insertion dans la réalité, du père, du papillon, du saint, de l’œuvre renommée, ne sera pas celui de l’enfant, de la chenille, du voyou, de l’œuvre maudite ou ignorée.

Mais, ici et maintenant, quel mouvement distinguer? Cela ne passe pas, seulement se passe.

c) Il sera moins aisé de dire ce qui a lieu hors da l’acte et de la lecture. Mais je l’ai dit, malgré moi : la fin et l’inscription.

A cela près que je conçois le salaire et le vestige (impayé, sinon incalculable) : l’angoisse ou le repos à l’heure du sommeil, le « quelque chose » qui va se déverser dans le rêve, selon que je considère l’homme comme une machine, les dieux comme des délires.

Il m’est plus difficile — presque inconcevable — de cerner et d’admettre  le relief/remblai, la mouture/copie., c’est à dire le chemin même et son (ou ses) tournant(s).

Je peux concevoir comment tout signe, un jour, ne signifie plus rien, au seuil. Par l’usure synchronique des synapses —  jusqu’a ce point, recensé à zéro : l’entropie. Car c‘est le chemin de la vie.

Il ne m’est pas concevable, puisque je vis,  que l’inventaire reconduise à l’indivis, en dépit de tous les degrés de liberté, les approximations, les indéterminations des contingences (le reste du crayon ou de l’homme : un squelette) par le simple remblai et la simple copie.

Comme les pluralités et comme les changes, il faut pourtant bien que ces figures soient concevables, ou déscriptivées, décryptées : la quadrilogie des figures.

« Mouture » et « relief » me l’ont dit.

C’est là — et là seulement — que peut venir la réponse.

L’espace et le temps

Traitant du  » Où? » dans les questions, j’ai opposé d’abord la carte ou le territoire, dans un espace réel (le territoire) ou virtuel  (la carte), puis le passé à l’avenir, dans le temps.

La carte et le territoire ne disent que des étendues.

Le passé, l’avenir ne disent qu’une durée, toujours axée de l’avant vers l’après, autour de l’UN, du présent.

Mais l’étendue ne recouvre  qu’un quiproquo selon Raymond Roussel, disant la Campagne d’Egypte et la bataille des Pyramides. La chose est-elle la même, vue de près ou de loin, invisible dans l’infrarouge, inexistante (?) dans l’ultra violet. Bonaparte y fut-il vainqueur (les musulmans ne l’ont pas cru)? Y fut-il, dès alors, vaincu par son destin, qui ne pouvait que le transmuer en Napoléon, le meurtrier d’un million d’hommes?

Quant à la durée, elle est telle que, pour m’y diriger, la mesurer, je dois user de l’étiquette, salon Roussel. Ce produit est miracle, ou cet autre un remède certain : l’étiquette de la bouteille le dit. La Vierge ou le vaccin sont tels que nul ne peut les mettre en doute (une idole, dans tous les cas). Roussel a dit le pilier, la colonne, dont le toucher guérit de la jaunisse, mais ses exemples n’ont pas omis le produit pharmaceutique, dont les ravages ne sont connus que bien plus tard.

Le calcul de l’étendue suppose le quiproquo; celui de la durée exige une étiquette (ou un quantum).

Il reste que l’espace n’est pas une étendue. Il n’est, dans les espaces, ou hors d’eux, que l’intervalle, l’interstice entre les étendues, qu’on dit précisément « espaces ».

Dans un temps réel, mais hors de ces durées, il n’est plus que des contingents, des cycles.

Les intervalles ne sont pas des étendues. Les cycles ne sont pas de la durée.

Il n’est d’étendue (et de quiproquos), de durée (l’étiquette) que de l’UN, l’En-soi, que le monde des jeux ignore. Il ne sera donc d’intervalles et de cycles que dans le monde du Jeu. Roussel les nomme la Question et sa fin (son Extinction), mais c’est seulement qu’il ne sait rien de ce monde, ne pouvant qu’y jouer.

Quand Gautier dit que les dieux sont les rêves de l’humanité, il ne dit aussi que des contingences, des quiproquos. Quand Bergson dit que l’homme est une machine à faire les dieux, il ne dénomme qu’une étiquette systématique (née du système de Darwin).

Les jeux usent de ces contingences (pièces, cartes, dés) et de ces nécessités (les règles du jeu). Mais ces contingences offrent une réalité, une matérialité dès l’abord évidente : une carte est autre chose qu’une pièce d’échecs, un pion des Dames.

L’abstraction des règles n’en fait pas de simples étiquettes, puisque, trichées ou non, elles sont le moteur du jeu.

Nous avons dit les éléments du jeu les fanfreluches du manège ou les enseignes du drapeau. Sa règle : le pavillon central du manège ou la hampe du drapeau.

Que sont-ils à l’autre bout, alors qu’il n’y a plus de quiproquos, d’étiquette, d’étendue ou de durée, mais seulement les intervalles et les cycles (espaces/temps)?

Au-delà de Roussel, entre 1950 et 1940, les deux derniers dicteurs de la Forme Vide ont été deux poètes : René Daumal (Quand l’aube parait) et Yeats (Visions).J’entends : formes vides littéraires, car bien d’autres, scientifiques ou scientistes, ont aspiré au vide (virtuel), jusqu’ à ce jour.

