The dialogue

 

In 1994, Jean-Paul Debenat, as a conclusion of his lecture “A literary potlatch”, read the translation of Jean-Charles Pichon’s poem « Le Dialogue ». The translation was done by Miggs Brodie, the Australian wife of Jean-Charles Pichon’s son-in-law.

 

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Brève introduction

 

« J’étais une parole qui tentait d’avancer à la vitesse de la pensée. »

                                                                                              Henri Michaux

 

Un conte, comme on pouvait en dire autrefois à la veillée, pour passer le temps — ou transmettre quelque chose de « ce temps-là »…

Et nous voici embarqués du côté d’Heidegger et de sa fameuse question : « Pourquoi cela est-il là plutôt qu’une autre chose ? ».

Un récit, d’une mésaventure somme toute banale, qui aurait pu arriver à beaucoup de gens…

Et l’humanité défile, passant d’une ère à l’autre, quêtant le Réel de diverses façons, multipliant les systèmes qui rendraient compte de l’Univers.

 

Illustration Marc Legoux

Illustration Marc Legoux

Un éclair de malice dans le regard, Jean-Charles Pichon nous emmène par ses chemins métaphysiques, au long de ces deux textes aux titres anodins : « L’âne qui a vendu son maître » et « Un handicapé gare de Nantes ».

L’entrelacs du conte ou du récit et des réflexions philosophiques provoque l’étonnement — attire l’attention — et facilite l’entrée dans des concepts souvent complexes (Jean-Charles fait référence à des notions qu’il a définies dans des ouvrages antérieurs, notamment Le petit métaphysicien illustré et Les dialectiques factrices).

Je vous invite à entreprendre ce voyage avec lui et vous souhaite bonne route.

 

Pierre-jean Debenat

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L’âne qui a vendu son maître

Jean-Charles Pichon

L’âne qui a vendu son maître

(conte)

Illustration Pierre-Jean Debenat

Illustration Pierre-Jean Debenat

ou

Il n’est pas de quatrième dimension

 

LE PROPOS

 

Il m’est, ce propos, depuis qu’en 1984 j’ai découvert la grande question de Martin Heidegger, de la saisir pleinement, de l’expliciter, pour tenter d’y répondre.

Pendant dix ans, j’ai bafouillé, ainsi que tous ceux qui, depuis la publication de L’Introduction à la métaphysique, tentent d’y répondre. Le cafouillage provient, pour une bonne part, de l’imprécision de la Question :

 « Pourquoi cela est-il là, plutôt qu’une autre chose ? »

Il n’est de Pourquoi que de l’idée.

Un objet ne pose pas le Pourquoi ? Il est ou n’est pas, c’est tout.

Mais, bien sûr, il pose la question : qu’est-ce que c’est ?

Puis, la question : comment est-ce ? Ou, plus exactement : comment est-ce qu’on est ?

Puis la question : où est-ce, là ? En quoi cela est-il ?

Car Heidegger ne dit rien de Cela, ni de l’Être, ni de « là ».

C’est en 1994 seulement, en sa Noël, que mon fils Jean-Christophe m’a donné en cadeau le 26ème volume des œuvres complètes d’Antonin Artaud (il m’en donne un chaque année). J’y ai trouvé l’assertion énigmatique, mais combien éclairante !

« Je ne crois pas qu’un seul parmi les philosophes … se soit rendu compte à quel point l’esprit est une bataille de corps, qu’une idée est une armée personnelle qu’on ne peut en aveugle avancer sans risquer une petite mort. » (page 83).

À Heidegger lui-même vingt ans de vie avaient été nécessaires pour admettre que CELA n’est pas une idée mais un objet : un vocable, un verbe, une parole et que l’important n’est pas le « pourquoi » mais le « comment » – par un acheminement, dit-il – et le « où ? » – de la Parole à la Parole, dit-il dans son dernier livre – posthume.

Artaud, cependant, ne dit pas seulement que l’objet – le non-idée – est un vocable, bien qu’il en joue, jusqu’au lettrisme. Il dit que ce peut être le pipi, le caca, le sperme. Il dit même que ce n’est que cela : ce qui sort, organique, de l’organe.

Cela est mot aussi, de désespoir : le produit de dix ans d’asile, d’électrochocs et de tortures sans recours, étant le fait du médecin. Un mot, que menace l’idée – paranoïaque – d’être le seul élu au milieu des vautours, Prométhée sur son roc. Après Kant, Hölderlin, Nerval et Poe, Nietzsche – leurs maîtres – Heidegger ne l’avait-il pas été, avant Artaud ?

Cela nous prouve à quel point il était difficile, hier, de distinguer l’objet de l’idée. Cela est plus facile aujourd’hui : de Bosco à Auster, de Queneau à Perec, cent textes le prouvent. Mais aucun de ces machinistes n’a répondu à la Question, ni Heidegger ni Artaud.

Écrivains ils ne savaient qu’écrire, peintres que peindre, musiciens que musiquer.

Philosophes, ils ne savaient que philosopher : les pires, qui, de chaque mot, nombre ou figure trouvés, font aussitôt l’idée maîtresse.

Quand il s’agit de distinguer l’objet (de l’élire), de l’investir (de le miser ou de le prendre), de le projeter, non pas dans une idée mais en son dépassement original (originel).

Cette « acception » ne doit pas être de conception sans demeurer de perception. Cette « préhension » ne doit pas être de compréhension sans demeurer d’appréhension : ce chemin est terrible. Le dépassement inexprimable – un « jet » ne doit pas être seulement une projection : une exposition, une jection, une imposition, etc. Je l’ai dit, ce dépassement ultime, un « objectif objecté » (dans Le Déménagement zodiacal). Mais je n’y avais trouvé d’autre symbole-image que l’arbre – ou plutôt celui-là : le saule pleureur, qui ne pleure pas, de mon jardin.

 J’en donne aujourd’hui le dédoublement : un professeur, un conteur.

Mais lequel est le plus fidèle, lequel le plus soumis au seul objet ?

Le conteur, visiblement, croit qu’il porte un message : il traite du maître et de l’âne comme de symboles, lui qui ne devrait jouer que des images ! Le professeur, non moins assurément, traite les notions, les idées, jusqu’à en faire l’Objet dont on ne se demande plus pourquoi mais ce qu’il est, comment, où ?

Ils devraient s’entendre et se comprendre. Ils manqueront de s’anéantir, au terme.

On n’échappe pas au Pourquoi ?

À cela même, nous le voyons, nous le savons, qui ne peut pas exister.

Le 20 août 1995

 

 

LE CONTE

 

I

 

Celui qui dit les contes commence toujours ainsi : « Aujourd’hui, me semble-t-il… ». Mais, si quelqu’un lui demande ce qu’il entend par ce jour ou par cet huis, il dira quelque chose de beaucoup plus étrange, « ce jour où le Vent nous parle », « ce jour où la Fée naît », « ce jour de l’Arc-en-ciel.

Alors qu’il commençait à peine le conte par la formule consacrée :

« Aujourd’hui, me semble-t-il… », une femme l’interrompit :

« De quel jour parles-tu ? » Il répondit :

« Ce jour où les animaux parlent. »

Et, bien sûr, il y eut des sourires et des rumeurs. Un homme se crut malin :

« Tu veux dire : en ce temps-là ? »

« Exactement, dit le conteur. En ce temps où s’ouvre l’huis qu’est le parlage des animaux. Mais ne m’interrompez plus, s’il vous plaît, car je ne peux à la fois expliquer et conter. C’est à vous de choisir. »

Le silence, donc, se fit et celui qui dit les contes recommença.

Aujourd’hui, me semble-t-il, dit le maître de l’âne, je dois aller au marché. Le maître est entier dans cette phrase, qui peut vous paraître anodine, que l’âne aurait pu prononcer.

Mais le maître se donne un projet lointain, ce que l’âne ne ferait jamais. Il se donne  aussi deux temps : ce jour, qui est un cycle, puis le temps d’aller au marché, qui englobe une certaine durée. Et c’est là quelque chose que l’âne ne pourrait concevoir. Car si le plaisir dure tout le temps qu’il se nourrit, c’est tout le reste : la faim, la lourdeur, le sommeil, qui occupera ce cycle – le jour – où il se trouve pris.

Plus important : le maître n’a pas dit pourquoi il se devait d’aller au marché, car le maître ne dit jamais tout, et ce tout qu’il ne dit pas inquiète. Il est rare qu’une raison tue ne soit pas mauvaise. Mais l’âne, qui toujours dit tout, sait quel brouillard le tout contient, non plus seulement la faim, le plaisir, mais l’attrait de l’herbe, la peur du serpent, le désir qui projette la patte, et la fatigue qui la retient, ou la fourmi sur l’herbe, la chaleur qui accable et celle qui réjouit… Comment tout dire ?

Le maître, lui, ne quitte jamais ce tout, et c’est pourquoi il  doit en taire une partie, la plus redoutable. En lui-même il ne s’avoue pas pourquoi il décide d’aller au marché. Il préfère se dire qu’il le doit, qu’il y est – moralement ? physiquement ? – obligé. Ce pourrait être à cause d’un cycle, car ce jour-là est un mardi, le jour du marché à la ville. Ou bien à cause de sa sœur Jeanne, de son ami François, de celle qu’il courtise depuis six mois, aime depuis trente (Sylvaine), car il y a bien deux semaines qu’il n’a pas revu Jeanne, trois que François ne lui a pas rendu visite, quatre ou cinq, il ne sait plus, que Sylvaine est partie pour la ville et n’en est pas revenue.

Mais l’obligation peut être plus exigeante, et moins dicible encore. Car, après-demain, quelqu’un viendra, accompagné des hommes d’armes, et, le soir de cet après-demain, il n’est pas sûr que le maître puisse dormir chez lui. Une autre exigence, plus secrète ? Il y a combien de temps que le maître n’a pas pris une bonne cuite, salutaire, sans fin, entre des amis ?

C’est pourquoi au mot péremptoire et incomplet : « Aujourd’hui je dois (il n’a pas dit : je devrais) aller (me diriger, me conduire) à la ville, où se tient le marché », l’âne n’a pas daigné répondre. Il attend une suite. Elle vient : « Avec toi. »

La scène est dans – il faut une scène à tout acte – le sentier de choux qui mène de la fermette au champ. La ferme est sur la droite et le champ sur la gauche. Le maître est à trois pas de la ferme, l’âne à trois pas du champ, qu’il a quitté, déjà, pour un brin de luzerne égaré au bord du sentier.

L’âne savait d’avance quelle queue suivrait l’annonce du voyage à la ville, car le maître tenait le licou à la main. Le maître a bien prévu des réticences (parce qu’elles béent en lui ?). Ils restent donc à se contempler, un bon moment, de part et d’autre du sentier de choux.

Ils ne se disent plus rien – l’âne d’ailleurs n’a pas encore parlé – mais ils n’en pensent pas moins. « Ainsi, c’était bien ça que tu avais en tête », pense l’un. Et l’autre : « Allons bon ! Tu ne vas pas encore, sale bête, ajouter à tous mes ennuis, par ton sale caractère notoire ! » Car ce que le maître n’a pas dit l’imprègne maintenant tout entier, et cela commande, exige l’insulte. Est-ce qu’on ne se fait pas un ennemi, d’abord, de celui qu’on projette de trahir ?

L’âne a ressenti cette violence interne, elle rend plus inquiétante l’omission devinée. L’inquiétude a durci la tête de l’âne, et même sa queue, qui bat à petits coups, sans trop se redresser.

Le maître fait un pas, dans le sentier. Par réaction, l’âne recule – un pas de deux – hors du sentier. Mais il ne dit rien encore, car une parole d’âne en tels moments tragiques ne peut équivaloir une parole de maître.

Lequel des deux va céder ?

Vont-ils  se mettre à courir ? Dans le sentier ? Hors – autour du champ ? Ou, hors du champ, dans le bois qui s’étend tout autour ?

« Brave bête, dit le maître. Tu sais bien que je t’aime et ne te veux pas de mal ». Il ne ment pas, c’est sûr, bien qu’il puisse cogner.

« Pense un peu, le chemin, la route, les papillons, les fleurs. N’es-tu pas las de tourner en rond dans ton enclos ? À la ville on achète des choses bien meilleures que l’herbe et les carottes. Qu’en sais-tu s’il n’y a pas d’autres ânes là-bas, plus beaux que ton défunt époux ? Voilà combien de temps, ânesse, que tu n’as pas enfanté d’ânon ? »

Car cet âne-là est une femelle, je n’aurais pas dû omettre de le préciser.

Elle attend que le maître prononce « Gertrude », puisque c’est le nom qu’il a choisi pour elle, à ne proférer que dans les temps immémoriaux qu’il appelle « les grandes occasions ».

« Allons, Gertrude, ne fais pas cette tête. »

L’âne agite la queue. Il vient.

Il me faudrait maintenant dire – ce sera long – les péripéties du voyage. Mais chaque lieu, le sentier, le chemin, la première route, puis la seconde a son histoire. Mieux : il est cette histoire : depuis le bornage du champ le sentier, depuis le dernier cadastre du comte de Blain le chemin, depuis l’innovation de la Marche de l’Ouest, le Marquis (pas encore un Plantagenêt) la route – et depuis quand la ville, créée par les Romains (une Villa déjà) ? Car, aller au marché, c’est remonter les Temps, de ce jour, hors du Temps, au carolingien, au mérovingien, à quelque gréco-romain – hellénistique ? – perdu au creux de la mémoire. Cette confusion croissante, à mesure qu’on veut simplifier, par le retour, ne facilite pas la Mémoire. Mais elle justifie, en quelque sorte, qu’on ne dise pas tout ce qu’on sait (pensée du maître). La pensée de l’âne est autre : « Une fois de plus, je me suis fait(e) avoir. »

Je serai bref.

Ils vont l’un après l’autre dans le sentier de choux. Les deux n’y marcheraient pas de front. Par une prudence du maître, Gertrude va devant, le maître – je dirai son nom plus tard  : ce n’est pas simple – derrière. L’âne, libre, a protégé son cou de la corde : il en est fier : il ne sait pas très bien ce qu’est la liberté, mais il ressent la fierté dans tout son corps : le cou non meurtri, la queue au repos, tranquille, l’estomac plein – il mange depuis l’aube – mais pas trop, ce qu’il faut, le sexe troublé un peu par l’énoncé de « Gertrude » mais cela passera. C’est vraiment agréable d’aller, de se promener, de marcher devant, sans faim et sans désir, toutes les passions, tous les besoins, dans l’acte de marcher, de se promener, non seulement résorbés mais ennoblis.

Ce fut vrai dans le sentier, ce l’est dans le chemin où le maître, nouvellement, a pris le pas sur l’âne : quand l’un n’est pas devant, c’est l’autre qui l’est.

Quand l’âne devance, on va moins vite. Le maître ralentit le pas. Est-il conscient de toutes les fougères, les jonquilles, les moineaux ou l’épervier, un chêne plus proche ou plus lointain, qui ralentissent ainsi son pas ? Ce n’est pas sûr. Mais Gertrude n’est consciente que de ceci et de cela. Au point qu’elle en oublie le maître.

Quand il est devant, tout s’accélère : la fleur ne prend plus le temps d’être humée, l’herbe celui d’être broutée, le nuage celui d’être suivi en son périple. Il faut aller. L’étrange besoin ! La marche de l’âne s’accélère : il lui faut bien prendre conscience d’un tout qu’il ne soupçonnait pas … et qui lui fait horreur.

La route est là, où les deux marcheront de front.

L’âne – ou l’ânesse – n’a pas encore parlé.

La route – première – est morne un peu. Les champs, de luzerne, de foin ou d’herbe sèche, se sont éloignés. Il faudrait bien quinze pas pour y atteindre. La monotonie suscite le regret, le regret ouvre à la faim, il exacerbe l’attente. L’âne sait que la route est longue : il avait fait en sorte de l’oublier. L’y voici donc, encore ! Les mensonges du maître ne s’y avouent pas encore ; ils s’y laissent percevoir, comme le soleil qu’un nuage a recouvert. Ce n’est pas si aisé d’aller jusqu’à la ville ! Les longues heures d’attente au seuil de quelque auberge, la faim et la chaleur croissantes, l’insupportable pénurie grèvent le simple désir d’aller. L’âne devient le savant qui, peu à peu, très peu après le très peu, découvre, invente, toute l’étendue de sa déperdition. Il apprend à savoir. Ce n’est pas drôle.

Pourquoi tous ces supplices ? Où m’emmène-t-on ?

Sur la route, au croisement de celle du comte (départementale) et celle du marquis (nationale), l’auberge, qui sera un relais de poste en un jour autre. Le maître s’y arrête : depuis des jours – des semaines ? – il rêve de cette auberge.

Le licou est passé, l’âne attaché.

C’est alors que l’âne rêve et que le maître discourt.

L’âne est seul sur le seuil, esclave et attaché, le maître a retrouvé des semblables, des frères dont il ne voudrait pas pour amis. Mais c’est l’âne qui divague, le maître qui vague, d’abord à la quête de soi-même, car la communication commence par cette retraite : il lui faut se raconter, d’abord. Il a dit qu’il faisait bien beau, sur quoi, de gré ou de force, tous les voyageurs sont d’accord. Puis il s’excuse de n’être pas venu depuis un mois. Pour s’en excuser, il inventera une maladie, une entrave des plus particulières. Il nommera un voisin, que son champ embarrasse, car on rejette toujours sa faute sur autrui.

Les voilà séparés, l’un au seuil de l’auberge et l’autre dans la salle. Mais quand furent-ils ensemble ? Dans le sentier de choux même, avant que d’entreprendre la quête prodigieuse, l’âne était dans son champ, encore un peu : il ne confondait pas la paix et l’aventure, l’asile et le danger, sa gauche avec sa droite. Le maître était dans sa ferme et au marché déjà. Il empilait des temps, des lieux divers et des gens contraires : le François, la Jeanne, l’éternel amour, les gens bien, et les pires : le voisin Boniface, les gens d’armes, l’homme de la loi, plus distincts et plus confondus que la ferme ici, la ville au loin. Jeanne est l’épouse d’un gendarme, l’un des clercs du notaire courtise Sylvaine et celle-ci, par pure malice, laisse penser, quand elle boude, que, peut-être, Ferdinand lui dirait quelque chose.

Le carrefour de Gertrude la reconduit au ciel, où – on le sait – vont les ânes : les nuages, là-haut, dessinent de plus belles routes, ou les éclats d’étoiles, la nuit. Quand on voit les lumières, les nuages disparaissent (un autre carrefour !), mais les unes et les autres agrandissent les yeux : ils les emplissent en les ouvrant, comme les odeurs fleuries des herbes les naseaux.

Seulement, aujourd’hui, noirs et bas les nuages n’emplissent que le ciel. Les murs de l’auberge et les pavés de la route n’ont pas d’odeur. Si bien que le carrefour de l’âne n’en est plus un. Au contraire, celui du maître se précise. Un mauvais homme, dont il a refusé la main, l’a interpellé d’une table voisine :

« Eh ! Bonheur, c’est-y vrai qu’on va te prendre ta ferme ? »

Bonheur est le nom heureux de sa famille, il le fut quand il n’était pas vain. Ses bons amis – la tavernière en est, la Rose – le nomment Pierre, son nom à lui.

« C’est-y vrai, Pierre, bien vrai ? » dit-elle, penchée à son oreille, ses seins disposés à la main.

Il répond, s’essuyant les lèvres : « Ce n’est pas dit ! »

Et, puisqu’il faut toujours raconter, il raconte – pour la centième fois peut-être – l’injustice qui l’a frappé.

« Aujourd’hui, ce me semble, a-t-il dit, Boniface doit être dans ses petits souliers… »

C’est une vieille esbroufe – et longue, toute farcie de pièges et de retours. La fillette de blanc n’y suffira pas. Rose lui en offrira une autre. Après quoi il devra rincer toute la tablée, et les trois sous y suffiront à peine, qu’il gardait, enveloppés d’un linge, dans la doublure de sa culotte.

Pendant ce temps, Gertrude gémit, possédée – longuement – du cadavre effroyable que laisse un carrefour perdu.

 

 

Premier chapitre

QU’EST-CE QUE C’EST

La question – les dimensions et les aspects – l’arbre et la forêt – l’âne et le maître – les dispositions – la réponse.

 

La question – Puisque la question de Martin Heidegger concerne CELA, la première question doit être : qu’est CELA, qu’est-ce que c’est ?

Pour tout le monde, CELA est ce qui est. Mais, ce qui est, le croyant le nomme Dieu, le non-croyant, le rationaliste ou le matérialiste le nomme cet objet-ci (que je considère, conçois ou imagine). Il arrive que le non-croyant, incertain de sa non-croyance, sceptique ou agnostique, se tienne à la limite des deux préhensions.

Tel, Théophile Gautier : « Les dieux sont les rêves de l’humanité. » Ils ne sont pas plus concrets que les rêves, ou les images dont se composent les contes.

Tel, le philosophe Bergson : « L’humanité est une machine à faire les dieux. » Ils ne sont pas moins concrets que les moteurs, les bielles, les arbres de transmission grâce auxquels la machine fonctionne. Ou, plutôt – en approfondissant la pensée de Bergson – que les symboles, mathématiques, physiques, chimiques, qui ont permis la fabrication machinale.

Dans l’ensemble conté, affabulé, ou dans le rêve, des images.

Dans le système construit, machiné, des symboles.

Les images ne disent pas tout ce qui est, demeurent en deçà de l’UN, de CELA. Elles ne proposent que des dieux ou des aspects de Cela. Le conte est à la ressemblance de Ce qui est, mais il s’agit d’une ressemblance tronquée, insuffisante.

Les symboles disent plus qu’il n’est : adjoignent à l’être, à cela, une succession logique, à partir d’une cause, d’une unité conceptuelle, abstraite, systématique.

Il manque au poète, à l’artiste, la concrétude de l’Ensemble, auquel il n’atteint jamais. Pour l’humanité de tous les Moyen-Âge (dont le Chrétien fut le dernier), ce manque était le premier délit : la cache de la pierre encore enterrée, dont une face échappe aux regards du découvreur.

Parce que le philosophe ne peut concevoir les choses que dans un certain ordre, de joints en joints, depuis le joint premier (la cause), il ajoute à l’UN ce joint, le deuxième délit, selon les humains de l’an 1000 – ce qui unit les feuillets de l’ardoise ou de la paillette d’or, une fois la chose déterrée.

Le partage se fait donc très tôt, dès la mise à jour de la Chose, entre l’artiste et le philosophe, bien avant cet abîme infranchissable qui sépare la religion de la science, ou le croyant du non-croyant. Gautier de Bergson, à la limite.

Accessoirement – mais est-ce réellement l’accessoire ? – l’image se propose dans le rêve, pendant la nuit, le symbole s’impose dans la plus grande activité du jour. Si bien que la contradiction se révèle dans le cycle circadien de 24 heures, comme en des cycles beaucoup plus vastes, du mois, de l’année, du cycle d’activité solaire, etc. Mais le circadien suffit ici, sans qu’il soit nécessaire de quêter – ou de construire – plus avant.

Nous l’avons avancé, selon Artaud : tout le dilemme tient dans la dialectique évidente de l’idée et de l’objet. L’objet est clairement le souci de l’art, l’idée celui de la philosophie. Mais l’idée cède devant l’objet pour le savant, qui ne traite plus que des symboles. L’objet se fait l’idée pour l’esprit religieux, qui n’en perçoit plus que des images.

Laquelle des deux, science ou religion, se fonde sur l’idée ? Laquelle sur l’objet ?

Il ne faut surtout pas aller trop vite. Car des siècles séparent les deux premiers délits (la perception et la conception) ou l’art et la philosophie du système scientifique et de la religion ensemblière.

Appréhendons d’abord ce que nous donnent l’idée et l’objet d’Artaud.

Les dimensions et les aspects – Si je ne conceptualise pas l’objet (une molécule, une table, un vivant), il me demeure, certes, perceptible, mais je ne peux rien en faire, ni même me lire à travers lui, me faire. Quel travail immense va-t-il me permettre de situer cette table hors de moi, cette molécule en moi, ce vivant – JE – à la jointure ?

Je considère la table, je nombre la molécule, je suis ce vivant.

L’objet me sera une image, une figure : la table. Ou un nombre, un jeu de nombres : la molécule, ou un vocable : Je.

 Ainsi n’est-il que trois aspects, si je considère cette concrétude : l’objet.

Mais, si je m’abstrais de la quête, Moi/je, pour traiter d’une idée quelconque, objectivement, il me faudra dire qu’elle est simple, ou dialectique, ou trinitaire. Ainsi de la thèse, de l’antithèse et de la synthèse hégéliennes, ou de la Roue, du Cœur et du Dragon de la première kabbale (selon la trinité d’Ezéchiel), le moi, le toi et le lui des Islamiques, etc.

Le Yetsira kabbalistique et le scientiste hégélien nomment, de même, ces trois des dimensions.

Le point et le trait sont de la première, mais aussi le courbe et le droit.

Le carré, le triangle, le polygone sont de la deuxième, mais aussi le trait que contiennent deux points et le point contenu entre deux traits, si je traite du droit, ou, si je traite du courbe, le pli et la fronce de René Thom.

Le volume est de la troisième (le cône, le cube, la sphère), mais aussi l’ouverture et la fermeture, comme extrapolations du courbe (l’ouvert comme fronce et le fermé comme pli), ou du point, qui arrête, ou du trait, qui ouvre.

Il n’y a pas de quatrième dimension, ou, du moins, l’humain n’en fait rien. Il n’y a pas de quatrième aspect, ou du moins JE ne le perçoit. JE se tient entre les deux délits : le quatrième aspect, qu’il ne perçoit pas, la quatrième dimension, qu’il ne conçoit pas.

Car JE n’est pas simple sans être complexe ; il n’est pas complexe sans être simple. Ce qui est évident de JE l’est de Cela. J’en prendrai pour exemples un arbre et une forêt.

L’arbre et la forêt – C’était le thème d’une conférence que j’ai donnée en octobre 1994, à Limoges ; un thème peut-être mal choisi. Car je perçois et conçois les deux objets. Je perçois l’arbre comme unité, et ne peux qu’en concevoir les composants. Je perçois la forêt en ses parties mais ne peux la concevoir en sa totalité que hors de la perception.

Puis, les dimensions de l’arbre et de la forêt sont également troisièmes. Il s’agit de deux objets volumineux.

Mais ils transposent dans le concret – ou dans l’objet – deux notions ou idées des plus abstraites : l’unicité et la pluralité. Ils participent de « ce qui est » au premier chef.

Voyons, succinctement, ce que j’en tirais.

a)                L’arbre est seul (hors de la forêt) ou bien dedans, parmi plusieurs. À la solitude correspond le dehors, à la notion de « contenu » le dedans.

Considérée de l’extérieur (dehors), la forêt est le contenant de plusieurs arbres. Mais elle est bien, aussi, un territoire, une unité territoriale dans un ensemble de champs, de déserts ou de collines, contenue (dedans) dans le cadastre ou dans la photo prise d’un avion.

b)                Contenu dans la forêt, l’arbre n’en est qu’une partie, un composant. Solitaire, étudié en soi, il contient une autre forêt, de racines, de branches, de feuillage, sinon les cycles qui s’inscrivent en lui, depuis le liber jusqu’à l’écorce.

Contenante des arbres, la forêt est une unité, qui vit, selon les cycles des saisons, semblable à l’arbre en cela, ou dans des cycles plus grands que celui de l’arbre, sur les 12 ans du cycle d’activité solaire, sur des siècles (le temps que durent ces arbres-là : des cèdres), sur l’ère qui transpose la forêt en désert, le désert en forêt.

Mais, contenue dans le cadastre ou la photo, la forêt n’est qu’une étendue – boisée, parmi d’autres, plus ou moins vides. Il faudra bien plusieurs ensembles systématiques (photos, cadastres) pour montrer le rétrécissement ou le développement de cette étendue.

c)                 Si je ne joue plus du contenant et du contenu, > et <, ni de l’unicité et de la pluralité, mais du concret et de l’abstrait, je pourrais dire que la forêt est plus abstraite que l’arbre, ou à l’inverse. Mais, de l’un et de l’autre, la perception demeurera concrète, la conception abstraite.

Dans la forêt, m’y promenant, je n’en percevrais que les composants partiels, les arbres : la pluralité. L’unicité du bois me restera abstraite.

Mais, si je considère l’ensemble de la forêt, comme une partie d’un autre tout, comme du sommet de la montagne ou d’un avion, cette vision sera concrète, quand l’abstraction sera le nombrement de ses arbres, de ses composants.

Il en sera de même, ou à l’inverse, pour l’arbre. Je pourrai le percevoir entier, d’une éminence, mais aussi percevoir ses racines, ses feuillages, le démembrant. Si je le perçois en son entier, ses constituants me seront des conceptions abstraites ; si je n’en perçois plus que la forêt interne, l’unicité de l’arbre ne me sera plus que conceptuelle.

Dans tous les cas, les six notions : l’unité, la pluralité, le contenu, le contenant, le concret, l’abstrait, auront volatilisé l’objet même. Que pourrai-je dire de l’arbre ou de la forêt ?

Il n’en restera que ces aspects : des nominations, des nombrages, des figures, ou des dimensions : des traits et des points perçus de l’astronef ou les graphes de l’informatique électronique, les triangles et les cercles de la perspective ou du cadastre, les volumes, cycliques ou non, que sont en effet, en soi, cet arbre ou cette forêt.

Une première dimension dans le plus grand éloignement, stratosphère ou électronique. Une troisième dimension dans la plus grande approche : l’arbre auquel je me heurte, la forêt où je m’égare. La deuxième dimension en quelque intermédiaire : du rassemblement (le cadastre, la vue non perspective, etc.).

 Afin d’éclaircir mon propos, il me faudra choisir un autre exemple que celui de l’arbre et de la forêt.

L’âne et le maître – Ni l’aspect ni la dimension ne me permettent de saisir l’UN, comme perçu et conçu, ou comme ensemble de ses parties et partie d’un tout (ensemble ou système), ou comme contenant et contenu.

Mais, en tant que cet aspect-là, dans cette dimension définie, je pourrai le percevoir, incomplètement, et le concevoir, en excès.

a)     Si je considère l’1 en tant que nombre, je pourrai dire qu’il se tient entre le manque et l’excès (les deux délits), la perception que j’en ai s’arrête à l’infrarouge, elle en exclut l’aura. Ce sera en p/4 ou Ö(Q-1), vers 0,785. La conception que j’en ai se situe au-delà de 1 (par exemple, l’électron-volt) : elle adjoint à l’UN une partie de son acte ou de son avenir. Je donne à ce dépassement la valeur de Ö(T-1) ou 1,077.

Le nombre (2Ö2)/10 ou (Ö2)/5 s’impose entre les deux nombres : p/4 et Ö(T-1).

Ö2=1,416 et son 1/10=0,1416. Au double : 0,2832.

1,07-0,78 = 0,29. L’approximation est insignifiante. Au reste, deux ordinateurs répandus dans le commerce ne donneront pas les mêmes nombres pour p/4, Ö(T-1) et Ö2.

On pourra dire, sans une erreur irréparable, que l’Unité tient dans le degré de liberté : (Ö2)/5.

b)    Si je considère l’UN en tant que vocable, je pourrai dire qu’il est une parade (montrée) ou une monture (interne).

Mais « parade » est un jeu de mots, qui se fonde sur les deux signifiants : parure et parage. C’est un étalage de « parures » et une protection, un « parage ». Cela joue des 3 : parure, parade, parage.

Monture est homonyme. Il porte les deux signifiés : l’enchâssement, la monture du bijoutier, et le support du cavalier : le coursier.

Concrétude, la parade renvoie à la parure et au parage. Le mot contient le palais et la banlieue (la parure, le parage). Trinitaire, le vocable recouvre trois acceptions.

Abstraction, le vocable « monture » recouvre les deux concrétudes : le bijou, le coursier. Il ne recouvre que deux acceptions.

Jouant du vocable seul, je puis dire qu’il présente un sens commun à deux signifiants (parure et parage), dont l’un est pluriel : les parures montrées, l’autre unique mais hasardeux : le parage.

Ou qu’il présente deux sens, l’enchâssement (le recueil) et le coursier (le support).

Plus précisément, traitant du vocable, je jouerai d’ana et de méta. Les deux mots pourront m’apparaître des synonymes (l’analogie de Saussure, la métaphore de Jakobson). Tous deux disent une équivalence.

Et, de fait, le métagramme et l’anagramme indiquent tous deux un déplacement. L’âne et le maître vont de compagnie, de la ferme à la ville. Mais le métagramme ne déplace qu’une lettre dans le mot. Il remplace une lettre par l’autre : G par M en Agalma et Amalga.

Amalga(me) dit le complexe et le miroir.

Agalma, selon Lacan et son maître Platon, dit la chose contenue, autrefois LA parure, comme une âme en la chose : son indivis – cela qui la rend non pareille.

Anagramme, dans le mot, déplace toutes les lettres, comme « aimer » en « Marie », suggérant seulement une essence commune aux deux mots inventés. Une pure abstraction, sinon quelque non sens.

Anagramme est  le déplacement (cohérent ou incohérent) de plusieurs lettres dans un mot. Métagramme est l’inversion d’une lettre dans un mot (son remplacement par une autre lettre).

De même « anastrophe » dit le déplacement de plusieurs mots dans une phrase (hasardeux ou grammatical). Exemple de contingence, toute hasardeuse : les changes des mots dans la phrase : « Vos beaux yeux, Marquise, me font mourir d’amour » (dans Le Bourgeois Gentilhomme) : « Marquise, vos beaux yeux… » ou « D’amour me font… », etc. Exemple de cohérence grammaticale : le complément avant le verbe, sinon  le sujet en second, ou l’adjectif avant le nom qui le porte, comme en anglais. En français, le bon homme n’est pas l’homme bon, etc.

« Métabole » dit l’inversion d’un mot dans une phrase, et son remplacement par un autre. Ainsi des deux sens de « philosophie » aux temps hellénistiques : « amour de la science », puis « science de l’amour », ou des deux sens de « franc-maçonnerie », autour de 1817/1828 : « liberté de création », puis « création de la liberté ».

Autres exemples : « acte de la lecture », « lecture de l’acte » ; « inscription des fins », « fin des inscriptions » ; « l’état (moral) du Christ en telle station (du calvaire) » ; « la station (ferroviaire) en cet État (la France) ».

Qu’il s’agisse de la lettre ou de plusieurs lettres dans le mot, ou du mot et de plusieurs mots dans la phrase, nous voyons que Meta remplace l’un par l’autre et change le sens – du mot, de la phrase, en jouant de l’Un. Ana n’offre qu’une abstraction, ordrée ou non, jouant des plusieurs.

Par suite, « métaphore » et « analogie » cessent d’être synonymes. L’analogie demeure hasardeuse ou contingente. Hasardeuse  comme image : les périodes de la vie sont comme les saisons de l’année, nécessaire comme ensemble de symboles pour le scientiste : « l’expérience efficace doit être réalisée dans les mêmes conditions », ou « la lune est comme une pomme » selon Newton.

La première analogie sera dite « métaphorique » selon le scientiste ; la seconde sera dite « métonymique » selon le même pseudo-savant.

La similitude « âges de la vie/saisons » sera dite hasardeuse, légendaire, mythique. La similitude « pomme/planète » ou le transfert du concept « voile » au concept « bateau/voilier » ou « travail et valeur de production » sera dite métonymique, successivement déduite, de la cause à l’effet, nécessitée par une loi (physique ou économique).

La métaphore sera cependant tout autre chose, car elle ne jouera que d’une image, non pas d’une pluralité : « le printemps de la vie » pour « la jeunesse » suppose l’analogie « âges/saisons », mais cette analogie n’a que faire d’être exprimée.

Il est de fait que la métaphore peut être tout à fait hasardeuse : « la terre est bleue comme une orange » (Eluard). Le lien, hypothétique, est double : la terre est ronde, l’orange aussi, la terre est nommée « la planète bleue », donc l’orange, ronde comme la terre, est bleue aussi.

Or, les formules : « le printemps de la vie » ou celle d’Eluard n’ont aucun besoin d’être explicitées, raisonnées, conceptualisées. Elles sont, de nouveaux objets, poétiques.

Les analogies ne créent que des anastrophes : cohérentes ou incohérentes, car elles jouent des idées. La métaphore fait le « métabole » car elle change le métabolisme de ce mot-là : « printemps », « terre », « acte », « lecture », « inscription », « fin », « amour », « science », « liberté », « création », par la seule substitution, dans l’inversion.

La position et la tendance – Ici et là, nous remarquerons que la pluralité et l’abstraction s’unissent en « ana », dans l’âne, que l’unicité et la concrétude se complètent en « meta », le maître.

D’où l’ultime question : lequel est contenu dans l’autre ?

L’abstraction de plusieurs dans l’Un ?

L’Un dans le Plusieurs ?

Les parades d’abord : les parures, le parage ?

Ou les montures d’abord : l’enchâssement, le coursier ?

Le premier est-il avant, le second après ? ou bien l’inverse ?

Puis, lequel englobe l’autre ? Le premier ou le second ?

Les vocables (lettres, mots) ne nous permettent pas de répondre à ces questions. La lettre est homonyme : « à » indique la direction : « je vais à Paris », la possession : « ce chien est à moi », l’usage ou le moyen : « ce fusil à pompe », « ce fusil à flèches », et le lieu même : « le travail  à la main », personnel, « le travail à l’usine » collectif.

Mais des lettres différentes peuvent être synonymes : J, I, R en Juan, Ivan, Ruan en Juan. Et, de même, U et V dans les mêmes mots.

Si je joue des mots, « rôle » et « emploi » auront le même sens, au théâtre et dans certaines entreprises : ils seront synonymes.

Mais le rôle d’équipage, ou au tribunal, contient de nombreux emplois, recueille plusieurs affaires. Ou l’emploi de valet peut atteindre au rôle : de Scapin, de Sganarelle, de Figaro, ou l’emploi de « vieux beau » au rôle d’Arnolphe, l’emploi d’ingénue au rôle d’Agnès sinon à celui de Célimène (pour le fervent de Molière).

Deux synonymes comportent un seul sens. Un homonyme en contiendra plusieurs.

Si deux synonymes contiennent le même sens : localisation et tendance, le concept : disposition, le mot « disposition », à l’inverse, contiendra les deux sens : tendance et localisation.

Un objet vocable ne contient pas les deux idées, sans qu’une idée ne puisse unir deux vocables, que le vocable soit une lettre ou un mot.

Tel est le passant sur une route. Pour le définir (« qu’est-ce que c’est ») je devrai dire sa position, à tant de vestres ou de kilomètres de son départ ou de son arrivée, et sa tendance, vers l’arrivée ou depuis le départ. Dans le sens direct ; sinon dans le sens inverse, le retour.

Mais si je prétends dire la position de l’objet (aspect/image ou symbole/concept), j’aurai le choix entre ces deux :

Le manque, <1, en p/4,

L’excès, >1, à partir de l’électron-volt ou de Ö(T-1).

La tendance, elle, ne sera qu’une : de l’avant vers l’après, ou de l’objet en devenir, vers 1, à l’objet devenu, depuis 1.

Différemment, si je considère l’objet comme 1 ou Un, sa position ne sera qu’une. Par exemple, les parures dans l’enchâssement : une lecture de l’acte – et quelque support-coursier dans le parage déjà : un acte de lecture, afin de contenir la pensée, poursuivre la marche de l’idée.

Mais ce Un portera les deux tendances : du devenir vers le devenu, ou de la cause (passée) à l’effet (à venir). Je n’aurai perçu qu’un seuil : l’infrarouge, et conçu qu’une cause : l’électron-volt.

Ainsi sera-t-il du « symptôme », que Lacan situe entre l’imaginaire et le symbolique : lecture de l’acte, ou acte de lecture alors.

La réponse – « Qu’est-ce que c’est que cela ? »

La réponse n’est pas simple.

C’est une quantité qui devient unité. Et l’unité qui devient une quantité.

C’est le sens (« signifié ») commun à deux signifiants (synonymes) et le vocable, le signifiant homonyme, qui porte plusieurs signifiés ou sens.

C’est ana ou meta. Ou l’arbre dans la forêt ou la forêt dans l’arbre.

Entre le dehors et le contenu, entre l’image et le symbole, cette lecture de l’acte et cet acte de lecture que Lacan nomme le symptôme.

Dans l’instant même (externe) et la présence (interne), hic et nunc, ici et maintenant, c’est une parade et une monture, entre le devenir/devenu et le passé/avenir.

Etc.

Mais, me cantonnant aux seules « dispositions » de l’objet : sa position et sa tendance, je pourrai simplifier le débat des deux délits, à condition de parler de « probabilité de position », car la position demeure incertaine, entre p/4 et Ö(T-1), en (2Ö2)/10, pour la station ; et de « quantités de mouvements », pour l’état, car toute tendance de l’objet est un mouvement déjà, en sa « puissance » ou en sa charge énergétique.

Ni le symptôme ne recueille tous les aspects de l’objet, toutes ses images, ni le symptôme n’indique toute sa tendance, dans le concept symbolisé. D’où, l’a peu près du diagnostic, et l’erreur – parfois – de traitement.

Alors, mais alors seulement, je pourrai dire une disposition de cet aspect de l’objet dans une dimension définie (le point ou le trait, la ligne ou le courbe, le cône ou la sphère), et sa tendance, dans le sens devenir/devenu ou cause/effet, selon que je traiterai de l’ana (plusieurs) ou du meta (un).

Je pourrai dire s’il est un arbre ou une forêt, ou bien l’un de ces arbres : naturel, mécanique, des généalogies, ou l’une de ces forêts (interne, externe). S’il est un ensemble de parures ou une défense, un enchâssement ou un support.

 Une perception ou une conception. L’objet de l’artiste ou celui du philosophe.

Quant aux questions annexes : lequel contient l’autre ? Lequel est avant l’autre ? Lequel est abstrait, lequel concret ? Je pourrai aussi y répondre, toujours, mais de manières différentes selon que je traiterai d’un aspect ou d’un concept, de cet aspect-là : figure, nombre, vocable, ou du concept : dimensionnel, nombré, nominé.

Hors cette précaution, rien ne sera plus sûr, nulle réponse assurée. J’en ai donné, souvent, cet exemple, perçu/conçu l’année où mourut ma femme France : une terrine de pâté dans le four. La terrine est contenue dans le four (par l’extérieur de son couvercle, d’elle-même) ; elle contient le pâté (par ses faces intérieures). Les dimensions de son extérieur seront évidemment plus grandes que celles de son intérieur. Elle sera donc plus grande comme contenue que comme contenante. Contenu, l’objet est plus grand que l’objet contenant. Contre la règle admise par tous, la plus évidente : le contenant est plus grand que le contenu.

Vraie si je traite de plusieurs objets (au moins trois), la règle ne l’est plus si je traite de l’en-soi, de l’UN.

Les clés de la réponse – Dans tous les cas, cela est l’UN.

Mais l’UN peut être en soi, dans l’indivis, en sa substance, ni perçu, ni conçu. Il peut être projeté ou se projetant, du dehors au dehors, au-delà de la perception, en deçà de la conception, comme un lecture ou un acte.

a)     En soi, l’UN est Je, ou le symptôme, une parade et une monture – mais ce sera en son étendue ;

Ou bien l’UN est le minuit dans le jour, le Noël dans l’année, la pleine lune dans le mois, le maximum d’activité dans le cycle d’activité solaire, l’Atlantide, l’Éden, la Terre Promise, le Temps de tous les saints dans l’ère « précessionnelle » – mais ce sera en sa durée.

S’agira-t-il de l’étendue (la dimension) de cet aspect-là de l’objet ? Ou de l’aspect qu’offre cette durée-ci : le jour, le mois, l’année, etc.

b)    Hors de soi, ou dans ses rapports avec plusieurs, l’Un ne pourra être perçu, en cet aspect, ou conçu, par le joint que j’y surajoute. En sa lecture ou par son acte.

Nominalement, il sera toujours un « signe », signifiant ou signifié. Mais le plusieurs sera des sens, des signifiés si je jour de l’homonyme ; le plusieurs sera des signifiants, si je joue des synonymes.

Numériquement, l’UN (1) se tiendra entre p/4 et Ö(T-1),

au point où Öx = (x+1)/2, où Ö1 = (1+1)/2.

Il ne sera qu’un degré de liberté.

Figurativement,  ce sera le point entre les traits (ou les droits du triangle) et les courbes (du cercle ou de l’ellipse). Le sommet de la courbe de Gauss ou de la cloche : la puberté achevée, la fin de l’adolescence ou le maximum de l’énergie vitale.

Néanmoins, ce signe, ce degré de liberté, ce maximum ne seront pas perçus ou conçus de même dans la première, la deuxième ou la troisième dimension. Par exemple, le point/sommet de l’angle sera une ligne entre deux faces ou deux surfaces, une interface entre des volumes.

Le signe sera une lettre, un mot, une phrase. S’il est vocable. Il jouera d’une fraction, inférieure ou supérieure à l’UN ; ou d’une racine :

Ö(Q-1) = p/4, Ö(T-1) = p/4 + (Ö2)/5.

Sinon de « i » et de « i2 » en jouant de –1 et de +1.

Hic et nunc, Cela est toujours l’UN, mais l’UN peut être un indivis, en soi, et un signe, hors de soi.

Il sera donc, toujours,  une inversion, un acte non moins qu’une lecture. Axé, dès lors, vers l’Un comme un recueil (de parures), ou depuis l’Un, comme une monture, un support.

Mais, à ce recueil, il manque une lettre perdue (l’aspect inaperçu), comme le diront Poe, Melville, Kafka – entre autres.

N’importe quelle cause ajoutée (le premier joint) ne sera qu’un enfant trouvé, car cette cause jamais ne sera l’origine de cela. C’est un bâtard, un orphelin, un adopté dont le philosophe jouera (un « axiome » dira le scientiste).

Qu’est-ce que cela ? Une lettre perdue devient un enfant trouvé, en cela. On le nommera le facteur, qui délivre (trop tard) la lettre et qui soulage l’enfant trouvé par la nécessité de faire (souvent trop tôt). Qu’est-ce que cela ? le facteur – mais, à la fois, cet employé des postes, un fonctionnaire, et ce fabricateur, un ouvrier. Privé de la lettre, le poète n’est qu’un fonctionnaire sans sa fonction, à laquelle la lettre l’affectait. Enfant trouvé, le philosophe n’est plus que l’ouvrier besogneux, que l’ignorance de son origine affecte.

 

LE CONTE

 

II

 

Je ne peux continuer de raconter l’histoire, dit le conteur, sans décrire le lieu où elle se passe et passera. Mais, de même qu’aujourd’hui ne se décrit pas (qu’importe, en vérité, qu’il se situe il y a mille ans ou dans un millénaire ?), l’ici doit échapper à toute topologie : la Bretagne n’y convient pas moins que la Vendée ou la Bavière, l’Europe ou l’Amérique un jour, la Terre ou Mars, réduit aux limites d’un comté.

Ce qui importe, c’est ce jour pour l’âne et pour son maître, où ils vont au marché. Pour en revenir ou non ? C’est tout le problème, car chacun des deux est sûr d’en revenir ; et déjà, par indifférence ou intérêt, il a fait sienne l’hypothèse que l’autre n’en reviendra pas. C’est-à-dire que, pour l’un des deux, le lieu est promenade (un cercle), et que, pour l’autre, ce doit être un trajet sans retour, le lieu de l’aventure – et quelle !

Ce doute, relatif à la nature du lieu, de promenade ou d’aventure, se double d’une antinomie topologique. Au point où nous en sommes, ici est un carrefour. Mais, pour le maître, c’est le carrefour entre quatre routes, dont l’une reviendrait au chemin, puis au sentier de choux et à la ferme, une autre conduirait à la ville. Les deux autres vont n’importe où : en fait, le maître connaît l’une d’elles jusqu’en ses moindres détours, il sait qu’elle mène à une rivière où il se baignait l’été, enfant, et sur le bord de laquelle, il y a bien des mois il a rencontré son amour Sylvaine. La quatrième route, il ne sait où elle conduit que d’une façon confuse, presque abstraite, tout juste assez précise pour en reconnaître le tracé sur une carte.

Je vous ai dit certains des carrefours de l’âne, que dessinent ou non dans le ciel les nuages, plus proches l’eau des fossés, la taille ou la fleur de l’ajonc. C’est beaucoup plus complexe. Car les temps du maître sont nombreux, presque innombrables : celui des parents, celui des camarades, de Baltazar (et de la haine), du gendarme (et de la peur), de la sœur (l’amour familial), de Sylvaine et de l’amour tout court, le plus long… Mais il n’est qu’un lieu, un espace, ou plutôt cette étendue-là : ce carrefour maintenant, ici. Le maître peut toujours dessiner ce lieu-ci, ou le concevoir, même s’il ne le perçoit tout entier. Mais l’âne est à ce point divers, pluriel, qu’il ne sait pas – ne sent pas – toujours exactement ce qu’il est, il ou elle (un âne, une ânesse). Le maître ne sait pas – ne sent pas – les millions d’êtres qui sont en lui, courent sur sa peau, naissent, meurent sans cesse.

L’âne ne les sent pas tous non plus, mais il est la puce qui le suce, la mouche qui l’assiège et l’escargot qui grimpe le long de sa patte avant (à droite). Un jour, il fut le serpent qui quémandait son lait ; un autre jour, le grand épervier qui l’obscurcit.

Il est à ce point les autres êtres qu’il ne confond jamais leurs territoires. Quand il chemine, la feuille de l’arbre vient vers lui, puis elle disparaît dans son dos. La fourmi, le ver, la scolopendre font de même (ou, s’ils vont dans le même sens que lui, il les dépasse, ils s’esbignent aussi). Mais d’autres existences, plus vastes, l’accompagnent tout au long du chemin : le vent, le ciel, l’oiseau véloce, les horizons lointains. Le territoire de la puce est moindre que le sien, qui lui survivra sans doute ; celui du maître est plus étendu : il y est né, il sera encore quand l’âne ne sera plus.

Chaque être a son domaine, chaque émotion le sien. Le respect que l’âne a pour le vent est aussi étendu que le vent ; la peur/amour du maître non moins large et haut que le maître lui-même. Quoi qu’il fasse, il y est contenu, lui ou son petit territoire. Mais il peut négliger les émotions moindres, que lui causent la puce ou l’escargot : ils auront fait le tour de leur territoire bien avant que l’âne ait achevé sa vie.

Or, cette pluralité de l’âne et cette unicité du maître, si je les considère dans l’espace, ne sont pas des phénomènes simplement subjectifs. La route même, la route choisie, qui mène de l’auberge à la ville, est si courte pour le maître que, serait-il seul, Pierre la parcourrait dans le temps du rêve. Ni la charrette ne ralentirait son pas, ni la calèche de la fille du comte, que précèdent et suivent des soudards, ne l’interloqueraient au ras d’un fossé. Mais Gertrude, à chaque pas bientôt renâcle ; elle tire à hue quand le maître tire à dia (ou bien à l’inverse). C’est que le clocheton de l’église s’est profilé, là-bas, et que l’église dit la mort des plusieurs : bientôt le vent ne sera plus là, ni les forêts lointaines, ni les feuilles proches. L’escargot aura quitté l’âne, sinon la puce. Entre les murs et les échoppes, les chariots et les non-maîtres, Gertrude sera seule, désertée. Elle stoppe alors, braie, de toutes ses voix proteste. Un seul vœu : qu’on n’aille pas plus loin !

Les soudards qui précèdent ont bousculé l’intrus :

« Allons, bonhomme ! On fait passage ! »

Mais la comtesse (éventuelle) a mis le nez à la lucarne ; elle s’est penchée. Comme il est drôle, cet empêtré, avec son âne ! Est-ce qu’il ne va pas un peu cogner sur cette bête, avec sa corde ou un bâton ?

Pierre Bonheur n’a pas de bâton. Quant à se servir du licou, il ne peut pas. N’est-ce pas assez que d’aller vendre Gertrude à la foire ? Est-ce qu’il faudrait lui taper dessus aussi ?

« Gertrude ! dit-il tout bas, Gertrude, me fais pas ça ! » À la fin, une telle mansuétude a étonné la jeune comtesse, elle l’a suspendue, dans l’attente, émue, séduite. « Il va frapper ou non ? Eh bien ! Non. Qu’est-ce qu’il veut ? » Le comte, depuis longtemps, eût fait fouetter l’idiot, exclu de son chemin et chassé de son esprit. La jeune fille n’a pas quatorze ans. Elle se nomme – un caprice du sort ! – Iphage (d’Iphigénie). Elle apprend à vivre, à aimer ; se persuade, est persuadée, de devoir apprendre encore.

Combien d’univers tiennent dans le cœur d’une donzelle, d’autant plus divers et divertissants que le temps approche où la donzelle, pas encore maîtresse, se devra de simplifier tout cela, si elle veut devenir LA comtesse.

« Brave homme, dit-elle, laisse ton âne, viens ici. »

Interloqué, le maître a cessé le manège. Il n’est plus le maître mais le domainier, à peine plus qu’un serf, un esclave (différent de l’esclave en cela que tout repose sur ses épaules, le poids des impôts, des charges, des soumissions, du recensement militaire, que compense le denier, tout cela dont l’esclave n’a pas à ce soucier). Un homme libre. À peine a-t-il perçu l’ombre de la calèche. L’appel de la comtesse remet les choses en place, ses pieds par terre. Il se précipite, évidemment.

« Madame ? »

Elle dit que c’est étrange, ce truc. Qu’est-ce que cela cache ?

« Tu me préfères un âne ? Plutôt que de le soumettre, tu me persécutes ? »

Une jeune fille qui apprend le franquie, après quatorze ans de latin ou d’une autre langue ne peut s’empêcher – c’est trop humain ! – de faire étalage de sa science. Si sauvage qu’il soit, cet individu-là doit parler le Franchy (elle n’est pas assurée de l’orthographe du mot).

« Serais-tu un révolté ? Un hérétique ? »

Elle se le demande vraiment. Les routes sont tout emplies de ces vaudois, de ces cathares, de ces chouans, de ces intégristes, de ces terroristes, de ces patriotes, de ces paysans, hommes du pays – et c’est tout dire.

« Madame, dit l’homme qui n’est plus le maître, je suis un bon serviteur du comte. J’ai toujours payé les impôts, au plus juste de la gabelle, et mon père a payé aussi, pour que je ne sois pas soldat. Je n’ai aucun reproche à me faire, sur l’honneur, même si de mauvais hommes, des gens de loi, aujourd’hui prétendent … »

« S’il te plaît, tu ne me racontes pas ta vie ! Explique. »

Le maître qui n’est plus le maître ne le peut pas. Il lui faudrait parler de Sylvaine et des marchands, de la sœur, de l’étrangère Jeanne, et de l’angoisse d’être rejeté, honni, à laquelle, humainement, ne peuvent s’ajouter des coups.

« Quel est ton nom ? »

Il dit : « Ambroise », parce que c’est un nom qu’il aime. Et parce qu’aussi, en disant Pierre Bonheur, il craint que la fille du comte ne dise au comte, ce soir, comment ce triste individu a, ce jour même, adjoint à ses méfaits passés celui d’avoir causé cet esclandre – et de lui avoir fermé le passage – à Elle.

Elle s’amuse bien.

« Alors, Ambroise, qu’est-ce qu’on fait ? Je reste là et tu dorlotes ton âne ? »

« Majesté, dit le maître fou, Votre Éminence, Votre Sainteté, je vais lui taper dessus à le rompre ! Je supplie Votre Grâce de me pardonner ! »

« C’est bien, dit la Principauté déçue. Fais vite ! »

Tellement déçue que ça l’irrite. Qu’a-t-elle appris de cet imbécile ? Pourquoi l’arrêt, l’attente, la mansuétude ? Son père, le comte, a bien raison : hors de la race, du sang, rien que des avachis ! Elle se reproche le temps perdu – à chercher quoi ?

Elle fait un signe au premier garde, qui donne un grand coup de fouet à cet Ambroise, qui donne un coup de pied cruel à l’âne, qui fait un pas – enfin !

Car, pour l’âne, la route est tout autre, longue, qui va de l’auberge à la ville. À toute seconde il faut combattre, et c’est tantôt la puce, tantôt la scolopendre qui combat avec lui. Chacun marquant son territoire d’une piqûre ou d’un frôlement. Mille univers sont avec l’âne, mais si petits que, tous ensemble, ils n’équivalent pas à l’univers du maître (bien exigu lui-même en regard de l’univers du comte, ce que l’âne ne sait pas).

Courte pour le maître, s’il était seul, longue, longifiée à l’infini pour l’âne, s’il l’était, la route est cette mesure pourtant, précise, pour celui qui n’est ni l’âne ni le maître – le conteur.

Est-ce que je puis dire ce lieu, la route ? Elle va du sud au nord dans le comté ; mais de l’ouest à l’est dans le marquisat. Le Marquis, l’homme de la Marche, il n’apparaîtra pas dans ce conte ; moins encore le duc, le prince, le roi (l’Inaccessible) dont les Missi Dominici ou les agents du F.B.I. viennent, une fois tous les cinq ans, jusqu’à la Ville.

La Ville est le projet du maître, le déchet pour l’âne. Un canton, une partialité territoriale pour les Missi Dominici ou les agents du F.B.I. Là encore, que dirai-je du Lieu ?

Comment le dire sans le nommer ? Comment le nommer sans le trahir ?

Déjà je l’ai nommé : la ville, le marché, en laissant croire que le marché se tient dans la ville, comme une partie dans le tout, dans un quartier de la ville, ou comme ce jour : le premier mardi, dans le mois, alors que la ville tient – et s’allonge, s’élargit, sur des siècles, depuis la villa gallo-romaine. Mais c’est tout à l’inverse, car la ville est encore petite : une rue, la Grande Rue, qui débouche sur la Place, à l’entour de l’Église, et se prolonge au-delà, moitié moins longue alors ; puis, trois impasses et quatre ruelles, vaguement encloses en deux demi-cercles, que borderont un jour les Fortifications.

Ce village, le marché le double : il porte une ambition presque inavouable – ou bien avouée par ce seul mot – de devenir un autre lieu, le Lieu en Chef, le Marquisat, Marche de l’Empire. Mais une ambition différente, plus spirituelle que matérielle, fait que certains ne disent pas : le marché, mais : la foire (la Foria, le Jeu). À l’utopie sociologique, s’adjoint, la combattant, l’exigence plus secrète, mais plus prenante peut-être, d’être le lieu de la fête, de la joie et réputé comme tel à cent lieues à  la ronde. Un Royaume où chacun se retrouverait chez soi, libre de s’y livrer aux caprices les plus fous. Ainsi, le marché, de tous côtés, déborde la ville. Foireux ou non, il la précède, bien en-deçà de la première maison, celle d’un ex-abbé, qui vit paisiblement sa retraite (de l’Évêché) ; il s’achève bien au-delà de la dernière maison, celle d’une sorte d’érudit, qu’on prétend alchimiste et qui vit sans retraite, de son jardin et de ses bêtes, sans en faire le commerce – pour ne pas payer patente, ainsi que le doivent faire les Etablis de la Rue : le barbier, le boulanger, le forgeron.

Dès la campagne, une taverne a mis ses tréteaux hors des murs, car le voyageur d’abord a soif et faim. L’enclos aussi est hors des murs, où broutent piètrement trois chevaux (car on voudra peut-être changer l’attelage). Ce sera le Relais, mais dans combien de siècles ?

Un marchand de cidre s’est accolé à la taverne (un curieux choix !) que des arrangements furtifs, extralégaux lui associent, de plus en plus onéreux chaque année depuis cinq ans, depuis l’avènement du nouveau comte, dont l’intendant entend se servir au passage des redevances. Un marchand de bottes, qui cire gratis (son fils se rattrape sur les pourboires) succède au cidrologue. Quelque Cid suit, un matamore, qui ne sait quoi représenter ou qui combattre. Plaute et Térence sont épuisés : qui d’ailleurs parle encore le vrai latin ? Et le Pantalon est ignoré, non advenu, en ce Jour où femmes et hommes portent culotte. Dans l’ignorance de la vesture républicaine et par la science qu’il a des inventions galloises ou écossaises, le monteur de spectacles – un audacieux ! – dit l’amour impossible de Roméo et  de Juliette, pour faire pleurer les dames. Sa fillette de treize ans joue l’ingénue et un rustaud, nanti d’un certain charme, le rôle de l’amoureux : il ne quittera pas le théâtre, une semaine prochaine et dans une autre ville, sans avoir dérobé la bourse du patron.

Suivent un épicier, un marchand volage de thym et de lavande, puisque la route d’Orient ne va pas jusqu’à Blain : des épices de Haute-Bretagne et de Provence. Bien d’autres passagers, je le répète, s’échelonnent avant, après la Grande Rue, la traversent dans les ruelles, ou la contournent. Gertrude ne sait rien de ces trafics ; Pierre, qui les soupçonne, les rejette avec dégoût. Il sait trop bien pourquoi il n’aime pas la ville. De plus en plus inquiète, à demi folle, Gertrude hait le marché, la foire – ou quoi qu’on nomme ce délire des hommes qui ne sont pas son maître. Ni l’un ni l’autre ne pourraient dire comment une partie excède le tout.

 

 

Deuxième chapitre

COMMENT EST-CE QUE C’EST ?

 

La question – les dispositions et les déclinaisons – le mode et la relation – l’âne et le maître – les passes – la réponse.

 

La question – La seconde que pose la question de Heidegger peut s’énoncer ainsi : qu’est-ce que c’est : être ?

Nous avons dit que Cela est une lettre perdue ou un enfant trouvé. JE ne peut se satisfaire de ces réponses. Il lui faut savoir ce que dit la lettre et ce qu’est l’origine, la filiation de l’enfant. Car JE n’est pas, s’il ne connaît pas sa fonction et son origine réelle. Il lui faut un but et un père. Il n’est de trait qu’entre deux points, deux termes : son origine et sa fin.

Comment donc est-ce que je puis être ?

JE change, il se maintient. Mais que peut-il maintenir s’il ignore son ascendance, ses pères, grand-pères, ancêtres : sa race ?

Que doit-il transformer dans le monde, et transformer en lui, s’il ignore sa fonction ?

Il est à craindre que la question, ici, se scinde : en un  quiproquo (je prends ceci pour cela) et une étiquette : je décide pour ceci ou pour cela.

Comment cela est-il ? Dans le quiproquo ou par l’étiquette.

Les aspects font le quiproquo (la lettre est perdue).

Le concept n’est qu’une étiquette (le beau-père, l’assistance sociale, la famille adoptive).

Dans l’affabulation, recueil des images, le quiproquo menace.

Dans le principe, support de tous les symboles, l’étiquette est certaine. Ce sera celle-ci, à l’exception des autres.

Dans cette photo, dit Raymond Roussel, la vieille est prise pour une jeune ; dans cette autre photo la jeune pour une vieille. Ou bien la pieuvre géante, vue de loin, n’est plus qu’une araignée de mer, prise dans le filet, de près.

Le prodigieux combat des Pyramides n’est qu’un court accident dans la vie de Bonaparte Napoléon.

Mais cette seule colonne, parmi cent, sera considérée comme celle qui guérira de la jaunisse ceux qui la touchent ; ou bien cette étiquette fera toute la vertu du produit pharmaceutique, selon le même poète.

Pour le savant, on le sait, l’étiquette fait le salut : elle sauve du quiproquo.

La lettre perdue fait le quiproquo ; l’abandon de l’enfant trouvé a justifié l’étiquette.

Mais puis-je répondre à la question : « Comment est-ce que c’est : être ? » sans risquer le quiproquo, ou me borner à l’étiquette ?

Il sera deux réponses à cette question :

L’une, proche encore de l’UN, par les dispositions, nommées, nombrées ou figurées dans l’UN: la position et la tendance ;

L’autre, éloignée de l’UN : les déclinaisons, qu’il nous reste à dire. Ce ne sera plus dans l’unicité (meta), mais dans la pluralité (ana), bien que « meta » demeure en filigrane, depuis l’UN ou vers l’UN, dans les deux voies, vers la lettre perdue ou depuis l’enfant trouvé. Ce ne sera plus dans les dimensions, mais en une autre trinité. Les chiffres y deviendront des séries (suites ou fonctions) si je joue du nombre.

Examinons.

Dispositions et déclinaisons

A)    Le quiproquo.

Au crépuscule, dit le saint Jean de la Croix, les couleurs s’affadissent et se confondent. Elles le feront aussi à l’approche de l’hiver ; et les croyances de même – ou les images de Dieu – se mêlent ou s’interpénètrent aussi, en l’approche du Royaume (Terre Promise ou Toussaint).

Si CELA n’est pas un Temps, le sommet de l’angle, mais « le symptôme » ou Je, nous avons constaté que l’image et le symbole, ou bien la position et la tendance, s’y unissent au point que l’un peut être pris pour l’autre, le Qui pour le Quo.

Nous sommes quelque part dans le degré de liberté ((Ö2)/5) ou parmi les parades et les montures, les amalgames, les agalmas.

Dans tous les cas, l’approche de l’Un accroît la menace du quiproquo. Si bien que « 1 » ne sera plus dit que le degré de liberté même, entre l’infrarouge (la couleur) et le DO + (le son), la longueur d’onde et la fréquence, sinon l’homonyme et les synonymes, ou cette fractale-là entre les dimensions (une dentelle, une neige, une écume, une danse).

Non pas le vase, la coupe, le Graal, mais le vin ou le sang que le récipient contient.

Toujours, là, le contenant est pris pour le contenu, la position pour la tendance, la durée pour une étendue – ou à l’inverse.

C’est alors que Cela (l’objet/sujet) ne se laisse plus percevoir, concevoir, que par l’examen de ses dispositions.

D’autres que Jean de la Croix et Roussel le disent de la deuxième vallée (Attar) ou de la deuxième parabole (le Thomas de l’Aurora consurgens), après la première vallée, parabole, de la Question. En ce lieu, une chose est prise pour l’autre.

B) L’étiquette.

En l’heure du loup, peu avant l’aube, Jean et Thomas situent la « seconde mort », l’abandon de la Foi. Attar et Roussel parlent de faux-semblant, l’idole, l’étiquette.

C’est le troisième poème de Roussel, après la Question et le Quiproquo. Mais la cinquième vallée ou parabole, au-delà de la troisième et de la quatrième, où s’est inversé l’UN.

C’est aussi le temps, le lieu de la numération, si je joue des nombres, de la déclinaison, si je joue des mots, de l’anamorphose, de l’ellipse ou de la reptation si je joue des figures.

Lorsque Velasquez tente de dire comment les hommes machinent les dieux (dans Le Manuscrit trouvé à Saragosse), il ne recrée que des combinatoires : tant de lettres donnent tant de combinaisons. A et B ne donnent que l’ensemble AB ; A, B et C en donnent deux : AB et ABC.

Mais d’autres calculateurs, plus savants ou complexes, parleront de lettres axées. A et B donnent deux ensembles sensés : AB et BA. A, B et C en donnent six : ABC, ACB, BAC, BCA, CAB, CBA.

À l’infini ce sera la série des factorielles : 1, 2, 6, 24, 120, et de leurs inverses : 1/1, 1/2, 1/6, 1/24, 1/120 … dont la sommation est « e-1 » ou 1,718.

 Il sera d’autres combinatoires, que fonderont les nombres irrationnels et leurs racines. Ainsi de la série des moyennes, depuis Ö(T-1) :

Ö(T-1)  = ((T-1)+1)/2

(T-1) = (Ö(e-1)+1)/2

Ö(e-1) = (Q+1)/2

Q = (Ö5+1)/2 …

Jouant des mots, les déclinaisons latines ont joué des « groupes » : Rosa est du 1er, Dominus du 2ème … et des « cas » : nominatif, vocatif, génitif, datif, accusatif, ablatif. Les déclinaisons françaises ne concernent que les verbes. Ici, les « groupes », en « er », en « ir » … se conjuguent avec les « personnes » : individuelles : je, tu, il (ou elle) et collectives : nous, vous, ils. D’autres peuples européens, slaves, allemands, utilisent d’autres déclinaisons.

Combinatoires, séries, déclinaisons, ce ne sont là que des étiquettes. Inventées en l’heure du loup, au-delà de l’UN, elles se développeront, se complexifieront d’autant plus qu’on s’éloignera de l’unité, ou que l’UN s’éparpillera, se dissoudra dans la pluralité.

Disposition comporte deux sens internes : localisation et tendance, le cens et le sens.Déclinaison permet, supporte un cens externe : le combinatoire, le groupage, et un sens interne : le déclin (comme quand je parle des déclinaisons de la lune). Mais je m’arrêterai aux deux mots, synonymes ou non : « inclinaison » qui dit l’état de la chose inclinée, et « inclination » qui dit l’acte d’incliner. Puis, « inclination » dira la tendance, toute affective, qui porte le sujet vers tel objet, et la tendance topologique qui porte une tête à retomber en avant.

Le naïf parlera de l’inclinaison d’un toit, pour dire le toit incliné. Mais le romancier subtil, poète, seul parlera de l’inclinaison de moi vers toi, pour dire une passion révolue.

L’inclination porte le groupage, le combinatoire, la « cristallisation » selon Stendhal. L’inclinaison, achevée, dit le déclin, la pente irrésistible, du toit ou de la passion. C’est-à-dire les deux sens de « déclinaison ».

Dans Le Manuscrit, Velasquez reconnaît que l’âge survient (l’apogée de l’énergie vitale) où la puissance de l’adulte – et sa puissance combinatoire – commence à décliner. Les combinatoires cèdent à la courbe en cloche, au chapeau de Gauss. C’est alors que Newton, Kant, Nietzsche entament la retombée qui mène à la folie, mais que la plupart des hommes s’enferment en l’étiquette (la colonne guérisseuse) qui les soulage de leur déperdition.

Avant que d’aller plus loin, il me faut dire ma conférence à Thouaré, en novembre 1994.

Le mode et la relation – L’intitulé de la conférence était : la fiction et la vie. J’y ai parlé surtout de ces deux objets : le fil et le défilé.

 Le point de départ en était le regard que l’homme jette sur son passé – ou bien l’humanité sur son Histoire. Ce regard est double. Il découvre d’une part un fil – continu – depuis une cause imaginaire ou non : je suis ainsi parce que je suis un enfant trouvé, un orphelin, que j’ai voulu tuer mon père ou épouser ma mère (selon Freud), parce qu’on m’a violée quand j’avais onze ans, ou parce que les Hébreux, les Grecs avaient compris l’utilité de la division du travail en des tribus ou des phratries (selon Karl Marx).

Mais sa mémoire – de l’homme ou de l’humanité – lui révèle d’autre part une série de défilés, de passages, qui se présentent à lui comme des coïncidences, des « synchronicités » : ce fut ainsi au Moyen Âge ou après la Révolution, en hiver, en été, après mon adoption, avant le premier amour. Ce fut toujours avant ou après un événement autre, qui situe et n’explique pas. Car, pourquoi le noir Moyen Âge a-t-il succédé au Royaume des saints ? ou le mariage de mon ami François à la pousse de ma première barbe ?

La fiction, disais-je, est un conte, un récit, une relation. La vie est finalement une ou plusieurs manières d’être, des modes.

La relation, inventée ou non, constitue le fil de la fiction, du conte. Les modes, toujours vécues, furent comme des défilés.

Le fil, qu’il passe ou casse, est une continuité (le fil de la couturière). Il est un support (le fil de l’équilibriste), il pourra être une arme (le fil à couper le beurre). Il est toujours un « soulagement », qui édifie, supporte ou coupe (le soulagement de ma bourse, par le coupe-jarret). Au terme, toujours, une dérobade, celle du système qui s’effiloche ou se contredit.

Cela se fait par l’autre sens de « relations », au pluriel : les rapports, qui associent ou dissocient, sympathisent ou antipathisent. Car les soulagements ne jouent que des rapports, qui glorifient, élèvent (vers le haut), protègent ou préservent (supports), dérobent ou détruisent au terme (cela se nomme : l’entropie). Le fil de la couturière se casse, le fil de l’équilibriste se détend, le fil à couper le beurre sera lui-même coupé, ou inutilisable.

Le défilé, lui aussi, est triple :

Chas de l’aiguille pour la couturière ou le défilé entre des montagnes, cortège ou défilé des drapeaux, des Anciens,

L’action de celui qui se défile (à la fin d’une fête, au sortir d’un salon, selon Raymond Roussel) ou qui s’absente, sort toujours en la sixième vallée d’Attar, la sixième parabole de l’Aurora.

Car ce lieu, quatrième pour Roussel, ou sixième, est le lieu ou le temps de l’extinction, de la fin.

Mais le fil s’achève en cette extinction : son troisième soulagement.

Le défilé s’y reconstitue : la rue, le chemin, par lequel l’objet peut revenir : la délivrance de l’enfant est la première ; celle du captif la seconde, celle de la lettre la troisième. L’original, le particulier et le nouveau d’Edgar Poe.

Les soulagements vont du signe au seuil, dans le sens des déclinaisons, du combinatoire au déclin.

Les délivrances sont dans le cens qui recompose les objets depuis le premier défilé (l’imposte originelle) jusqu’au troisième (la lettre, délivrée ou non). Depuis l’imposte jusqu’au parafe (la signature), par le manipule de la légion, du prêtre ou de la sorcière.

L’originel : l’enfant ou le fœtus ou le gène,

Le particulier, le singulier – le refuge du captif, que toujours la main recueille : un certain nombre d’objets contenus dans un espace ou étendue restreint : ce manipule-là,

Le nouveau, que la lettre a nommé, élu dès l’origine, mais que seule la délivrance de la lettre situe en cette fonction, en cette lisibilité.

La triplicité du fil ou de la relation ne livrent plus que des relations, des rapports, avec la couturière, l’équilibriste, le voleur.

La triplicité des modes, des défilés, impose le mode de l’UN, de l’originel au nouveau.

Lequel est concret, du fil ou du défilé ? lequel est abstrait, de la relation ou du mode ? lequel est abstrait, lequel concret, de ces deux processus contraires, de la fiction ou de la vie ?

Il faut en revenir au maître, à l’âne.

Sans effet, car les mots sont là.

L’âne et le maître – Les dialectiques internes de « relation » et de « mode » : l’unicité et la pluralité, mais aussi la fiction (le récit et les usages) ou la vie, les rapports, la constitution, entraînent de telles complexités que, pour en traiter ou les traiter, il nous faudra passer d’un univers à l’autre : l’ensemble ou le système.

Mais l’âne et le maître, encore, peuvent nous servir ici.

Car l’âne, ana, ne porte pas seulement une pluralité de lettre ou de mots, ni le maître, meta, l’unicité des mêmes vocables. Mais, signifiés, en d’autres vocables, ils offrent des sens tout différents. Ils ne disent pas seulement ce qui est mais comment c’est.

Pluriel, ana disserte d’abord de tous les rapports qui unissent ou disjoignent plusieurs objets. Que ces objets soient des vocables ou des nombres (l’analyse), ou qu’ils soient des organes (l’anatomie). Par suite, il joue du nombre 2 : l’anabaptisme est la doctrine des 2 baptêmes. Puis, soulagement, il porte le salut, la victoire sur le mal ou la douleur : l’analgésique, l’anesthésie.

C’est par la progression (le +) que la dualité mène au salut. Ce + lui-même est dialectique : une répétition ou une équivalence, une communication  mais toujours ordonnée, ordrée.

La répétition se retrouve en « anaphase », qui dit celle de deux mots, ou d’un seul mot en deux périodes ; en « anapeste », qui dit les deux brèves en succession dans le vers latin. La communication s’instaure, entre autres, par l’anastomose, qui dit celle de deux artères ou de deux veines. Mais, jouant de ces 2, ana doit en venir au choix de l’un, à la condamnation  de l’autre. C’est l’anathème (ou le rejet d’un thème sur les deux).

Le thème sauvé, alors, sera dédoublé de même, puis chacun des deux termes suivants comportera l’admis et le condamné, jusqu’au refus des 99/100 au profit du 1/100 sauvé. À la limite, ana dira le terme de toute étude : le Grand Vide. Ce sera l’anachorète, qui refuse la ville et, finalement, la vie, comme l’anathème exclut de la communauté.

Meta ne connaît pas ces relations/rapports, car il joue de la fable, de la relation/récit. Mais il dit moins le « mode », la manière d’être en chaque état, qu’il ne dit les modes, les usages mondains contre l’usure d’ana.

Le vocable continue de tendre vers l’UN, par la relation/récit, à travers la pluralité des phénomènes, des accidents. En surpassant ou dominant les aléas de la physique : la métaphysique, ou en démentant ceux de l’évolutionnisme analytique par la métagénèse (dont le Fondamentalisme est un exemple probant).

Il n’y a plus dialectique, car meta fait le transfert d’un vocable en l’autre, de cette localisation-ci à celle-là. « métastase » dira, organiquement, le déplacement du siège d’une maladie (le remplacement d’un organe par un autre), ou le déplacement d’une faute sur le compte d’autrui (le remplacement d’un coupable par un autre).

La métagénèse, ainsi, remplace une génération, une ère de l’humanité (ou des générations vitales) par l’autre, la suivante, sans jamais parler de causalité, car il n’en est pas dans l’Ensemble.

Au contraire, ana construit le Système, des systèmes, du premier au dernier (le désert), que fonde toujours une cause, l’enfant trouvé. Ana et meta ne sont que des vocables. Qu’en sera-t-il si je joue des nombres ou de ces figures nombrées : le Système, ses symboles, l’Ensemble et ses images ?

L’objection – On m’opposera que meta et ana ne sont que des vocables ou des symboles conceptuels, que le maître et l’âne ne sont que des figures, que leurs aspects distinguent. Puis, que j’ai défini meta pas la substitution (le change unitaire), ana par la pluralité des inversions possibles (contingentes) ou nécessaires (grammaticales). Parce que je jouais du possesseur, du possédé, du contenant et du contenu.

La question : Comment ? ne joue pas de l’unicité et de la pluralité, non plus que de contenance (synonyme, homonyme). Elle joue du nombre, moteur de la pluralité : qu’y deviennent le contenu et le contenant ? Ana et meta, vocables ou figures, ignorent le nombre, dont joue cette autre dialectique : le +, le – .