Daumal donne un jeu très complexe, de cercles non concentriques mais inclus l’un dans l’autre et de triangles mi-rouges mi-noirs; tel, ce jeu que, sans cesse, on passe d’une forme à l’autre.

Yeats suggère un jeu de cônes, l’un primaire, l’autre antithétique, dirigés vers l’est ou l’ouest. Unis par la base, ces cônes (ou gyres) donnent l’As de carreau; unis par le sommet, le Sablier.

Les deux visions de Yeats (reçues dès avant la mort de sa femme, en 1919) et de Daumal, plus tardives, sont clairement complémentaires, mais à tel point que 2 objets : le cercle et le triangle, ou le sablier et le carreau, ne suffisent pas pour en rendre compte.

Le jeu des mots m’en fournit 4 : la fusée/fuseau, la navette, le fil et le défilé, mais ces 4 en viendront très vite à 12.

La succession des peuples, en leurs croyances diverses, m’en permettent 4 autres, fondées sur le n et le u, ou sur le A et le V. Mais nous n’en saisirons pleinement la succession que par les interventions/inversions du W au M, ou à l’inverse. Nous y retrouverons le A d’Ana dans le W, et le V dans le M de Méta.

Je ne quitterai donc pas les 4 :

1) le X et le O de Yeats et de Daumal,

2) V dans M, A dans W.

1) X et O:

a) la fusée et la navette

Que disent les mots?

Fusée prend les 3 sens, du plus ancien au plus moderne:

à l’origine, au Moyen Age, elle dit un autre meuble que le mobile, le mobilier, qui ne se déplace pas de lui-même, ne bouge pas : le meuble de l’écu d’armoiries, en forme de losange (en héraldique);

à partir de la Renaissance, la partie de l’essieu autour duquel tourne la roue; puis le cylindre tournant de diverses machines;

plus récemment, en médecine, la projection ou prolongement d’un abcès en formation; en artillerie, l’organe ajouté a un projectile creux, pour en mesurer l’éclatement. Les deux acceptions situent ce troisième sens du mot au temps de Napoléon, origine de la médecine et du génie moderne (militaire). On sait ce que l’astronautique fait de la fusée, ce n’est qu’une autre projection, rigoureusement mesurée.

Parallèlement, mais sur une période plus courte (du 13ème  siècle au 18e) « fuseau » présente aussi 3 sens:

la totalité du fil enroulé (sur le fuseau),

le double cône dont les femmes se servent pour filer a la quenouille. C’est aussi, par suite, géométriquement, spatialement,  » la portion de la surface d’une sphère comprise entre deux demi-circonférences unies par ce diamètre commun »,

abstraitement ou temporellement, le même double cône qui permet de calculer le « temps », les temps divers, à la surface de la sphère terrestre : le fuseau horaire.

Les 3 sens de « navette » sont autres: simultanés plutôt que successifs, mais d’une simultanéité qui renvoie bien en-deçà du Moyen Age, aux temps gallo-romains et qui peut-être, comme éternelle, n’a pas fini de nous préoccuper, de nous obséder, en l’Inverseur.

La navette est, primitivement (?) un petit vase, en forme de navire, où les chrétiens conservent l’encens (mais, autrefois, quelle myrrhe ou quel alcool?);

l’assemblage de 2 navettes primitives, en une sorte de cône fermé aux deux extrémités, que le tisserand utilise pour faire courir le fil de la trame à la chaîne, ou de l’autre à l’une;

le va-et-vient lui-même, entre 2 points quelconques : l’oscillation du pendule (triangulaire) contre 1’horloge, la pendule des fuseaux horaires; ou l’instrument de retour, le véhicule récurrent, pour les passagers de la fusée moderne.

Anciennement, toujours, la fusée ou la navette n’ont dit qu’un contenant, un récipient (le meuble ou le vase) : puis le tournoiement ou le glissement d’un fil, d’un mouvement absent; puis le lancer (de la fusée), le va-et-vient de la navette, son retour dans le temps :

— un espace étendu,

— le passage de l’espace au temps,

— un temps cyclique.

Mais ceci et cela contraignent à d’autres dialectiques, objectives encore (fondées sur des objets) en même temps que conceptuels et, à là limite, subjectives.

b) le fil et le défilé.

b) le fil et le défilé

Que disent les mots?

Pour les entendre précisément, il faut se souvenir du mythe (grec) des 3 Parques, qui filent, mesurent et rompent la vie (la 3ème  se nomme Antropos, bien avant notre entropie).

Le FIL est une continuité, de la vie;

un support, le chemin de l’équilibriste;

une chose qui se rompt aisément, pour la 3ème   Parque, mais qui peut rompre aussi : le fil à couper le beurre.

Une poursuite, un support, une casse.

Le mot en impose donc un autre: DEFILE.

Or le défilé peut être celui des drapeaux ou des enseignes, des fanfreluches, autour de la seule hampe ou du seul moteur.

Il peut être le passage, la discontinuité, entre les montagnes ou les maisons, le chas de l‘aiguille par où le fil passe;

l‘état de ce qui est passé, s’est défilé, dont Roussel traite en son 4ème  poème des Nouvelles Impressions. Celui qui a quitté le salon, la réception, et dont on ne sait pas exactement s’il fut le tricheur honteux ou le solitaire, impatient de fuir la cohue;

Je dis ces 3 des objets/concepts car, pour les entendre ou les voir bien, il faut jouer du soulagement et de la délivrance.

Comme le fil, le SOULAGEMENT est une poursuite, une élévation. Soulagé, je suis plus léger, je m’envole;

pour prolonger mon soulagement, je m’appuie, sur un principe, une certitude conceptuelle,

déçu, je me casse ou casse. Je suis soulagé de ma bourse, par le voleur, ou de ma vie, par le tueur. Quand le fil à couper est, lui-même, rompu.

Nous le savons: le facteur/messager peut se faire « celui qui fait », l’ouvrier, le mauvais traducteur, le traître, pour créer l’automate, qui le tue. Il ne soulage qu’en volant ou tuant; il n’est soulagé que par sa propre mort.

C’est le destin du Fil.

A l’inverse, privé de mouvement, le défilé n’est qu’un passage, par ouverture : la DELIVRANCE de l’enfant; ou, plus généralement le passage par un col, entre les montagnes. Il est ce col même.

Ou, simplement, pluriel, il sera la succession des étendards ou des drapeaux : la présentation de celui-ci après celui-là : un positionnement de messages « délivrés », toujours l’un après l’autre.

Ou bien, privé de sens, l’état du délivré, de celui qui, s’étant défilé, est sorti de ma vue — et de la vue de tous.

Délivrance de l’enfant, par le passage, le col, le chas,

délivrance de cette lettre-là,

délivrance de celui, le fil rompu, qui s’est évadé, échappé.

Si le soulagement est du fil, la délivrance n’est que du défilé.

Unique, mobile, sensé, le fil et le soulagement sont de l’ordre des questions.  Pluriels, inertes (mais meubles) ou insensés, la délivrance et le défilé sont de l’ordre des jeux.

Or, ici et là, un seul LIEU demeure en cause ou comme enjeu: la Forme Vide. J’en devrai donc dire les 2 dispositions, définitions, déclinaisons contraires.

2) La Forme Vide.

A) Elle est comme une absence :

soit l’intervalle entre les 2 enseignes, si je traite du Drapeau, ou entre 2 silhouettes, si je traite du Manège.

Hors de l’Unité, mais une période l’incluant  (e-1), elle se nombrera (e-1) – 1 = (e—2). Ce sera les 900 ans de déclin si U vaut les 1.260.

2.160 – 1.260 = 900, selon les calculs de Platon, de l’Apoca1ypse et des prophètes médiévaux.

Dans le triangle de l’alchimie, ou de la Terre Promise quêtée antérieurement (une autre enseigne); mais hors du triangle du Graal (ou de l’Arche, antérieurement).

Comme les couches d’argile entre les villes — horizontales mais édifiées l’une au-dessus de l’autre, dans le palimpseste.

l’alchimie – le graal

la terre promise — l’arche                    le FEU — l’EAU

la TERRE — le FEU

le souffle de vie — l’éden (Terre première)

l’AIR – la TERRE

Mais la Balance, la Vierge, le Roi dans ce sens (ceux qui se meurent), la Dame de la Montagne (Caper), le Sagittaire, puis le Verbe scorpionnaire dans l’autre sens (les morts qui doivent revivre).

La Forme Vide, absence ou mort, est-elle de fait ce mort, le Souffle Enlil, la Vierge sacrifiée, le Roi fait néant, le Père ou la Mère défunts, desquels doivent ressusciter le Bélier de justice, le Poisson d’amour, le Verseau d’harmonie? L’Elu.

Comment?

B) Dans le monde des jeux, vertical, la F.V. est tout autre chose.

Non plus le V dans le M, mais le A dans le W.

La F.V. n’est pas hors du Jeu, car il n’est rien de plus vide qu’un jeu. Elles seraient au plus, plurielles, comme les rêves ou les visions du passager: les 2 cercles que le promeneur considère, de part et d’autre de sa marche : les objets lointains dans le sens de la marche, les objets tout proches dans le sens contraire, disparaissant derrière son dos. Hors de tout mouvement réel (sauf du passant), positionnés et insensés (ou chimériques).

Le moyen ou la moyenne

Il est, dit Einstein, non seulement inconcevable mais inadmissible que deux structures de l’univers existent, que ce soit successivement ou simultanément, synchroniquement ou diachroniquement. Mais ces 2 structures existent, sous les noms de corpuscule et d’onde, ou de masse pesante et de masse inerte, cu de forme et de matière (d’espèce et de genre), etc.

Nous les nommons ici: lacunes, entre les enseignes du drapeau ou les fanfreluches du manège : des espaces, dans le sens d’intervalles. En tout métier, de commerçant ou de militaire, de tisserand on d’orfèvre, de général ou de montreur de marionnettes. Mais toujours, d’une manière ou de l’autre, ce tisseur (de métier à tisser) qui, du puzzle ensemblier tire le système discernable » dans l’espoir de ramener cette distinction (visuelle, du jaque) à la  distinction/élection de l’enfant élu. Par la révélation da la lettre délivrée, le message originel.

Et nous les nommons : entours,  autour du cycle et par le cycle, mais, en fait, les 2 cycles, en direction ou précession ou les 2 rêves, de souvenir et de prémonition, par les sentiers.