À cette objection, je ferai trois réponses, fondées sur les vocables, les nombres et les figures.

a) Il n’est pas vrai qu’ana et meta ne jouent pas de nombres. Tous les vocables nés d’ana joueront du 2, il est inutile d’y revenir. Mais chacune des dialectiques forgées, nécessairement, se dialectise au rebours, par une acceptation  des 2 (anabaptiste) ou par son refus (anachorète, anathème), jusqu’au salut (le remède) ou le désert. Si je veux dire le 5, pourquoi est-ce que je ne trouve que des meta ? Métacarpe : les cinq doigts de la main, métatarse les cinq doigts du pied, métacentre les 4 cardinaux et la verticale (du centre de gravité). Toutes les Machines métalogiques ne formuleront pas les 5 : les « célibataires » de l’époque 1900, ou par les 7 : Le Colloque des oiseaux, L’Aurora consurgens (du 13ème siècle), les 11 et les 19 de Mahomet, les 7 jours de Moïse et les 12 tribus – 1 (l’exclue), etc. Toujours des nombres premiers.

b) Il n’est pas vrai que les nombres ne se contiennent pas l’un l’autre, comme le signifiant et le signifié, dans la synonymie ou dans l’homonymat. J’en donnerai pour exemples les nombres de l’Apocalypse : 3,5 – 42 – 1 260.

Au  plan du « signifiant » (le nombre en soi), il est certain que :

1 260 = 30 x 42, 42 = 12 x 3,5.

Mais, au plan du « signifié », le jour, le mois, l’année :

3,5 années contiennent 42 mois, qui contiennent 1 260 jours.

La première saisie, conceptuelle, se fonde sur un système, mathématique, et même, plus précisément, décimal. La seconde saisie, perceptuelle par les cycles vécus – du jour, du mois, de l’an, demeure aléatoire.  Le mois n’est que théoriquement 30 jours, en fait il serait de 29 ou de 31. l’année pourra jouer de ces 12 mois (de 29 à 31 jours), mais elle jouera de 13 mois lunaires (en + ou -), si le mois lunaire est le seul réel. Certains ésotéristes rattachent les 1 260 au 4p que multiplient 100 : 1 257, d’autres aux 1 270 de Daniel et de l’ismaélisme – sinon aux 1 295, que fondent les 432 (ou 390 + 40 d’Ezéchiel), etc. En son Coran, Mahomet ne joue pas de 360 jours mais de 361 : 19 x 19.

Aux « multiples » du premier calcul : le plus grand contenant du plus petit, s’opposent les « nombres premiers » du second : le plus petit nombre contenant du plus grand : 19 plutôt que 18, ou 13 plutôt que 12, 29 ou 31 plutôt que 30. Les 42 se prendront 41 ou 43, etc.

c)     Si je joue des passages, des traits et des points en figure, les machines, célibataires ou septénaires, méta, me livreront les figures :

       5                    7                              11                                       13

Encore des nombres premiers.

Depuis les dimensions (3), des passages : 3, 5, 7, puis des domaines dialectiques : 5/7, 11/13, 17/19, au-delà.

Les passes – Afin de répondre à la question : « Qu’est-ce que c’est ? », nous avons dit les aspects de l’objet (nombre, figure, vocable) et ses 3 dimensions. Nous avons suggéré que les aspects n’étaient pas 4 (le son est un vocable, il comporte une durée, quand la couleur comporte une étendue) et que la 4ème dimension n’existe pas.

Afin de répondre à la question : « Comment est-ce : être ? », nous jouons des « déclinaisons » : le groupage et le déclin. L’objet, la chose créée ou faite par JE sera toujours une combinaison (de groupes et de cas ou de personnes). JE lui-même, le sujet, sera toujours en progrès ou en déclin, suivant la courbe de Gauss et de Vélasquez.

Mais le groupage sera toujours l’inventaire de divers cens, comme la position était le choix d’un cens. Le déclin, au-delà de l’apogée, sera toujours un sens, du passé à l’avenir, de la cause à l’effet, c’est-à-dire une tendance.

La disposition aura donné naissance à la déclinaison sans modifier les termes inclus dans les deux mots.

Un peu comme le passant (sujet/objet) détient déjà les conditions de ses passages.

Si je traite du passage en soi, je pourrai le dire + ou – peuplé. Mais aussi + ou – rapide.

Le passage passager peut être une rue (+ ou – peuplée) ou un vol (+ ou – rapide). Une rue n’est pas un vol, l’une est localisée, l’autre tendancieux.

Mais, admettant le plusieurs, le passage pourra être « à niveau » : un PAN, entre plusieurs directions. Ou il pourra être « à tabac », le PAT, entre plusieurs rivaux ou combattants (passants).

Dans le premier cas, nous sommes dans la disposition (localisation, tendance) ; dans le deuxième cas, nous sommes dans la déclinaison : le PAN fera la combinaison, le PAT fera le déclin, la défaite de l’un des passants.

Or, c’est une pression qui me porte vers la droite ou la gauche, le bas ou le haut, au carrefour. C’est une pulsion interne qui me fait meilleur ou pire, vainqueur ou vaincu, au tournois.

Ce jeu doublement dialectique, ne peut fabriquer qu’un système.

Ainsi le dernier système triomphant (de la mathématique des ensembles) suppose toujours 2 ensembles et 2 types de relations en chaque ensemble : d’équivalence et d’ordre : les contenus se ressemblent, ils sont équivalents, ou bien ils se suivent dans un ordre – déterminé d’avance par un  principe.

Le système admet que des objets se tiennent en dehors des deux ensembles. Ils seront de 3 modes : injection (du nombre nouveau dans un vide), surjection (ajoutant au plein), interjection ou bijection, à l’interface.

Ces jections ne s’ajoutent pas aux relations de chaque ensemble. Elles les multiplient. Le nombre du monde global (relations/jections), du Système, sera 6 : 3 x 2.

Au contraire l’Ensemble, conçu ou non, mais perçu – ou conté –  jouera de 3 relations : j’entre dans le système, je n’y entre pas, je demeure à la limite des deux. On les dira des relations logiques. Ici, les systèmes ne sont que des modes, essentiellement projectifs. S’ils sont 2 , l’Ensemble sera du nombre 5 : 3 + 2. si chaque ensemble est cardinal (les 4), l’Ensemble atteindra aux 7 : 3 + 4 ; Car, dans l’Ensemble, les relations et les projections (modales) ne se multiplient pas, elles s’adjoignent ou se disjoignent (s’ajoutent, se soustraient).

À première vue, l’ensemble et le système nous paraîtront tous deux des abstractions : ils jouent tous deux de la pluralité. Mais « ana » tend à cette pluralité, par le jeu des pairs et des multiples, jusqu’à (e-1) ou la constante « e »). « Meta » en revient, par les fractions de p, jusqu’à p/4, sommation de la série récurrente.

Où va-t-il ? D’où revient-il ?

Du nombre 3, puisque les dimensions, les passes et les domaines portent ce nombre.

Mais « e » est 3 – 0,276 : 2,718. approximativement : 0,28 ou (Ö2)/5.

p est 3 + (Ö2)/10 : 3,1416 (approximativement en de certaines époques, puisque p vaut aujourd’hui 3,14159).

De ce 3, en manque, les ana feront leur terme/fin : la dispersion de toute l’énergie/masse dans l’Espace (la période, au  1/12 de la vie, d’un électron). Depuis 1 ;

De ce même nombre 3, en  excès, les meta feront le départ de leurs séries récurrentes, par le partage du cercle. Jusqu’à l’UN.

Nous ne parlerons plus d’aspects et de dimensions, mais de sens et de passages.

Non plus des pairs ou des multiples, mais des impairs et des « premiers ».

On ne jouera plus des aspects et des dimensions. De quoi d’autre ? Des passes, des sens.

Les sens sont 3, sont des aspects : un sens sémantique (le signifié), un sens directionnel ou précessionnel, lié à la figure, un sens numérique, lié au nombre (+ ou -), progressif ou dégressif.

Mais ces sens ne seront pas les mêmes dans une première passe (dans le triangle rectangle de Pythagore), ou dans une deuxième : les intégrales et dérivés de Leibniz et de ses successeurs immédiats, ou dans une troisième : les cônes de Yeats, la sphère einsteinienne.

L’oblique sera l’hypoténuse en 1, l’intégrale ou la dérivée entre les ordonnées, en 2, quelque matrice en 3 (dans la recherche de l’espace/temps ou de l’algorithme universel).

Les quatre passages résolvent le problème. Malheureusement, ce ne sont que des jeux (de mots ou de nombres), en l’inexistence du 4.

Quand Platon a prétendu dire les 4 interlocuteurs du Timée, il n’en a trouvé que 3. Tout aussi vainement, Alexandre Dumas, cherchant à définir ses 4, n’y a recensé que 3 mousquetaires : Aramis, Athos et Portos (le 4ème seulement cadet de Gasgogne).

La réponse – Comment est-ce : être ? C’est, dans les 3, n’importe quelle trinité, quels qu’en soient les composants : 1, 2, 3 ou 3, 5, 7, ou 3/5, 5/7, 11/13, etc. Des dimensions, des passes, des domaines.

Mais, quel que soit cela, bien sûr (aspects, sens ou croix), cela ne sera qu’en suspension en quelque lieu : les dimensions, les passes ou les domaines, au nombre de 3 aussi, mais que le besoin, le désir, la volonté de l’humain – JE – prétendront 4 : des cardinaux, des éléments – ou les jeux de Platon, les « sciences » de Boèce, les « noumènes » de Kant, les « quadripodes » de Lacan.

Les « nœuds borroméens » de Lacan ou le nœud gordien d’Alexandre, ou les nœuds qui emprisonnent Mahomet, ou bien les nœuds de la Grande Hydre dans la tradition japonaise, ou bien le Labyrinthe où s’égare Thésée devront être brisés, coupés, rompus, pour que le cercle soit.

C’est par le partage en deux parties égales de la bande de Mœbius (ou, plutôt, du Timée) que se reconstitue le Cercle Unique. Par le sabre magique le héros du Japon a tranché de même, par le milieu, le Serpent aux huit têtes pour en faire la nouvelle Cité, de forme ronde. Par la ligne droite ou diagonale, devenue « diamètre », l’Egyptien du Moyen Empire, changeait en voie de Ra (le cercle de feu) la voie ondoyante du Serpent, et, vers la même date – le temps d’Abraham – pour l’Assyrien, la corde de l’arc domptait l’arc, le bandant. C’était le rapport : 11/7 du cadran solaire, 22/7 ou p du cercle, entre le diamètre et la circonférence.

La même droiture dirige l’épée d’Alexandre rompant le nœud gordien et Mahomet, mille ans plus tard, rompant les nœuds où la sorcière a prétendu l’emprisonner.

Mais « le fil à couper le beurre » n’accomplit le miracle que grâce à cette rigueur. Si la droite n’était pas le diamètre, elle ne ferait pas la circonférence. Si je ne partage pas la bande de Mœbius au demi de la largeur, je n’obtiens pas un cercle mais deux. Sans le fil d’Ariane, Thésée ne sort pas du labyrinthe. Si Alexandre et Mahomet ne tranchent pas droit, ils ne viennent pas à bout des nœuds. À cette tâche, Lacan s’est épuisé, après Poe – et combien de machines célibataires ?

Si le fil à couper le beurre est l’ultime relation modale du fil, après le fil de la couturière et celui du funambule, ce dernier partage d’ana est la première fonction de meta : nous ne sommes plus, alors, dans le simple passage (peuplé ou rapide, PAT ou PAN) ; mais là où le palimpseste du chercheur se fait le palindrome du joueur, l’analème autre chose – de rond.

Là où la sommation « e-1 », la fin de l’électron, se fait le p, l’origine même de toute redontité ou redondance. Autour du nombre 3 : e = 3 – 0,28, p = 3+0,14.

Ce lieu, ce point de renversement ne peut être qu’un terme provisoire, où les branche de l’angle se renversent, créant d’autres triangles (comme la quête du Graal dans les alchimies) ou comme le cycle en d’autres cycles. Jusqu’à 10 (e-1) ou depuis 10 p, c’est-à-dire par les jeux de Q, le nombre d’Or :

10 (e-1) = 10 Q2.

10 p = 12 Q2.

Mais nous n’en sommes pas encore là.

Seulement des trois dimensions aux trois passes, de 1, 2 et 3 à 3, 5 et 7. Au point où les déclinaisons (goupage/déclin) se referaient des dispositions (localisation/tendances). Au point où les passages inconciliables : le PAT et le PAN de Gauvain, le premier quêteur et de Galaad le dernier se feraient un passage moins passager (peuplé, rapide), si bien que la rue et le vol s’y confondraient de nouveau. Le point où le dernier soulagement (de ma bourse, de ma vie) se ferait la première délivrance, de l’enfant.

La question, évidemment, n’est plus : comment est-ce : être ? mais « où est-ce que c’est ? ». Où ce situe le point ?

Les éléments de la réponse – Il est possible – on ne peut dire plus – qu’Ana et Meta nous les donnent encore, dans ce que nous nommons le Temps.

Anachronisme dit l’objet de la présence reporté, déplacé, au passé : le téléphone aux temps gréco-romains. Métachronie dit l’objet présent transposé au futur, comme en toute utopie, qui construira l’avenir à partir du présent : les humains de l’an 3000 vivront encore d’amour.

Or, Passage dit un déplacement, qui change de lieu mais ne change pas l’objet, et une mutation, qui change l’objet, sans déplacement de lieu. Passer ou se passer.

Certains passages ne sont que de lecture : le peuplement d’une rue, la vitesse d’un vol. À la limite : une probabilité de positionnement, une quantité de mouvement (dans la constante de Planck, « h » ou, plutôt, par celle-ci, rapport de l’énergie/masse et de la fréquence). D’autres passages sont des actes : entre deux rivaux (le PAT) ou au carrefour (le PAN).

Si je réduis ces 4 aux 2, j’irai de ce qui se lit (l’étiquette, un maintien dans la durée) à ce qui est passé (la fin, l’extinction ou l’entropie), dans l’espace, l’intervalle entre les cercles. Ou bien j’irai d’une action, celle des dieux : le cycle, et la « question » qu’elle porte, à la lecture des aspects, qui précèdent toujours l’UN, mais à travers combien de quiproquos ?

a) Depuis l’enfant trouvé, une cause, l’ouvrier, le mécanicien, le systématique vers la création de l’automate, du jaque vers le jaquemart, selon Le Campanile de Melville, le chevalier de l’Igitur de Mallarmé, le Zacharius de Jules Verne. Nombrée, cette voie ira de 1+(Ö(T-1) ou l’électron-volt) à (e-1), puis ( e ), puis 10 (e-1).

Figuré, ce sera l’analème, les ellipses, le palimpseste du découvreur, le nœud borroméen ou la bande du Timée. L’étiquette n’y peut mener qu’à l’extinction, selon Raymond Roussel. Ou la 4ème vallée à la 7ème, selon les machines septénaires d’Attar et de Thomas.

b) Depuis l’élu, le fils de roi ou le fonctionnaire, par délivrances successives, la voie vers la lettre non délivrée, par tous les manipules qu’on voudra : de l’armée romaine, de la sorcière ou du prêtre : la délivrance du captif. Comme le disent le Bartleby de Melville, le coup de dé de Mallarmé, mais aussi Messieurs les ronds-de-cuir de Courteline ou l’arpenteur, K, de Kafka. Le cercle qu’est le cycle, mais aussi le combinatoire de la passe anglaise, le palindrome, le cercle unique (figurativement). Nombré ce chemin sera le Chemin, le Défilé, depuis la dérobade d’ana (celui qui se défile) jusqu’au défilé entre les montagnes, le chas, par le défilé des drapeaux, des coïncidences, hasardeuses, contingentes – vers le contingentement final, en UN.

Comment dire à la fois le maintien de l’objet dans le déplacement (le change local) et le change de l’objet (en ce lieu), en  même temps que la lecture et l’acte ? Par les deux vocables : le traitement, l’entretien.

Transitivement, je change l’objet par le traitement (je traite le fer ou l’hôte bien ou mal), je le maintiens par l’entretien : entretenir l’objet c’est le maintenir ce qu’il est, qu’il s’agisse d’un linge de table ou d’un malade.

Mais, intransitivement, je traite de cet objet, comme par la conférence, et je m’en entretiens, par le dialogue.

Par cet acte, transitif, et cette lecture, intransitive, l’entretien et le traitement ne cessent de dire le change et le maintien, ces deux projets de l’humain, ou bien de l’un vers les plusieurs, dans le discours, ou des plusieurs vers l’unité, dans le dialogue.

Restera la question : Où est-ce que c’est ?

 

 

 

 

LE CONTE

 

III

 

« L’âne n’aime pas la foire, mais aime-t-il la ville ? »

Quelqu’un demande.

« Il n’en dit rien », répond le conteur.

Gros rires !

« Il ne dit pas grand chose, votre âne, reprend le quidam. Dans un jour où les bêtes parlent ! Il n’a pas encore dit un mot ! »

C’est, dit le conteur, que Gertrude n’a rien à dire. Si elle parlait ce serait au maître qui, seul, quelquefois, la comprend. Mais elle ne fait plus confiance au maître. Elle ne croit pas qu’un dialogue puisse s’instaurer entre eux. À part le coup de pied, hâtif et maladroit (mais il ne compte pas, motivé par la peur), elle n’a reçu du maître aucun traitement indigne depuis l’aube, ni dans le sentier de choux, ni dans le chemin plus tard, ni sur la route première, ni même – l’anormal ! – quand ils quittèrent l’auberge et que, bien sûr, Gertrude refusa de repartir. Une telle mansuétude ne peut avoir que deux causes : ou bien le remords d’une injustice, car le maître est bon, ou bien l’attente, la crainte d’une cruauté pire, car il n’est pas mauvais. Chaque seconde qui passe ajoute à l’anxiété de l’âne, à sa certitude d’une catastrophe proche, de plus en plus certaine et rapprochée. Le maître lui ment, il ne lui dit pas tout. Conséquemment, l’âne ne lui dit rien. Le silence a fait la route plus longue ; il fait maintenant la ville plus enveloppante – la ville, la foire : elle ne sait plus, Gertrude. Quand les gens se taisent, vous le savez bien, ils sont beaucoup plus malheureux.

Quand ils parlent trop, ils ne sont pas plus gais.

La peine de l’homme, ainsi, égale celle de l’âne, inversement proportionnelle. Car il a trop parlé à la buvette, pour s’expliquer, se justifier auprès des autres voyageurs, se raconter et se faire plaindre de Rose. Il a trop attendu d’autrui pour ne pas reconnaître, enfin, qu’il n’est pas de recours, de secours à en attendre. La foire assourdit l’âne, mais elle le désespère. Tous ces autruis blessent l’âme qui doute de l’autrui.

Voilà le grand mot lâché. Le maître a une âme. Depuis qu’il parle et qu’il comprend, tous l’en persuadent : le père, la mère, le maître d’école, qui fut un moine, et tous les moines, tous les presbytres. Jeanne et Sylvaine (parlant surtout de la leur) ; le maraîcher de même, le voisin et François (dès la première chopine), parlant de celles des autres surtout : réceptacles de l’honnêteté, de l’amitié, de la vertu.

L’âne ignore s’il a une âme ; et beaucoup disent qu’il n’en a pas. Un jambage lui manque pour être. S’il lui arrive de penser, s’il pense, c’est à sa peau, à son sexe oublié, aux douleurs qui lui rongent l’estomac ou les dents. Une douleur souvent, quelque plaisir parfois : toute son âme, ou rien que cela ? La foire lui est cette douleur, c’est donc son âme – ou, plus exactement, un morceau d’elle (comme la ville aujourd’hui, demeure l’âme du marché, la semaine du mardi, le mois de son premier mardi, etc.).

Tout renversé de la sorte, en eux, hors d’eux, comment l’âne et le maître se parleraient-ils ?

L’un près de l’autre, ils vont dans la Rue envahie, comme le geôlier et son captif, sans bien savoir lequel emprisonne l’autre.

Ils ont parcouru toute la Rue, deux fois : du Nord au Sud, du Sud au Nord. Gertrude ne comprend pas pourquoi ; mais c’est elle qui dénombre « 2 » : un aller qui découvre, un retour qui répète. Pour le maître, la rue n’est qu’une ; mais il n’a pas omis, en ses extrêmes, de jeter quelque regard aux deux voies circulaires qui bornent le village, ni même de s’avancer, ici et là, dans les deux ruelles diagonales – presque des rues – où des boutiques s’ouvrent aussi. Car, si la ville de l’âne est un aller/retour, celle de Pierre est comme une main ouverte, dont tous les doigts – hélas ! – sont peuplés, d’acheteurs, de vendeurs, de filles faciles, de baladins.

De tous côtés, la foire a recouvert la ville. Elle a précédé la première maison, elle succède à la dernière. Elle a envahi la place de l’Église, elle progresse, sournoisement, jusqu’aux poternes du château, vers l’Ouest, et rampe jusqu’aux lisières du marécage, à l’Est.

D’un cardinal à l’autre, toutes les places sont prises, tous les postes occupés. La première faute en revient au maître, qui a quitté trop tard sa ferme, séjourné trop longtemps au cabaret, ou bien la faute incombe au lambinement de l’âne, au dialogue imbécile avec la jeune comtesse, aux voitures rencontrées. Mais, recouvrant tout cela, la faute est, fut, sera, d’hésitation (du maître encore !) entre la volonté de vendre l’âne et le désespoir d’avoir à le faire. Car, tandis qu’il recherche l’emplacement introuvable, est-ce qu’en lui, un sentiment autre, tout contraire, ne l’apaise pas, de n’en pas trouver ?

Il est plus de trois heures cependant. Et le terme approche de la Liquidation, au-delà duquel Gertrude ne pourra plus être vendue. Vous ne savez pas cela, vous autres, qui vivez hors de l’Aujourd’hui, bien que vous ayez conservé le mot « liquidation », bien appauvri et détourné du Sens. Car vous avez encore le temps des soldes, où l’on liquide, au début de l’été, en la fin de l’automne, mais vous ne songez plus, ni au rythme des saisons ni à l’autre musique, tout aqueuse, de l’Amour – lorsque vous liquidez.

En ce jour d’huis, d’ouverture, la Liquidation est le terme imposé au commerce, au droit de s’enrichir, de spolier le prochain, d’adorer le Veau d’Or (une fois le mois, en ce temps-ci). Ce terme, cette fin limite le temps des combats, des feux ; il se dit : couvre-feu, ce qui recouvre le feu et n’en laisse plus que cendres. Cette heure fut la septième, puis la sixième à Blain. Mais le comte, docile au marquis, qui n’ignore pas le vœu du nouveau roi, l’a ramené – le mois dernier – à cinq heures trente. Après cette heure, on ne vend plus. Ce qui n’a pas été acheté, payé ou débité, devient la propriété de tous, c’est à dire de l’Amour, à nouveau triomphant. Au-delà des feux, l’Eau, le liquide, gagne de nouveau. Désormais, toute denrée devra être liquidée, transformée en produit, en donation du cœur. S’il n’a vendu son âne à cinq heures trente, Pierre devra l’abandonner à qui le voudra.

Vous ne croyez pas en une telle loi, n’est-il pas vrai ? C’est bien la preuve que vous ne savez plus rien de rien. Gertrude en ignore tout de même. Mais Pierre–Ambroise, que sa mère nommait Pierrot et Sylvaine, par raillerie, « En bois » : « Tu es un pantin, mon chéri, une petite Marie en bois ! », n’ignore aucune seconde de l’heure qui passe – en vain, quand rien ne s’y passe. « Bon dieu de bon dieu, où vais-je bien me foutre ? »

Il le sait de moins en moins.

Parmi ces heures qui s’amenuisent, et dans cette foule, qui lui semble s’accroître, le maître divague. Il bute à tout instant sur l’improbable (qu’il trouve un acheteur) et le certain (le couvre-feu au terme)… Dans le Temps et dans l’Espace il ne distingue plus rien. Il connaissait ce paysan, cet homme du pays – un vague cousin à ce qu’on dit – il en a quêté l’impossible.

« Oh ! Benoît – Paul – tu ne te souviens pas ? Ma mère fut la sœur de ta nièce de ta première épouse, comment se nommait-elle déjà ? Madeleine la Folle (elle ne l’était pas du tout, folle, bien sûr, c’était pour dire). On est cousins. N’y aurait-il pas une petite place, à ton côté ? Sur la gauche, là, où il ne reste que dix oignons à vendre ? »

« Ils ne sont pas dix mais cent au moins. La Madeleine n’était pas folle. Je n’ai rien entendu dire de toi, cousin. »

L’homme s’étalait depuis le cul de l’Église jusqu’au quart de la ruelle. Son étalage mordait sur la devanture du boulanger. Pierre ne se rappelait plus son nom (il habitait « La Bistoucaite », où nul ne va, mais possédait dix hectares : un prince, en son domaine terreux, un dur).

« Qu’est-ce que tu vends ? Un âne ? J’ai mes dix chevaux à l’écurie, tous utiles à l’armée, et cinquante-huit moutons. Qu’ai-je à foutre de ton âne ? Fous le camp. Rien à en foutre ! »

« Cousin… »

Un benêt de passage s’intéresse aux oignons.

« Tu vois, tu vas les vendre. La place sera libre. »

« Foutre de foutre ! Tu vas me foutre le camp ! »

Pour un peu, le Jean-Foutre ameuterait les gens d’armes !

Partout, la même fureur – et la même exclusion !

Gertrude a fini par comprendre.

Ce « foutre de foutre » l’excite. « Salaud de salaud ! » pense-t-elle.

« Ainsi, tu veux te débarrasser de moi ! » Il ne suffit plus de jouer de l’aller et du retour. Il n’y aura pas de retour pour elle. Un imbécile de forcené a décidé de couper les ponts ! Oh ! Qu’elle estime à sa valeur le manque de coups, de réprimandes ! Qu’elle ressent l’aiguité de l’indifférence, la blessure en creux du silence, la mortalité du néant ! « À nous deux, héritier de la Vipère ! » pense-t-elle. Ou plutôt, car on sait que, privée d’âme, elle ne pense pas, la morsure invisible a traversé sa chair, et c’est sa chair qui bée en ce point inexistant – virtuel – où elle croyait avoir un cœur, Gertrude !

Elle n’est plus qu’un sac d’os et de peau, la Gertrude, et c’est ce sac que le nommé Pierre traîne après lui, par un licou rongé de belle lurette, mais il l’ignore. Car même un maître ne sait pas tout, comme une ânesse n’ignore pas à l’infini. Le licou n’est pas éloigné de n’être qu’un fil, à telle hauteur ; quand l’âne résiste, il en éprouve le filament. Ça tient encore. Pour combien de temps ?

Ils sont revenus dans la Grand’ Rue, et l’heure s’écoule.

Pierre a reconnu quelqu’un de loin : sa sœur. Il est trois heures cinquante. La Jeanne fait semblant de ne l’avoir pas aperçu.

« Jeanne ! crie-t-il. Oh ! Jeanne ! » (Il est passé chez elle, en vain). « Je suis ici, Pierrot ! »

Il faut bien qu’elle l’entende enfin, qu’elle stagne. Elle porte sa robe des dimanches et son chignon des mauvais jours. Elle a jeté un regard à l’âne, a tout deviné. Mais elle sait tout depuis longtemps, par son gendarme de mari. « Tiens, Pierre ! Y avait longtemps ! Te v’là donc au marché ! Si je m’attendais, etc. »

« J’espérais plus te rencontrer, la Jeanne ! » dit Pierre.

Quatre heures sonnent.

« Je suis foutu, Jeanne, dit Pierre. Je suis sans recours ! J’ai voulu mal agir, ma Jeanne. Vendre Gertrude, mon tout, mon bien ! Je l’ai trahie. Et j’ai trahi ma soutenance, car je suis failli, et je n’ai pas le droit de vendre ce qui ne m’appartient plus. Je suis certain que celui-ci ou celui-là, le panier ou l’herbager, m’a dénoncé déjà, car tout se sait ! Je n’ai voulu, vraiment, que me faire un peu d’or, pour m’en aller d’ici. J’ai voulu tromper Dieu, ma Jeanne ! »

« Et ta Sylvaine ? », dit la Jeanne, les dents mordant la lèvre de rage, « tu l’abandonnes aussi ? »

« Je ne l’ai pas vue depuis des jours, et son maudit de père ne me veut pas. Je suis au bout, sœurette, sans être un mauvais homme. Simplement, j’ai trop cru, dans les promesses de l’un, dans les menaces de l’autre. Je ne suis pas à moi depuis que tu es partie.  La vie fut devant moi, mais – comment dire ? – elle est déjà derrière. Je porte mon avenir comme un boulet. Sauve-moi ! »

Émue, la femme se mord la langue : surtout, ne pas se laisser empêtrer, attendrir. Se taire.

« Quel mal ai-je fait à quiconque ? T’ai-je fait du mal, ma Jeanne ? À ton mari ? Au chevalier ? À celui-ci, sans volonté de mal faire ? À celui-là, sans intelligence ? Je bois trop, c’est vrai, dès qu’une bouteille me vient en main, et je dis alors tout ce qui me passe et qui, souvent, me fait tort. Je suis peut-être trop jeune pour bien comprendre. Je n’avais pas quatorze ans quand tu t’en es allée, pas quinze quand notre mère est morte. Mais t’ai-je pas aidée, tout le temps de sa maladie, qui n’en finissait pas, et travaillé, comme un esclave, à la scierie, en plus des champs, jusqu’à ce que Fernand te marie ? »

« Ce n’est pas la question, dit enfin Jeanne. Tu as fait ce qu’un frère doit. Je t’aime bien, Pierrot (elle ne l’a jamais appelé Pierrot depuis la mort de Mère), mais tu es ce que tu es, je suis ce que je suis. Certains t’ont dit une bête, et d’autres un moutard. Tu n’as jamais grandi, Fernand (elle ne sait plus très bien ce qu’elle dit, elle ne veut que vaincre). Je te vois comme je t’ai toujours connu, mal embardé, rétif. »

« Je t’ai donné le demi des biens, dit Pierre. Tout le mobilier et tout l’argent du vieux. »

« Bien obligé ! dit Jeanne. Mais tu n’as pas aimé not’ mère : tu as pleuré sa vie plus que sa mort. Tu dis du mal de la gendarmerie, du sénéchal, du comte. Je ne te vois jamais à la messe de six heures, et le dimanche même c’est pas certain. Y a combien de temps que tu n’es pas venu à la ville ? Tu bois, tu pètes et chies comme s’il n’était que toi. Un maître ! Un drôle de maître ! Tu fais de nous tous des bêtes, nous achètes et nous vends. Et tu viens de demander asile ? Tu te connais ce que tu es enfin ! Un pas grand chose ! »

« Bienséant ! dit le maître. Très bien ! »

Il lui semble qu’à l’horloge une demie a sonné.

Il quitte la sœur – le pauvre ! – et gueule par les rues :

« Je vends mon âne pour cent sous ! »

Dans son dégoût, il ne tire même plus sur la corde. C’est Gertrude qui tire et brise le licou. Bien assise sur ses quatre pattes, la tête levée en son effort, elle braie.

Alors, tout se précipite. Ou bien seulement se précipitent tous ceux-là qui guettaient Pierre depuis deux heures. Car il n’est pas loin de la demie : deux ou trois minutes à gagner ! Basileus et Boniface, les frères, bloquent un client éventuel ; le capitaine des gens d’armes, à la tête de trois hommes, en bloque deux. La foule s’isole hors du passage – ainsi qu’on nomme la ruelle où le Pierre et la Jeanne ont longtemps causé. Tout le monde attend, non pas la cloche mais la trompette qui va proclamer l’heure venue de la débandade et de la liquidation.

Tous ne haïssent pas le maître de même ; ils ne lui reprochent pas le même crime. Fernand se fait l’écho de la Jeanne, de ses hargneuses récriminations (car elle ne s’avoue pas son remords : avoir abandonné l’enfant de douze ans avec la mère malade, pour vivre sa vie à la ville, et l’avoir rançonné de surcroît, jusqu’au dernier centime, une fois la mère morte !). Les voisins doivent lui reprocher le faux bornage comme un vol, car, d’eux ou de lui, quelqu’un vola ou le voulut. Le maraîcher, qui est sorti de son étalage, curieux, doit le haïr d’être son cousin – renié. D’autres se sont scandalisés qu’un débiteur failli prétende vendre son bien en douce. Et même un tout jeuniot – à peine ses vingt ans ! – doit lui tenir à forfait d’avoir pu échapper – comment ? – à l’obligation de servir, quand il s’y ronge les sangs !

Je vous étonnerai peut-être si je dis que c’est là le discours de Gertrude, qu’elle se tient, confus, alors qu’elle braie. Confus, parce qu’elle ne saurait le dire, ni se le disloquer en son tréfonds.  Mais il y a longtemps qu’elle rumine, comme une vache, l’injustice des maîtres et leur mauvais vouloir, qu’elle se méfie de la Jeanne et de son mari : ils ont voulu la prendre lorsque – elle et le maître – se sont retrouvés seuls (et c’est après cette visite et cette querelle que son ânon a disparu). Elle n’aime pas davantage Basile, qui ne lui offrirait pas un trèfle, un quignon de pain ! Elle n’aime que son maître, depuis que, tout ânon elle-même, il venait lui causer, tendrement, toute une heure, le matin – avant de partir pour la scierie. Cette confusion même fait l’âme de son cri, tandis qu’elle braie encore, encore, vendant le maître !

Mais l’âne, soudain, suspend son discours intérieur. Les bras du maître, autre licou, ont enserré son col. La tête de Pierre contre la sienne !

« Aide-moi ! Tais-toi du moins, Gertrude. Tu ameutes la ville, à gueuler comme ça ! J’ai peut-être voulu te vendre, mais je ne t’ai pas vendue. Je ne l’aurais pas pu, Gertrude ! Apaise-toi ! »

De désespoir, de remords, d’impuissance et de peur, comment ne braierait-elle pas ?

La trompette retentit. La foule approche, elle encercle le couple incestueux (car il a bu du lait de Gertrude, Pierre). Un long frémissement a parcouru l’ânesse, auprès duquel le cheminement de l’escargot et même les brûlures du soleil ne furent que d’infimes titillements. Ce frémissement recouvre tout, et c’est pourquoi l’âne braie, incapable soudain d’en dire davantage. Le triple criminel, qui transcende son droit, viole celui du voisin et renie la loi suprême de la liquidation – sans compter cent discours suspects ! – est arraché au col de l’animal. Les gens d’armes l’entraînent, ou plutôt ils l’emportent, car il rue de ses quatre membres.

Il n’est pas très éloigné de se croire mort et que les démons de l’Enfer se sont emparés de lui.

Car, comme un qui revient des confins de la terre, après son tour du monde, il a défiguré le Temps, lui soustrayant – ou ajoutant, il ne sait plus – soixante minutes sur les vingt-quatre heures. Il n’a pas lu Jules Verne ni Alphonse Allais, bien sûr ! Plus gravement, il n’a pas tenu compte – ou, dans son exclusion fermière, n’a pas eu science – du changement d’heure, longtemps quémandé par l’Église, imposé ce jour même, aujourd’hui, dans le Royaume et tous ses marquisats.

Gertrude n’en finit pas de brayer.

 

 

 

 

Troisième chapitre

OU EST-CE QUE C’EST ?

 

La question – les domaines et les cycles – les espaces et les temps – l’âne et le maître – les transpositions – la réponse.

 

La question – Celle-ci, la troisième, achève de préciser l’énigme de Heidegger : Pourquoi cela est-il là plutôt qu’une autre chose ?

Qu’est cela ? Comment être ? Où ?

Nous avons dit que CELA est un ou les plusieurs. Et que cela EST par les passages, que cela se passe ou passe, en acte ou en lecture (le traitement, l’entretien). Eh bien ! En quel endroit ou quel envers, sur quelle colline, en quelle époque l’un ou le plusieurs vont-ils effectuer leurs passages – ou, sinon, les subir ?

Depuis les millénaires où nous savons que l’humain (JE) pense et se dispense (dans les deux sens du mot), il semble n’avoir tranché que par l’alternative : en dehors/en dedans, dans un contenant ou un contenu, dans l’Espace ou le Temps.

Il croit que cela se passe hors de lui, et qu’il y passe, qu’il le veuille ou non. Ou bien il dit passer, se déplacer dans le réel (son territoire ou un pays, une planète, un système planétaire, une galaxie) et qu’il ne s’y passe rien de notable, de remarquable, que les créations, les jeux, les connaissances nées de son intérieur : sa conscience ou son inconscient, son âme ou son esprit.

Quelques-uns, très rares – les plus unifiés parmi les plusieurs – ont avancé que, peut-être, les deux appréhensions seraient exactes, ensemble ou successivement. Mais cette réponse est trop pénible, ou trop difficile à concevoir, pour ceux qui se veulent libres ou qui se tolèrent conditionnés.

Ceux qui admettent l’Ensemble où ils se trouveraient pris se méfient – non sans raison – de la fragilité ou de l’insignifiance des systèmes successifs. Ceux qui combattent pour l’invention et la conservation de ce Système ne peuvent souffrir – c’est trop humain ! – l’idée d’un ensemble contenant des systèmes.

Une fois encore, la question semble insoluble.

Mais nous l’avons cru de la question touchant Cela (l’UN), puis de la question touchant l’existence (un passage), et nous avons tout de même éclairé ces énigmes, par le choix de l’objet (l’arbre et la forêt, le fil et le défilé), par ana et meta, quelques constantes mathématiques, un pur jeu de mots, visualisé dans le cens, conceptualisé dans le sens (dispositions, déclinaisons). Pourquoi n’en serait-il pas ainsi, cette fois encore ?

Pour dire l’UN, qui n’est qu’un Verbe, cependant, nous avons dû partir de la figure : dehors/dedans, contenu/contenant.

Pour dire l’Etant, une série quelconque de nombres, nous avons dû demeurer dans le vocable et dans ses jeux, car le Plus et le Moins sont de tels mots d’abord ; ils le redeviennent sans cesse, par le Positif ou le Négatif, dans la polarité, puis l’accord et le désaccord, le progressif et le dégressif, l’espèce (depuis l’aspect) et le genre (depuis le joint), etc.

Nous ne pourrons dire le OÙ ? de la troisième question – une figure – sans nous fonder sur le nombre. Et, de fait, la troisième question se subdivise en ces quatre :

Où, quand y a-t-il passage, N’y a-t-il point passage ? Si je ne suis pas le maître du lieu ?

Ou, si j’en suis le maître, si j’y suis libre : qu’est-ce que j’y gagne ? Qu’est-ce que j’y perds ?

À la première question, le topologue répond : je passe dans la continuité, la discontinuité m’arrête (un barbelé, un abîme).

À la seconde, le comptable répond : je perds dans le découvert (l’ouverture, la casse), je gagne dans le recouvrement (la fermeture, qui sera une cache de quelque nature).

Mais le topologue et le comptable ne sont que des systématiques, qui jouent précisément des deux ensembles : l’ouverture (le discontinu), la fermeture (le continu).

Est-il bien vrai que le topologue ou l’électricien saisissent l’Ensemble en son entier ? Toute discontinuité brise-t-elle le passage ? est-il bien vrai que le comptable ou le commerçant, l’industriel le saisissent ?

L’ouverture (le découvert) permet la découverte, qui est un plus.

La fermeture (le recouvrement) impose la recouverture, l’emprisonnement, qui est un moins.

L’inscription des fins comptables se fait un jour la fin des inscriptions, par la faillite du père ou par l’incompétence du fils.

Dans l’Ensemble de celui qui penserait à l’envers, le système fini (la discontinuité) ne pourrait-il ouvrir à une autre délivrance ?

Cette fin n’est-elle pas un retour ?