La lacune pose un problème insupportable, puisque elle survient dans le royaume ou la présence, dans l’UN : l’introuvable symptôme (rejeté à l’asymptote).  Le dieu nouveau — le Fils — exige la mort du Père, afin d’atteindre à l’apogée. Une « traversée du désert. “ L’exode du  5ème  acte  précède nécessairement l’Œuvre accomplie ou le triomphe du politicien, de Galaad, le nouvel Elu.

La Forme Vide { entour) ne pose pas problème, mais elle impose les 2 visions ou les 2 cycles, le direct et le précessionnel, de part et d’autre du marcheur. Dans l’échelle des générations, il est le Fils de quelqu’un (l’inconnu) et le        Père de quelque chose — le nouveau sentier.

Nous le savons: les Machines Célibataires ont joué des 4 (le 5ème, la Mariée Pendue, en dehors des circuits, le Symptôme introuvable, rejeté à l’asymptote), à cause de l’Unité ou de la signature perdues, de la Lettre non délivrée). De part et d’autre de cette petite période (1896/1919), nous trouvons les machines de Samuel Butler : Erewhon (Nulle Part) et les Kaléidoscopes d’Irène Hillel-Erlanger.

Que disent ce mâle et cette femelle?

Irène dira le téléphone (son fil) et le thermomètre (ses niveaux), mais le téléphone jouant de l’audible et de l‘inaudible selon que le fil tient ou se casse, le thermomètre jouant de la froidure, de la chaleur, comme de l’ultraviolet à l’infrarouge. Puis, elle dira l’aboutissement du son: la lettre, dans l’alphabet de l’imprimeur (le caractère et le corps) et l’aboutissement des températures: la coquille d’huitre ou d’escargot, retrouvant la 5ème  figure de Kepler: le pentacle, entre les polyèdres duels. Ce 5ème, elle le nomme : la Monnaie, toujours duelle, par les alliages et l’effigie.

Butler a dit l’avant-naissance, où le fœtus choisit, en toute liberté, s’il veut être ou ne pas être, et l’aboutissement de toute morale sociale, non plus entre le bien et le mal, mais entre le bon (en bonne santé) et le mauvais (malade), seule distinction réelle, matérialisée. Entre ces 4 : être ou ne pas être, la maladie et la santé, quel centre (moyen/moyenne) Samuel a-t-il choisi? Les banques musicales.

En l’absence de la Mariée Pendue (la hie de Kafka ou de Roussel), Samuel, puis Irène ont situé  le 5ème  au centre et l’ont nommé « monnaie » ou « banque », l’espèce monétaire, de Marx, du Faux-monnayeur, puisque les genres sexuels ne se joignent plus. Un compte.

 

La comptine

C’est là que le compte se fait comptine ( un conte ) : l’âne ( ana ) et son maître ( méta ) et toutes les histoires où les ânes interviennent — de Balaam, de Buridan, du Christ en son Entrée, ou d’Apulée ( L’âne d’or ) et de Perrault ( Peau d’âne ), etc. Mais les contes aussi qui élisent, ennoblissent ou glorifient le Comte : son invention, ses aventures, et sa mesure, son harmonie. Entre le Baron, méticuleux, un peu sordide, et le Marquis, le maître au seuil (la marche de l’Empire).

Car c’est le fil de la couturière, et de la couture : ce soulagement, qui tisse la trame de chaque enseigne. Ou ces 2 fils : la mention et l’usage, de l’élu celle-là, du facteur celui—ci. En dépit de la menterie de la seule mention (le faux-semblant) et de l’usure, valorisante et destructrice.

Au-delà de la couture : l’équilibre, le suspens — ou la rupture, la casse qui tiennent encore à ce fil : du baladin ou du casseur (cassé).

Ce sont des défilés (procession ou chas) qui font la motion — de la délivrance (de l’enfant, de la lettre, de l’évadé), par une imposte qui n’est pas une imposture, un manipule qui n’est pas manipulation, le signe lu au lieu du cryptogramme. Hors des émotions et des passions vaines, cet objet-là, cet indivis: l’Objet. Imposte, manipule ou signe.

Mais les fils sont tous dans l’enseigne — ou dans le monde des questions, dont l’objectif est d’enseigner; et la Forme Vide, la mention, le signifiant, comme en dehors de la question, qui l’incrimine, jusqu’à l’ultime: pourquoi questionner?

Les défilés, leur promotion ou élection, le « pour mouvoir » du meuble, qui ne se meut pas lui-même, ou leur simple motivation, ne sont ni de l’enseigne ni de la question. Ils sont du jeu. On les dit: donne, en tant que topiques, coup ou partie comme insertions, enjeu (atropique, entropique) en promotion.

Si l’usage est le choix du facteur, puis de l’œuvrier, dans le mépris de la mention (le choix du signifié contre le signifiant), quel indistinct s’oppose à la distinction de la motion, quel trouble à sa sérénité, quelle casse à sa continuité? On les dira de l’émotion, de la passion.

Car l’usage (la tournée quotidienne) du facteur se perd par l’usure, volontaire, pécuniaire, puis imposée, de l’aspect à la spéculation.

Mais la passion du joueur non moins le perd : que je ne sois pas si vieux! Ou que cette partie se joue un autre jour, contre d’autres partenaires l Un autre jour, un autre adversaire (mauvais) fera le désespoir du passionné, lorsqu’il ne peut plus choisir, ou bien attendre.

Où faire venir la non-réponse du Jeu? ·

Dans une forme vide toujours. Mais cette F.V. est intervalle entre les enseignes et leurs croix, mention entre les usages. Elle est motion (imposte, manipule ou signe) entre les passions et les émotions de la biosphère, de la vie.

L’usage fait la négation des dieux, ces rêves.

L’émotion fait la destruction de l’homme.

Mais la divinité revit, d’un dieu (ou d’une enseigne) à l’autre.

L’humain aussi se recommence, lors de l’hypothèse de la métempsychose, par la filiation, la généalogie, comme de la mère ou du père au fils ou à la fille — et le poème mort, usé, a procréé d’autres poètes.

L’usage et l’émotion ne mènent qu’à leur fin : ils ne sont que pour finir. Comment la mention, la motion concluent-elles?

Illustration Pierre-Jean Debenat

 

10

Conclure ou finir

 

Pour que se succèdent sans mouvement les dieux, les entités ou — plus simplement — les coups dans la partie, les parties dans un jeu, ce jeu dans le domaine ludique, ce doit être assez que juxtaposer les dieux (les cartes) ou que d’inclure les coups dans la partie, les parties dans ce jeu, ce jeu dans le Jeu.

La difficulté réside en cela : les dieux doivent être juxtaposés, comme dans un panthéon métamorphique, alors que la volonté de préférence, de ce grand dieu sur les autres, fait de cette métamorphose une pure anamorphose : chacun y lit ce qu’il préfère, selon sa position (debout ou couché).

A l’inverse, la concentration de la partie dans le tout, essentiellement mutante, est perçue comme anamorphique : c’est moi qui décide du rôle de la tour en ce coup, ou de son emploi de pièce en la partie (pratiquement, je dois la sauver ou accepter de la perdre). Alors que ce change est métamorphique, comme les ronds seront plus larges, puis moins étendus au lancer d’une pierre dans un étang : à l’encontre du rationnel.

Ce paradoxe tient à la coexistence des deux modes : celui des questions et celui des jeux. Car le chemin du facteur et celui de l’élu me sont apparus successifs (le Graal intervenant bien après l’alchimie); ou la hantise systématique n’intervient dans l’Histoire que bien après la quête de l’Ensemble en soi, le hogien (Aristote, Hegel) après le cantien (Platon ou Kant). Je ne demande : Pourquoi questionner? qu’après m’être demandé : Pourquoi cette question?, une interrogation elle-même postérieure à la Question de Martin Heidegger.

Mais les quêtes du Graal sont incluses dans l’alchimie (comme 1260 en 2160), ou la question de Heidegger, la plus réduite, dans les autres, plus générales. Elles sont de fait concentriques. Historiquement, les Quêtes et l’alchimie ont opéré ensemble, sur plus de mille ans, Heidegger et Beckett œuvrent  ensemble, de 1930 à 1960, à quelques années près, bien que les dernières œuvres de l’Irlandais succèdent à celles de l’Allemand, et que la question de celui-ci précède la question de celui-là : que se passe-t-il si la notion est maintenue (dans Le dépeupleur)?

Au contraire, les jeux apparaissent successivement (les échecs, puis les dés, les cartes, et les tarots avant la Vache), ainsi que leurs éléments. Mais, aujourd’hui encore, on joue à tous ces jeux. Il ne s’agit pas d’une simultanéité de passage, de l’alchimie et des quêtes ou de la fin de Gautier et de la jeunesse de Bergson, mais d’une simultanéité qu’on peut dire éternelle : lesquelles ont précédé les autres, de la peinture abstraite et de la concrète, des « osselets » ou des « jeux de mains »?

En quelle anamorphose vois-je sûrement d’abord le dessin abstrait de Vinci ou d’Holbein, ou l’enfant qui sourit de l’un, la tête de mort de l’autre? C’est ce qu’illustre avec éclat la figure du licnon après (avant?) celle du lituus.

Le licnon

Nous avons situé dans le temps les différentes formes du rond et du droit, ou de la circonférence et de la pyramide. Depuis la pyramide et le cadran solaire jusqu’aux cercles/triangles de Daumal et les gyres de Yeats, sur cinq mille ans, par les Deux Chemins, l’Arc et la Flèche des Assyriens, le lituus des Hébreux, le licteur des Romains.

Mais ces figures n’ont pas continûment nourri les croyances humaines.

Dans la seconde moitié du 3ème millénaire, l’image du Chaudron succède à celle de la Pyramide; en témoignent d’antiques légendes : le Bélier que la cuisson fait revivre, dont les Bacchantes useront, que Médée utilise. Le mythe de Prométhée suivra, porteur d’une tradition plusieurs fois millénaire : l’invention même du Feu, le passage incontournable du cru au cuit. Revivifié, le mythe est plus que jamais puissant : le Feu domestiqué, une Justice régnera, de nouveau consentie aux hommes quand le nomade sémite instituera le Foyer, c’est-à-dire la Famille.

Cependant, au nomade s’imposera le lituus, tout ensemble la trompette (la Voix du Souffle Enlil, qu’Abraham nomme Elohim) et le bâton/serpent du guide : le patriarche, ses fils et petits-fils, Moïse enfin.

Mais, avant que d’être l’embouchure de la trompette, le cercle parfait, le symbole nouveau (?) n’a été que la Cloche, où retentit aussi une Voix, puis le cadran solaire, où l’ombre fait triangle; et le dieu lui-même IHV n’est pas le dieu de la Voix sans être l’Adonaï, le maître du Feu, et du Buisson dressé.