Les domaines et les cycles – Je peux dire que ma durée est mon domaine : je ne passerai pas outre, ou bien il faudrait que quelque chose de moi, qui me serait tout à fait étranger, subsiste en d’autres domaines, qui ne seraient pas miens.

Par delà les passages (2, 5, 7), j’ai suggéré de tels domaines : 5/7, 11/13, 17/19. différemment, je pourrai les dire des temps, de la semaine si j’atteins à 7, comme Moïse, les 11 de Mahomet ou les 13 des Mayas (les 12 zodiacaux), si je joue des mois, les 19 de Moïse et de Mahomet, jouant du Saros : 19 années lunaires égalent 18 années solaires, le cycle qu’un certain Meton aurait créé, au Vème siècle avant J.-C.

Au-delà des domaines, les nombres premiers me donnent les séjours des dieux : depuis 17/19, les 29/31 de l’autre mois, grégorien, puis les 41/43 de L’Apocalypse, que le multiplicateur, l’Ana, réduit en 18 (années solaires), 30 jours (le mois moyen), les 42 combinaisons.

On le notera tout de suite, ces 42 (6 x 7) seront pris par Jean pour les « mois ». Ils vaudront donc 1 260 « jours », en  prenant que le « mois » égale 30 jours, et 3 « ans » et demi : 7/2.

Les 7/2 ans égalent 7 x 6 mois ou 7 x 180 jours.

L’année comporte 12 mois et 360 (30 x 12) jours : le jour est le degré de l’année/cercle.

Si le jour égale la Grande Année, de 25 920 ans, la Grande Année est le degré d’un cercle de 9 331 200 ans. Mais il faudra attendre Newton, pour que ce complément à l’Apocalypse de Jean y soit donné. L’heure double du jour, au 1/12 du jour, vaut alors 2 160 ans. Il s’agit de l’heure ancienne, sumérienne ou romaine.

C’est assez dire que, dans le moindre de ces calculs, comme dans le plus grand, le domaine demeure pris dans le Temps, comme un cycle, qu’il s’agisse de la semaine, du mois et du saros, ou de l’heure double, du jour, du mois, ou du jour, du mois, de l’année.

Il doit surprendre que tous ces calculs jouent du 3. C’est que je ne puis traiter d’un cycle, sans  dire son contenu, son quantum, et son contenant. Toute Unité ne joue que de ces 3.

Or, qu’est-ce qui définit le cycle, le caractérise ? C’est ce qui le reproduit, le recommence : la mesure de son étendue, son domaine propre. Ce peut être les 12 ans de Jupiter, les 30 ans de Saturne, les 360 années des Abraxas : la conjonction parfaite entre les deux orbites : 30 x 12.

Mais, également, tout autres, les 12 heures doubles du cycle circadien (le jour), les 30 jours du mois, les 12 mois et 360 jours de l’année solaire. Sinon les 12 années du cycle d’activité solaire.

Des moyennes, ces nombres, entre 11 et 13, 29 et 31, 357 et 365, etc.

Ce seront de tout autres nombres si je traite le cycle comme un cercle de 360 degrés, qu’il est effectivement.

Le jour sera le degré de l’année,

l’année sera le degré de l’Abraxas,

72 ans le degré de la Grande Année (25 920 ans),

la Grande Année le degré de 9 331 200 ans, qui se nombrent aussi (2e-3) au carré :

2 (e-3) 2 ≈ (2e – 3)2

2 x (2 160) 2 =  9 331 200 ≈ (3 054) 2

etc.

Cette étendue  – sa mesure propre – est la seule réalité qui localise le cycle, au terme. Mais, à l’inverse, l’espace où se déversent les constituants de ma durée (l’énergie/masse) est la seule réalité qui limite ma durée, un autre « terme ».

Les 4 ne sont plus l’inventaire de Raymond Roussel :

Quiproquo Extinction
Etiquette Question

Ni les 4 que m’imposent les « passages » : le PAN, le PAT, le peuplement (de la rue), la rapidité (du vol) par l’entretien ou le traitement.

Car le problème n’est plus : qu’est-ce que c’est ? ni : comment c’est ? mais : où est-ce ? la figure devient :

L’étendue Les espaces
La durée Les temps

La fin de l’inventaire fait le retour.

L’espace et le temps – C’est en décembre 1994, à l’I.U.T. de Nantes, que j’ai donné cette conférence. J’y ai pris conscience de telles contradictions et prolongements qu’il m’a fallu y donner suite, en février 95, à Arles, par la conférence-spectacle : La Scandaleuse Élection, et par un cours à la Faculté de Nantes, en avril, sur les sectes et les temps.

En effet, si la durée et le cycle sont de même nature – temporelle – il n’est pas de communication entre eux. La durée de l’objet (son existence) est sans rapport avec les cycles que l’objet traverse, pour JE/ l’humain : les respirations, les jours, les mois et les années, à la limite : les cycles d’activité solaire et les saros, et ceux qui le contiennent, des Abraxas aux 9 331 200 années, sinon aux 200 trillions d’années qui, selon Einstein, représentent l’orbite de la Lumière.

À l’inverse, non seulement il n’y a pas de rapport entre les étendues de ces objets-ci et les espaces qui les séparent, mais les uns sont les limites, les fins, des autres.

Mais, si je dis les cycles et les étendues statiques, immuables (tels qu’en eux-mêmes), je devrai dire la durée et l’intervalle/espace mouvantes, dynamiques. Pour la durée, c’est évident : elle croît à mesure qu’elle existe ou vit, alors que sa « durée restante » se réduit, inversement au même rapport (son énergie, sa faculté combinatoire), depuis son unité : 1, jusqu’à (e-1) si j’exclus cette unité, ou jusqu’à ( e ) si je ne l’exclus pas.

Il est moins évident que l’espace/intervalle soit dynamique, mouvant. C’est même une théorie toute récente qui donne à l’espace ce pouvoir de transformation, dans le sens toujours de l’élargissement, du gonflage, puisque l’étendue d’un corps se réduit toujours dans le sens du refroidissement ou de la vieillesse. Dénuée d’énergie/masse (le composant de la lumière est une forme vide : le photon), la longueur d’onde ou l’étendue d’une couleur ne peuvent se modifier elles-mêmes : le déplacement de cette couleur en une autre, ou l’étendue de l’enfant en celle de l’adulte, celle de l’adulte en celle du vieillard par l’action de ce qui les séparent les unes ou l’un des autres. Les espaces sont donc en perpétuel mouvement : dans le sens du « pli », qui élargit (une « fronce » alors) ou qui réduit et referme (jusqu’au cercle).

Dans le simple cycle de la respiration, l’expiration ajoute de l’air à ce qui m’entoure, l’espace qui me sépare des autres corps. L’inspiration reprend cet air, et réduit d’autant plus l’énergie/masse répandue dans l’espace (mon en-dehors). Ce qui est vrai – ou plutôt réel – de cette pulsion, portée au PAT dans le combat devient le moteur de l’univers, considéré comme ce PAT (la charge et la détente de W. Reich). Mais toute étendue comporte ses 4 cardinaux. C’est alors le déplacement, des couleurs ou des âges, au carrefour, dans le PAN, que commande la pression qui me porte vers l’orient ou l’occident, le sud ou le nord.

On parlera de « densité » pour dire le rapport entre la pression et le volume d’un corps (son étendue). Mais qu’est-ce qui dira le rapport entre la pulsion et la durée ? Le premier rapport est de la compétence du technicien, d’ana : il demeure systématique. Le second est de la compétence de meta, de l’élu : son domaine est l’ensemble – et qu’est-ce que cela veut dire, traitant de l’Où ?

Qu’est-ce que l’élection ?

Ana et Meta – Ces vocables ont dit le plusieurs et l’un, afin de répondre à la première question : qu’est-ce que cela ?

Ils ont dit le traitement et l’entretien, transitifs ou intransitifs, pour répondre à la deuxième : comment est-ce : être ?

Peuvent-ils répondre à la troisième question : où ?

Nous le savons maintenant, ce sera au terme (fin ou vocable) du processus « durée-espace », direct, ou de l’inversion/précession « cycle-étendue ».

Au point exact où l’inventaire des restes, au-delà des fins, se fait le terme dont Léon Bloy proclame que ce « terminus » est en même temps une « tête de ligne ».

Cet inventaire est un « salaire », ce retour une reproduction.

Ou bien ce reste, selon Heidegger, est le chemin  par où, de la forme vide, JE revient au vocable, au signe.

« Salaire » et « reproduction » se disent tous deux mouture. « Reste » et « remblai » se disent tous deux relief.

Mais un mot dit le recueil des restes, leur relation finale : ana. Et un mot dit le retour autour du point proprement terminal, une borne dressée au tournant de la piste ou du stade romain : meta.

Si ana dit les deux moutures, ce sont les deux reliefs que dit meta.

Ou, du moins, c’est ce que donne à croire l’opposition irrémédiable entre l’homme de foi (le religieux), qui n’appréhende que le vestige et le tournant – et l’homme de raison (le savant), pour qui ne sont en effet que l’inventaire (le salaire) ou la reproducton.

Mais une approche plus circonstanciée des mots y opère de tout autres transpositions.

Si l’inventaire est l’œuvre du savant ou de l’ouvrier (son salaire), la copie, la reproduction est le premier travail du copiste, du fonctionnaire, de l’élu quel qu’il soit.

Si le remblai indique, impose le chemin du retour (du règne pour le fils de roi, de la fonction pour le fonctionnaire), le savant, l’homme du système est bien contraint de reconnaître l’existence d’un reste, d’un vestige. Il nommera ce relief l’exception – sur laquelle un nouveau système se fondera.

Ces 4 : les deux moutures, les deux reliefs, exigent de nouveau les 3, ou les 5, les 7, etc. Où cela ?

Jouant de l’UN, nous avons dit les montures, qui ouvrent aux 2 : enchâssement/coursier – et la parade, qui ouvre aux 3 : parures, parade, parage.

Par les 3 dimensions, aspects, et par les 2 délits (excès/manque), ces 5 me permettaient de dire les dispositions de l’UN et des plusieurs.

Traitant les 2 « m »(moyen/moyenne), j’ai retrouvé les 2 et les 4 : les traitements, les entretiens. Mais aussi les 3 sens, du signe (sémantique), de l’appareillage directionnel/précessionnel (nombré), du seuil (toujours figuré).

Les pairs ou, plus précisément, les multiples d’une part, depuis les pairs – et les nombres premiers de l’autre (depuis quoi ?).

Mais, déjà, aux 3 sens s’adjoignaient les 3 croix :

cardinale dans le signe : entre les cardinaux (l’horizontal et le vertical) ;

mutante en une constante anamorphose, de l’analème (la double ellipse) et du palindrome (le cercle). De la lecture et de l’acte, du change et du maintien ;

fixe, dans la figure, au seuil : le continu et le discontinu, le profit et la perte.

Considérant la forme vide ou tentant de répondre à la question : Où ? les 3 ne me font pas défaut : les dimensions (1, 2, 3), les passes (3, 5 ou 7) et les domaines, les lieux où se situent les croix, les points de jonction entre le contenant et le contenu, le plus et le moins, le continu et le discontinu.

Mais, si les 4 doivent être les 2 moutures, les 2 reliefs, ils me déçoivent. En l’absence d’un vocable-verbe (l’Unité perdue, puisque la forme vide ne contient rien), ils ne sont que des jeux de mots.

J’argumenterai que ces 4 sont la et le pendule, si je joue des sexes (unis ou désunis), des genres sexuels ;

du ce pendant et de ce pendu, ou de l’inventaire et du vestige, si je joue des monnaies, des valeurs, des espèces.

La pendule est un cercle. Fermée, elle ouvre au retour (remblai) et à la répétition (mouture).

Le pendule est un triangle. Il joue de ces 3 : le support, l’oscillation, le terme ou la terminaison de l’oscillation.

Ce pendant dit le simultané, comme d’un cycle dans l’autre : le jour dans le mois, le mois dans l’année, sinon la vie du fils et celle du père, pendant un certain temps. Ce pendu dit le successif, car le vestige suit l’apogée. Du supplice même il reste un ultime squelette.

Les transpositions – Parlant de l’Unité (l’Arbre) et des plusieurs (les composants de l’arbre ou la forêt), j’ai dû dire les rapports complexes de ceux-ci à celui-là, ou du premier aux seconds, je les ai nommés des « dispositions », de localisation et de tendance, que diversifient les « passages », soit des plusieurs vers l’un, soit de l’un vers les plusieurs.

Puis, ces passages me sont apparus comme une continuité (le fil) ou une discontinuité (des défilés) – le peuplement d’une rue ou la vitesse d’un vol, si je traite de l’UN, d’un combat (le PAT) ou d’un carrefour (le PAN) si je joue de plusieurs passants ou de plusieurs directions.

Il ne m’en est plus resté que la notion de combinaison, de groupage, de combinatoire, et la notion de courbe de Gauss, d’inclinaison (vers le haut ou vers le bas), contenues toutes deux dans le mot : déclinaison.

Poursuivant vers la Forme Vide, à l’opposite de l’Unité, les nombres se sont faits figures, le + et le – ouverts à la polarité (l’union, la désunion) et, finalement, le profit et la perte, le positif et le négatif (plus grand ou plus petit que 0).

Pour dire la forme vide ou pure, il me faut partir de cette ouverture et de cette fermeture et tenter de les équivaloir aux + et au -, d’où je sors.

Laquelle est un +, laquelle un – ?

La question semble simple, quand elle est insoluble.

L’homme du système, le technicien, le jaque, l’ouvrier dit que le continu fait le passage et que le discontinu ferme le passage (ou que le courant ne passe plus). L’ouverture complète (le découvert) fait la casse pour le comptable ainsi que pour l’électricien.

Mais l’homme de l’image, l’élu, le fils de roi, le distingué (un simple fonctionnaire en sa fonction) dit que la porte ouverte fait le passage, fermée l’interdiction de passer. C’est le découvert qui fait la découverte, quand la réouverture fait la cache. C’est la distinction des images qui permet la vision, des couleurs, des aspects.

L’homme de raison, le systématique, a recherché le joint final, jouant des genres, mais il ne l’atteint pas. À la limite, cet algorithme universel est le néant : sa propre mort (qui sera pour lui la mort universelle).

À l’inverse, le distingué, un jour cesse de percevoir l’ultime aspect. La lettre même qui l’élisait, le distinguait, ne lui a pas été remise, délivrée ; ou elle lui demeure inintelligible, comme chez Poe, Melville, Courteline et Kafka. la mariée est pendue, ou bien elle s’est pendue, selon les Machines Célibataires. Ou, selon Roussel, l’UN (selon Lacan le symptôme) demeure étranger au-delà ou en deçà de l’image, ce quiproquo, et du symbole, cette étiquette.

Car l’ouvrier n’atteint qu’au jaquemart, à l’automate, l’informatique – c’est-à-dire la mouture/reproduction. Au vain  relief/vestige.

Parti de la feinte élection/suffrage, l’élu recherchera toujours la lettre qui l’a élu. À moins qu’il n’imagine la découvrir dans l’inventaire, dans la pluralité majoritaire des voix, des électeurs, des complexifications sans nombre à l’infini – des systèmes. Le relief/remblai n’indique qu’une route, ou, pour mieux dire un défilé, des drapeaux, entre les montagnes le chas, si le trou de l’aiguille lui est demeuré ouvert.

La lettre perdue, l’enfant trouvé sont de l’UN : ses deux délits. Soit le manque d’aspect, soit l’excès de joint : la parade, la monture. Du ressort des dispositions.

L’inventaire, vers l’indivis, par l’élection, le résignement – et le seuil, depuis le signe, par l’accumulation, la multiplication, sont de la Forme Vide, qui ne contient plus rien, contenue en tout.

Cette Forme Vide n’est pas un  cercle, que nombrerait p, mais on peut lui donner pour valeur les 10 p ou 31,416. la véritable borne ou meta du Maître élu.

Elle n’est ni « e – 1 » ni « e », mais on la nombrera « 10 e – 1 », puisque l’UN n’y est plus.

Plus exactement, on nommera « aller » le nombre « 10 e – 1 » ou sa fin, l’inventaire, l’ana. Depuis le nombre « e – 1 ».

On nommera 10p le début du retour, vers p/4, le terme des couleurs et des aspects.

10p = 12Q2 (Q est le nombre d’Or)

10e – 1 = 10Q2

La Forme Vide est, de fait, ce qui sépare 12Q2 de 10Q2  = 2Q2.

C’est un triangle (selon Jarry, une « pyramide droite »). Un triangle rectangle et isocèle dont les côtés valent Q et la base QÖ2, selon Pythagore.

Q au carré + Q au carré = 2Q2.

Mais c’est aussi, bien sûr, un  cercle, puisque Q2 = 5p/6.

2Q2 = 5p/3. C’est la circonférence d’un cercle dont le rayon égale 5/6. Ou la surface d’un cercle dont le rayon égale Ö(5/3), ou Ö1,66.

1,66 est la moyenne entre Q et (e – 1). Sa racine est 1,29, moyenne entre Ö5 – 1 et Ö(e– 1). Etc.

 l’important est ici la transposition de l’inventaire au seuil, ou d’ana à meta (l’anthologie, la borne).

À ce point différente de la disposition et de la déclinaison qu’il nous faut bien parler d’un niveau différent.

À ce niveau, nous parlerons de « traductions » dans le sens des symboles, et, plus précisément, de « versions », comme d’une langue étrangère en sa langue propre ; mais d’investissements, et de thèmes, de sa langue à l’étrangère.

Si les versions jouent des soulagements : éclaircissement/éducation, support et dérobade, les investissements jouent des thèmes : élection, mise et prise : je m’investis, ou je me sais élu, j’investis mon bien dans le faire, dans l’affaire (le cheval dans Troie ou le bijou dans le sac de Benjamin), j’investis, je prends Troie ou l’Egypte.

La réponse – À coup sûr, le poème de Poe, traduit par Mallarmé, ne redonnera pas, traduit en anglais, le poème de Poe.

Ni la ville ni le pays conquis ne sont vraiment des prises, mais Troie sera détruite, les tribus de Jacob devront quitter l’Egypte.

Ni le soulagement ne sourd d’une délivrance ; elle demeure toujours menacée, ni la délivrance ne sera obtenue par un soulagement, toujours contredit.

Ne passent réellement, n’existent que le travail de la traduction, ou le manipule provisoire (achevé pour un résultat : son achèvement), sinon le fil – espéré – du soulagement, les défilés de la délivrance dans les passages.

La question reste posée : où puis-je dire que cela est ?

Mais les réponses aussi demeurent supendues, à la « nature » de l’interrogeant. Pour l’un cela existe dans l’inventaire (ou des passages ou des moyens). Pour l’autre cela existe autour de la borne, de meta, quand  cela tourne. Ce dedans et ce dehors, tout inversés, se retrouvent, nous le savons, dans l’Un.

Si j’en fais un passage (un moyen, une moyenne), ce ne seront plus seulement le traitement et l’entretien, mais des lieux, des séjours, qu’il reste à dire et où cela existe encore.

Dès le début de cet ouvrage, avant même que de dire l’Un et les plusieurs, l’arbre et la forêt, j’ai opposé l’art, ses images, à la philosophie, à ses symboles ; puis j’ai suggéré le symptôme de Lacan, le psychanalyste, entre les rêves du poète et la machine du philosophe.

Mais j’ai retardé autant que je l’ai pu l’opposition : science/religion dans l’incertitude préalable : de l’imagerie et de la symbolique laquelle est religieuse, laquelle scientifique ?

Maintenant nous avons cette certitude :

toute science est d’ana, de sa pluralité, de ses processus, de l’inventaire final que le vocable nomme ;

toute religion sera métaphysique : par l’Unité même dont elle traite, par ses nombres (3, 5, 7) et sa métachronologie (une liturgie le plus souvent), par sa finalité ou son départ : une borne en  bout de course, autour de laquelle le temps se retourne en cycle.

Il devrait devenir inutile de dire lequel des deux vocables joue de l’imagerie, lequel de la symbolique. Concrétisée ou non, la borne est une image, et le premier métagramme aussi ; la métaphore en est une.

Abstraits ou non, les ana ne sont que des recueils de symboles, de principes moraux, d’adages, de proverbes qu’on dira vérifiés. Les anagrammes et anastrophes, resteront abstraits, même s’ils ne sont que grammaticaux.

La science de l’anatomie ouvre à celle de l’atome (chez le Grec et l’Hellénistique comme chez le Musulman et l’Européen du siècle dernier).

Le refus préalable de symboles différents s’est toujours nommé l’anathème, qu’il soit du scientiste religieux : le dominicain scolastique, ou du « savant » qui condamna d’abord l’authentique découvreur : Boucher de Perthes, Kammerer, Wagner et tous les autres.

Mais, bien sûr, le croyant n’avouera pas que sa religion se fonde sur des images. Il se veut autre chose qu’un artiste.

Et si le savant admet qu’il ne joue que des symboles, il ne donnera pas au mot le sens – beaucoup plus modeste – que le philosophe lui donne.

C’est que l’artiste et le philosophe n’ont pas honte de leurs supports, assez proches encore de l’UN, du symptôme, pour ne pas ignorer ses délits. Mais le religieux et le savant naviguent, gravitent autour de la Forme Vide. Ils tiennent d’autant plus à leurs divagations qu’ils n’en ignorent pas la fragilité.

C’est aussi, c’est surtout que le 4 n’existe pas, ni comme nombre premier ni comme dimension. De ces 4 : l’art et la philosophie, la religion et la science, l’un n’est qu’une abstraction, un vide, dont chacun prétendra qu’il contient les trois autres, qu’il les surmonte.

 Le poète admet que son art est une philosophie, une science, une religion ; et le philosophe digne de ce nom, Platon ou Kant, n’ignore pas que sa philosophie est art, science, religion. Mais le savant méprise les trois autres : lui seul détient la Vérité ; et le religieux, toujours, se dispose à juger, condamner, proscrire Baudelaire ou Galilée, Boèce, etc. Au nom du Bien ou de la Vertu.

Quand quelqu’un glorifie la science ou la religion, qu’on le veuille ou non, l’abîme est déjà là.

Il reste que, sans une religion, une foi, il n’est pas d’art : ni les chants d’Homère ni les cathédrales. Si la foi est faible (raisonnée), elle ne donne que la Tour Eiffel ou les pyramides de Buren.

Il reste que, sans la science, une philosophie demeure inapplicable : trop de divagations philosophiques le prouvent.

Si tout art est le terme d’une religion (son mot-maître), toute science est le terme d’une philosophie (sa fin).

Les niveaux de la réponse – le 2 est l’un des trois premiers nombres premiers ou l’une des trois dimensions. Mais c’est aussi le fondement des nombres pairs, les plus nombreux des multiples.

Est-ce pourquoi nous retrouvons ce nombre à tous les stades de cette unité ? :

–         limite de l’Un et même, en Ö2/5, mesure du degré de liberté, entre p/4 et Ö(T-1) ;

–         dédoublé (2 x 2) dans les passages ou les 4 acceptions de traitement et d’entretien ; ou dans les jeux induits/déduits de « e » et de « p », autour du 3 ; jusqu’aux mêmes jeux autour de 30 : 10p ou p3 et « 10 e – 1 », ou 12Q2 et 10Q2, etc.

–         abouti dans la dialectique de la Forme Vide, ouverte ou fermée (dans la deuxième dimension l’une, dans la troisième dimension l’autre).

Traitant de cette dialectique constante ou renouvelée, Karen Blixen,dans sa fable : Une histoire consolante, a donné cette unique image des dialectiques : vie/mort, mâle/femelle, riche/pauvre ; deux boites fermées à clé, qui contiennent, chacune, la clé de l’autre boîte.

De fait, au terme de la vie ou dans la Forme Vide, les deux délits de l’Unité : l’aspect et le joint, sont devenus l’espèce et le genre de l’artiste et du philosophe (scolastiques), puis la spécialité, la généralité, et pour finir : les espèces monétaires d’une part, les genres sexuels de l’autre.

Si je joue de la monnaie, je trouverai les machines de Gallus et de Marx, fondées sur les deux concepts : consommation, production.

Ici, le producteur – l’ouvrier, le prolétaire – sera l’enfant trouvé, le jaque, ne tendra qu’au jacquemart, l’automate, puis l’ordinateur, par une science quelconque (sémantique, biologie et technobiologie, astrophysique). Parti du joint, du genre, il n’aspire qu’à la spécialisation, dont le terme est toujours l’espèce monétaire : le nouveau symbole pécuniaire, qui le situe finalement entre les deux extrêmes de la valeur de production et de la valeur de consommation.

Mais c’est le consommateur, l’élu, qui prend sa suite, comme l’œuvrier l’avait souhaité : fils de roi ou bourgeois, Nomenklatura, le monde des fonctionnaires ou le palier de la « sinécure », car le fonctionnaire ne rapporte rien, sa seule fonction est la copie ou la relation affabulée du journaliste, de l’homme de lettres.

Dans l’entièreté de la Machine, depuis l’enfant trouvé, au-delà de l’UN, à la lettre perdue avant l’UN.

Au contraire, si je joue du sexe, je partirai de la naissance légale, réelle (ou du fœtus, du gène), pour atteindre, dans l’entièreté, à l’extinction, à la mort certaine.

Ce sera par un chemin déterminé, vers l’Ouest, que le gène sera devenu l’adolescent, au terme de son adolescence ; puis l’adulte, engagé dans la voie de la mort, vers l’Est.

Que sont ici les sexes ? Le mâle et la femelle.

Vide au départ, la femelle produit (elle porte en se remplissant) ;  elle met au jour, et c’est le nouvel objet, en ses aspects nouveaux. Son chemin peut être dit celui de l’animus. Son projet est une mosaïque d’aspects, une « tapisserie » ; mais, si le mâle ne l’a pénétrée, sa tapisserie est à refaire chaque jour : elle ne fait pas l’enfant : le drame de Pénélope, puis de toutes les vierges folles, depuis Sarah, avant que Tobie n’ait domestiqué ses démons, ou Yseult ou Juliette, privées de Tristan, de Roméo (Héloïse d’Abelard, Chimène du Cid, etc).

Plein au départ, le sexe mâle semble destiné à se vider dans la femelle. Mais, sur le plan de l’émotion (de l’inclination à la passion), le destin du mâle est de se perdre à la femelle, de se « tapir » en elle : l’obsession de l’anima.

En cet instinct de « tapissement », Ulysse va d’île en île (12) et le Faustroll de Jarry de même (les îles sont 13, mais la treizième est la première). Don Juan va de femme en femme, jusqu’à la sienne : Elvire, que son refus de l’anima le pousse à refuser.

À la fin, Abelard est châtré, Tristan fou, Roméo un mort et Juan emporté par la main de marbre ou le squelette du Commandeur. Le vainqueur du Taureau, Thésée, épouse la fille du Taureau : Phèdre. Combien  d’amours ont tué les Rois, depuis Louis XVI à Edouard VII, par Rodolphe ? Tant d’anima réussies et d’anima trahis, rejetés…

À la dialectique de la forme vide, du « terminus/tête de ligne », dois-je donc donner ces termes : la production et la consommation, le tapissement et la tapisserie ?

On sait qu’il y en aura bien d’autres, car la Forme Vide exclut le Verbe,  qu’elle ne contient pas. Mais, jouant des sexes, ce sera toujours ou l’animus ou l’anima (la tapisserie, le tapissement) ; jouant de la monnaie, ce sera d’abord une valeur de production et une valeur d’échange, pour une consommation accrue.

Car les temps vides, akkadiens, hellénistiques, modernes, ne savent plus rien de l’Unité, de l’union ou du coït (et plus rien du symptôme). Ils ne connaissent que le sexe et le fric. Tous les problèmes que posent la science (économique, utilisable) et la religion (dogmatique, figée) s’y fondent – à l’exception de la vaine recherche du Mot/verbe : informatique, virtuelle.

En ces dialectiques, encore, le 2 a survécu : entre les 10 p et les 10 e-1 : les 2Q2, ou leur racine : QÖ2.

Que nous reste-t-il ? Les niveaux, qui ont mené des dimensions aux passes (les fractales), des phases passagères aux domaines, aux boîtes de Karen Blixen, ou de Lorenz, de la Gestalform, de Laborit, de Resnais (son film : Mon Oncle d’Amérique) ; de l’affection de Spinoza à l’affectation sociale d’aujourd’hui, ou de la symétrie à la simulation, au simulacre (le masque et le réflexe à vide de Lorenz), si l’homme, JE, n’est rien qu’un animal.

Un animal relationel et projectif, mâle ou femelle, qui n’agit que pour le « plus avoir » ou le « moins avoir » contre le jeu, contraire, de la production. Car le sperme, le gène, le fœtus, l’enfant, le « produit » demeure condamné ici, par le pédéraste et la lesbienne (les homosexualités), par la pilule contraceptive, l’avortement, le passage de l’ouvrier au fonctionnaire, du poète à l’homme de lettres, de Van Gogh au peintre du dimanche, de la cathédrale à Eiffel – du tapissement sordide à la tapisserie inachevée.

Mais voilà qu’on a débordé de l’Objet UN, de ses délits, à la pluralité, aux relations/rapports, aux constantes des divergentes (les moyennes) et des convergentes (les sommations), aux sexes ou à la monnaie, sans quitter le genre et l’espèce, meta ou ana. De la jonction (la coagulation de l’alchimiste) à la disjonction (la divergence, la complexification, l’éparpillement, la dispersion), comme du chaud au froid, ou de la vie à la mort.

Quel serait ce point, OÙ la voie entropique s’inverse, la borne ou le meta, où le terminus se ferait la tête de ligne, selon Léon Bloy ?

À quel niveau ?

L’inversion de l’Unité (de l’image au symbole) ne nous est claire que parce qu’elle se situe dans l’UN, en l’Être, en JE : exactement de l’étendue à la durée. Tout animal éprouve – à défaut de le connaître – ce moment où l’enfant, le petit, se fait adulte, un grand. Et tout élu, de même, le point où la couleur, la lettre, le signifiant se perd, qui d’avance l’a élu. C’est l’oreille attentive – plutôt que l’œil ouvert – qu’il va choisir de progresser, de note en note, de rythme en rythme, jusqu’à l’effrayant cri du Si, à l’autre instant – de la mort.

Mais, au cœur de la Forme Vide, qu’est-ce qui s’inverse ? Comment ? Où ?

Quoi donc ? L’âme de l’élu, du maître ? Quelle partie en l’âne ?

Comment ? Par l’inventaire d’ana, la rotondité de meta ?

Dans la fronce qui double le courbe – ou le triangle (de la période au cycle) ? Dans le pli, bientôt refermé, qui transforme l’analème ou la bande de Mœbius (de Platon) dans le cercle unique du palindrome ?

Si je traite des sexes, serait-ce le point où la femelle – la productrice – deviendrait un mâle (élue en tant que mère) par cet animus accompli : l’enfant, que sa fonction, dès lors, sera de modeler – tout le temps d’enfance – à l’image parentale de la race, de la tribu, de l’abstraite société ?

Serait-ce le point où le mâle, se cloisonnant en sa femelle, s’y tapissant, répèterait en effet, par la chasse ou la quête assouvie de l’anima, tenterait par un coït maniaquement reproduit, de donner – à jamais – d’autres enfants à l’épouse ?

Si je traite des monnaies, des valeurs, des espèces, est-ce le moment où l’effigie prend le pas sur la matière – jusqu’au crédit, à la virtualité, la fausse monnaie ? Est-ce le moment où le prolétaire se fait le fonctionnaire, par le jaquemart réalisé ? D’un autre animus alors, une ouverture à l’infini, à cet autre anima : une bureaucratie ?

Ces mots, aux jours que nous vivons : l’animus, l’anima, ont comblé cent théoriciens, mille analystes, mille foules d’auditeurs. Ils ne comblent pourtant que l’hiatus des genres sexuels, ils laissent béant l’espace qui sépare la matière, la masse, de l’effigie. Au point que le prolétaire ne sera pas, jamais, le fonctionnaire, qui l’asservit.

J’avancerai cette hypothèse : l’hiatus final entre ana et meta, l’inventaire et la borne, ne joue pas seulement de l’animus et de l’anima (ils sont encore de l’âne), ni de la production et de la consommation. Ils jouent de la tapisserie et de son envers, la trame. Des multiples aspects offerts à ton regard, car le poème, la peinture est innombrable : cependant que ceux-là se défont, ceux-ci se font ailleurs – à la confuse brume des fils pendus (dont l’assemblage doit constituer une autre Tapisserie, ici même.

À quel niveau ? En celui-là qui transcende les « séjours » mêmes des dieux, bien au-delà des 42 de l’Apocalypse, jusqu’aux images finales, indestructibles, du mythe, de la légende, dont l’Élu ne sera jamais que le traducteur.

La glorification  de l’âne.

 

LE CONTE

 

IV

 

D’autres vous le diront, dit le conteur : il n’y a pas de quatrième dimension. Si le jour peut compter une heure en plus, en moins, ou la nuit la plus longue jouer du 10 décembre au 6 janvier, le jour le plus long du 1er de juillet au 22 juin, comment pourrais-je dire les quartiers du jour, les saisons de l’année ? C’est pis, car, toute l’année, l’un vit dans l’attente de Noël, et celui-là réduit l’année à l’attente de la Saint-Jean et de l’été qui suivra. Tout le jour, celui-là ne rêve que de son rêve passé; celui-ci, dès l’après-dîner, s’impatiente du jour à naître. Cette nostalgie ou cette hâte leur bouffent tout le Temps. Elles en refont un pendule en sa triple période : le passé, l’actuel et l’avenir pour l’un, le devenir, le devenu et la présence pour l’autre.

Il en est de l’espace comme du temps. Un château se tient toujours à l’un des cardinaux, ou une mairie, une église. Ce lieu privilégié englobe la ville, le marché, la foire, le comté, le marquisat. Il est comme la Noël ou la Saint-Jean d’été pour les saisons. Et, de fait, c’est bien là, dans le 4ème global que l’âne et le maître, hurlants, ont été transposés : Pierre en une cellule noirâtre, Gertrude dans la cour du Poste de garde, qui, lui-même, se situe à l’orient du château. Car le château, comme le bourg, comporte ses 4 cardinaux : le 4ème au nord (la Salle du Conseil).

Il est cinq heures (non pas au campanile, qui n’existe pas encore, mais selon l’immense cadran solaire qui orne l’entrée du parc). Il en est six, selon les nouvelles prescriptions. Le soleil est assez haut encore pour que les villageois n’aient pas faim, non plus que sommeil. Mais asservi au bon vouloir du comte, du marquis et du roi, l’astre s’éclipse déjà ou le fera bientôt, dans quinze jours ou un mois, qu’importe ? Car le Bon Vouloir règne en ce lieu – et, par ce lieu, en tous les autres, moteur de toute mondanité, de toute société – et de la vie même, dans le village.

« Je veux cet âne », dit la Comtesse, qui vit au temps du Bon Vouloir, non dissociable, ici, de l’Aujourd’hui : elle se prend d’ailleurs, quand elle dort et rêve, pour la fille d’un roi grec (dont elle porte, tronqué, le nom). Elle rentre chez son père et voit l’âne, attaché, dans la courette des gardes, car c’est le chemin qu’elle suit, au retour de ses promenades pour regagner sa chambre, à l’orient du château.

L’âne est là parce que le capitaine d’armes se veut respectueux de la loi. Un respect qui ne va pas sans une certaine violence : il a dû s’opposer, de toute sa fermeté, aux prétentions de son officier Fernand, qui défendait les droits de la Jeanne, de l’avocat des Basile, un Baltazar, et d’un moine impulsif, pourvoyeur de l’Évêque, qui revendiquait « le droit des pauvres ». Il s’est bien battu : l’âne est là.

« Je veux cet âne », dit la fillette, mais une femme déjà, par son sexe et ses seins, une Dame, de par l’hérédité.

Pourquoi le dit-elle ? Va savoir ! Ça lui est passé par la tête, peut-être parce que, depuis deux jours, elle n’a rien exigé, par la simple exigence de rappeler son pouvoir. Ou bien elle s’est souvenu du seul épisode notable, étrange, de sa journée : peut-être a-t-elle reconnu l’âne et le jeune homme qui lui tint tête – le premier en toute sa vie ! Il n’était pas mal, ce manant, ni disgracieux ni vil ! Bien qu’il ait eu peur… Mon Dieu ! Qu’il avait peur ! Peu de manants ont eu aussi peur devant elle (elle en approche peu) ; mais encore moins ont cette noblesse étrange, autre que la Noblesse, cette outrecuidance ! Je crois qu’elle a voulu d’abord, ne se souvient qu’ensuite. Une pitié suit : il est si malheureux cet âne, si esseulé !

Esseulé, l’âne ne l’est pas, mais plutôt la proie de vingt maîtres. On dispose pour lui un tas de foin contre le mur, auprès d’une bassine d’eau. Gertrude y boit, par habitude, et se rencogne tout aussitôt, humiliée d’avoir faim. On la caresse, elle grogne et, d’un coup de tête méchant, écarte l’importun. On vient la visiter, la juge : « Mais c’est une fille ! », « et pas si jeune que ça ! »

Il y a là des soudards, des cuisiniers – « Tu as déjà mangé une cuisse d’âne ? » – la femme de chambre de la comtesse et une vague maîtresse du comte, qui n’ambitionne plus d’être sa seconde épouse. Quelqu’un annonce le juge, mais c’est un moine qui vient. Il esquisse le signe de la croix sur le front de l’âne et se recule avec effroi : il y a vu briller comme une étoile maudite, à six branches – le signe du Malin !

Gertrude s’est reculée de même. Pour elle aussi ces visiteurs sont des démons – des ennemis, qui l’ont séparée de son maître. Ou plutôt, puisqu’elle-même l’a trahi, rejeté, c’est la multitude, horrible, des autres, aux odeurs imprévues, aux gestes menaçants. La foule des hasards promis à l’infidèle. Ils ont rejoint, déjà, dans le méandre des jours, Jeanne et la perte de son ânon, le voisin hypocrite, l’ortie et la vipère, tous les piquons. Cette foule étrangère qui fait la solitude.

Une autre solitude, la seule visible, est celle du maître, en son cul de fosse. Étrangement, celle-là, que vous imaginez sans peine, est la seule vraie : elle ne se peuple pas, de regrets ou d’espérances. La tête, ici, est tellement prise (d’espoirs, de remords ?) qu’elle est devenue pareille à une pierre – ou une boue : une vase pierreuse, une roche liquide. Quand cette horreur s’empare d’un homme, d’un maître, il n’en perçoit plus que le néant : l’ultime remède. Pierre dort, si l’abîme peut être nommé sommeil. Il n’a pas tout perdu seulement, mais cela qui, en l’homme, inventorie les pertes et se réjouit d’inventorier. Son rêve est tel : un âne ailé, piètre Pégase, l’emporte vers le Paradis. Hors de l’inventaire, tous les débits ont formulé une planète, la huitième, faite comme un ange.

Il se réveille priant. « Mon Dieu ! prie-t-il. Excluez-moi, oubliez-moi. Je n’ai pas aimé, ni la Mère, ni Jeanne, ni Sylvaine, mais j’ai nommé Amour le désir d’une retraite, d’une famille, d’une femme. N’en punissez pas Gertrude ! Ne lui fermez pas les portes de votre ciel ! Ou, si Gertrude n’a pas une âme, protégez-la des tourmenteurs, qu’elle meure en paix, ainsi qu’elle a vécu ! Car, ici même, sur cette terre, vous avez besoin de ces anges de la paix. Les saints ne feront jamais tout le travail, trop rares ! Que seriez-vous, Seigneur, sans les ânes ? »

Or, la rémission précède la prière : on ne demande jamais que ce qui fut donné. La jeune comtesse a dit : « Je veux cet âne ! »

De la comtesse, encore enfant, j’ai très peu dit. Autant dire : rien. C’est qu’elle vit dans l’Aujourd’hui, qui la submerge, comme il submerge les sœurs, les voisins, les gens d’armes, incapables de s’y diriger. Bien ou mal, ils vivent dans l’Amour, en ce jour, mais, à toute heure, à toute seconde, un Ennemi tente de les en proscrire : l’intérêt, l’amour-propre, l’amour sale : les sept démons, que l’Église nomme : péchés capitaux. Le démon d’Iphage est l’Orgueil. Quand il résonne en elle, ou qu’elle raisonne par lui, l’appétit qu’il suscite est sans limite. Elle se sent capable de dévorer le monde : elle l’est. La résistance l’outrage, la révolte la fortifie. Mais cet orgueil est celui de l’enfant : rien qu’amour. S’il lui arrive de réfléchir, parce qu’elle est la fille de son père, cette réflexion pour elle n’est que réflexe. Elle est reflet (des modes du Comtat, des mœurs admises par tous, tous ceux de son entourage), quand elle n’y pense pas. Réflexion et reflet se joignent en Jésus, son maître, dont le comte – oui ! le comte lui-même – n’est qu’une imparfaite réflection.  Il lui faut obéir d’abord. À quel miroir ? À quel instinct ?

C’est ainsi qu’aujourd’hui, très vite, l’étroitesse de sa chambre l’oppresse, bien que la chambre n’ait pas rétréci. Mais, comme à chaque fois qu’un nouveau caprice l’enfle, elle arbore une couronne invisible, se revêt d’une cape époustouflante. Elle monte sur des échasses et se pare de la queue aux mille yeux du paon. Elle a déjà franchi le seuil de l’appartement, traversé le couloir et descendu les marches du petit édifice qu’elle nomme son Paris (pour « parvis », car elle bute encore sur certains mots : elle n’est tout de même pas encore une déesse !)

« Une maîtresse ? » Gertrude se le demande, la tête baissée, l’œil qui tapine. Elle ne sait plus très bien ce qu’est une maîtresse, depuis le temps que Jeanne, puis la Mère les ont quittés.

À coup sûr, quelque chose de plus rêche qu’un maître, de plus distant et dur, car les femmes d’aujourd’hui sont telles – responsables au plus haut degré, de la maison, de l’argent, du rituel familial et des générations – de tout ce qui de très loin passe au-dessus de sa tête. Par le détail le plus concret de la vie elle porte, la maîtresse, les fables inconnues ; et, par la grâce, les rites et les superstitions, tout un passé inébranlable, où l’âne lui-même se reconnaît d’une autre race que l’humain, sinon maîtresse elle-même : la mère d’un ânon perdu.

Mais cette maîtresse éventuelle est un enfant, comme un ânon. Ainsi, dès la première caresse, l’âne tend le cou, se prête et, même, risque une promesse de câlinement vers la main.

« Ma pauvre bourrique, dit la fille, as-tu un nom ? » Puis, au garde qui attend : « A-t-elle un nom ? »

L’âne a failli répondre. La dérobade le blesse. Puisqu’on s’adresse ailleurs, Gertrude ne dira plus rien.  Le garde répondra pour elle :

« Je ne sais, Madame. »

« Où est son maître ? » dit la donzelle ornée. « L’a-t-il perdu (son maître) ? »

Oui, je l’ai perdu, songe l’âne. Je l’ai vendu. Ce ne sont pas des choses à dire.

« Je ne sais, Madame, dit le garde. Je le crois en prison. »

Il a compris de travers, inversant les sujets.

« Cela ne m’étonne pas, dit la fille. Tout d’un rebelle, cet homme-là ! »

(« Si jeune, pourtant ! Déjà en taule ? Ah ! L’imbécile ! »)

« Et l’âne ? Que va-t-il devenir ? L’aurait-on décidé ? »

(Elle dit souvent ce « on » quand elle parle de pouvoirs qui ne sont pas les siens, c’est-à-dire de son père, par une sorte de pudeur, de crainte qu’elle ne s’avoue pas. Mais, bien sûr, le comte n’est pas en cause : Iphage, nouvelle Iphigénie, sait bien qu’Agamemnon ne se préoccupait ni des ânes ni de leurs maîtres !)

« Alors ? Tu vas répondre, soudard ! » dit-elle, oubliant qu’elle ne lui a posé aucune question.

« Je m’en vas quêrir le chef » dit le garde.

Et c’est ainsi que, de caporal en adjudant, la comtesse se trouvera devant le mari de Jeanne, qui lui opposera la loi ; puis devant le moine – confesseur de ces Dames, qui lui opposera la charité.

« De par la coutume, l’objet d’une liquidation revient aux pauvres, Madame, c’est-à-dire à l’Église ! »

Iphage n’en peut plus de ces allers, de ces retours, de ces rebuffades. Il lui faut en passer par son père, c’est ainsi ! Mais ils vont voir ! Le comte est au conseil, a-t-il fait dire (au chevet de sa quatrième maîtresse, en fait, mais il est las de cette idiote : la quémande de sa fille le sauve d’un pire ennui. D’ailleurs, il est six heures au soleil déclinant, sept au nouvel horaire : le temps de passer à table.)

« Que voulais-tu me demander, ma fille ? »

« J’aimerais, père, que vous me donniez l’âne dont les juges et les moines se disputent la possession. »

C’est alors que l’étrange survient, que l’inattendu s’instaure. Car vous pensez à l’autre conte sans doute, « Peau d’âne », où le même entretien aura lieu, entre la princesse et son père, la fille très jeune encore et le roi veuf, amoureux certainement de sa fille, comme ici, ce jour-là.

Le comte, d’ailleurs, a eu la réaction du roi :

« Pourquoi ? Tu veux manger de l’âne ? Ou revêtir sa peau ? »

Mais, ici, tout va de travers. Iphage ne veut pas de la peau de l’âne.

« Non, père, dit-elle. La robe de mon temps me suffit. »

Le comte est très fier de sa fille.

En vérité, elle ne sait pas très bien ce qu’elle veut, si ce n’est, simplement, l’obtenir. Tout le monde serait-il contre elle – les juges et les moines, son père ?

« J’espérais qu’un si petit présent… Pour une fois que je vous demande (mais elle demande, au comte, tous les jours, quelque chose). »

Elle va bouder.

« C’est bon ! dit le comte. Tu l’as, ton âne. Mais si la Justice et l’Église… Tu demandes beaucoup plus que tu ne le crois ! Tu me donnes deux jours ? »

Il faudra des semaines pour trancher le débat. Car tout le monde entrera dans le jeu, le beau-frère postier, le voisin grincheux, le confesseur entêté, sinon le peuple en rumeur, excité, affolé par le mot « privilège ». Quoi donc ? Parce qu’on est la fille du comte, a-t-on … ?

Mais cela ferait la matière d’autres histoires, où nous sortirions de ce conte, et de l’aujourd’hui, qui, ainsi que le disent tous les contes, s’achève au dernier coup de minuit.

S’achève, comme toutes les tragédies, par le cinquième acte : l’Exode.

Dans le respect de l’unité de temps.

Est-il vingt-deux heures ou vingt-trois, au cadran lunaire invisible, quand Iphage, qui ne peut dormir, sort de son lit ? Des souvenirs, déjà pareils au rêve, l’astreignent. Une rencontre, sur une route, d’un homme qui ne peut se faire obéir de sa monture (sur laquelle il n’est pas monté !). Un imbécile d’ivrogne révolté, le plus craintif, le plus naïf des hommes… Elle ne sait plus ni quand ni où, car ce lieu-dit ne l’est pas, ne peut l’être par le cadran solaire, muet, la foire achevée, l’arquebusier ou le presbyte. « Le Royaume de l’âne », songe Iphage, alors qu’elle va par les couloirs et les parvis, dans la seule inquiétude que l’âne lui soit enlevé.

Mais il est là, gris sous la lune, dans la lumière lunaire, gris-bleu, et un rayon de lune a cerné de blancheur la tache qu’il porte au front… De blancheur ou bien de dorure ? Dans la clarté de platine, la tache brille comme de l’or. Une tache que personne encore, sinon le maître, n’a vraiment vue – ou regardée.

Avec stupeur, Iphage la voit, elle la regarde :

« Mais tu brilles, baudet ! dit-elle. Tu réfléchis comme une étoile ! Tu portes l’Étoile à ton front ! »

L’âne incline la tête vers la main qui n’ose plus la caresser. Il cherche la main de l’enfant, la boute.

« J’ai vendu le maître ! » dit-il sans parler et sans braire, car c’est un dieu qui parle en lui. Iphage entend ; elle ne comprend pas, mais le souffle éclatant a vibré en elle : elle sera une noble comtesse, une grande reine plus tard.

« Parle-moi de lui, dit-elle, puisque tu le peux, Âne d’or ! »

L’âne braie. Il ne dira plus rien, ce jour-là. Mais voilà que la comtesse a bondi de son parvis à la cour sablonneuse, de la cour au grand escalier. S’oubliant en chemise, elle ameute ses gens, tire la cloche. Elle crie : « L’Âne d’or ! C’est l’Âne d’or qu’annonçait le poète ! C’est l’Héritier ! »

Et tous viennent à sa voix, qui vont – sur l’injonction de la fillette, puis celle du comte, ensommeillé, courir à la prison, en extraire le puni. Car Iphage l’a proclamé :

« Le Prince demande son maître ! »

Tout le reste va de soi et ne vaut pas d’être dit. Sinon cette étrangeté. Sitôt qu’il a considéré Ambroise, à peine l’a-t-il interrogé, le comte a reconnu en lui le fils du soudard qui, voilà bien longtemps, lui a sauvé la vie (il n’avait pas six ans alors et ce fut au sud de Poitiers, l’enfant poursuivi par des Maures). Le père d’Ambroise avait refusé toute récompense, invoquant le devoir accompli.

Le comte eût voulu élever le fils de son sauveur à une dignité quelconque : chambellan du palais, greffier de Justice, Inspecteur des Travaux Finis. Mais Pierre Bonheur refusera tous ces privilèges, ainsi que l’âne l’a prédit.

C’est au premier coup de minuit, alors que les animaux conversent, qu’il leur faut, de force, s’exprimer, que l’âne a tenu ce discours à son amie. Iphage avait promis : « Vous allez être heureux maintenant, ton maître et toi. Sais-tu ce qui te ferait le plus plaisir ? »

« Être avec lui » a dit l’âne.

« Et lui, que voudrait-il le plus au monde ? »

« Être avec moi. »

Puis, Gertrude avait ajouté, avec passion :

« Revenir chez nous. »

Car, en ces temps de grâce, qui furent ceux de Moïse et sont ceux de Charlemagne, l’Exode n’est pas exil, rien qu’un retour, au Canaan, au Grand Empire chrétien : le pays d’origine, le lieu où l’on est né. Au cinquième acte de la comédie – Molière s’en souviendra – le fils, la fille retrouvent un père ; le bâtard ou l’abandonné, l’enfant trouvé est reconnu l’enfant du roi, du prince ou du bourgeois tout à coup décillé…

« Ton maître n’était pas un enfant trouvé. Il connut son père. Le misérable besogneux – est-ce toi ? »

Mais il n’est plus besoin de paroles. Elle –Iphage ou Gertrude – a remonté, d’évidence en évidence, le temps, depuis l’âne de Buridan, esclave de la nécessité de choisir, jusqu’à l’âne de Balaam, que la Voix a rendu à soi-même. L’âne de Peau d’Âne, celui d’Apulée, l’Âne d’Or, et celui qui a porté le Christ en son triomphe. L’Âne des légendes, retrouvé.

« De piètres survivances de Chiron, le Centaure, dit l’âne, modestement. Car je suis la monture et la parade du pauvre, qui aujourd’hui est roi. L’enchâssement de ses parures, et le coursier de ses banlieues, de ces parages, aussi longtemps que le pauvre veut encore. »

Elle ne comprend pas tout, Iphage, mais elle vibre toujours, et de plus en fort. L’âne a englobé même le Christ, un Christ qui serait aussi Judas. Elle a perçu, en quel abîme inoubliable, l’accolade de Joseph l’Otage et de Juda le Traître s’embrassant.

« Tu m’apprendras, dit-elle, quand j’irai te voir ! »

L’âne a fait « oui », de la tête.

Je devrais finir là, dit le conteur, car le 5ème acte achève la pièce et, de fait, ce jour-là – un mardi – s’est achevé. Un devenir s’instaure, tout neuf, une autre pièce, quand – le rideau baissé – les machinistes dressent le décor différent, d’un Mystère, peut-être, après la Comédie. Mais les dieux et leurs contes ne procèdent pas ainsi, non plus que les désirs et les rêves de CELA (le maître ou l’âne).

Si Pierre Bonheur avait accepté le suffrage – ou l’élection à un poste honorable, tout serait dit. Dès le lendemain, il serait un maître véritable, à sa table de greffier, à son estrade de juge ou de conseiller, au pied du trône. Il ne l’a pas voulu. C’est l’autre drame. Sorti des oubliettes, le Pierrot est sans recours. Il redevient le coupable, honteusement gracié, le débiteur malintentionné, le démuni, le poursuivi, l’exclu.

Il faudra que le comte, mécontent de ces charges que sa fille lui impose, arrache le maudit aux griffes du Juge (acharné à juger), aux caresses de l’Évêché, suspect à plus d’un titre, à la rigueur sans faille des comptabilités.

Un seul recours : la mansuétude du roi, mais le roi est fainéant – fait néant en ces jours où les Mérovingiens sont absents ou perdus, où le Pépin, après le Martel, ne sont que des Maires, auxquels le Pape n’a pas reconnu le plein statut de Roi, où Charles n’est qu’un prince, et le moindre auprès de son frère. Comment faire appel aux néants ?

Sollicité, le Néant laisse son secrétaire répondre. Le secrétaire, qui ne tient plus au secret tellement, s’en remet à l’Évêque, qui ne sait pas lire et refile la correspondance au saint du jour, tout de clémence, qui absout par principe et ne châtie qu’aux verges.

Accordée, la supplique en devra revenir au secrétaire, puis au Néant qui paraphera. Puis, elle devra redescendre au supérieur de l’Ordre de Saint-Benoît, au juge, avant d’être remise aux mains du comte, puis de la comtesse. Tout cela demandera des mois.

Ce sera une simple chance si, au terme de ce temps, Pépin sera mort, après avoir donné les marches de l’Ouest à l’autre fils, mais où Charles commencera de s’en remettre à Dieu, au dieu d’Amour, au-delà des jugements et des petits abbés, entreprendra le Grand Combat Pour La Foi Seule. On le sait d’avance : il ne validera que les Grâces : l’âne et son maître vivront en paix.

« J’ai fini », dit le conteur. Et les remarques fusent, car le temps, qui n’est pas ce jour-là, est aux questions.

« Mais Gertrude, qu’est-elle devenue ? »

« Et Pierre ? »

« Et le procès engagé, car il y eut, cependant, dol ? »

« Et du Comté, des Marches et des marchés ? Des marquisats ? »

« Et de l’Empire de Charlemagne ? dit le conteur, se moquant. De la Chrétienté ? De l’Europe ? De la Liquidation ? De ce Temps-là ? »

Il a manqué céder à la fureur. Il respire et se calme. « Tout le monde est mort, et ce monde lui-même ; c’est cela que vous voulez m’entendre dire ? Je ne vous dirai que la mort de l’âne. Pierre n’avait pas encore trente ans, il ne vivait pas avec Sylvaine, qui se refusait à être l’épouse d’un rustaud, d’un manant, mais il avait épousé Rose et ils s’aimaient, car on ne pouvait pas ne pas aimer, en ces jours. Il a recueilli l’âne, en une heure de douleur, dans la chambre conjugale ; il est allé la prendre dans ses bras, Gertrude – elle fut lourde, elle ne l’est plus. Il l’a posée sur la terre dure, devant le feu. Il s’est couché près d’elle, la tête contre la tête. Et c’est comme ça, vers les deux heures – cinq heures plus tard – qu’elle est morte, la langue hors de la bouche pour tenter de baiser la main abandonnée de son maître endormi. »

« C’est ainsi, c’est alors, dit le conteur enfin – d’une voix imperceptible, car il est fatigué – que le dernier souffle de Gertrude s’est fait un peu de l’âme d’Ambroise, le Saint désormais. »

 

 

 

LA QUERELLE

 

« Monsieur le conteur, dit le professeur, je ne goûte pas votre histoire. Ou, pour mieux dire, je ne l’entends pas. Je ne retrouve en votre âne aucune des qualités d’ana. S’il y a bien pluralité, la sienne reste illusoire : rien de plus solitaire qu’un âne ! Quant à sa logique, nous n’en dirons rien, si vous le permettez. La sottise de cet animal est proverbiale. Je ne retrouve en votre Gertrude – et je suis poli ! – aucune trace de la rigueur sereine d’une démonstration, de la sommation accomplie du Système. Je ne vois en elle qu’un pauvre être – un pauvre hère, dramatiquement seul, livré à ses besoins si courts et si sordides qu’on ne peut y percevoir la moindre admiration.

Mais votre maître ne vaut pas mieux. Jamais conscient de sa destinée ; par là, indigne de toute  maîtrise, de toute élection ; jamais d’accord avec soi-même ; exposé aux vents du hasard, sinon aux tentations de la malhonnêteté… Un saint, dites-vous ? je dirai plutôt un clochard ! »

« Monsieur l’ânier, dit le conteur, je ne discuterai pas ces points. Je ne suis pas un « discute ailleurs ». mais je veux bien que mon meta ne soit comme le vôtre, même s’il est jeune encore, très jeune, n’ayant vécu en somme que le quart de sa vie, quand Gertrude touche aux cinq/sixième, sinon six/septième de la sienne. Il est à peine sorti de l’adolescence, élu en cela. Elle est au seuil de la vieillesse, à l’âge où une femelle n’a pas ou plus d’enfant. Esclave d’une fonction proclamée : servir, privée de ses facteurs naturels.

Car je ne l’ai pas dit, mais tout le montre : son chaste amour pour la Sylvaine, son attachement à la famille, sa soumission aux lois (tout révolté soit-il), sa crainte du gendarme, son piètre désir même de se faire des amis, son désarroi, enfin, dans le monde des adultes : il n’a pas vingt-trois ans. Et cette grâce, propre à la jeunesse, c’est ce que tous – même ses voisins, même la comtesse – ressentent en l’approchant.

Gertrude ne l’a pas connu en son enfance première, et c’est en quoi le temps du maître excède le temps de l’âne : il a précédé l’âne, il le suivra. Les cinq ans de la première enfance du maître, le douzième de son existence, ont recouvert la pleine maturité de Gertrude. Est-ce que vous ne pouvez pas comprendre cela ?

« Je ne vous suivrai pas sur ce point, dit le professeur. Je vois trop bien jusqu’où vous voulez m’entraîner. Ces cycles ne sont pour moi que des instruments de mesure. Vous prétendez qu’ils me condamnent aux vingt-quatre heures du jour ou au cinq ans de la première enfance. Un être naît, il meurt : pouvez-vous me dire le cycle qu’il accomplit ? Au pôle, un soleil se lève, et un autre se couche en même temps : que deviennent vos vingt-quatre heures ?

Au reste votre conte en dit l’absurde. Une loi ou le tour de la terre font le jour de vingt-cinq heures ou de vingt-trois. Si je traite de l’année, quel sera le plus vrai, des treize mois lunaires ou des douze solaires ? votre jour où les bêtes parlent – mais on voit qu’elles ne parlent pas, sauf en légende, dans les hypothétiques douze coups inaudibles d’une église privée d’horloge et de jaquemart – je n’y crois pas plus qu’en votre Royaume d’Amour. Charlemagne fut un tyran, Moïse un fou. »

« La liquidation… »

« Un usage périmé aussitôt qu’imposé ! Il n’aura guère duré plus longtemps que le troc, en ces temps de barbarie que tu nommes la Toussaint, la Terre Promise, l’Éden – et pourquoi pas une Atlantide, une Lémurie ? »

« Tu admets donc leur existence ? Comment le peux-tu, ne croyant pas aux cycles ? »

« Je ne suis pas stupide. Qui va nier la nuit, le rêve ? La fable même, je ne nie pas qu’elle soit, t’ayant écouté toute une heure. Mais, la fable et le rêve, je les remets à leur place, insignifiante auprès de la noblesse du jour, de la splendeur du progrès ! »

« Tu t’investis, je le sais, en ta quête et en meurs, dans les pires souffrances. Je t’admire pour cela… »

« Oui. Comme un maître menacé par l’hystérie ! Tu n’es vraiment qu’un âne ! »

« T’insulterais-je quand tu m’évoques un Newton, un Kant ou un Nietzsche – les grands perdus ? »

«  Les ânes vont au ciel, dis-tu. Te blesse-t-il tellement d’en être un ? Ta misère, je vais te la dire : au conte, au rêve, si beau qu’il soit, il faut un traducteur… »

« Le traître ! »

« Mais, dans l’œuvre de science, selon tes propres mots, le savant s’investit, au point parfois, je l’admets, d’en perdre la raison… »

«  Quand il en devient l’otage. »

Ils se regardèrent longuement en silence, les deux hommes, ces deux parties de l’Homme : le traître et l’otage, sans décider lequel était l’un, lequel l’autre, tandis que, silencieuse, la foule s’écoulait.

Ils ne se haïssaient plus. À quoi bon ?

 

Illustration Pierre-Jean Debenat

Illustration Pierre-Jean Debenat

 

Jean-Charles Pichon

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Un handicapé gare de Nantes

Un handicapé

Gare de Nantes

Illustration Pierre-Jean Debenat

Illustration Pierre-Jean Debenat

 

Je n’aurais pu faire cette confession le mois dernier. C’est le 5 juin que j’ai vécu la chose : l’aventure insensée, désopilante, d’un handicapé dans la gare de Nantes. Handicapé, je l’étais, beaucoup plus concrètement que pour les raisons que j’ai dites : arrachement au pays d’enfance, engagements dérisoires, errance et poésie. Par mon goût et ma peur conjoints de la solitude, une jambe malade, les maux de la vieillesse, et le poids excessif d’une lourde valise et d’un énorme sac, au retour d’un voyage de trois semaines. Pour tout dire d’un mot : mon refus de l’escalier, non moins décisif, péremptoire que si je m’étais déplacé dans un fauteuil roulant.

Qu’est la gare de Nantes pour l’infirme ? Les 7 chapitres le disent, que j’intitule ainsi.

 

1 – L’entrée et la sortie

En une cinquantaine d’années, d’innombrables changements ont bouleversé nos vies. Les développements simultanés, démesurés, de la science et de la terreur d’un cataclysme universel ; l’effondrement de toutes les croyances anciennes et le besoin d’une foi nouvelle ; l’accession sans frein à ce qu’on pourrait nommer une « pensée commune », par les médias, puis l’internet, et la ruine sans recours de son support politique : le communisme marxiste, etc. Mais le change le plus radical se présente comme une inversion, de l’axiome : « la pensée précède le mot » à l’axiome : « le mot précède la pensée ».

Le premier a commandé tout le rationalisme du 19ème siècle : les théories de l’évolution, le naturalisme officiel, les principes de l’éducation (devenue un simple enseignement), la primauté — en tout domaine — du politique, puis de l’économique et — bien sûr — le dieu nouveau et futile du bourgeois : l’irrésistible Progrès. Car si le mot succède à la pensée, l’Art imite la Nature, il n’est que le costume dont JE revêt la vie. Tout objet — et le JE lui-même — est le fruit d’une lente progression vers un mieux-être. Il n’est rien qui ne doive être raisonné d’abord : la Raison est le moteur et le but de l’univers, qu’elle englobe tout entier.

Au contraire, dire que le mot précède la pensée, c’est affirmer que le Masque (personna) fonde la Personne, que l’Art crée la Nature, que l’évolution n’est que l’effet visible d’une succession de mutations brusques et que tout raisonnement (scientifique, politique, économique) ne peut que sanctionner ou justifier l’erreur !

Si le signifiant précède et prime le signifié (ou le mot le sens), le nombre positionné le quantitatif directionnel, la figure insensée (abstraite) l’imitation de la nature, il n’est plus rien de bien et de mal, de vrai et de faux, d’harmonie et de laideur. A la limite il n’est plus de loi, ni justicière ni scientiste. La Liberté s’instaure là où le Mot prévaut, car JE se croit capable d’inventer tous les mots, à son loisir ; ou, sinon lui, l’ordinateur qu’il crée.

Mais, en fait, du mot ou de la pensée, lequel procède de l’autre ? « Aucun des deux » nous dit la gare, « car, entrer dans un lieu n’est pas une autre action que sortir d’un autre lieu, et à l’inverse. »

Une marche sépare ma sortie du train de mon accession au quai : la sortie précède l’entrée. Mais l’entrée du train dans la gare a dû précéder ma sortie.

Je sais aussi, par expérience, qu’au terme de l’épreuve, je ne sortirai pas de la gare sans être entré dans l’édifice, sur le quai n°1. Mais qu’à l’inverse, je n’entrerai pas dans la ville de Nantes sans être sorti de la gare.

Laquelle est la première, de l’entrée ou de la sortie ?

Et, si je l’ignore ou ne puis le dire, comment dirai-je lequel précède l’autre, du mot ou de la pensée ?

2 – Le contenu et le contenant

On dira que le problème philosophique n’a rien à voir avec le passage dans une gare. Lorsque le philosophe parle d’avant et d’après, il sous-entend tout autre chose : il se demande si le signifiant est contenu dans le signifié, la position dans le mouvement, l’objet vu dans le regard ou le regard dans l’objet. Il veut savoir si JE n’est qu’un mobile, un meuble, inscrit dans un voyage, ou s’il n’est pas le maître, le contenant des voyages qu’il décide d’accomplir. Si la pensée précède le mot, l’objet, elle en est le moteur (« la cause précède l’effet »), elle les domine. Si le mot précède et domine, tout raisonnement, toute pensée sont vanités ou accidents sur un parcours, dans un voyage dont j’ignore tout.

Mais une gare, et moi-même en elle, nous ne sommes faits que de ces contenus et de ces contenants.

Je suis dans le train ou hors du train, dans la gare ou hors d’elle. Le train est dans la gare, la gare dans la ville, la ville dans la Bretagne défunte (sinon dans la Vendée). La Loire-Atlantique, le département où Nantes se situe, fut-elle de la Vendée ou de la Bretagne quand elle n’existait pas comme telle ? Etc.

Le train est dans la gare. Par suite, quand je quitte l’un, je ne cesse d’être dans l’autre. Dans ce train déjà, je fus dans la gare, la ville, le département, le pays.

Le mot n’est-il pas dans la pensée, bien que celle-ci tienne en une phrase (un autre objet) ? Quel mot n’est de lettres, quelle lettre n’est faite de mots ? Ce qui fut le signifié ou le sens dans le mot, n’est-il devenu le signifiant, le message, le signe, de la lettre ?

Allons plus loin. La gare n’est faite que de mots, de nombres et de figures — c’est-à-dire d’objets : les quais, les voies, les passages ouverts, les passages fermés ou cachés et — le problème pour l’handicapé que je suis ! — d’escaliers, de pentes et d’ascenseurs. Mais je n’y pense pas d’abord, ignorant des plans selon lesquels, des niveaux sur lesquels la gare fut construite. Handicapé, d’abord, par l’ignorance. Je ne suis pas un employé de la S.D.F., un cheminot, mais seulement un S.D.F., un Sans Domicile Fixe, hors de chez moi — pour combien de temps encore ? Un simple chemineau, et mon seul rôle est de cheminer.

Suis-je le mot ou la pensée ? Les deux m’habitent. Les mots sont : quai, voie, escalier, ascenseur, entrée, sortie. Les pensées sont d’espoir : quelqu’un m’attend, une autre personne, un autre autrui va se proposer pour m’aider, un cheminot — de la S.D.F. — me conseillera. Ou de désarroi déjà, avant le manque d’espoir : vers quel objet me diriger, comment, où ? Y aurait-il un panneau, un avis quelque part ? Je suis sur le quai 9 ; le quai 1, la sortie de la gare, est si loin de moi que je ne l’aperçois pas, caché à mon regard par la distance et cinq ou six convois.

Je ne suis plus dans le train, mais je suis dans la gare et, par elle, dans la ville, où je n’entrerai pas, à moins que quelque miracle.

Je regarde : je vois des quais, où d’autres passagers déambulent sans fin, et quelques voies infranchissables : des vies, séparées par des morts — possibles, probables ou certaines. Indépendamment de mon handicap (l’âge, l’infirmité, les fardeaux), il ne me sert de rien de déambuler. Les voies me sont impraticables.

Je cherche un autre recours que l’escalier.

Car le contenant, le supérieur, a cessé d’être le train, la gare, la ville, le département ou le pays ; il est le visible, à ciel ouvert, fait des quais et des voies. Le contenu a cessé d’être le sens, ma conduite vers la sortie de la gare, l’entrée dans la ville pour devenir un chemin souterrain, caché, non perceptible à l’œil mais praticable, pratique si les fonctionnaires de la S.D.F. l’ont imaginé ainsi. Mon jeu est d’un pari ou d’une alternative : peut-être y arriverai-je ? D’une alternance : d’une manière ou de l’autre, j’y arriverai, en sautant de quai en quai, par-dessus les voies. Un autre jeu, d’un autre joueur, je le suppose, fera l’altération : si le jeu est toujours possible, il n’est jamais donné ou assuré d’avance. Il me reste à découvrir, depuis le peut-être du pari jusqu’aux jamais et toujours de l’altérité triomphante, les méandres et les aléas du parfois.

3 – Les quais et les voies

Je suis sur le quai n°9, ou 8 ou 7, d’où je ne distingue rien que des quais et des voies, qu’au plus loin, mon regard myope ne distingue pas les uns des autres. 7 quais me séparent de l’édifice de la gare (sur le quai n°1) si mon quai est le 9 ; ou 7 voies m’en séparent, si mon quai est le 8. Tel JE, regardant à travers les siècles ou les millénaires, sinon à travers sa vie. Du quai n° x, toujours, il peut considérer — au mieux — une succession de « x-1 » voies ou de « x-2 » quais jusqu’au premier.

Je les sais successifs ; je ne les vois ainsi mais ensemble, simultanés. En cet ensemble, ils se contredisent, ils alternent. Ma vie est sur les quais, les voies peuvent être ma mort. Mais, regardant ma vie, je la vois également traversée par des morts : d’une petite cousine, d’oncles et de tantes, de mes grands-parents, de ma première épouse, de mes parents, de mes plus chers amis. J’ai survécu, d’un quai à l’autre. Fut-ce par miracle ou par raison ?

Considéra les millénaires, l’humanité du quai n° x, cet autre JE, n’y distingue aussi bien — de près, ou aussi mal de loin, que des quais où elle chemina, paisible, et des voies meurtrières où elle périt en foule… Elle nomme les premiers : époque magique, Eden, Terre Promise, Royaume d’Amour, Cité de Dieu ; les seconds : Atlantide, Akkad, les temps hellénistiques ou ceux dont nous sortons. Des sommets là, des plaines ici, car le quai s’élève au-dessus de la voie.

D’autres passagers, en d’autres gares, n’ont sous les yeux que le millénaire passé. Les quais se nommeront ici : le temps des cathédrales (le merveilleux répit du 13ème siècle), la pleine renaissance au cœur du 16ème siècle, l’essor de la Maçonnerie spéculative, à partir de 1728, la Belle Epoque autour de 1900. Les voies seront, depuis l’abîmation de l’Etre vers l’an Mil : l’avoir du commerçant, le valoir du combattant, le savoir faire, le « se faire avoir » de l’imposture « moderne ». Vers un autre Etre ?

Mais je suis hors d’un train et dans la gare de Nantes, sur le quai n° x, et je veux, je dois atteindre le quai n° 1. J’ai 78 ans, une jambe qui ploie sous moi, un point au côté droit et deux bagages qui doivent peser ensemble dans les vingt-cinq kilos.

L’abîme le plus proche est de perplexité, fait de vingt complexes.

Que dois-je faire ? Qu’est-ce qui vaut le mieux, que vaux-je encore ? Que dois-je savoir, que sais-je ? Puis-je me fier à mon savoir faire ou faire savoir ma situation particulière et mon état d’handicapé ? Faire valoir mon âge, ma myopie, mes infirmités ? Je ne crois encore que je puisse me faire avoir, je n’y pense pas. Je roule ma valise d’une main (par bonheur, elle est à roulette), porte le sac et ma canne de l’autre. J’entreprends d’avancer, lentement, sur le quai x, puisque je ne peux rien faire d’autre.

Le quai n’est pas trop encombré — une autre chance ! On ne m’a bousculé que deux fois lorsque j’atteins l’extrémité du quai et l’ascenseur. J’y entre, après le landau qu’une mère conduit et un gros poussif sans bagage, qui pousse le n° 0.

J’ai quitté les quais et les voies. Une tout autre aventure commence, dans un monde autre que le visible, caché, mystérieux, souterrain.

 

4 – Les pas et les marches

Cela se complique. Si je n’avais pas été handicapé, comme tout vieillard et tout poète, j’aurais descendu l’escalier qui s’ouvrait devant moi, quai n° x. J’aurais suivi un couloir net et rectiligne, jusqu’au quai n° 1, d’où un autre escalier m’eût mené à la sortie de la gare. Mais, quand je sors de l’ascenseur, un tout autre couloir s’offre à moi, vaguement courbe et si étroit que le landau de la mère et l’obèse n’y marchent pas de front. Je traîne  derrière eux, puis seul, car les deux autres passagers devaient être en correspondance : ils ont pris tous les deux le même ascenseur, sous le quai n° 6 ou 5. Au terme de ce couloir, une cloison de planches interdit que j’aille plus loin… Un ultime ascenseur…

Je le prends, seul ; la porte s’en referme deux fois, après le transfert du sac, puis celui de la valise. Je remonte … et me retrouve sur le quai n°2, entre les voies 2 et3.

Combien, de même, ayant cru mener leur vie jusqu’à son terme, s’effondrent après la mort, à leur côté, d’un être aimé ou quelque désastre personnel ? Combien de fois l’humanité, sinon tel peuple, telle civilisation, n’ont-ils pas abordé au quai n° 2, au terme d’un parcours sinueux dont ils avaient cru qu’il menait à la sortie de la gare ?

J’y pense, lucidement déjà, sur le quai atteint, n° 2, car l’handicapé que je suis ne peut s’interdire de penser. Traînant mon sac et ma valise sur un quai heureusement désert, c’est ma vie que je traîne et le sort — destin — de l’humanité que je conçois clairement. N’est-ce pas ainsi, sur le quai 2, découvrant que le quai 1 n’est pas atteint, que les poètes de la Belle Epoque ont inventé leur machinerie « célibataire » ? Hors de la « mariée pendue » sur le quai 1, inaccessible, il s’agit toujours, on le sait, des 4 cardinaux.

Toujours d’abord, ils ont situé à l’ouest le chemin vers la mariée (au nord-ouest) et depuis elle (au sud-ouest) ; à l’est les chemins vers la Forme Vide ou depuis elle. Ce furent : Le Surmâle, La colonie pénitentiaire, le Locus Solus (avant 1914). Mais déjà, Jarry, Kafka et Roussel avaient imaginé, au cœur de l’appareillage, une mort (d’un cycliste), une souffrance insupportable, une rupture dans la visite du Jardin.

Plus tard, dans le Procès et le Château, Kafka s’appesantit sur cette rupture : une lettre perdue, un procès incompréhensible. Et Roussel inventa les voies des Nouvelles Impressions d’Afrique : la Question et l’Extinction à l’est, le Quiproquo et l’Etiquette à l’ouest, disant au cœur un Ascenseur, depuis la Question vers le Quiproquo, une autre pente de l’Etiquette vers l’Extinction. Il répétait ainsi le Jarry de Faustroll, qui plaçait au cœur la pente (le cyclamen) entre le La et le Jaune. Sinon une œuvre achevée, le Journal de Kafka ne cesse de dire cette pente, cet escalier, cet ascenseur, des profondeurs à l’apparence, de la peur des faux-semblants à l’attirance du vide.

HANDICAPE001

Complètement déboussolé, comme eux, je suis revenu sur mes pas, j’ai repris l’ascenseur, à la descente, j’ai retrouvé le souterrain. La cloison de planches y était toujours, l’escalier sur ma droite, dont je ne voulais pas, l’ascenseur sur ma gauche, dont je venais de descendre. Des ouvriers apparaissaient derrière le mur de planches. Je les ai interpellés : « S’il vous plaît, un instant : comment peut-on atteindre au quai n° 0, 1 ? »

— Excellente question !, a dit une voix qui venait de derrière moi. Celle d’un homme placide, sans bagage, égaré dans le corridor des handicapés. Un ouvrier s’est approché, il m’a désigné l’escalier : « Par là, au bout du quai… » L’homme normal le gravissait déjà. Je l’ai suivi, troublé à ce point que j’en oubliais l’ascenseur, qu’il m’aurait suffi de reprendre. Peut-être à cause d’un fol espoir aussi, que l’escalier mènerait ailleurs… J’ai porté le sac, de marche en marche, puis je suis redescendu pour la valise, que j’ai portée aussi, de marche en marche…

En haut, bien sûr, c’était le quai n° 2.

5 – Le rêve et le cauchemar

Quelle est la pire, de la démence du chemineau, vagabond S.D.F., ou du cheminot de la S.D.F., de ses plans inventoriés ? Où est le rêve, où le cauchemar ? Car ils n’ont pas prémédité par malveillance, les employés de la S.D.F. d’interrompre au quai 2 le corridor sinueux de l’handicapé. La cloison de planches prouve que, simplement, les travaux d’enfouissage ne sont pas terminés. A l’inverse, je ne suis pas fou, bien que ma conduite donne à le croire : je n’ai pas voulu cette angoisse qui m’étreint le cœur à présent.

Mais, assis sur un banc du quai n° 2 — je n’en puis plus, à bout de forces, je me souviens que la Belle Epoque, le temps des Machines Célibataires, fut aussi l’époque triomphante des trains et des tramways, des gares. Tous les impressionnistes, au terme, ont peint des gares, tous les grands écrivains en ont parlé, non seulement les handicapés, de Bloy à Artaud par Courteline, mais les plus normaux, les académiques, depuis Tennyson jusqu’à Martin du Gard, par Zola et Tolstoï. Sinon, encore, Queneau, par ses passagers de l’autobus (les Exercices de Style).

Les Machines Célibataires d’une part, les gares de l’autre, ne disent rien que le rêve et le cauchemar vécus de 1900 à 1919 d’abord, puis de 1920 à 1946.

Dans le rêve on s’élève d’abord, parfois on vole : Roussel dit la photographie, d’autres le cinéma, d’autres le vol ; les nantis le confort et les autres le poème. Tous : le record, le scoop, le progrès délirant. Dans le cauchemar, on retombe : ce sont des guerres atroces, sans précédent, où les morts se nombrent par millions, non plus par centaines de milliers comme il y a vingt-deux siècles, les goulags de Lénine, les camps d’Hitler : d’autres millions de victimes…

Mais, après chaque guerre ou chaque horreur, on a repris l’ascenseur, l’escalier, vers le haut, on a tout reconstruit, selon le mot de Paracelse (en 1536), afin de mieux se précipiter.