Ce n’est pas sans stupeur que, deux mille ans plus tard, après le triomphe d’une pyramide nouvelle (le triangle rectangle de Pythagore), nous retrouvons un autre demi-cercle, le Panier, puis cette figure inversée dans le Casque. Cette image double illustre inversement le dieu à naître, à renaître, qui fut Bacchus pour les Bacchantes, qui sera l’Attendu des sectes dionysiaques, agraire encore par le panier, à Eleusis, mais guerrier par le casque (le second sens du mot) quand il sera devenu le nouveau roi. Les historiens datent de 30 avant le Christ ce retournement, par le conflit entre Marc-Antoine et Octave-Auguste.

Suivront les deux triangles, ouvert par en haut, de l’alchimie, ouvert par le bas, des Quêtes. C’est toujours la figure 16b, mais inversée sous d’autres noms : le symbole royal (l’Or) en haut, le Vase — l’ancien panier — en bas. En la Renaissance, le Vase brisé de la Kabbale de Safed, et la Coupole de l’Islam turc, puis vingt conflits entre le Temple des protestants (une autre synagogue) et la Pièce Montée des églises catholiques ou entre le Pendule de Galilée et des hogiens, et l’éternelle Pendule cyclique des messianistes et des kantiens — la droite du progrès, le cercle de la récurrence, en d’autres lituus. Mais toujours par un change, qui serait le vrai pendule, d’une première coupe (du cercle par la croix) en une seconde, inconcevable, de l’analemme au cercle.

S’il s’agit de l’inversion du monde des Questions au monde des Jeux, ou l’inverse, je ne peux dire l’un de la succession, l’autre de la simultanéité, ou l’un de la symétrie d’équivalence, l’autre de la symétrie de proportion. Mais il est sûr que seul le lituus nous dit une coexistence parfaite entre le courbe et le droit, quand le licnon nous offre des images inverses et successives. Quant aux changes : lituus-licnon, et licnon-lituus, il est non moins sûr qu’ils se succèdent sans fin, comme d’une coupe à l’autre. Mais comment cette bande de Moebius, cet analemme, ce palimpseste n’imposeraient-ils pas une autre horloge, un autre cercle, un palindrome?

On ne le voit pas.

 

La 2ème coupe

A la 1ère coupe, toute rationnelle, topologique, de Josué ou de Galaad — le partage du cercle par la croix — s’oppose une 2ème coupe, mystique ou prodigieuse, qui transforme l’X en O. La grande tradition japonaise l’illustre par le coup de sabre (magique) du Héros divin, qui tranche les 8 têtes du Dragon — ou du Yi King — afin de faire du monstre lui-même l’enceinte de la Cité Parfaite, aux 8 portes. D’un même coup de sabre (spirituel) Mahomet tranche le nœud dont la Sorcière l’a ligoté. Selon la Bible, l’Exode est un tel dénouement (que la Kabale première, du Yetsira, s’efforcera de répéter).

Mais le Coup peut être ludique, dans le monde des Jeux. C’est toujours l’X, qu’il s’agit de transformer en un O, ou l’analemme en palindrome. Alors l’X et le O s’avouent pour ce qu’ils sont : des lettres, comme dans « Le parafe aux X » d’Edgar Poe, les jeux de Jarry (Faustroll) et de Raymond Roussel, à l’orée de la Forme Vide. C’est aussi bien le jeu d’Alexandre le Grand (dans la période équivalente) tranchant le Nœud Gordien, que nul ne peut défaire. C’est toute l’évolution de l’archéologie, depuis le palimpseste (le premier découvert en dernier) jusqu’aux cycles temporels des Villes successives : en leur succession même, le Temple.

L’homme descend-il du singe (théorie de Darwin)? Ou le singe ne fut-il qu’une branche pourrie dans le Grand Arbre adamique? Un homme — être étonnant, miraculeux — put succéder à quelque singe, plus handicapé qu’un autre. Mais il retombe au singe : on le constate tous les jours. Ou bien le singe, si perfectionné qu’il fût, n’interdit pas le retour de l’Homme à l’Homme… Car, dans le palindrome des « symboles permanents », l’X peut toujours susciter un O (entre deux X), et l’X se reconnaitre entre les deux O.

La lettre qu’inscrit le blanc sur la bande du billard n’est pas une autre chose que la lettre qu’inscrit le Blanc sur la bande du pillard. SATOR AREPO TENET OPERA ROTAS se lit dans les deux sens de l’inscription magique (le serpent en rampant tient par œuvre les roues).

Simplement, la 1ère coupe reconduit l’Unité indéchiffrable (la lettre perdue) et tout l’Inconnu du réel aux dimensions cruciales du vertical et de l’horizontal, comme De Saussure le diachronique et le synchronique, ou la cosmologie bantoue la ligne (verticale) des généalogies et la ligne (horizontale) de JE même, depuis sa naissance jusqu’à sa mort : la Noosphère et la Biosphère de Chardin.

La 2ème coupe réduit l’imbroglio « succession/simultané » aux sens de direction et de précession dans le cercle.

Par le rationalisme des Questions la première; par le double caractère sacralisé/ludique du Miracle ou du Jeu les secondes.

 

Le relief : vestige et remblai

Le premier sabreur ne peut aboutir qu’à un inventaire, en cette fin du cycle (le jour, le mois, l’année), qui permet le calcul d’un salaire, 1er sens de « mouture ». Le second sabreur, en renouvelant le cycle, n’autorise qu’une coupe, une reproduction (2ème sens du mot). Mais cette antinomie se fonde sur deux visions contraires de ce qui est : le vestige, ce pendu, qui subsiste après l’inventaire (le crayon à demi usé) — et le remblai qui dessine et figure le retour, dans le cercle ou le circuit. Les deux sens de « relief ».

Car la croix dans le cercle y dessine 4 triangles, dont je peux faire des carrés. Chacun des 4 carrés contient un cercle (inscrit); il est contenu dans un cercle circonscrit.

Les 4 cercles circonscrits s’interpénètrent, par des sécantes : ils dessinent la Fleur — la Rose ou le Trèfle (à quatre feuilles).

Les 4 cercles inscrits, tangents, laissent hors d’eux des triangles ou des cônes : les triangles de Daumal, les cônes de Yeats : l’as de carreau ou le sablier.

Ce sont ces analemmes, ces X, que le 2ème sabreur doit ramener au O de la Forme Vide, par son coup magistral. En attendant qu’un autre 1er sabreur, facteur ou questionneur, partage ce O en X, par la croix cardinale.

Ce qui nous trompe? C’est que le partage premier fait renaître les triangles (de l’alchimie et des quêtes, entre autres), bien qu’il ne joue que des 4. Et que la coupe seconde suscite d’autres quadrilogies, telles que les 4 cartes (trèfle, carreau, cœur, pique) ou les 4 instruments, ou, par exemple, le chaudron et la cloche, le panier et le casque : les 4 Eléments toujours! Bien que le second sabreur se soit fondé sur les 3 de la mue oscillatoire : le support (au sommet), le va-et-vient ou la navette au cœur, les termes à la base.

Ou, mieux : le Drapeau (hampe/enseignes) au sommet;

les lictuus et les licnons dans le parcours;

quelle chose autre à la base, sinon le double relief : ana, un inventaire, ou méta, une borne?

Mais le Cœur de la figure, au milieu des parcours, n’est plus qu’une forme vide, un O, et les 4 n’y sont plus que des anamorphoses : n sur u ou V sur A selon que je regarde sous un angle ou l’autre. Alors que ce Cœur, au centre des Questions, est l’Unité elle-même : la Terre Promise et l’Arche, ou l’Or et le Graal ensemble : le milieu de l’X;

Si j’inclus le V dans une suite quelconque, je retrouve le M.

Si, dans une autre série, j’inclus le A, c’est le W que je retrouve.

Si bien qu’une figure totale et non systématique (l’Ensemble) doit se constituer de ce M et (ou) de ce W.

Ce ne sera pas sans dire tout à la fois, alors, une conclusion ou (et) une fin.

 

 

La croix semble s’ouvrir, de ses 4 membres. Mais la 1ère coupe ne l’a que tracée dans le cercle, qui la tient enfermée; et les 4 parties (carrés ou cercles) qu’elle autorise seront d’autres prisons réduites à l’image de la plus grande enclave.

La bande de Moebius (analemme, palimpseste) ne révèle qu’une triple fermeture, à droite, à gauche et au milieu. Et la Fleur ou les cônes, de même, du Trèfle ou du Carreau. Mais la 2ème coupe en fait plus que l’Ouverture : l’infinité du cercle, parcouru à jamais.

Or, l’Ensemble recueille en effet les deux coupes, successives en un cycle donné mais simultanées sitôt que les coupes se situent en des cycles différents, en des domaines autres, des niveaux étagés.

Que puis-je dire ici des questions et des jeux?

L’équation nominale

Au plus ancien problème de JE, en son plus permanent enjeu : finir ou bien conclure (afin de poursuivre ailleurs ou autrement), se greffe la dialectique, peut-être aussi ancienne : connaître (ce qui fut, la cause) ou naître — à de nouvelles projections, motivations.

Nul ne l’ignore : la connaissance ne fait pas naissance. On ne crée jamais par la raison, c’est l’exception à la règle qui motive la règle nouvelle, le système encore inédit. Ou c’est l’erreur dans la pratique qui modifie la théorie. Quel vrai savant, de Claude Bernard à Poincaré et bien au-delà, quel physicien, quel médecin ne l’a pas « reconnu »? Quel poète digne de ce nom ne sait pas que la connaissance prématurée de ce qu’il veut dire (le sens) interdit le poème, tout de naissance des formes? Analysant Le Corbeau ou Le cimetière marin, leur pur chef-d’œuvre, Poe et Valéry ne disent que l’ignorance du sens et l’obsession du cens, des mots, des rythmes (le nombre de pieds ou de syllabes) ou la figure de la strophe.

Une tache sur la toile, un bris du marbre, un cri dans le silence est le premier geste du créateur : poète, sculpteur ou musicien. Un rêve ou une quelconque inattention est le reste, ce pendu, dont le savant partira.

On ignore généralement — ou l’on refuse ce paradoxe — que conclure n’est pas finir.

La fin achève, nul n’en ignore. La conclusion est arrangement, disposition, des conclusions de l’avocat (un recensement des prétentions et des moyens de son client) à celles d’un traité entre nations (les mêmes) qui ne ferment la guerre que pour ouvrir à la paix.