Ce qui n’a été qu’un rêve pour l’époque 1900 et, de nouveau, pour les Années Folles (1920) est retombé au cauchemar, deux fois. Il en avait été de même pour les rêves des cathédrales, de la Renaissance, de la Maçonnerie spéculative, que l’horreur avait toujours suivis :

des invasions, des pestes, de la première Inquisition,

puis de la deuxième Inquisition, après le concile de Trente, et des conquêtes après les espagnoles,

puis de la Terreur et de ses suites, les guerres napoléoniennes entre autres.

Mais, entre le rêve et le cauchemar ou à l’inverse, quelque jonglage, quelque machine — entretenue ou recréée — par les prophètes juifs, chrétiens et islamiques, les libertins et les baroques, les romantiques… que les machinistes de 1900, puis de 1919 adaptent seulement à leur temps…

Après 1945 non plus, ce jeux ne sont pas l’œuvre des philosophes (genre Sartre) et des savants nobélisés, mais d’un Artaud, d’un Vian, d’un Queneau, d’un Perec, de Beckett et de Heidegger surtout.

De Beckett, le Dépeupleur et son cylindre les contiennent tous : son fond plat, aux cercles concentriques, puis les parois de la machine, ses niches, et ses échelles dressées. Le théâtre de Cocteau, à Cap d’Ail, en 1962, en aurait contenu quelque chose si le créateur du Testament d’Orphée n’avait à ce point redouté le cauchemar de la Pénétration, en la fin de sa vie. Jean Genet, Lawrence avaient connu la même terreur, Pasolini y succomba, plus tard.

J’en tremble, sur mon banc du quai n° 2, épuisé par l’effort des marches gravies, perdu dans le labyrinthe des passages interdits. Si las que j’ai fermé les yeux, que la nuit succède au brouillard où me plongeaient des lunettes embuées. Je sais bien qu’il me » faudra redescendre avant que remonter, mais je ne le peux plus. J’ai dû rêver, je cauchemarde. Dans le cauchemar JE crie, mais, ici, le cri retentit hors de moi : « Monsieur Pichon est attendu à la sortie de gare ». Le cri a percé le sommeil. Quand il se répète, il me sort de l’absence et de l’épuisement. Je crie enfin, comme un dément : « Je suis là ! ». Je ressaisis le sac et la valise. Je marche, je cours presque, retrouve une ouverture — quel bonheur ! C’est une pente ! —. Je la dévale, jusqu’au couloir des gens normaux. Le dernier escalier se trouve devant moi, mais un visage connu s’interpose entre lui et moi : celui de ma belle-petite-fille, venue m’attendre ainsi qu’il fut promis. Elle s’empare de ma valise, après le baiser de rigueur, gravit allègrement les marches. Je monte, presque aérien aussi, une main sur la rambarde, l’autre portant le sac comme une provende. Que tout est simple et beau dans la normalité !

Du bref sommeil sur le quai n° 2, il ne me reste qu’un schème, à peine distinct, que je formulerai seulement trois jours plus tard.

HANDICAPE002

A mon étonnement, les phases ne sont plus 3, 5 ou 7. Elles sont 9. Un nombre que les jeux intermédiaires portent aux 11.

Or, cette complexité du schème m’interdit de l’interrompre là, d’achever l’aveu à la sortie de la gare.

Le pari (l’alternative) des dispositions : « lequel, de la position ou du mouvement précède, englobe l’autre ? » n’était que la fausse lecture d’un saut-de-mouton (une alternance, du rêve et du cauchemar).

Pour quel enjeu ? Un change, de la lecture/acte à l’inscription/fin.

Mais pourquoi cette altération ? Il faut poursuivre. S’agit-il d’un nouveau pari ? Ou d’un autre saut-de-mouton ?

6 – L’orbite et le rayon

Marc-Aurèle disait de la vie que c’est un spectacle interrompu, une pièce dont on n’a pas fait le tour, dont on ne connait pas le dénouement. D’où, au lieu du plaisir que donne le spectacle, l’angoisse que fait naître la vie. Le mot de Marc-Aurèle concluait un débat vieux de cinq siècles, car Platon le posait déjà par sa dialectique de la distance (un trait) et du terme (le point).

Zénon  et les sophistes n’avaient cessé d’en jouer, ainsi que les stoïciens et les épicuriens, puis l’hermétiste et le gnostique, non moins que les « badernes » d’Apollonius, les vibrations et la rigueur — toute virginale — de Lucrèce, etc. Dans la course qui les oppose, il est certain qu’Achille dépassera la tortue ; on ne pourra jamais dire qu’il l’a atteinte et qu’il a pris sa place, car 2 corps n’occupent pas le même espace, ou plutôt la même étendue.

Nous n’avons pas encore notre Marc-Aurèle : il ne sera pas parmi nous avant trois siècles, mais, depuis Newton — et même Kepler et Galilée — le problème ne cesse de se poser en sa figure céleste (l’Esprit est un dieu d’Air). Qu’en est-il du rapport entre l’espace et le temps ?

Sous sa forme première, ce fut : quel est le rapport entre la dimension de l’orbite que parcourt un corps céleste et le temps que le corps met pour la parcourir ? La solution est l’équation :

10 Pi = 12 Q2 (le nombre d’or au carré).

Et, après l’invention de « e » :

4 (e/2)3 Pi = 4 x 3 T2,

en remplaçant Q par T.

Une équation que la découverte de planètes plus éloignées (Neptune, Uranus, Pluton) a fini par mettre au placard… en même temps que l’usage de Q. Nous passerons sur les systèmes de Newton, Huygens et Laplace, qui tous s’attaquèrent au dilemme. Puis vint Einstein et son équation espace/temps, fondée sur le rapport de l’énergie et de la masse, par la constante C2.

Sur cette constante, très probablement inexacte, les systèmes se sont succédés, multipliés et contredits. Car la Lumière n’a pas de masse (le photon de lumière n’en a pas), la lumière n’a qu’une forme, ondulatoire ou circulaire, contenante de notre univers, bien que sa vitesse soit une droite : 300 000 kms en une seconde.

Si je joue de cette droite, un corps perçu à 300 millions de kms ne devrait avoir que mille secondes d’existence. Un corps vieux de 2 années/lumière ne pourrait être perçu qu’au terme de ce temps.

Mais, en cette année même, 1998, un corps céleste dans le Taureau a été aperçu à 2 années/lumière, dont on affirme qu’il n’a pas plus de 300 millions d’années d’existence ! Tout le système vole en éclats, on n’y comprend plus rien ! On ne pourrait donc pas détecter l’origine de l’Univers (ou du Big-bang), temporelle, par la découverte et l’estimation de la première lueur ! Plus de cinquante ans d’astrophysique s’abolissent là.

Mais, pour autant, les nombres ne sont pas démentis, ni leur mathématique. De fait, Einstein et Planck s’accordent en cela : le Réel est un volume, il est sphérique. Le calcul du volume d’une sphère depuis son rayon se formule : 4/3 Pi R3 qu’en ces grands nombres, on peut simplifier en 4 R3, en donnant Pi pour équivalent à 3.

21/7 au lieu de 22/7, puisque 3,14159… se situe entre les 2 fractions.

Les humains ont trouvé l’équation du volume (ou elle leur fut donnée) mais JE ne l’apprécie pas et l’utilise rarement, sauf en ce qui concerne la propagation du son, depuis le rayon : 300 mètres/secondes, qui donne un volume d’écoute de 4 x 3003 = 108 000 km3. D’où l’efficacité des satellites. On n’aime guère parler du volume de la Terre, depuis un rayon de plus de 6 000 km, car il embrasserait l’univers perçu.

Encore moins aime-t-on parler d’un univers où un rayon (de vie) de 300 millions d’années donnerait une projection sphérique de 2 années/lumière. D’abord, parce que la constante d’Einstein y serait inexacte. Le rapport entre le rayon et le volume n’est pas C2 (pour R²) mais 4 C², bien que la vision — son angle — puisse en être au 1/4, jouant de Pi/4 ou 11/14 de l’Unité, selon la fonction récurrente.

Le Réel, dit Marc-Aurèle, est le spectacle achevé, dont le rayon terrestre, la vitesse du son, la vitesse de la lumière, une vie ne sont que le facteur de base : la lettre dans l’Ile, le piquon dans le Hérisson, la matrice mathématique dans la Matrice maternelle. Vocatives les lettres, nombrés et figurés, les piquons, les matrices mathématiques, mais dans un Englobant indivis (le Symptôme) et, comme tel, inaccessible — en toute précision — aux figures, aux nombres, aux vocables ainsi qu’aux axiomes ou principes (concepts) que je prétends pouvoir en tirer.

Car je ne dis l’Ensemble, le Réel, que par l’un des systèmes que j’y construis. Et je ne dis l’Ensemble, dans le système, que comme une partie de celui-ci, quand il est la partie globale que JE joue, par la succession de ses systèmes. La relation n’est pas la même dans un système d’ensembles et dans l’ensemble des systèmes, ni l’Intelligence Naturelle — primitive dans l’Intelligence Artificielle, n’est l’Intelligence Naturelle englobante des I.A. diverses dans une autre réalité. Dans un cas, les relations englobent les 3 altérités ; dans l’autre, la 3ème altérité, altérante, dès la soif, anéantit toute possibilité de relations (relais ou relaxe alors).

Une fois pour toutes, Marc-Aurèle fait du Réel (circulaire) un spectacle, de la vie une droite, vouée à l’anéantissement de la rupture. Il oppose la droiture de la vie organique (et sa fin) à la sphéricité, la courbure infinie de la réalité spectaculaire.

Que pouvons-nous faire de cette lucidité, à trois siècles de Marc-Aurèle ?

Peu de choses, à cause principalement de la diversité des sens du mot : « rayon ». Sinon cette très courte évidence : tout volume contient son rayon ; il n’est qu’un point sur quelque autre rayon contenu en un autre volume.

Ainsi, dans les 12 heures qui nombrent l’après-midi du 3 juin, je suis allé de la gare à la voiture où nous sommes entrés, M. et moi ; de la voiture, à l’entrée d’une rue piétonne, jusqu’au magasin de Marthe, où je suis entré ; du magasin au restaurant, situé de l’autre côté de la rue ; du restaurant à la librairie de l’Irrationnel ; de la librairie au café où, longuement, l’ami libraire et moi, avons discuté et bu ; du café au tramway qui m’a mené non loin de l’appartement de Marthe, deux rues plus haut ; du véhicule à la rue, donc, puis de la rue à la maison, où un escalier me guettait ; de l’escalier à la chambre qui m’était proposée, où j’ai pu me reposer — enfin !

Mais dirai-je « rayon » celui du magasin — d’antiquités — ou celui de la librairie ? Le rail du tramway ou le rayon de lumière entraperçu — si beau ! — dans la pénombre du café ?

Plus sérieusement, traitant du seul rayon d’un cercle, tenterai-je de mesurer ceux qui s’établissent de la gare de Nantes aux autres lieux de la ville : le magasin, le restaurant, la librairie, le café, l’arrêt du tramway MX, l’appartement de Marthe ? Ou bien dois-je mesurer le rayon qui s’établit de Paris à telle autre gare de France, dont Nantes n’est qu’une ?

Sur vingt ans, et non plus douze heures, je n’ai guère quitté la France, mais je l’ai parcourue, de Nantes à Lille ou Lyon, Nîmes ou Marseille, pour y donner des conférences. Des gares plus ou moins grandioses et contournées, où les quais et les voies, sans parler des couloirs, se situent à divers niveaux, autour de la plus vaste et complexe de Paris (plurielle par l’Est, le Nord, Montparnasse, Austerlitz, de Lyon) ?

Me dirai-je contenu dans Nantes ou les douze heures ? Dans la France ou dans les vingt ans ? La gare de Nantes, toujours, n’y est plus qu’un détail, un point sur quelque trait. Mais JE, qu’y est-il ? Plus jeune, alerte, impatient d’aller, ou plus vieux, las d’avance et cherchant un asile ? Supportant les 12 heures, peut-être, plus difficilement que les 20 ans, et les 20 ans plus difficilement que les 60, où mes étapes avaient été l’Afrique du Nord, la Grèce, l’Italie, l’Espagne, autour de la Méditerranée ?

7 – Les dialectiques

Nettement, 2 appareils s’imposent, dès le départ dédoublés : de quelques lieux autour de la gare de Nantes, de cette gare parmi les autres dans la nation, mais aussi de JE, à travers les années ou à travers les heures. Car le mot, le nombre et la figure du Rayon ne sont comparables ici et là.

Etrangement, je les ai composées, ces machines, avec les 56 ans d’écart, que j’ai dénombrés en mon premier aveu. A la différence près que la plus récente date de 1996, la plus ancienne de 1940, mais il m’a fallu 2 ans avant de les figurer. A mieux y regarder même, le germe de la plus ancienne ne fut-il pas les 3 Vertus de mes dix-huit ans, le germe de la plus récente dans mes travaux de 1993/1994 ? Les vertus avaient commandé à ma jeunesse ; ma vieillesse (la « retraite ») s’ouvre par les dialectiques factrices (la désunion et l’union de l’alchimie, le plein et le vide du Graal). C’est lentement, sur les 10 ou 11 ans peut-être, que les concepts se donnent un corps, ou que les aspects s’organisent et s’assemblent.

Ce jeu de la datation des 2 machines n’a plus qu’un intérêt très relatif, dès l’instant que les 2 machines sont.

A) Les dialectiques factrices et la déclinaison

L’origine de la machine fut par les 2 jeux de mots sur monture et mouture, pour dire l’Unité là, la Forme Vide ici. Je voyais déjà, sans doute, une lecture (un enchâssement) et un acte, toujours sensé, directionnel, de quelque coursier, dans la Monture. Et un salaire (une fin), une reproduction, par l’inscription, en toute Mouture.

Plus tard, le salaire, un vestige, et la reproduction (du chemin, par le talus) se sont formulés tous deux dans le Relief.

« Monture » s’est situé entre les « parures » enchâssées et le « parage » dans le double sens de la Défense, à l’ouest de Paris : une protection, une banlieue.

Ces 4 mots : monture, mouture, relief, parade formulent l’appareil en question, fait de parties évidemment discontinues, ludiques : des donnes qui se pourraient proposer bien des divertissements multiples à un public intéressé. Une sorte de jeu de l’oie ou même de jeu de rôles non moins rigoureux que les échecs…

Mais plus utilisables, comme le montre le schème qui m’y a mené :

HANDICAPE003

Et le montreraient d’autres schèmes, figuratifs d’ères précédentes, qui ne diraient plus l’Or et le Graal mais, par exemple, la Terre Promise et l’Arche, ou le Souffle de Vie et le Jardin d’Eden. Car les 4 mots et leurs sens peuvent être lus comme des habits, des masques, d’une pensée cohérente et présente, quoique parfois cachée, sur plusieurs millénaires — ou comme des facteurs, différemment nommés en des ères différentes, d’une seule Entité que j’ai dite le Réel.

Dans l’ère gréco-biblique, j’aurais dit d’autres 4 : le peuplement et le dépeuplement, l’éloignement et l’approche ; et d’autres en l’ère de Création, en celle de la Similitude, en celle du Nash. Mais c’eût été toujours la dialectique d’un Même (constant comme la Pierre, modèle ou créatif comme l’inconscient) et de l’Autre, divers (debout, couché) discontinu et séparé du Même, apparent en quelque conscience, etc.

Si je dis le Même et l’Autre, pourtant, en cette époque-ci, n’est-ce pas que l’alchimie et la quête m’obsèdent encore alors que le Fils prime encore sur l’Esprit, non advenu ? Ou est-ce que, dans l’Esprit, le Même et l’Autre primeront comme aujourd’hui — et que les 4 mots les déportent seulement vers plus de réalité que le Graal et l’Or ? Les 4 positionnent, mais non plus que les cardinaux, les éléments, les jeux, les « sciences ». Les 9 leur donnent sens, mais non plus que les Vents, les Muses, les Héros, les Sibylles, les Mages.

Car, si JE compose le schème, à chaque fois un peu différent, on voit que JE, en ses 3 personnes, demeure indistinct ; et de même innommés les 3 lieux, que le schème rassemble au centre (ici, le 7èmeou le 8ème siècle) : à la fois le moyeu de l’œuf ou de la roue, le moyen/moyenne, et la partie (englobante dans le jeu, fragmentaire dans le Tout). L’Unité même du dieu, un carrefour et l’entour que je nomme l’Eden et sa sortie ; le temps de Moïse et l’exode mais la Tribu ; le temps des maires du palais mais du Roi fait néant dans le fief. Primant le 3, jusqu’à le dissoudre, le 4 impose précisément la double dialectique que disent les 4 mots. La lecture n’est pas fidèle si elle n’est pas « actualisée ». L’apogée n’est pas une fin, bien qu’elle commence le déclin, au plus haut de l’inscription, dans le temple ou l’église. Exactement comme l’orbite atteinte minimise, puis annule le rayon tellement moindre !

Mais, pour le JE, conquis ou négligé, l’orbite n’en était pas moins l’Autre. Même s’il en fait, plus tard, le Réel-Dieu.

B) Les dialectiques facultantes (et facultatives)

De 1938 à 1942 (ou 43), maint ouvrage m’avait révélé les 3 Vertus de Platon : le Vrai, le Bien, le Beau et disposé à en faire les 3 lieux qui conditionnent JE et d’où JE se libère : le Je-moi (l’entendement), le Je-toi (la passion), et le Je-lui (la sensation). Les 4 ou 5 ans — je le vois aujourd’hui — n’avaient guère été emplis que par le problème : comment JE passe-t-il d’un domaine à l’autre ? A la longue, il m’avait semblé que ce ne pouvait être que par les 2 voies de la Condensation et de l’Extension.

De la condensation, du même au même, puisque JE perdure, par l’accoutumance, l’aptitude ou le pouvoir, l’intelligence en soi ;

de l’extension, de l’autre à l’autre, puisque JE communique, relationne et change, par l’appétence (ou le simple désir), la volition (toute volonté) et la conscience, de l’autre essentiellement.

La machine situait les 6 facultés dans les 3 lieux ou 3 vertus. Mais ce n’était pas sans faire de chacune d’elles une condition de la localisation ou une libération du lieu.

Je ne sais plus quel schéma j’avais choisi d’abord. Je propose celui-ci :

HANDICAPE004

Il n’est pas besoin d’être expert dans la psychologie de l’époque 40, trop méprisée aujourd’hui, pour noter que le schème subsiste en son intégrité si je prends le Je-lui ou le Je-moi pour centre au lieu du Je-toi (le Vrai ou le Beau au lieu du Bien). Mais, en effet, le temps du Taureau a placé le Beau au cœur, l’ère du Bélier le Je-moi, l’ère du Poisson le Je-toi. L’ère de l’Esprit y placera de nouveau le Je-lui ou le beau (l’Harmonie). Car nous ne sommes plus dans la Croix cardinale mais dans les replis des 2 serpents dont l’embrassement ne cesse de se modifier, comme ils se modifient, l’un et l’autre, en leurs mues. Ainsi que JE.

Les 2 figures

Elles ne sont pas seulement différentes, traitant l’une de JE (courbe) et l’autre d’un Englobant ludique (droite). Elles s’inversent en tous points, non moins que l’entrée et la sortie, la voie et le quai, l’horizontal et le vertical, le continu et le discontinu, etc.

Les dialectiques factrices, que fondent les 4 mots, éliminent les 3 lieux, qu’elles confondent en un seul : le centre de la Croix : à la fois le moyeu de la roue ou de l’œuf (le Temps de Dieu), le moyen/moyenne des chronologies et la partie qui se joue non moins que la partie (fragment) du Tout. Eliminant les 3, elles refusent les 3 personnes de JE en la Doxa. Elles formulent le temps de l’homme sans dieu, le rationnel, même si sa raison n’est plus qu’un jeu.

Les dialectiques facultantes, que fondent les 3 Vertus ou Lieux, ne cessent de dire les 3 Personnes, même si aucune des 3 ne se conçoit sans la quadrilogie des 2 conditions et 2 libérations, par le dédoublement des voies de condensation et d’expansion.

C’est la formulation du temps de l’homme de Foi, même si sa croyance n’est qu’en l’Etre-je, par les 3 personnes des Soufis : Je-moi, Je-toi, Je-lui.

Niant les 3 de la Doxa, le rationaliste nie la Personne au profit de l’observateur ou du joueur, que les cardinaux situent (comme le sophiste ou le philosophe Alain l’ont démontré).

Négligeant le 4, à ce point qu’il ne sait plus quelle trilogie de tribus ou de vertus théologales se situe à tel cardinal, le réaliste irrationnel s’isole de l’Englobant réel et de tout contenant de l’Etre : ce dieu-là en JE, qu’il nomme Dieu.

Ainsi que Poe, Nietzsche, Artaud l’ont fait.

Mais l’Englobant est-il une sphère, dont JE ne serait que le rayon ? Ou une figure volumineuse toute différente (le cylindre de Beckett, le cône de Yeats) ou JE serait comme une double ellipse, un analemme, une spirale ?

Ni une machine ni l’autre ne le disent ou montrent, ou nombrent.

Preuve que l’aveu ne suffit pas.

Illustration Pierre-Jean Debenat

Illustration Pierre-Jean Debenat

Jean-Charles Pichon, 1999.

 

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L’HOMME OISEAU

Pendant plusieurs étés, Alain Le Goff et Jean-Marie Lepeltier ont organisé des séminaires à Guidel, en Bretagne, auxquels Jean-Charles a régulièrement participé.

Grâce à l’amabilité de Thomas Lepeltier, qui nous a transmis certaines de ses conférences, nous pouvons les écouter.

Voici « L’homme Oiseau », qui date de 1989, et parle – entre entre choses – de prophétie.

Documents audio :

 

L’Homme oiseau (1)   34

L’Homme oiseau (2)   31′

L’Homme oiseau (3)   18′

 

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Le trésor de la Résistance

 

J’ai retrouvé récemment, au fond de mon disque dur, le texte ci-joint, que j’avais proposé à l’Encyclopédie de l’Agora (agora,qc,ca) en 1995; je n’avais obtenu aucune réponse. J’y résumais l’affaire Dominici telle que JCP l’avait racontée dans Un homme en creux, en m’aidant du livre de Giono.

André Lemelin

LE TRÉSOR DE LA RÉSISTANCE

 

Par André Lemelin

 

Paris a fêté le cinquantenaire de sa Libération, mais la France n’a pas célébré, et pour cause, le quarantième anniversaire de la condamnation à mort de Gaston Dominici : c’est sans doute le grand scandale de la Quatrième République. Or cette condamnation, qui a toutes les apparences d’un complot d’État, trouvait sa source dans un épisode nébuleux de la Résistance.

Un matin d’été 1952, sur le lieu-dit la Grande-Terre, à 1 km de Lurs, en Haute-Provence, les femmes de la famille Dominici découvrent les cadavres de Sir Jack Drummond, de sa femme et de leur fille de onze ans, Elizabeth. Ils campaient dans cet endroit invraisemblable : sur des graviers, entre un chemin de fer et une route, passante de jour comme de nuit. Les parents ont été tués à coups de fusil, la petite a reçu deux terribles coups à la tête. Gustave, l’un des fils, avouera avoir été attiré dehors par un bruit vers cinq heures. Il niera tout mais dira avoir trouvé la fillette encore vivante. Un témoin, ou prétendu tel, affirmera d’abord l’avoir aperçu en pleine nuit, sur la route, puis n’en sera plus sûr et Gustave écopera de deux mois pour défaut d’assistance à personne en danger. Ce n’est que le début de deux années de procédures loufoques : le fils accusera le père, Gaston (76 ans), puis se rétractera; le second fils, Clovis, rejeté par sa famille, l’accusera aussi, mais ne se rétractera jamais; le père lui-même avouera quatre fois, et quatre fois se désavouera : « Ce que j’ai dit, je l’ai dit, je ne l’ai pas fait.»

Toute la France se perd en conjectures, mais la justice, contre toute logique, charge Gaston, dont les aveux sont contredits par une constellation de faits. Et d’abord par celui-ci : le campement des Drummond ne pouvait pas être là, la veille au soir; tous les témoignages le situent à 1 km plus loin. De la police aux magistrats, on semble respecter une consigne, puisque tous les indices retenus, tous les témoignages admis sont invraisemblables, les faits étant systématiquement écartés.

Le célèbre auteur du Hussard sur le toit, Jean Giono, a assisté au procès. Dans ses Notes sur l’affaire Dominici (Gallimard, 1955), il relève de nombreux faits troublants ignorés par la justice. Ainsi, on ne s’interroge pas sur la fortune de Gaston (10 à 12 millions d’anciens francs) et sur celle de pas mal de gens mêlés de près ou de loin à cette affaire. On rejette le témoignage du Dr Dragon, qui a examiné la fillette et affirme qu’on l’a portée moribonde jusqu’à l’endroit où on l’a trouvée. On lui préfère le témoignage d’un autre médecin, qui ne l’a pas examinée mais qui est une notabilité. De plus, on ne s’étonne pas que l’huile qui graissait l’arme du crime soit semblable à celle qui graisse les armes de Clovis. Le président du tribunal va même jusqu’à provoquer le scandale quand il interdit à Gustave de répondre au cri de son père : « Tu sais que je suis innocent. Dis ce que tu sais ! »À un autre moment, il dira, selon Giono : « Gustave, je te pardonne. Je ne veux pas que tu dises que je suis innocent. Ce n’est pas ce qu’il faut dire. Dis la vérité. Qui était avec toi dans la luzerne quant tu as entendu les cris? Qui était avec toi? Qui était avec toi? Qui était avec toi? » L’audience est suspendue!

Un an plus tard, Gaston est condamné à mort, mais la peine de cet horrible assassin est bientôt commuée en emprisonnement à vie. Enfin de Gaulle graciera le vieil homme, mais n’invalidera pas le procès. Quarante ans plus tard, les Français ignorent toujours la vérité que voici. Entre avril et juillet 1944, de fortes sommes destinées aux centres de résistance avaient été parachutées par les Anglais en plusieurs points du continent, mais une partie de cet argent ne fut pas retrouvée. Après la guerre, un ancien haut fonctionnaire britannique chargé des parachutages, Sir Drummond, passe toutes ses vacances en camping avec sa famille dans des régions où l’argent était tombé du ciel, comme en Hollande ou en Alsace. Retrouvant les enrichis de la Résistance, il les fait chanter en prétendant réclamer cet argent au nom de Sa Majesté. À Digne, où plusieurs millions parachutés en juin 1944 n’avaient pas été retrouvés, des gens bien en vue avaient acheté de nombreux terrains à la Libération. En compagnie de Clovis, six ou sept de ces enrichis s’étaient enivrés le jour même du meurtre. Ayant donné rendez-vous à Sir Drummond dans un monastère, ils l’attiraient sur le lieu de leurs libations et le tuaient d’un coup de fusil après l’avoir blessé à la main. Puis ils se rendaient abattre sa femme au campement de la famille, deux kilomètres plus loin. Trois ou quatre heures plus tard, ils assommaient la fillette et la transportaient moribonde sur la Grande-Terre, où, au cours de la nuit, ils réinstalleront le campement et les deux autres corps. Pour une raison inconnue, on voulait mouiller les Dominici.

Au matin, Gustave sort de chez lui, assiste à la fin de la mise en scène, comprend tout et menace de parler. Mais Gustave avait été de la Résistance et il était, comme dit Giono, « dans la politique ». Il était devenu un homme de parti. Ses liens avec ces gens seront les plus forts; lui qui accusera son père, ne les donnera jamais. Il aura peut-être sa part du magot, il a en tout cas une femme ambitieuse et c’est un faible. « Le lâche des albums de Zig et Puce», selon le jugement de Giono. En novembre 1953, à l’époque des aveux de Gaston, le journaliste Jean-Charles Pichon résout l’affaire en 16 jours. Non sans prendre quelques risques. Comme il le rappelle dans son autobiographie Un homme en creux (Stock, 1973), passée largement inaperçue, il est menacé par Clovis, le fusil en main, « menacé d’un revolver dans une administration de Digne », puis « par la police de Marseille, par l’intermédiaire d’un collègue de France Soir, qui me faisait savoir que “ça suffisait comme ça”. »

L’hebdomadaire Carrefour publia ses deux premiers articles. Mais, « informé sans doute, lui aussi, des problèmes réels qui se posaient, il ne put rendre public le troisième, qui contenait mes conclusions. » Celles-ci ne furent publiées qu’après la condamnation du vieux Dominici, dans les Lettres nouvelles (février 1955). « Mais il fallut que ce soit sous la forme d’un “rêve”, et tout cela n’était-il pas comme un cauchemar, après tout ? »

 

1995

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Un amour absorbant

Cette nouvelle nouvelle fut publiée en 1967 dans la revue « Fiction », N° 12.

Un amour absorbant

 

Monsieur,

Si j’omets mon adresse, ce n’est pas que je veuille vous cacher le lieu de ma retraite. De toute façon, vous ne pourriez m’y répondre, ni (ce qui, je l’avoue, me serait plus précieux) m’en faire sortir. Tout aussi volontiers, j’avouerai que, dans les mois qui viennent de s’écouler, j’ai pleuré, souvent, et prié pour que quelqu’un ait la puissance de me porter secours. Alors, les lettres que j’écrivais n’étaient pas à l’intention d’un directeur de journal ou de revue. Je plaçais tout mon espoir dans tel docteur très illustre dont je tairai le nom pour ne pas l’offenser, dans tel savant, qui habite, il est vrai, fort loin d’ici, mais dont le génie et l’humanité, ce que je croyais être de l’humanité, auraient dû faire qu’il me comprît et m’aidât. J’ai écrit de même au Président de la République, à Monsieur le Préfet de Police. Ni les uns ni les autres ne m’ont répondu. Je souffrirais de cette indifférence si je pensais, si je pouvais penser, que mes lettres aient été remises à leurs destinataires. Mais, très probablement, elles ne l’ont pas été. Et ce serait une grande chance que celle-ci vous parvienne.

Pourtant, je veux l’espérer. Parce que, d’une part, personne ne peut vivre sans espoir ; d’autre part, ce n’est plus mon salut qui m’importe. Il n’est pas impossible enfin que mon récit, négligé ou méprisé par les savants, intéresse, littérairement en quelque sorte, la publication que vous dirigez. Je dois risquer cette chance — et celle, moins grande encore, qu’un de vos lecteurs y discerne autre chose qu’une fiction. Un seul me suffirait, provisoirement, car si quelqu’un savait mon secret quand je viendrai à disparaître, il pourrait à son tour, avant d’être enfermé, le communiquer à d’autres. Le moyen est primitif et presque dérisoire, lorsqu’on pense à quel point le temps presse, lorsqu’on songe aux millions de journaux qui divulguent la vie privée des milliardaires. Mais c’est ainsi, je n’y peux rien. C’est le seul moyen dont je dispose.

Je ne suis pas un ignorant, mais le bagage me fait défaut qui m’eût permis, sans doute, d’être pris au sérieux ou, tout au moins, d’expliquer mieux les choses. J’étais l’aîné de trois enfants, l’un de mes frères est tombé à la guerre en juin 1940. Quand mon père est tombé paralysé au lendemain de l’autre guerre, il m’a fallu quitter le lycée, où cependant j’étudiais bien, pour travailler à mon tour. Mon père avait, toute sa vie, servi la S.N.C.F. ; naturellement, ce fut dans cette voie que je me dirigeai. On fut assez gentil pour moi, mais je dois dire que j’étais sérieux et consciencieux. Tous les deux ou trois ans, régulièrement, pendant vingt ans, j’ai accédé à un échelon supérieur. En 1939, bien que je fusse encore jeune (je suis né en 1905), je gagnais correctement ma vie et celle de ma famille. Le 2 septembre, je fus requis sur place, à Lyon-Perrache, où je travaillais, et je pus croire, égoïstement, que la guerre ne bouleverserait en rien la vie que je m’étais faite. Mais, quelques mois plus tard, une bombe écrasa la maison de mes parents, à Rennes, alors que s’y trouvaient ma femme et ma petite fille : elle tua tout le monde. Les psychiatres ont voulu voir dans le choc que je ressentis à cette occasion la cause de ce qu’ils nomment mon « délire cosmique ». Bien qu’il me soit difficile d’établir de ceci à cela un lien d’effet à cause, je me devais de vous révéler cette opinion des docteurs.

De même, il me faut reconnaître la réalité de la maladie que je fis alors, provoquée moins par la fatigue que par le désespoir de me retrouver seul au monde. Ce fut, pour tout dire, la fin de ma carrière. Un congé de longue maladie n’étant point parvenu à me rendre la santé, je végétai pendant toute la guerre. Je me décidai enfin à demander ma retraite anticipée. Elle me fut accordée en 1945, après vingt-cinq ans de labeur au service de l’Etat, et je pus me retirer dans la petite maison que j’avais achetée dans la région bordelaise, un pays que j’aime bien. Je ne m’étais pas remarié, mais une femme avait accepté de vivre avec le solitaire. Je menais une vie tranquille et un peu morne, peut-être, pour un quadragénaire, mais je m’étais pris de passion pour la chasse et je ne refusais jamais, afin d’augmenter mes revenus, les bricolages qui se présentaient. Tout cela n’intéresse pas directement l’histoire que je dois vous raconter. Il est nécessaire, pourtant, que vous ne doutiez pas de ma guérison à l’époque où elle commence. Un de mes bons amis, là-bas, était le docteur Garrot. Vous pourrez lui écrire : il attestera sûrement que j’avais reconquis alors mon intégrité mentale. Mon bonheur eût été complet, je crois, si ma compagne avait pu me donner un enfant. Mais peut-être ne le voulait-elle pas. Je ne le saurai jamais, car j’ai vécu trop peu de temps avec elle.

Ce fut en effet treize mois après mon installation dans la région, exactement deux jours après l’ouverture de la chasse, que je fis connaissance avec la lueur. Je me promenais dans la campagne, le fusil sous le bras, accompagné de mon chien, lorsque je vis, à quelque distance, une fillette qui gardait sa chèvre. Je suppose qu’elle ne la gardait pas vraiment, car elle était bien jeune, mais que ses parents, plutôt, l’envoyaient dans les champs pour se débarrasser d’elle. En tout cas, je la regardai avec attention, parce que je la trouvais gentille et délicieusement frêle. Le temps était chaud et même lourd, bien que le ciel fût nuageux. Tout à coup, un rayon de soleil, oblique et dense, traversa les nuages et tomba droit sur la jeune fille. Je dis : un rayon de soleil, parce que je pensais d’abord que ce n’était que ça, mais l’idée me vint aussi, presque tout de suite, qu’un rayon de soleil n’était pas aussi lumineux. En effet, la petite fille se mit à briller de telle sorte que j’en fus aveuglé. Quand je rouvris les yeux, elle n’était plus là. A sa place se dressait une meule de foin que je n’y avais pas vue plus tôt. Je crus que l’enfant se cachait dans cette meule pour me jouer un tour et j’y plongeai la main. Le foin était chaud et parfumé. Tout à côté, la chèvre tirait sur sa corde.

Malgré moi, je levai les yeux vers le ciel : nulle éclaircie ne s’y voyait plus. En même temps, mû par un instinct étrange, je me déplaçai brusquement et sans cause vers ma droite. Une chaleur redoutable, qui pourtant ne brûlait pas, surgit si près de moi que j’en sentis le souffle. Je courus, suivi de mon chien, qui gémissait lugubrement. Enfin je m’arrêtai et je regardai. Plus semblable à une barre d’or qu’à un rayon, la lueur demeurait piquée dans le sol, à cent mètres de moi. Lentement elle se résorba, comme une échelle qu’on eût tirée à soi du sommet d’une tour ; mais je ne voyais pas de sommet et il n’y avait pas de tour. Elle disparut, je me mis à courir et, de nouveau, la lueur se matérialisa à la place même que je venais de quitter. Je m’enfuis sans tourner la tête.

Longtemps après, me sembla-t-il, je parvins à ma petite maison. Je m’assis, en sueur et hors d’haleine, sur une chaise de cuisine et, sans prendre le temps de me délivrer de mon harnachement, je racontai toute l’aventure à celle qui vivait avec moi. Je vis à ses yeux qu’elle prenait peur. Elle ne tenta pas de m’apaiser par de bonnes paroles, par un simple élan de tendresse. Elle s’en alla, me laissant seul. A la nuit tombée, elle revint. Je n’avais pas bougé ; je serrais encore dans mes mains jointes le fusil de chasse, protection bien dérisoire portant. Elle me dit avec sévérité :

—    « Qu’as-tu fait de la petite Maud ? »

Je ne compris pas immédiatement mais, lorsque j’eus compris, une nouvelle sorte de terreur m’envahit. La petite fille disparue. On allait m’accuser de l’avoir enlevée, tuée, que sais-je ? Ma compagne le croyait et, si elle croyait, qui voudrait me croire, moi ? Les gendarmes allaient venir et je n’aurais rien à leur opposer qu’une invraisemblable histoire. Il me fallut un quart d’heure pour changer de vêtements et préparer une valise. Lorsque je voulus embrasser celle que j’aimais, elle me repoussa.

Relisant ma lettre, commencée hier, je vois bien que je n’ai pas su raconter les choses. Mais je ne vois pas comment j’aurais pu, différemment, les raconter, car elles se sont passées ainsi. A moins que je n’eusse mieux fait de vous dire tout de suite ce que je sais aujourd’hui, que je n’ai compris que peu à peu, laborieusement et difficilement, au cours de ma vieillesse vagabonde. N’aurait-ce pas été moins croyable encore ?

Il y a très longtemps aujourd’hui que j’ai quitté ma maison, ma compagne. J’ai tenté d’avertir les hommes, je leur ai donné mes preuves, dont la moindre n’est pas le nombre croissant des disparitions que la Préfecture de Police enregistre chaque année, inexpliquées dans soixante-dix pour cent des cas. Ils se passionnent pour cette ineptie : les soucoupes volantes, sans vouloir admettre que le danger est ailleurs, plus proche et plus quotidien. Enfin, ils m’ont fait enfermer.

Dès le début, je savais qu’ils me feraient enfermer, dès qu’ils pourraient mettre la main sur moi. C’est pourquoi je me suis enfui. N’importe quel médecin de bonne foi devrait admettre que cette fuite prouve mon équilibre, et je ne dis rien de toutes les difficultés que j’ai su vaincre afin d’échapper aux poursuites, changeant de nom quand il le fallait, créant des labyrinthes inextricables où, fatalement, le policiers devaient se perdre. Pendant un temps, j’ai pu coucher dans des hôtels et manger à ma faim. Ç’a été le temps de la quête intellectuelle et de l’étude des livres. Je ne séjournais jamais longtemps dans une même ville. Dès qu’un journal parlait d’une disparition, je me transportais dans la région où elle était signalée. L’expérience m’avait appris qu’une disparition demeure rarement isolée ; au contraire, trois ou quatre cas en quelques jours ne sont pas rares ; puis la lueur émigre. Pendant une période de l’année, qui correspond assez exactement à notre hiver, je sais qu’elle n’opère plus en France. Elle doit alors agir en d’autres pays, probablement aux antipodes, mais je n’y suis pas allé voir. Cette découverte me fortifia dans l’idée que la lueur venait d’une autre planète de notre système solaire, mais non pas d’un autre univers.