Il n’est pas d’historien ou de philosophe qui ne conclue son traité pour se laisser le moyen et la disposition d’en entreprendre un autre, dans l’espérance d’approfondir ou de développer son sujet.

On nommera : pessimiste celui qui attend la fin, et finalement finit, parce qu’il croit tout connaître. Optimiste celui qui s’acharne à conclure, dans le dessein de renaître en un autre système, en une autre chance.

Conclure s’oppose à finir comme naître à connaître.

On finit ce qu’on connaît (ou le croit). On conclut ce qu’on ignore encore, par l’hypothèse d’une suite — d’une poursuite — toujours.

Bien d’autres équations donnent des figures semblables.

Même les plus complexes. Telles que celles-ci :

Le JE qui veut connaître accumule seulement, jusqu’à ce point de rupture : la culmination. Le sujet actif, le JE, a joué d’une appropriation (la prise) qu’achèvera toujours une résignation (intransitive) par « remise » dans le meilleur des cas : un délai, la pièce aux déchets, ou « démission », s’il s’est agi d’un fonctionnaire.

Dans l’autre sens, un « cens », approchant de la fin, JE partage, par la 1ère coupe, et répartit ensuite, dans le cercle. Le JE sujet actif, s’est résigné (intransitif) au résignement (transitif). Il a choisi, rejetant la part nocive ou illusoire, afin de s’approprier à l’indivis qu’il quête.

A la résignation s’oppose le résignement. A l’appropriation l’appropriement.

S’opposent aussi le sens du facteur, traducteur puis traître : la prise puis la mise, et de l’élu enfant, otage puis hostie : la mise puis la prise : un cens.

De ce dernier cens : l’investissement, je ne donnerai que deux exemples, parce qu’ils complètent ce que j’ai dit de Joseph en la Genèse, et de l’Odyssée après l’Iliade.

Pour conquérir (prendre) l’Egypte, Joseph doit y introduire ses frères, les 12 Fils. Que fait-il? Il mise, met le bijou royal dans le sac de Benjamin : les frères et le père suivront, menés à la trace, et les Rois-bergers, Hyksos, seront les maîtres de l’Egypte pendant trois siècles ou guère moins (-1870/-1570).

Pour prendre Troie, Ulysse doit y introduire les Grecs alliés (les 12 rois). Que fait-il? Il mise le Cheval dans la Ville, qu’il prend.

Homme du rêve (des Vaches ou des Epis) Joseph ouvre un temps (le triomphe du Bélier) qu’Ulysse ferme. Mais l’un et l’autre sont des hommes de l’Investissement (élus, miseurs, preneurs au terme), des élus de la conclusion et de la renaissance.

Hors de ce temps, du Miracle ou du Prodige, d’autres hommes, non élus, les facteurs-ouvriers, traducteurs/traîtres, prendront d’abord (l’otage) pour le miser. Et ils auront raison : la prise (d’eau, de feu, de terre ou d’air) précède bien la mise : à l’eau, en feu, en l’air, en terre. Mais l’inondation, l’incendie, le typhon, le tremblement de terre ne sont que des fins; et, de même, pour le Sujet, la noyade, la combustion, la mise en l’air, le cimetière.

Car la voie rationnelle, des hogiens selon Poe, ne conduit qu’à la FIN.

Non pas d’investissement, mais de version, etc.

Je pourrais conclure sur ce mot, ou ces mots et leur jeu. Mais leur simple formulation m’en a dit davantage, que JE le veuille ou non.

JE ne joue pas seulement pour rassembler : → ← ou partager : ← → : fermer, ouvrir.

Il ne joue pas seulement du Sujet ou de l’Objet, mais de l’un et de l’autre, comme agents ou objets actifs : le sujet de la phrase, l’objet -objection/obstacle, et passifs : le sujet du prince, l’objectif.

C’est-à-dire des traitements et des entretiens.

Par le levier, qui élève ou abaisse l’assemblage, l’Ensemble. Mais aussi par le bouton, et son déclic, qui ouvre ou ferme le canal et les circuits. L’enjeu — plutôt que la réponse — reste le plein ou le vide de l’appareillage, debout ou couché, fermé ou ouvert, mais plein ou vide d’abord.

Par quelle manœuvre (main/œuvre) ou quel métier/sentier, que le levier et le déclic ne disent pas?

 

Les pas et les marches. Plus simplement: comment les fin et conclusions sont-elles conditionnées par l’horizontal et le vertical  (les synchronie et diachronie sémanticiennes)? Ou : comment le vertical (debout) et l’horizontal (couché) impliquent-ils ces actes: ouverture, fermeture, et ces états: plein, vide? C’est ce que disent encore des vocables : pas, marches, en un autre Porche de cathédrale, un autre jeu d’aluettes. Sans avoir à traiter du mouvement : pas de marche ou marche au pas.

Les vocables sont à l’infini, comme les nombres : signifiés ou non, selon l’époque, déclinée (le cycle) ou déclinante (la durée).

Mais ils reconduisent toujours à l’Unité de Sumer : 56 + 4 = 60.

A laquelle, différemment, reconduisent les calculs sino-mongols dont je n’ai rien dit : 5 X 12 = 60.

Jean-Charles Pichon

Illustration Pierre-Jean Debenat

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