Vous l’avez sans doute remarqué : lorsqu’on s’intéresse très fort à une recherche déterminée, lorsqu’on s’y consacre au point d’y perdre le boire et le manger, on dirait que le hasard nous livre comme à plaisir les éléments qu’il faut pour la mener à bien. Cela est vraiment curieux. En ce qui me concerne, j’ai eu la chance, ou le malheur, durant cette période d’hésitations préliminaires, d’assister à deux autres métamorphoses, toutes deux sur des routes de campagne, dans des régions où une disparition venait d’être signalée alors que je m’y trouvais déjà, ce qui m’avait permis d’agir sans délai. L’une se produisit aux environs de Poitiers : un homme marchait devant moi, à une vingtaine de mètres. Soudain il s’arrêta pour regarder, me sembla-t-il, des enfants jouer dans un champ. Aussitôt, la lueur tomba sur lui. Ce fut l’affaire d’un instant, mais je n’avais pas fermé les yeux, cette fois, et je pus voir l’homme se tordre étrangement, comme s’il avait été environné de flammes, et sauter de toutes ses forces, le plus haut qu’il put. L’échelle brillante fut retirée à une vitesse incroyable et un petit chien blanc marbré de noir courut en jappant sur la route. Cette fois encore, la lueur me poursuivit, mais je lui échappai facilement. Puis, ce fut une femme qui s’apprêtait à s’asseoir sous un chêne, à deux kilomètres de Nantes. Elle venait d’étendre son vêtement sur le sol quand elle fut prise. Il me sembla qu’elle avait disparu sans laisser de traces. Cela me surprit à tel point que, malgré le danger qui me guettait moi-même, je m’approchai de l’arbre. Il y avait sur la cape étendue un petit serpent vert qui ondulait en sifflant.

J’ai écrit le mot « métamorphose ». Je n’y ai pensé que bien plus tard, après avoir entendu des paysans vannetais s’étonner de la présence, en bordure de leur champ, d’un laurier qui n’y était pas la veille ; après avoir assisté à la chasse donnée, en pleine ville de Toulouse, à un singe de grande taille dont on ne s’expliquait pas davantage la présence, puisque aucun cirque ne s’était établi dans les parages. A Vannes, un jeune conscrit avait fait une fugue, disait-on, le lendemain du conseil de révision ; à Toulouse, un professeur de mathématiques avait, subitement, abandonné sa femme et ses trois enfants. Il était parti sans laisser d’adresse. Ailleurs, ce fut un ours qui volait des fruits dans un verger, et ce n’était pas le pays des ours. Un loup reparut dans le Gévaudan, énorme et semant la panique.

Naturellement, je n’ai pas pu, dans les cas, savoir qui avait disparu. Mais le mot « métamorphose », quand je l’eus découvert, m’éclaira. Il ne s’agissait donc pas d’une offensive nouvelle. Au temps des Grecs et des Latins, déjà, Ils avaient essayé quelque chose d’analogue. Mais Leurs méthodes n’étaient pas encore au point : Ils ne transformaient pas l’homme entièrement en une plante ou une bête : seule une moitié du corps subissait l’avatar, se changeait en croupe et en pattes de cheval ou en queue de poisson. On comprend que les Egyptiens, voyant naître soudain de tels phénomènes, en aient fait des divinités. Au début aussi, les centaures, les minotaures et les sirènes étaient placés, par l’imagination des poètes, à mi chemin entre l’Olympe et l’humanité. Puis, les hommes devenant moins crédules, Ils durent interrompre, pendant deux mille ans, des expériences trop voyantes. Ils désirent par-dessus tout, c’est évident, ne pas attirer sur Eux l’attention des hommes. Mais, aujourd’hui, leur procédé amélioré, Ils peuvent agir tranquillement, impunément, aussi longtemps que personne ne jettera le cri d’alarme.

Je devenais leur ennemi mortel, leur victime toute désignée ; pourtant, je n’étais pas sans défense. Je connaissais leur talon d’Achille : le manque de mobilité de leur moyen d’attaque. Et de multiples conditions me semblaient requises pour qu’ils mènent à bien l’expérience : le plein air, un ciel à la fois beau et nuageux, l’absence de témoins. Je me demandai, à ce sujet, si j’étais bien le seul humain à Les avoir pris en flagrant délit. Je me le demande encore. S’il y en eut d’autres, il est probable qu’ils n’ont jamais osé parler, de peur qu’on ne les accusât d’être les auteurs mêmes des disparitions qu’ils auraient signalées, ou de peur qu’on ne les crût pas, comme il m’est arrivé.

L’hiver, la ville, la nuit, m’étaient de parfaites sauvegardes ; je pouvais m’y défendre. Cependant, ma situation matérielle empirait. Les petits travaux que j’effectuais : des enveloppes à domicile, une matinée d’homme-sandwich, un remplacement, ne me permettaient pas souvent de dormir dans un hôtel. Je devins un clochard. En ville, je mangeais la soupe populaire ; à la campagne, je mendiais dans les fermes où, parfois, on m’engageait pour quelques jours, le temps des moissons, des vendanges ou de la récolte des petits pois. Je travaillais mal, en raison de mon âge et de la vie difficile que j’avais eue, mais aussi de la menace toujours présente. Mes rares confidences et mes questions nombreuses me faisaient regarder d’un drôle d’œil. Enfin, il me fallut passer à l’action.

J’avais longuement étudié ce problème : comment entrer en rapport avec Eux ? Nos langues probablement, Leur étaient hermétiques, mais Ils devaient percevoir en nous une pensée puissante et dirigée ; particulièrement si, comme je le croyais, nous Leur servions depuis des millénaires de sujets d’observation, de sujets d’expérience. Mon but était de Leur faire comprendre que nous pouvions sympathiser, que nous ne Les connaissions pas mais que nous ne demandions qu’à Les connaître et que, de toute façon, mes sentiments personnels restaient très amicaux à leur égard. Naturellement, ce n’était pas vrai : Ils me causaient une peur effroyable. Mais je parvins, à force de volonté, à triompher de ma terreur : je me persuadai que je parviendrais à les abuser.

Ce fut un jour de juin que je quittai la ferme. Je marchai délibérément à travers champs, parcourant une distance de trois quatre cents mètres, jusqu’à un chemin que d’épais taillis dérobaient à la vue de mes compagnons de travail. Je revois nettement ce petit sentier, clair et sinueux sous le soleil : il descendait vers une rivière où les filles et les garçons aimaient se baigner. Tout à coup, le ciel s’obscurcit et je compris que j’étais arrivé. Je fis encore quelques pas, poussé par une épouvante si forte que je me mordais les lèvres au sang. Alors, je pensai à tous les êtres, fourmis, abeilles, qui ne raisonnent pas comme nous, que nous ne connaissons pas très bien, mais qui ne nous font pas de mal si nous sommes bons pour eux. Cette pensée me donna le courage de m’arrêter. Aussitôt, le rayon tomba sur ma main, je ne l’avais pas vu venir.

Il était chaud, doré, pas du tout redoutable, assez semblable, tout de même, à un rayon de soleil qui, passant par une fente des persiennes, fait danser des poussières dans une chambre obscure. Tout de suite, j’en fus enveloppé et je ressentis la joie. Une petite fille venait sur le chemin. Non : elle ne venait pas, elle était immobile, à cinq mètres ou dix, je ne sais pas. Je reconnus ma fille, Jeanne. Elle ne pouvait être là. Je n’avais pas oublié qu’elle était morte à Rennes, en 1940. Mais je reconnaissais son sourire triomphal et je triomphai, moi aussi. « Puisqu’Ils ont le pouvoir de susciter en nous de telles illusions, je dois avoir celui de correspondre avec Eux. » Ce n’était pas une vraie pensée, encore moins un raisonnement. Il y avait des mois que je m’entraînais à transformer en émotions directes les arguments qu’il me fallait leur suggérer. Amis. Nous sommes vos amis (caresse). Tendresse (bouffée de tendresse). Paix (la paix de l’âme). Nous sommes pacifiques. Aimons. Nous vous aimons. Le rayon répondait. Le rayon était chaud et bon, fraternel. T’aimons nous aussi. Vous aimons. Amour universel. Semblable à nous. Nous venons vers toi. Viens vers nous. Saute vers nous. Saute ! Ma fille me regardait et l’on me disait : ta fille ! Pense : ta fille ! Là où la mort n’existe pas, tu dois venir. Tu veux venir. Saute !

Je ressentis le besoin de sauter et je n’y résistai pas. Je ne compris pas, d’abord, ce qui m’arrivait, lorsque je me retrouvai, étendu sur le sol, à plat ventre, les joues écorchées et le nez en sang. Je ne bougeai pas, pourtant, comme épinglé au sol par le rayon doré. Mais la douleur avait fait fuir ma petite fille. Hors de cette pointe sur mes reins, j’avais échappé à l’emprise de la caresse. Je me souvenais de tout. Il me fallait réfléchir, vite ! Je soulevai lentement mon visage. Je m’étais aidé de mes avant-bras. Je vis ma main, que le rayon avait touchée. Elle était brune et envahie de poils. Qu’est-ce que je serais, moi ? Une sorte de singe ? Un ours ? La pression se faisait insistante sur mon dos. Lève-toi. Saute. Amis ou pas amis ? Semblable à nous. L’amour, c’est l’identité. Je laissai retomber mon visage sur le sol. Ma main droite ? Elle était comme morte, étrangère à moi-même, horriblement brune et poilue, mais la gauche, oui, la gauche obéissait. Je grattai la terre avec cette main, comme une bête. Je voulais m’ancrer là où j’étais tombé, n’en pas bouger. Je ne voulais plus sauter. Je savais quel besoin de tendresse démesuré Les lance à la conquête de l’univers.

—    « Non ! » dis-je. « Non, jamais ! Salauds ! »

Je le dis et le pensai. Je projetai hors de moi toute la haine dont j’étais capable pour les choses innommables, mortes, informes, poilues, verdâtres, démembrées. Non ! Je ne veux pas de Votre amitié. Je ne peux pas être semblable à Vous. Vous Vous jouez de nos désirs, de nos peurs. Mais nous ne savons pas qui Vous êtes. Nous ne Vous imaginons pas. Vous ferez de moi un monstre, une bête, une herbe, une poussière, mais Votre pareil, jamais ! Vous ne pouvez pas vaincre la mort. A peine des pensées, tout cela, rien que le suc nourricier de la haine :

« Non ! »

La haine l’emporta. Soudain, il n’y eut plus aucune pression sur mes reins. J’attendis un peu, je me relevai prudemment. Le ciel était redevenu bleu et clair. Il n’y avait plus trace de rayon nulle part. Mais, à l’endroit où je m’étais affalé, il y avait comme une poussière d’or, ce qui serait resté d’une lueur tendre et chaude, faite de corpuscules autrefois vivants, anéantis en un instant par la puissance de la haine. Et il y avait, au milieu du chemin, la pierre sur laquelle j’avais trébuché.

Qu’ajouter ? Je Les avais vaincus. Je ne pouvais plus me taire. Au lieu de regagner la ferme où je travaillais, j’allai tout droit à la gendarmerie du bourg. Le gendarme de garde, puis le brigadier, me considéraient d’un œil soupçonneux, parce que me cheveux gris, mon nez écorché, ma veste trouée me donnaient l’apparence d’un vieil ivrogne. Ils me gardèrent toute la nuit. Plus tard, la malchance fit qu’on retrouva le corps d’une fillette qui s’était noyée dans une rivière, au bas du chemin. Je vis beaucoup de gens. Tous n’étaient pas des policiers. J’attendais impatiemment le jour de mon procès pour dire la vérité au monde ; mais on ne voulut pas me le permettre. Bientôt, je ne vis plus du tout les policiers. Je ne vis plus le juge, qui avait l’air si bon. Il n’y eut plus autour de moi que des médecins.

Pendant toute une année, j’ai demandé des nouvelles du monde. Je savais que le nombre des disparitions allait croissant, et ça me faisait mal d’y penser. Mais on ne voulait rien me dire. Au début, j’avais parlé de la lueur, on m’invitait à en parler, mais je finis par comprendre que c’était pour se moquer de moi. Alors, j’ai commencé d’écrire des lettres. Mais je crois que celle-ci est la dernière que j’écrirai. Car, de nouveau, voici l’été. On ne me laisse pas en paix sur mon lit. On m’oblige à sortir dans le jardin, avec les autres pensionnaires. Ma vieille terreur, alors, me presse de marcher, vite, autour des plates-bandes, sous les arbres. Mais, parfois, on m’appelle. Un infirmier ou un docteur. Je dois m’arrêter pour répondre. Et, tout le temps que je demeure immobile, je sais qu’Ils me guettent, là-haut, derrière leur écran de nuages. Puis, je regagne un abri, le dortoir, le réfectoire. Et, déjà, je Les appelle à mon tour. Je leur jure que, cette fois, je ne Les tuerai pas, quoi qu’Ils me fassent, pourvu qu’Ils me permettent, cette fois encore, de la voir venir vers moi avec ses bras tendus et cette façon de sourire qu’elle avait…

 

Jean-Charles Pichon

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A bâtons rompus

Vous pouvez écouter sur ce site plusieurs conférences données par Jean-Charles Pichon. Elles ont été soigneusement préparées par écrit, structurées et rythmées.

 

Le document audio suivant restitue une conversation qui eut lieu à Limoges, le 4 février 2000. Jean-Charles nous lit son dernier poème, puis parle des vocables. S’ensuivent des jeux de mots, puis une discussion à propos de l’actualité (la guerre en Tchétchénie).

 

Parfois ces discussions aboutissaient à des impasses, mais elles pouvaient aussi conduire Jean-Charles sur une piste qu’il allait explorer dans les jours suivants.

 

Pour moi, ces entretiens, avec leur spontanéité, leurs moments de silence, leurs coq-à-l’âne, demeurent toujours aussi stimulants.

 

Pierre-Jean Debenat

 

2000 1

20 minutes

2000 2

13 minutes

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L’ENIGME – Premier livre : Le Plan

« L’énigme » est un des livres de la somme que Jean-Charles Pichon a intitulée « Le rire du Verseau ».  Par la traque du sens – ou des sens – des mots, il cherche à cerner la notion de « réel ». Il fait référence à des textes antérieurs, tels que « Du nouveau chez les Gémeaux », ou « Un handicapé gare de Nantes », qui sont encore inédits. Mais ceci n’empêche pas de saisir sa démarche, toujours aussi rigoureuse.

Pierre-Jean Debenat

 

L’ENIGME

 

Du hasard ou du raisonnement, de la

considération, de la démonstration,

qu’est-ce qui permet de la résoudre ?

Ou bien y faudrait-il un 3ème  élément

ou un 3ème facteur, quelque trilogie ou

doxa que je pourrais tout à la fois

considérer et démontrer ?

Oedipe et le Sphinx Musée du Vatican

Oedipe et le Sphinx
Musée du Vatican

 

Premier livre :

LE PLAN

Pendant les 9/10 de ma vie adulte (quelque soixante années), c’est-à-dire de 1940 à 1994 plus ou moins, j’ai voulu dire le réel, ainsi que tous les quêteurs, petits ou grands, avant moi. Dans le dernier 1/10 seulement, j’ai renoncé à la quête au profit de l’invention, de la chose non dite, par un labeur patient et hasardeux de fourmi plutôt que par l’œuvre maîtresse du poète inspiré (je suis trop vieux pour cela). Mais, hier encore, j’ignorais le sens précis des mots que j’employais : le réel, la chose.

Comme toujours, le sens est à l’origine, dès l’invention du mot. « Chose » traduit le latin : res. Les deux vocables expriment une singularité ou une limitation. La chose est une, elle se limite à ou se distingue de ce qu’elle n’est pas. Qu’il s’agisse d’un vase de nuit ou de la République Romaine (Res publica). Quand les saintes du Moyen Age, vers 1080, créent le mot : réel, elles entendent dire tout l’inverse : ce qui n’est pas singulier et n’a pas de limite. Une pluralité insaisissable.

Sur 2000 ans comme sur sa vie adulte JE, il semble bien que l’humanité rêve du réel pendant 1800 ans, puis le quête, puis se désespère de ne pas le saisir dans le même temps. Elle n’entreprend de construire la chose que dans les deux siècles qui lui restent. Une autre vieillesse ? Peut-être.

Mais, bien sûr, ce n’est pas si simple, ni si clair. La République romaine a duré plus de deux siècles, et la vieillesse de JE ne débute pas à l’âge de 74 ans. Le désespoir de ne pas appréhender le réel s’est bien doublé déjà d’une nostalgie de la chose qu’en la fin de sa jeunesse, l’adulte avait cru saisir quelquefois.

Puis, au milieu de la quête, entre l’acharnement et le déclin, le réel a pu être appréhendé, non sans appréhension. Je crois qu’il l’est toujours en courte apogée que le déclin suivra. JE date ce retournement de la cinquantième année : autour de 1968, en ce qui me concerne. Notre dernière humanité la datera de Charlemagne, d’Al Rachid et d’Irène.

Pour ne dire que les 9/10 ainsi, ils ne se présentent pas comme homogènes. Un premier tiers (3/10) porte la nostalgie de la chose en même temps que le rêve d’étreindre le réel. En A.

Un deuxième tiers, en B, contient pleinement non seulement la Quête mais une chose réelle qui n’est autre que le réel enfin chosifié.

Une troisième durée, la plus longue des trois, en C, contient tout à la fois la tristesse de l’exil, des efforts pour y remédier et le désespoir de n’y parvenir.

Une étude poussée de la trilogie y révèle bientôt d’autres phases.

Sur 20 ans le jeune adulte ou sur cinq siècles la jeune humanité se sont effrayés d’abord de l’obscurité de l’énigme, de l’ampleur de la quête, en A1.

En A2, « s’y mettant » ils se sont rassurés : ils y voyaient un peu et des forces leur venaient, ils ne savaient trop d’où.

B ne peut être qu’unique, dans l’assumation de la dualité, mais c’est une plénitude en même temps qu’un joint. Sur 10 ans ou 2 siècles.

C se scinde de nouveau : par l’espoir de remédier au manque et d’en comprendre la raison, puis par les mille tentatives, approximations, rechutes et malséances surgies du désespoir. En C1, puis C2, en quelque sorte, sur les derniers 30 ans ou les derniers dix siècles (plus ou moins).

Tel est le premier sommaire que ma propre quête m’a permis de construire et que notre humanité, péniblement, peut établir — établira sans doute dans les 30 ans à venir.

Car ce sommaire n’est qu’un Plan, le plan d’une île ou d’une gare, tiré de quelque passé, de l’abondance des souvenirs. Il ne sera tiré, construit, qu’un certain temps après la fin de la quête, presque au terme de l’œuvre qui la suit. N’est-il pas même, seulement, le produit de celle-ci ? Nous approfondirons cette question plus tard, quand nous traiterons de l’œuvre.

Pour l’instant dressons le premier sommaire.

I — Le premier sommaire

A — Le réel et la chose

1) De gré ou de force, le jeune adulte a pris conscience du dilemme. Il doit choisir entre le réel et la chose, ou, plus exactement, entre les 2 démarches : de la chose au réel, du singulier au pluriel : une quantification, ou du réel à quelque chose, simplement nostalgique encore : la chose qui fut réelle en sa première enfance : une réalité qui ne lui est plus qu’un rêve, comme Edgar Poe l’a dit et répété.

C’est alors que le jeune choisit. Au plus court d’entrer dans la société et d’y réussir, ou de se retirer dans sa tour d’ivoire et de s’y accomplir. Faut-il vivre dans le souvenir ou s’en arracher ? Le jeune ne peut pas choisir, si bien que certains feront un choix, certains l’autre. Tels, les chrétiens et les bouddhistes pendant trois siècles ou guère moins. Le chrétien parle d’hermétisme ou de catholicisme, le bouddhiste de Voie Etroite et de Grande Voie.

Deux millénaires plus tôt, pour une tout autre humanité, ç’avait été les Deux Chemins, ou la voie de Feu, d’Agni, de Iahvé, et la voie de la Voix, du Mana, d’Elohim ou d’Amon, bien avant que Ram se fasse Brahma ou Abram Abraham, les unificateurs des Deux Chemins.

Les deux premiers héros sont encore de l’enfance : l’adolescent en porte la nostalgie (en rêve) ; mais de combien ont-ils précédé le dieu nouveau ? On ignore quel temps sépara le Ram du brahmane, mais la Bible situe dans la vie d’un seul homme le passage d’Abram à l’Unificateur.

Plus proche de nous le deuxième passage, historiquement, aurait exigé quatre siècles, du Bouddha Gautama ou du Jésus du Temple et de la « Sagesse » au Çakya Mouni de la Grande Voie, au Jésus des Evangiles.

La contradiction déconcerte. Mais, de fait, c’est dans l’année ou par un rite (d’initiation) que la puberté survient, alors que 10 années ou plus ont porté les contes de l’enfance, dont le pubère nourrit ses rêves. Le jeune adulte prolonge seulement l’adolescent, en un monde autre, où le temps mesuré par l’adulte en jours n’est plus le temps de l’enfant, mesuré en secondes, puis en minutes.

2) Brusquement, le Brahma ou Abraham sont là ; le Bouddha Caritas ou le Christ. Le jeune adulte n’a plus rien de l’enfant : il croit savoir ce qu’il veut, ce qu’il a choisi. Mais c’est pour l’un la vie retraite du créateur, pour l’autre la vie commune vers la satisfaction par la consommation. Le partage décisif commence au terme du choix ; il se confond avec toute adultarité.

Ici encore, un doute subsiste, qui prolonge le précédent. Si le partage porte sur les 2 objets : la Terre Promise ou l’Arche, l’Or ou le Graal, l’un des objets précède l’autre de 4 siècles.

Les mondes de Ram, déjà, œuvraient pour l’obtention d’une terre promise, mais ce furent les Sémites d’Abraham qui quêtèrent l’Alliance — une nouvelle Arche, qui ne leur sera donnée que six siècles plus tard (cinq siècles après Jacob).

Les juifs exclus du Temple et de la Ville ou les esclaves hellénistiques commencent de faire de l’or (ou sa semblance) dès 400 avant J.-C. Mais, avant le Christ qui a songé au Sang Réal ? Pourtant, ici encore, le Graal ne sera entrevu (par Gauvain) que six siècles après la Passion (cinq siècles après Jean).

Si bien que la création de la Terre Promise ou celle de l’Or empliront tout un millénaire, quand l’histoire de l’Alliance par une autre Arche celle du Graal n’empliront que la moitié de ce temps.

Comme de -2500 à -1500, ou de -350 à 650, les unes ; de -2030 (selon la tradition) à -1430, ou du 1er  siècle au 7ème les autres.

B — La chose réalisée ou le réel chosifié

Quelque part, dans la vie de JE, loin de l’enfance et de l’adolescence, non moins de la vieillesse (pense JE), un âge survient que les Bantous figurent par l’Arbre au milieu du village, à mi-chemin de la naissance et de la mort. Le métier est acquis, le succès obtenu ; l’acquis rassure l’avide, le succès justifie le créateur. L’épouse et les enfants sont là, même si les parents et des amis sont morts. La maison est achetée, payée ; une bonne partie de l’œuvre est terminée.

L’un jouit de ce repos, l’autre y voit une relance. Cela dure 5 ou 6 ans dans la vie d’un individu, à peine plus de 2 siècles dans le temps d’une Ere précessionnelle : de Moïse à Samuel le temps des Juges, de Charlemagne au Xème siècle le temps des Saints.

La marque de ce temps ? L’Arche d’Alliance y est présente, au cœur de la Terre Promise. Le Graal est bu partout, alors que l’Or livre son secret : l’accord, l’union, de la forme et de la matière, des espèces et du genre, un secret pressenti dès 620 ou 630 (par Mahomet, le conférencier Etienne), et que les occultations islamiques achèveront au Xème siècle.

En dire plus serait impossible. Au cœur de sa vie JE ne s’analyse pas. Des 2 ou 3 siècles que reste-t-il, sinon le Livre des Juges ou les œuvres védiques (très peu en elles), les vies des Saints, quelques unes, ou quelques hymnes chrétiennes, bouddhiques. Plus rarement le « livre de raison » d’un meunier, qui n’en dit que la fin. Toutes les vies de Charlemagne et tous les contes, chinois ou islamiques relatifs à cette période seront rejetés par la Raison comme légendaires. Car la Raison, ici, n’a guère son mot à dire.

Le Temps de la Merveille, du Prodige, du Miracle ? C’est selon les dires, mais il fut, car on l’espéra pendant des siècles ; pendant des siècles on le pleurera.

Justifié, l’homme de l’œuvre commence vraiment d’œuvrer. Rassuré, l’homme de la Quête s’apaise, ayant trouvé. Car le monde n’est plus qu’un ensemble de tribus, de clans (les villes n’existent plus) ou de fiefs (il n’y a plus de royaume), mais cet ensemble est réellement un Tout. La joie de l’Indien ne se distingue plus de celle de l’Hébreu, ni la joie du chrétien de celle du bouddhiste. Al Rachid a fait remettre à Charlemagne les clés de la Jérusalem Nouvelle, comme, deux mille ans plus tôt, les Clans de la Salette en Chine n’étaient pas autres que les Tribus hébraïques. On dira que les brahmanes ignoraient l’Arche, mais ils ne vivaient que de l’Alliance. On dira que les Orientaux n’avaient pas le Graal, mais les bouddhistes de la voie de Diamant se nourrissaient aussi du Bouddha de Charité. Si les chrétiens laissaient ouvert dans les murs de l’Eglise romane le vide où se déposait l’hostie, pour que le païen en ait sa part, l’Orient comme l’Occident admettaient que la liquidation — l’aumône universelle — succédât au commerce et que les biens invendus fussent distribués à tous… Il faudra la toute fin du IXème siècle pour qu’on condamne à une peine effroyable le juge qui refuse de juger, en même temps que l’ordalie (le choix de Dieu) devienne de plus en plus cruelle : non plus le jeu des bras en croix (celui qui gardait cette position le plus longtemps était l’Elu ou l’Innocent), mais le duel, puis le supplice.

Quand ce temps s’est achevé, que faire d’autre que le pleurer ?

C — Le déclin

L’apogée atteinte (qui n’est rien que le Centre, horizontalement), débute la chute.

Elle dure le même temps que la formulation : mille ans pour la perte de la Terre Promise ou pour l’Alchimie, moitié moins pour la subsistance de l’Arche ou du Graal.

Les derniers écrits relatifs à l’Arche nous reportent en 900 avant J.-C. (la mort de Salomon), relatifs au Graal vers 1260. Ce sera notre 4ème période (C4).

Les écrits relatifs à la Terre Promise nous reportent entre -432 et -360 ; relatifs à l’alchimie de l’Or vers 1728/1800 (C5).

4) L’adulte quête encore, dans le passé ; il œuvre à tout hasard. Ce temps pourrait se nommer celui des schismes, entre les Reines et les Rois, les Chevaliers ou les Scolastiques, jusque vers – 700 ou vers 1460 : la fin d’Israël se date de -712, la fin de Byzance de 1453.

Le temps de la nostalgie s’achève là. Il ne sera plus du tout question de l’Arche ou du Graal. Impuissante l’une ou vide l’autre depuis quatre siècles, perdus tous deux depuis deux siècles déjà.

Cette seconde maturité de JE, dans le déclin, occupera les 20 ans que l’un prendra de 40 à 60 ans, l’autre de 50 à 70. L’éloignement ou le décès de l’épouse, sinon des derniers amis ; l’éloignement des enfants ; la ruine des espoirs, le démembrement des biens, ou pire : la conscience soudaine de la vanité de tout cela…

Le temps d’un autre choix, en somme : se cramponner à l’inutile, au superflu ou en faire son deuil, en même temps que supporter les deuils qui abondent en ce temps.

Qu’ils soient prophètes juifs ou chrétiens nostalgiques, combien de vieillissants, au-delà de la maturité, pleurent sans fin en ce temps ! Les uns par nostalgie, les autres par impatience !

5) La dernière partie du déclin est sans doute la plus difficile à dater avec précision. Car un fait prodigieux — sur moins d’un siècle — a distingué A1 de A2 : l’incarnation du Dieu nouveau dans une nouvelle humanité, par la Vocation d’Abraham ou la Passion du Christ (la puberté sur une année ou deux).

B3 s’est isolé du Temps et de l’Espace, instantané ensemble qu’universel. L’absence même d’une histoire et d’une topologie précise — car tout a lieu dans ce lieu auquel la Raison n’accède pas — fait de ce temps une île qui serait une gare, d’où JE peut bien sortir, mais pour entrer dans quoi ? L’île est déjà dans une mer, un lac ; la gare est dans la ville. Sortir de l’une ne fait pas entrer dans l’autre. Au contraire nul évènement miraculeux ne sépare C4 de C5. Pour dater le passage, l’individu ou l’Homme (JE) doit privilégier un évènement très rationnel : l’abandon d’une cité (Byzance ou Israël), sinon un fait social déterminé : l’abandon de la vie active, la mise à la retraite.

Illustration Pierre-Jean Debenat

Illustration Pierre-Jean Debenat

 

Puis, cette retraite n’est pas considérée comme un exil, une amplitude du déclin. L’histoire dit une Renaissance : elle est indiscutable, bien qu’elle soit brève. JE a renoncé le dieu qui l’habitait, cette liberté d’abord enchante. Il faudra la fin de Juda, la captivité de Babylone, la fausse reconstruction du Temple, puis l’avènement de la Macédoine et ses conquêtes, pour que l’abîmation révèle son ampleur. Ou, 21 siècles plus tard, la fin de la chrétienté, le recours au dieu des juifs, puis la Terreur, Napoléon, la grandeur soudaine de la France… Dans les deux cas, l’échec de la religion dominante sous l’impact des grandes hérésies, de Gazirim, des Pharisiens et de leurs anges (chérubins) et de vingt sectes, ou du protestantisme et de cent sectes aussi, contre le judaïsme d’Esdras ou le catholicisme de Trente, dégénérés.

Mais c’est du milieu même de cet effondrement que la Raison s’impose, triomphe et balaie le 1er sommaire pour en établir un tout autre.

Car, vers 360 avant J.-C. ou vers les années 1800, tout est fini de l’ancien monde, le monde de la Foi. L’abandon du rêve de la Terre Promise a succédé au renoncement à l’Arche ; la fin de l’alchimie (et la juste notion de l’Or) complète l’abandon du Graal. Pour les siècles à venir — les uns diront 4 et les autres 3 — il ne restera plus — hors du réel et de la chose — que l’emploi que l’emploi qu’on lui consent, les moyens dont il use. Hors de la Quête et de l’Œuvre, quoi donc ? Le spectacle et la vie.

Aux plans de l’île ou de la gare, désormais sans objet succèderont d’autres plans, tirés sur la comète, d’autres sommaires, où l’emploi et le moyen remplaceront les Deux Voies du réel à la chose et de la chose au réel.

Avant de passer à ces autres plans, ces autres sommaires, JE ne peut que considérer ceux qu’il a établis.

Le Plan :

ENIGME001

en sachant que le schéma vaudrait pour la datation de l’Ere précédente, en jouant de la Terre Promise et de l’Arche.

Le sommaire :

A) Le réel et la chose

1) avant la puberté.

2) après la puberté.

B ou 3 — la jonction entre les disjonctions, la plénitude entre le remplissage et la vidange.

C

4) l’éloignement du dieu, le désespoir et les fléaux ;

5) le refus du dieu et le triomphe de la raison : le vieillard en enfance.

Sur les 2160 ans l’ensemble (l’Œuvre),

Sur les 1260, de la première quête à la dernière : A2, B3, C4.

Ce faisant et lisant, j’ai dit la Gare pour l’handicapé : ses quais, ses voies dans le visible, ses souterrains dans l’invisible, mais aussi le passage et le passager. Ou bien j’ai dit l’Ile, que la lettre précède et suit : le cryptogramme pour y atteindre, pour atteindre à l’Ile au Trésor ; la lettre dans la bouteille pour tenter d’en sortir. Le cryptogramme fut écrit par quelqu’un d’autre ; la lettre dans la bouteille l’est par le naufragé, JE.

Mais, dans l’Ile, que furent le plan et le sommaire ?

Tout est à reconsidérer.

II — Le deuxième sommaire

 

Si opposées qu’elles soient au premier regard, l’œuvre et la quête au second présentent évidemment ce caractère commun : elles tendent à chosifier le réel, à le rendre individuel et limité. Topologiquement et temporellement, ce caractère commun s’offrira comme un Point au double sommet des triangles opposés de Yeats, ouvert à l’occident le premier, à l’orient le second.

Mais, qu’il s’agisse de la Terre Promise ou de l’Or, de l’Arche ou du Graal, la chose demeure singulière et limitée, sans que sa limitation et son étrangeté m’assurent qu’elle soit réelle… De fait, la Terre Promise un jour se morcelle, en domaine d’Israël et domaine de Juda. Elle ne se laisse plus réunir, de même que l’Or au-delà du point où le genre et l’espèce, la matière et la forme le constituèrent ensemble.

Quelque part mais plus rapidement, l’Arche a disparu, sans doute vidée de sa puissance ; avant de disparaître, le Vase a été vidé du Sang. Quelque combat toujours précède la catastrophe : David arrache l’Arche à la tribu de Benjamin, ou le quêteur frustré, Lancelot, tue Gauvain, le 1er quêteur.

C’est alors que, privés de l’Objet sacré, les Tribus et les Chevaliers perdent leurs rôles de rassembleurs et de mainteneurs ; ils laissent la Terre se partager ou le général et le particulier, le Corps et les espèces se partager de même, jusqu’à l’isolement du génie, l’abstraction de la spéculation. Reines ou rois sans pouvoir réel, scolastiques sans savoir réel, tribus et chevaliers s’en remettent à des prêtres, à leur réalité factice pour conserver du moins l’illusion d’un Réel qu’ils diront éternel et infini.

Ils diront aussi qu’ils œuvrent ou quêtent encore, par quelque liturgie, quelque théologie. Mais tout au plus peut-on prétendre qu’ils vivent encore — dans l’attente de la mort — et montent des spectacles dans l’espoir d’un public et de sa foule.

Sans doute la Terre Promise et l’Or ont rassemblé des foules, comme l’Eden aurait dû le faire sans le Péché. Et comme l’Arbre jadis (touché), l’Arche et le Graal ont eu leur fin. Mais l’Œuvre n’a que faire de la foule ; la Quête n’a pas de fin. Des siècles après le partage de Joseph en Ephraïm et Manassé, les Jumeaux, quatre siècles après l’éparpillement des 10 tribus de Benjamin, un siècle après l’anéantissement d’Israël, Ezéchiel tente encore de rassembler les tribus et de les positionner aux cardinaux (en ses poèmes)… Déjà, une autre quête a débuté, par Jonas et Tobie, Arion et l’Apollon-dauphin (delphien) de quelque Poisson sauveur, dont le Graal contiendra le Sang (lui-même Sang Réel). Bien mieux, cinquante ans après Ezéchiel, Jésus est déjà né, celui du Temple, qui n’est pas encore le Christ ; un bouddha voit le jour : Gautama, qui n’est pas encore le Bouddha de Charité.

Ni la Quête ne connait la fin, ni l’Œuvre n’a besoin de la foule. En quoi le spectacle (son cycle) est tout autre chose que l’Œuvre, et la vie (sa durée) tout autre chose que la Quête.

Un sommaire basé sur la vie et le spectacle n’aura que peu de rapport avec le 1er sommaire, que fondaient la Quête et l’Œuvre. Ils n’auront que ce point commun, par quoi s’achevait le premier, débuta le second : le sommet des 4 triangles, le centre de la croix où s’entrelacent l’emploi et le moyen.

 

En ces 3 ou 5 phases, le second sommaire sera tel :

A et a =                      l’emploi                                le moyen

B      b =                     les conditions                      les libérations

c =                      l’occupation                        l’opération

d =                      la prise (de possession)     une mise (à l’écart)

l’annexion                            les annexes

C ou e =                     la fin                                      le rôle

Mais la Fin ne sera pas celle que les moyens devaient produire ; ce sera la mort. Le Rôle ne sera pas celui que  l’emploi ambitionnait, mais le rôle d’équipage ou judiciaire, qui englobe les emplois, en nombre indéfini (la foule).

Ce qui trompe et qui fait que, souvent, les 2 sommaires seront confondus, par un JE trop naïf ou trop retors ?

Occupation/opération (le O) a pris la ce, au centre (en c) où le 1er sommaire situait la jonction et la disjonction. Puis, l’annexion n’est qu’une injection aboutie, comme l’annexe n’est qu’une déjection.

Mais, pour que les sommaires s’équivaillent, il resterait à montrer quelque similitude entre la chose et le réel d’une part, le rôle et la fin de l’autre. Ou bien, précisément, entre la Quête et l’Œuvre d’une part, la vie et spectacle de l’autre : ce que l’intervention de la mort et de la foule nous interdit.

De fait, les objets sont autres. Dans le 1er sommaire, la gare est comme une île (et les quais le sont aussi, entre les voies, ainsi que la gare dans Nantes, Nantes dans le pays, le pays dans l’Etat). Dans le 2ème sommaire, la gare est comme un corps bardé de piquons (ses escaliers, ascenseurs, pentes) qui reconduisent ou non, selon ses plans, du cassé (les quais, les voies) au caché (les souterrains) ou à l’inverse.

L’Ile — au trésor, du naufragé — se tenait entre les lettres directionnelles : le cryptogramme pour la découvrir, l’annexer, y entrer, la lettre dans la bouteille pour la rejeter, comme une annexe, et en sortir.

Le corps est autre : du hérisson ou du flocon de neige. Le hérisson sort ses piques pour se défendre : s’il ne les sort il meurt. Le flocon les sort pour s’associer à d’autres flocons ; s’il en est dépourvu, l’avalanche menace et bientôt elle survient.

L’Ile n’a que faire du passager, du voyageur : la lettre est le propre de celui-ci, ce n’est pas le sien. Le Hérisson et le Flocon ne survivent que par les piquons : ils sont ou ne sont point par eux. Ils ne sont pas des passages sans être les passagers, plus ou moins peuplés (une rue passagère), ou plus ou moins rapides (un vol passager). S’ils passent tous deux, c’est la blessure le hérisson, l’entraide le flocon : dans la passe d’armes là, dans l’oubli de la faute ici (je te passe tes travers).

Ce ne sont plus les 2 triangles de Yeats, vers l’ouest ou l’est :

                                   l’œuvre  >       la quête  <

mais, comme du nord au sud ou à l’inverse, 2 triangles tout autres, du flocon vers l’accord, du hérisson vers la survie :

                                               la vie et la mort

                                                              ͜

                                                              ͡

                                       le spectacle et la foule

L’étonnement naît de ce fait : le centre est le même au cœur des 2 sommaires, daté du 14ème siècle avant J.-C. : le clan ou du 8ème siècle après J.-C. : le fief. Le temps de Moïse là, le temps de Charlemagne ici.

En remontant le temps de 2160 ans, l’Eden de création, en Jemdet-Nasr, entre sa formation et son exil. Au XXXVesiècle avant J.-C. ? Ou XXXVIe ? Le Temps de la création de du Nombre, de l’Alphabet, de la première construction (Ziggourat ?) De la création, à coup sûr, de l’idée même, du dieu Création…

En remontant le temps, nous le savons aujourd’hui, nous trouverions le miracle de la gémellité vers le 6ème millénaire avant le Christ ; puis le prodige de la cohérence (la Pierre Levée ou le Serpent) deux millénaires plus tôt… Mais, à chaque fois, un spectacle s’est ordonné, a triomphé avec l’adhésion d’un public, puis s’est dissout en quelque mort.

 

Le spectacle et la vie

Le 2ème sommaire part de la dialectique à laquelle aboutit le 1er, mais il n’inverse pas celui-ci : il est autre. Il ne joue plus de l’Œuvre et de la Quête, mais du dilemme de Marc-Aurèle : le spectacle et la vie. Qu’est-ce qu’un spectacle ? Une suite de stations ou d’actes dont on connait d’avance la durée, en ce grand Etat qu’est la salle de spectacle ou ce petit, qu’est la scène, et ce plus petit encore : l’horaire (un cycle). Mais, dans la pièce, bien sûr, on distinguera le simple emploi de toutes les pièces, y compris des pions, de toutes les faces du dé (y compris les moins nombrées), de toutes les cartes : emplois de valet, de soubrette, de matamore, de jeune premier ou d’ingénue, d’une part, et d’autre part les rôles de la Reine, du Roi, des faces majeures, nombrées 6, 5, 4 ou des cartes maîtresses : le Roi en ce jeu, l’As en celui-là, le Valet d’atout à la belote. Les rôles de Sosie, de Scapin, de Figaro, de Don Juan ou d’Hamlet, d’Alceste ou d’Agnès. L’objet du spectacle ? Ce n’est jamais que le public, au mieux : la foule.

La vie, dont on ne connait pas la fin d’avance, aura pour terme cette fin : la mort. Les moyens dont elle use, et qui l’usent à la fin, ignorent les emplois et les rôles : Agnès, Hamlet, Alceste, Scapin ou Figaro mourront au terme, comme la soubrette et l’ingénue, le matamore, le jeune premier ou le valet. Sauf que le rôle est bien achevé : il ne renaîtra pas en d’autres vies, quand l’emploi se retrouvera en d’autres pièces.

Un autre « rôle », non de théâtre, mais d’équipage ou judiciaire, n’est que l’ensemble des emplois. Il sera d’autres fins que celle de la vie : celles qui se donnent les moyens d’y parvenir — et qui, selon le cynique, les justifient. Ce projet semble tantôt réalisable (l’objet devenu réel) et tantôt non, selon l’état du personnage ou du vivant en cette station, cet acte.

Cependant, comme l’Œuvre le spectacle procède d’un joint, d’un nœud, et d’un dénouement. Comme la Quête, la vie a procédé du plein (de la présence) au vide (ou de l’absence).

Mais le 2ème sommaire ne joue pas de ces antinomies : disjonction/jonction, plein/vide. Il joue des stations dans l’Etat ou des états de cette station.

Entre les cardinaux, dans le Plan, le 1er sommaire jouera de l’ouest ou de l’est : l’œuvre à l’ouest, la quête à l’est ; le 2ème sommaire jouera du nord et du sud : de la vie là, du spectacle ici.

Non plus de : ↖ ↗ mais de :   ͜͡͡͡͡   .

Chronologiquement :

a)    Dans l’ère de l’Amour (Le Christ ou Krishna) ;

b)    Dans l’ère de la Justice-foi (depuis Ram ou Brahma, Abram ou Abraham) ;

c)     Dans l’ère de la Création ;

ENIGME003

Le proscenium en bas, pour le spectacle, le prostyle en haut, entre les colonnes, mais la forme vide, le 0, entre les temples (pronaos), la forme vide, puis virtuelle, de la rationalité. Comme du licnon à son inverse :

ENIGME004

Le Temple au cœur de l’X et des licnons en (a), les 2 temples de part et d’autre du 0.

 

III — Les sommations et les sommes

Elles disent tout autre chose que les sommaires.

Le sommaire embrasse une série fragmentaire de nombres : une suite de « nombres naturels » ou quelque série divergente, telle que de nombres premiers ou de multiples. La sommation ne borne qu’une série convergente ; c’est toujours une constante (un nombre irrationnel) : Pi/4 si je traite la série récurrente, vers l’Unité, comme de l’ultraviolet à l’infrarouge ; (e-1) si je traite la série des factorielles inverses, de l’Unité ou Do à Si, ou de la durée d’un corps quelconque.

Le jeu de mots qui me donne : somme pour sommeil n’est pas à négliger. Il s’oppose — le mot — au réveil, comme la sommation au sommaire.

Il oppose le rêve — mythique, prémonitoire ou rassurant — au cauchemar effrayant où tout le corps s’implique, comme la sommation oppose Pi/4 à (e-1).

Mais j’ai illustré le 1er sommaire par cette image : l’Ile, à laquelle une lettre m’a conduit, de laquelle une lettre me permet de m’évader. J’ai concrétisé le 2ème sommaire par les symboles du Hérisson et du Flocon, selon que la pique sépare ou rassemble. Une autre illustration m’est nécessaire ici : la matrice maternelle, et un autre symbole : la matrice abstraite, mathématique.

Toutes deux tendent à produire : une réalité, le bébé ou l’œuf, lorsque l’organe mâle, le droit, l’a pénétrée d’abord ; ou bien quelque suite de topiques systématiques, lorsque la diagonale, l’intégrale ou la 3ème force vient s’adjoindre, s’inscrire en un triangle premier. Telles les matrices de Newton, d’Avogadro, de Boole, de Mendeleïev, d’Einstein, non moins que la martingale du joueur.

Un esprit simple parlera de la concrétude de la matrice maternelle, de l’abstraction de la matrice scientiste. Un savant parlera de « mue » pour la première, de « déplacement » pour la seconde. Mais presque tous croiront tout dire en opposant le temps (il faudra 9 mois à une mère humaine) à l’espace où s’inscrit la formule symbolique.

Cette dialectique n’est pas à rejeter. Elle est à dédoubler, pour y voir clair. Car je nomme espace, tout à la fois, l’étendue mesurable d’un corps et l’interstice, l’intervalle qui se situe entre des étendues et qui les sépare, plus difficile à mesurer comme l’ont prouvé le « baderne » hellénistique, les intermédiaires de Kepler et d’ailleurs toutes nos sciences.

Quant au Temps, certains le considèrent comme une droite, dotée d’un sens : le Progrès ; d’autres comme un cercle, un cycle (le jour, l’année, le cycle d’activité solaire, etc.). Si le cycle est mesurable avant qu’il se renouvelle, par sa répétition même, une durée ne l’est jamais exactement (celle d’un vivant avant sa mort), bien que la sommation « e-1 » me permette d’y tendre.

Rien n’empêchera JE de dédoubler encore ces 2 quadrilogies. Il parlera des 4 cardinaux dans l’Espace, ou des 4 Temps : l’enfance, la jeunesse, la maturité, la vieillesse, en les équivalant aux 4 saisons ou 4 moments du cycle circadien : le matin, l’après-midi, le crépuscule, la nuit, avec lesquels les 4 phases d’une durée ne coïncident pas. Mais les 4 cardinaux du vide spatial non plus ne sont pas ceux d’une étendue.

A première vue, on ne verra pas comment ces 4, ou 8 ou 16 catégories du Temps et de l’Espace se laissent comparer aux 2 matrices : celle qui cache, la maternelle, et celle qui casse, la systématique.

De fait, l’Espace et le Temps ne semblent pas jouer de la casse et de la cache. Ils disent le successif et le simultané.

Successifs sont les âges dans une durée, de l’enfance à la vieillesse. Le sont aussi les saisons dans le cycle.

Simultanés, les cycles dans une durée : je vis à la fois dans le jour, le mois lunaire, l’année, les cycles d’activité solaire, et l’humanité en ces cycles mais aussi en d’autres : les ères, les périodes glaciaires ou interglaciaires de la Grande Année. Et de même simultanées les étendues au même lieu que leurs intervalles…

Prisonnier de la gare de Nantes, entre ma sortie du train et ma sortie de la gare, mais non de mon entrée dans la gare (le train y est déjà) ou de mon entrée dans Nantes (la gare y est), je serai successivement sur ce quai (ma vie) entre les voies (ma mort), ou dans l’air libre et dans les couloirs souterrains. Mais les quais et les voies, l’apparent et le caché sont bien simultanés : ils font la gare. Et le sont de même, simultanés, ma considération de la chose et mon projet, besoin, de m’en arracher.

Comment faire comprendre cela, que je constate ?

L’Espace est un puzzle : un assemblage de morceaux, une casse, mais qu’il me faut considérer en son ensemble, si je veux mesurer l’accroissement de l’étendue (sa victoire sur l’intervalle) ou sa restriction à l’inverse. Le Temps joue des 2 caches, soit que le cycle ma cache la durée, soit à l’inverse : répétitif le cycle, mortelle la durée. Je ne peux en traiter que fragmentairement, car l’un exclut l’autre (la cache n’est pas la même, du passé à l’avenir ou du devenir au devenu).

Traitant tout à la fois du Temps et de l’Espace, Heidegger m’a montré — démontré — l’existence des 2 voies : de l’appropriation du plus grand nombre à la résignation à la mort, à la fin (quelque inventaire ou sommaire, mais la sommation « e-1 »).

Ou du résignement (de l’inutile, du superflu) à l’appropriement vers Pi/4 ou vers l’infrarouge, depuis l’ultraviolet :

ENIGME005

La casse et la cache sont au cœur, au centre, dans un sens et dans le cens. La matrice maternelle concrète dans un sens, la matrice mathématique, abstraite dans l’autre, si je joue des sens — direct ou précessionnel ; mais tout autrement le sens et le cens.

Esclave du Progrès, le rationnel refuse le cens. Il ne tolère que le sens de la cause à l’effet, du passé à l’avenir.

A la limite, l’irrationnel, le récurrent, a refusé le sens, il ne joue que des recensements de ce qui lui reste.

Pour atteindre à leur but, à leur enjeu, le rationnel œuvre, il opère, retranchant ; l’irrationnel quête, assimilant ses découvertes discontinues : il occupe ce domaine après celui-là, niant les autres.

Mais c’est le rationnel qui occupe de nouveaux territoires, par l’appropriation (la prise, l’annexion) ; c’est l’irrationnel qui opère, retranche (la mise à l’écart, l’annexe), dès le départ, dès son résignement.

Comment JE peut-il s’en sortir — ou y entrer ?

C’est une droite (ou un ensemble de droites) qui motive ou découvre l’Ile au trésor, assemble les flocons, est le rayon de la matrice maternelle. C’est une droite ou un ensemble de droites qui permettront — peut-être — la sortie de l’île, la défense du hérisson, l’aboutissement de la martingale (diagonale, intégrale, 3ème force).

Si les objets choisis : l’Ile au trésor ou l’Ile du naufragé, le flocon ou le hérisson, les 2 matrices, sont droits et courbes, il faut bien que le droit ait précédé le courbe, ou le courbe le droit.

Au plus simple, le lien entre les 2 sommaires ou les 2 sommes sera la 1ère relation : un récit ou une fonction, une légende mythique ou un rapport rationnel : une image, un symbole.

Comme l’illustre en effet « Un handicapé gare de Nantes », entre le cassé (les voies entre les quais) et le caché (le couloir souterrain)…

Mais, si le plan de la gare est une chose, ou se compose de ces choses : les quais, les voies, c’est une tout autre chose que disent l’ascension et la descente, vers le caché (les souterrains) ou depuis eux.

Les aspects de la chose

Du réel à la chose ou de la chose à l’objectif réel, j’ai pu considérer l’énigme comme un piège et sa résolution comme un jeu de figures ou de nombres. Par les sommaires.

La figure est l’X entre 2 O, ou le O entre 2 X.

O X 0 ou X O X.

Le nombrage du O en fait l’absence, le vide (un espace/intervalle) ou le non-considéré : l’avant-naissance, l’après-mort, de part et d’autre d’une durée.

L’X se présente toujours ainsi :

ENIGME006

Il se nombre toujours par les formules ou équations :

M = (N+U)/2 et 2m = N+U ;

N/U = 12/7 ou (e-1) et, donc, 2m = 12+7 = 19, m = 19/2.

Mais la série des moyennes me donnera une série d’irrationnels :

m =V (T-1), (T-1), V(e-1),Q (le nombre d’or), V5,

Pour N = (T-1), V(e-1),Q, V5, V12 (approchée),

Puis une série d’entiers : 6, 11, 21, 41…

Pour N = 11, 21, 41, 81…

A la seule condition que v(T-1) = T/2. V(T-1) = 1,0777 et T = 2,1555…

10 T égaleront alors 4 Pi (e-1) ou 21,556 pour N, et l’Unité u : 4 Pi.

10 Pi égaleront 12 nombres d’or au carré : 31,416.

Et V(e-1) égalera Q2/2 ou (Q+1)/2.

10 = T3, 100 = T6, 1000 = T9, etc.

La figure de l’X est nombrable à l’infini, comme du train dans la gare, de la Gare dans Nantes, de Nantes dans le pays, du pays dans l’Etat, etc.

Mais, qu’il s’agisse d’une autre issue que le « produit », du contraire de l’éveil, ou de l’antinomie : rêve/cauchemar, on voit que « Somme » — le mot — offrira de tout autres jeux que ceux de la figure et des nombre. Par les sens signifiés du mot, en sémantique, plutôt que par ses sens directionnels, nombrés et dynamiques, car la sommation demeure constante, positionnée (en sommation) ; plutôt que par les sens sensoriels qui que la figure est saisissable ou non.

Tout se réduit aux aspects de la chose : le nombre, la figure et le vocable.

La note

Il est d’usage, dans les dernières pages d’un livre, de rassembler quelques notes de références aux ouvrages, récits, études, dont l’auteur s’est servi. Ces notes diversifient le propos de l’auteur non moins qu’elles ne le justifient. Je me refuse au premier objectif de la note, jugeant le propos assez diversifié déjà. Mais il reste à le justifier.

Ce sera par une référence unique aux rares ouvrages — les seuls vestiges de notre passé — qui nous disent de l’Ile et de la Gare en somme tout ce que nous avons besoin de savoir.

Ile et gare ne sont que des séjours. Elles se distinguent en cela que l’Ile apparait dans le Voyage, la Gare dans le Passage.

Or, historiquement, voyage et passage sont rigoureusement datés.

 

Le voyage et l’île

Ils apparaissent vers 3200 avant J.-C., vers 1000 avant J.-C., vers 1000 après le Christ. Mais les dates demeurent imprécises, au siècle près, car les récits de ces voyages leur sont postérieurs de deux siècles au moins. La seule certitude est ici que le voyageur, toujours, se met en route immédiatement après de grands combats et l’évènement terrible qu’est l’éloignement d’un dieu.

Gilgamesh a perdu la foi de ses pères dans le Créateur ; revenu au mythe précédent, il recherche Enki-dou, l’Enki double, l’ineffable androgyne qu’il nomme son ami. De séjour en séjour, jusqu’au fond des Enfers il quête l’ami mort. Ulysse a perdu la foi de ses pères, en la Justice du Bélier, il quête une fécondation nouvelle, par l’amour d’une déesse vierge et créatrice ; elle n’apparait pas dans les premières îles où il est jeté, vers l’Islande ; elle sera en toutes les îles du retour : la sorcière Circé, la plaisante Calypso, l’adorable Nausicaa. Simbad ne croit plus en l’Amour de ses pères : l’attente d’une autre justice le hante, qu’il nomme : rémunération.

Si Gilgamesh se laisse porter par quelque Voix ou quelque Souffle (mais le Vent n’est plus là), Ulysse ne rêve que d’une préservation, d’un refuge (mais la Vierge est morte), Simbad n’ambitionne que l’Or (mais le Roi est fait néant, le Soleil s’est occulté). D’où, leurs quêtes insensées vers l’ouest d’abord, puis vers l’est. Je pourrais détailler les 3 voyages, y dénombrer les séjours ou les îles, mais cette étude seule exigerait d’autres livres — inutiles puisque ils sont écrits.

Je traiterai seulement du plus proche, et de l’évolution de l’Ile qui a suivi.

Ce sera par les 5 phases que disent les œuvres du Moyen Age (finissant), la Renaissance, le temps des classiques, le temps de la spéculation, le romantisme et le symbolisme du 19èmesiècle.

1) Au Moyen Age, dès le 11ème siècle, l’Ile est un lieu de rencontre, généralement entre 2 frères, dont l’un a vécu dans la Ville, dans la société, l’autre en solitaire dans l’île. Comparant leurs deux expériences, ils devront considérer que l’ésotérisme scientiste et l’observation de la nature les ont menés au même point : l’éparpillement de Dieu en ses noms divers et la synthèse de tous ces noms dans le Nom. Sur quatre siècles, les deux scolastiques ne diront rien d’autre, bien que les universaux de l’une s’opposent à l’universel de l’autre, tandis que les moines en leur solitude et les chevaliers en leurs sociétés ne feront rien que s’affronter, au Japon (bushidos, samouraïs) comme au plus profond de l’Occident (le Serpent et l’Aigle chez les Vikings ou les Amérindiens).

2) La Renaissance offre des œuvres nombreuses, de Thomas More à Shakespeare. Mais « La Tempête » ne dit pas autre chose que l’Utopie, Rabelais entre les deux, dont le jeu porte sur l’Utopie et la Dipsodie.

L4Ile se peuple dans l’Utopie (de juges, de papefigues ou de papalins, de souverains déchus et de mercenaires), ou elle se dépeuple, de la réalité transcendante (de l’Abraxas de Thomas More, des Géants de Rabelais, de l’ange — Ariel — et du démon — Caliban — chez Shakespeare). L’invasion des premiers et la retraite des seconds ne sont pas successifs : elles sont simultanées. La raison gagne sur la foi : More, Rabelais, Shakespeare n’y peuvent rien, non plus que cent autres, d’Erasme à Scève, de Ronsard à Cervantès ou Calderon. Tous considèrent plutôt qu’ils ne commentent, mais ils créent (leurs œuvres sont là) plutôt qu’ils ne quêtent : que quêteraient-ils, au-delà du Graal ?

Les œuvres de la nostalgie ou du rire (de dérision) les avaient précédés de 2 siècles : Villon, Boccace, Chaucer, au lendemain des Grandes Pestes. Les baroques par l’extravagance et les Classiques, par la répétition, suivront, au 17ème siècle. Ils diront peu de choses sur l’Ile, sauf leurs efforts afin de s’y accoutumer ou pour tenter de s’en évader, comme le Robinson de Daniel Defoe. Car JE y est seul, dans l’attente des Envahisseurs, en la seule compagnie de Vendredi, le jour de Vénus, du Poisson, de l’Amour et du jeûne… Mais c’est déjà la 3ème phase (3) en ce qui concerne l’Ile.

4) La 4ème phase suit de peu, dès la première moitié  du 18ème siècle, par les voyages de Gulliver.

Le Moyen Age a vu dans l’Ile un lieu de rencontre et d’accord, l’ultime espoir de JE en somme ; puis le conflit a gagné, dans le sarcasme et le quolibet. La Renaissance n’a pu que constater la victoire de la raison sur la foi, risible dans la mesure où il ne s’agit en fait que du regain d’un dieu plus ancien (de Justice) par le déclin du dernier dieu (d’Amour) ; de ce Vivant il ne reste plus, au siècle suivant, que le Vendredi alors que l’Ile a révélé sa solitude.

Mais toutes ces lectures considéraient en l’Ile une réalité, de plus en plus chosifiée en quelque sorte. Au-delà de Robinson, elle se dit comme une entité, une spéculation. Dans ce vide de la présence un autre temps s’instaure : l’avenir. D’où, les vaticinations de Swift et les 4 voyages de Gulliver, dont le 3ème révèle 3 îles différentes.

Le 1er le mène chez les géants, au temps des Rois, dont l’âge s’achève, l’âge des héros ; le 2ème dans l’île des nains, dont le temps s’ouvre : les femmes y seront maîtresses et le mythe de l’Egalité l’emportera sur tous les autres.

Les 3 îles du 3ème voyage seront : l’île volante dans le ciel, la Savante sur la terre (chaque scientiste enfermé dans son Académie) et le cercle ou la secte des spirites, des occultistes, des mages sans pouvoir et coupée du monde.

Le dernier séjour de Gulliver, parmi les Chevaux le fera de nouveau pénétrer en « nature » mais par l’accession inattendue à un monde autre, à peine humain ou dans lequel l’humanité, redevenue humble, n’occupera qu’un emploi, ne sera qu’un moyen.

Le caractère mythique des 4 voyages (et 6 séjours) nous est montré par leur succession même, qui est celle des signes zodiacaux en leur ordre précessionnel : le Roi-Lion, la Vierge, puis le Souffle-égalité ou la Balance, qui tient en équilibre dans le ciel Laputa. L’Inconscient scorpionnaire suit par ses « analyses » parfaitement cloisonnées ou son ésotérisme non moins virtuel.

Le Sagittaire achève le parcours, en son symbole le plus ancien et durable : le Cheval : le Centaure ou les Cavaliers de l’Apocalypse. Celui dont le destin est d’aller. Plus loin le Cheval-centaure ; plus haut Pégase ou le Cheval Volant de l’Islam.

Depuis l’écriture des Gulliver ou depuis la date de fondation de la Franc-maçonnerie spéculative : 1728, les voyages et les îles disent les 5 siècles à venir : nul commentateur érudit de Swift ne s’y trompera.

5) Le compte pourrait s’interrompre là, car il semble que tout soit dit, du réel chosifié à la chose irréelle. Et, de fait, pendant deux siècles, en dépit de l’abondance des voyages d’une part, des anticipations de l’autre, l’Ile demeure « perdue » et sa symbolique même absente ou dispersée au gré de la plus grande fantaisie.

Illustration Pierre-Jean Debenat

Illustration Pierre-Jean Debenat

La symbolique du relais, puis de la gare, a pris sa place. Le passage supplée au voyage, ou la notion de correspondance à celle de lettre.

Mais, avant que de traiter de la gare, un autre objet, il me faut bien considérer la lettre, précisément, ou plutôt ces 2, car il y a celle qui suit le séjour dans l’île et celle qui le précède.

La 1ère : une lettre dans la bouteille, la seconde un cryptogramme, l’énigme même. Et l’île, entre les deux, se fait double aussi.

De la première nous avons tout dit, de « L’Ile du Solitaire » à Robinson ou de 1100 à 1700. Cette 1ère a construit les livres, bien sûr. Mais, plus précisément, elle fut le germe du dialogue, du conflit, de l’utopie. Elle est encore le seul recours de Robinson : la Bible, le Livre, qu’il promène partout avec lui. En son terme, elle n’est plus que la lettre dans la bouteille, que le naufragé jette à la mer, dans l’espoir d’un salut de moins en moins probable.

Quand l’Ile reparait, grâce à Stevenson, elle est devenue « L’Ile au Trésor », mais ce fut déjà ce trésor qui acharna les rares quêteurs du siècle dernier (le 19ème), spirituel dans tous les Voyages en Orient, de Chateaubriand ou de Nerval, très matériel pour les archéologues scientistes et les explorateurs : un secret de l’univers que l’île révélerait, par les vestiges du Passé, du « plus ancien ».

C’est Edgar Poe qui fait de la lettre un cryptogramme, écrit pour découvrir (et l’Arbre est déjà bien une île pour un Legrand). Mais c’est « L’Ile au Trésor » qui révèle la clé en faisant du quêteur l’Enfant. Historiquement, il est certain que le pirate, le flibustier, le corsaire fut au départ de cette lecture nouvelle de l’Ile, car lui seul a caché le trésor, écrit la lettre.

Par des rébus semblables ou analogues, le « bateau ivre » et le « bateau-lit » auront redécouvert l’Ile. Mais Rimbaud et Jarry, sur 40 ans se tiennent de part et d’autre de « La machine célibataire », cœur de la gare. Stevenson s’y tient aussi, ce n’est pas un hasard. Non plus que l’analyste y jouxte le « monde perdu ». Car la lecture de l’île au trésor exclut celle de l’île du naufragé, comme la chose à venir la chose qui fut.

Au cœur du 20ème siècle, Umberto Eco dira les 2 Iles, sous le nom d’Ile du Jour d’avant, que ce jour soit hier ou demain. Mais c’est encore la gare, passage plutôt que séjour.

Voyons la gare.

 

La gare

En quoi n’est-elle pas l’Ile ?

Au contraire de l’Ile, c’est une construction de l’homme (JE).

L’étude de l’Ile nous a menés d’un peuplement, par Dieu même, puis des anges, des démons et des envahisseurs, au dépeuplement absolu, puis à la vaticination, dans l’avenir utopique ou messianiste, dans la virtualité qui la dissipe.

Cette étude nous mène, par suite, de la Cité de Dieu aux cités de l’homme selon l’homme de foi. Du passé à l’avenir selon l’homme de  raison. Comme de 900 à 1900, ou plutôt de 900 à 1800, si je ne traite que des 4 premières phases, depuis le cœur du Royaume jusqu’en l’apogée de la raison.

La gare est d’abord un lieu vide, quelque désert, que l’objectif est de peupler. En Europe comme en Amérique, la ville se crée ou se développe autour de et grâce à la gare.

Mais c’est le chemin de fer qui fait la gare, comme, il y a deux mille ans ce furent les routes, hellénistiques puis romaines qui firent le relais. Deux mille ans plus tôt, la figure d’Outoul-Enlil n’ordonne les 2 voies de l’aller et du retour que par de telles stations, du désarroi, du désespoir et du malheur dans ce sens-ci, de l’espérance, du regain, de la nouvelle plénitude en ce sens-là.

Relais et gares ne parlent pas des lettres mais des correspondances. C’est que l’Ile est isolée, des lettres sont nécessaires pour en sortir ou y atteindre. La gare communique. Par quoi ? Par la contenance. La gare contient le train, qui contint les voyageurs ; elle est contenue dans la ville, elle-même contenue dans le pays.

L’Ile n’est que ce qu’elle est, dans l’inconnu ou l’X : JE peut la lire, rien de plus. La gare est contenante et contenue. Elle impose non seulement l’entrée et la sortie mais le passage — ouvert ou fermé — avec des mondes tout autres. Elle joue de la chose (le mot) et de la pensée, tenue pour le réel. Elle fait communiquer les mondes entre eux, par la pluralité des îles ou des gares.

N’est-ce pas pourquoi les « machines célibataires » vers 1900, ou les badernes sophistes, dès le 3ème siècle avant J.-C. y apparaissent conjointement avec les relais et les gares ? Mais, dans la baderne hellénistique comme dans les machines de Duchamp, de Jarry, de Kafka, de Roussel, l’Unité, la « mariée pendue » demeure inaccessible.

ENIGME007

L’horizontal et le vertical

Pourquoi l’île ? Pourquoi la gare ?

Afin de le saisir pleinement, nous voyons que d’autres objets sont nécessaires, que la relation projette déjà en ses deux sens premiers : un récit — un rapport. Le récit nous impose la lettre et le rapport une correspondance. Puis, la lettre est au germe de l’œuvre et du spectacle ; une correspondance au terme de la quête et de la vie.

L’île nous a reconduits à quelque corps bardé de piquons, associatifs dans la neige, dissociatifs chez le hérisson, aux temps de l’accord et du désaccord, et, pour finir, aux 2 matrices : celle dont la diagonale permet de s’arracher, celle, circulaire ou sphérique, que le pénis, le rayon a d’abord pénétrée, la suscitant ou remplissant : l’île au trésor.

Tout autrement, la gare ou le relais inspirent les machines factrices (badernes ou célibataires), car ils sont eux-mêmes des créations. A la limite la gare n’a rien d’une matrice, mais elle réalise une jonction parfaite entre l’espace et le temps, qui ne se produit en effet qu’en ce lieu et à cette heure, où la voie sera mortelle ou non, si nul convoi n’y passe. Non seulement l’heure mais le quai ou la voie seront inscrits sur le tableau ; et sur d’autres tableaux les heures et les quais d’arrivée ou de départ.

Depuis l’île, du naufragé au trésor, un corps et ses piquons, puis les matrices. Entre les 2 lettres — la relation/récit.

Depuis la gare ou en elle, les machines factrices ou non, l’espace et le temps pour finir. Par les correspondances ou les rapports de la 2ème relation.

L’île peut être volante, comme le Cheval marin de Simbad ou la baleine des saints navigateurs surgit de l’onde. Elle-même, l’île, a surgi de l’onde un jour : elle y retournera, comme l’œuf ou le bébé s’arrachent à la matrice réelle, comme les piquons jaillissent ou non du corps du hérisson ou du flocon.

Horizontale par ses quais et ses voies, la gare permet au passager d’accéder à d’autres plans, qu’on nomme des niveaux, où des couloirs, aériens, souterrains, évitent les voies. Ceux que l’handicapé doit emprunter ne sont pas ceux qu’utilise le voyageur « normal » ; mais tous doivent monter ou descendre à quelque moment, quelque part. Si l’horaire ouvre ou ferme tels passages, spatialement ils sont toujours là.

L’île et la gare ne cessent de jouer de l’horizontal et du vertical. Paradoxalement dans le Plan. Mais, en effet, sans ces deux voies perpendiculaires, que seraient le corps et les piquons, les matrices, les machines factrices, l’espace et le temps ?

Jean-Charles Pichon

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L’ENIGME – Deuxième livre

Deuxième livre :

L’EDIFICATION

L’extrême complexité de l’Enigme ne peut être liée à sa constatation, non plus qu’aux 2 constatations inventoriales dont 2 sommaires portent l’alternative : c’est ceci ou cela. Nul plan ne la contient toute si le plan est partiel : il en faut au moins 2, mais chacun d’eux éclaire. Si le Plan contient les 2 sommaires, successivement, chaque phase systématique en étant éclairée, l’ensemble ne peut pas ne pas l’être.

Si ce raisonnement ne comble pas le raisonneur, il lui est loisible d’user de quelque autre. Si ce qui est et qui me contient offre la diversité la plus grande et si JE ne peut que réduire Cela, cette pluralité, à l’image qu’il se donne de l’Univers (en un moment de sa vie ou une phase de son œuvre), c’est donc que JE lui-même peut être diversifié et que cette pluralité motive celle des images qu’il se donne de ce qui est. Car, si le contenant ne peut être que pluriel, il faut que JE, pluriel, soit contenant à son tour, non seulement de la notion de Chose mais de la notion de Réel…

De fait, JE, comme toute chose réelle, se définit par sa position, en ce point du temps ou de l’espace, et son mouvement dans l’un ou l’autre, par déplacement dans l’espace, par mutation dans le temps.

En progression (+) ou dégression (-), JE suit des chemins parallèles ou qui se croisent, mais aussi droits ou courbes.

Il rencontre un jour sa limite, la brise et s’en échappe, ou se brise et s’éparpille.

Mais, qu’il soit chandelier, échafaudage, coquetier dans l’espace, ou sablier dans le temps qui s’écoule en lui, il demeure un être vertical.

Il l’est encore, œuf que porte le coquetier ou toupie, en sa rotation, puisque le temps continu évolue en spirale.

Il l’est toujours, vertical, dans le jet qui le transporte à sa limite et dans sa brisure (la mort) et son éparpillement (en pluie : la foule), selon qu’il se maintient régulier ou change et se change, comme du jet en pluie.

JE se développe (ou se réduit, dans l’autre sens).

Il atteint ou non sa limite, une contradiction.

Il la brise ou s’y brise, provoquant de toute façon la retombée d’une pluie.

Verticalement toujours, dans l’édification ou son inverse, dont il nous faut parler, ici et maintenant.

1 – Le 1er raisonnement et la question

Le 1er raisonnement joue du contenant et du contenu, en même temps et dans le même espace que de pluriel et du singulier. Les questions devraient être : du contenant et du contenu, lequel est singulier, une Chose, lequel pluriel, le Réel ?

Or, JE ne saisit qu’une chose en soi : soi-même, ce que je suis.

Ce qui est, réel ou chose, devra lui apparaître comme son contenant pluriel, ou son contenu, singulier. Ou à l’inverse, en faisant de son contenant une chose : Dieu, l’algorithme universel, et de JE, le Même, le diversificateur de la Chose, par les images qu’il en reçoit ou par les symboles qu’il s’en crée.

Mais distingue-t-il exactement lui-même s’il est pluriel ou singulier ? Il ne peut considérer que des choses considérables ou que sa mémoire a faites telles. Il ne peut raisonner que sur ou vers un Univers unifié, c’est-à-dire raisonnable.

Sa dialectique propre ne porte plus sur le réel et sur la chose, dans l’alternative du pari, mais sur le considérable, discontinu, distingué (par les sommaires et le plan) ou sur le raisonnable, continu, conséquent. La conséquence ne tolère qu’un seul sens temporel : de la cause à l’effet, du passé à l’avenir, sur lequel se fonde précisément tout raisonnement, toute réduction au plan — du réel à la chose.

Du contenant au contenu.

Au contraire, la considération (accordée au plus grand donné pour « supérieur ») semble jouer de l’espace, où elle s’oppose au rejet, au mépris, consacré au plus petit, à l’inférieur. Ici — non pas maintenant — telle étendue gagne sur l’intervalle qui sépare les étendues : elle se développe, croît, s’amplifie ; ou l’espace/intervalle gagne sur l’étendue, qu’il réduit, amincit, éclipse.

La question, toute simple au début : « Pourquoi cela est-il là plutôt qu’une autre chose ? » en appellera 3 autres : quoi, qu’est cela ? Où, là ? Qu’est-ce qu’être : en devenir, étant, devenant ? Ou devenu ?

Puis, la question elle-même ne sera qu’une parmi 3, dont les 2 autres seront : Pourquoi cette question : parce que ou pour que ? Pourquoi questionner : afin de savoir si je dois poursuivre tout droit ou bifurquer ; continuer ou revenir ?

A la limite : dois-je planifier, par le souvenir (devenu « cause ») ? Ou dois-je m’édifier, par le propos, le projet ou la motivation ?

Suis-je plus singulier que pluriel ? Ou plus ceci que cela ?

Contenant et pouvant dire l’objet (quoi ?), le lieu (où ?), ce qu’est l’Etre ; ou contenu, par ma question, en d’autres, plus générales ?

 

Les 6 questions — ou les 5 ?

Un 1er schème nous offre 3 ordres de questions :

a) En quoi l’édifice s’oppose-t-il au plan ? Il est abstrait, non concret ; vertical, non horizontal ; fondé sur le projet (à venir), non plus sur le souvenir (du passé).

b) En un 2ème schème, les réponses se dialectisent, et les questions se multiplient.

Pourquoi cet objet est-il là, en ses aspects. Quel objet ? Comment est-il ? Où ? Nommable ? Nombrable ? Figuré ?

Ou dans ces concepts divers : l’abstraction ou la concrétude, dans le temps ou dans l’espace ? Horizontal ou vertical dans un espace ?

De l’avenir ou du passé dans le temps ?

Je répondrai déjà au 2ème doute : pourquoi cette question ? J’y répondrai « parce que », jouant de la cause, au passé, ou « pour que », en jouant du projet, dans l’avenir. Je pose la question afin de savoir, vers le Vrai, ou de progresser vers le Bien.

Mais, ce faisant, je rattacherai l’objet en vérité à la constatation plutôt qu’à la mémoire : il me faudra que ce que je vois soit vrai. Soit un coquetier soit un sablier. Soit un œuf soit une toupie. Je rattacherai l’objet à une quelconque morale, au sentiment qu’il me procure plutôt qu’à un quelconque projet. Le coquetier rassure, le sablier épouvante. Si l’œuf donne espérance, la toupie ne donne que le tournis. D’où la nécessité d’un 3ème schème, d’un 3ème ordre de questions.

c) Cette 3ème question, la plus générale, sera : pourquoi questionner ? JE (l’humain) est-il le seul vivant à le faire ? Le cristal, le corail, la plante, l’animal questionnent-ils aussi ? Pourquoi ? Pour décider s’il faut poursuivre — dans le même sens, tout droit, ou dans un autre sens : bifurquer, revenir ? Mais, d’abord, bouger afin que cela change ou demeurer sur place pour que tout soit maintenu.

Ce sera ainsi : ai-je bien atteint à ma limite ? Puis-je la briser ou m’y briserai-je ? La position et le mouvement de l’objet, les miens, auront pris le pas sur l’espace et le temps, sur ma foi ou ma raison. Dirai-je ces dialectiques 6 ? Ou dois-je les dire 5, la question au cœur, au pivot de la balance qui reconduit l’aspect au concept, les objets à quelque jeu ?

 

2 — Le 2ème raisonnement et l’édification

Brièvement, nous avons pu dire du 2ème raisonnement qu’il donne des figures diverses à toute verticalité :

le coquetier et le sablier, dans l’espace ou le temps,

l’œuf et la toupie, dans la mutation mais le mûrissement, ou le déplacement, la rotation : une étendue en expansion, un temps cyclique. Et, finalement, la Raison qui veut forcer le mûrissement, le précipiter, et la Foi, qui craint le cycle alors qu’elle y est contenue ;

le jet et la pluie au terme, par le bris du contenant (le jet) ou du contenu (la pluie), comme de la montée à la descente.

Ces 3 objets dialectiques (ou 6 objets singuliers) figurent, à eux trois, toute verticalité, mais ils ne disent pas clairement si cette verticalité est à prendre dans un sens, du coquetier/sablier à la pluie/jet, ou bien dans l’autre, comme de l’éclat (bris/dispersion) à l’espace/temps du coquetier et du sablier.

Comme une montée (un soulèvement) ou une retombée (un versement).

Les sens de « soulèvement » sont 3 : élévation, révolution, révélation (soulever une contradiction, un lièvre).

Le versement est trilogique non moins : une chute (le versement de la calèche ou du wagon), une inversion (le renversement ou conversion de ce raisonnement ou de cette croyance), une dispensation, comme je verse, déverse quelque liquide, eau ou vin.

Comment l’un peut-il se faire l’autre : le soulèvement le versement ?

Ou à l’inverse ?

Comme la base peut se faire le sommet, ou le sommet la base. 2 mots l’ont fait sur moins de mille ans, plus de huit siècles : le sommier et le soubassement.

Du sommier (bête de somme) au sommier inventaire (judiciaire, à notre époque encore), par les sommiers qui portent le matelas ou le cercle central du tonneau. Du soubassement terminal : l’évasement d’une cheminée au soubassement premier : la base et le support de l’édifice, par d’innombrables soubassements intermédiaires : le parquet du manège ou la terminaison du rideau du lit clos.

On dira que cela n’est plus que jeux (de mots). Mais, de fait, tout jeu comporte une donne, une partie et un enjeu. Selon que je considère en la partie un morceau du tout ou l’ensemble des coups possibles ou joués, l’enjeu se situera tout au début du jeu : un projet, ou en sa fin : en son gain ou sa perte.

Les 6 et les 5

Si JE ne conçoit pas clairement cette trilogie des phases en tout jeu : donne, partie, enjeu, d’une part, et de l’autre la trilogie des jeux et de leurs objets : des pièces, des dés, des cartes, il devra considérer d’autres ensembles trilogiques, tels que des œuvres mythiques d’une part et des concepts de l’autre.

En A, ces objets, les Œuvres, offrent 3 ordres : monothéistes tels que les Testaments, l’Ancien ou le Nouveau, ou le brahmanisme védique et bouddhisme (hors des Védas) : des dieux de Justice d’une part, le Dieu Iahvé ou Brahma, des dieux d’Amour de l’autre : Jésus-Christ ou le Bouddha de Charité, de la Grande Voie.

Tous ont connu un temps de formation, une apogée et un déclin.

Une montée, un sommet et une descente, ou une descente, une vallée, une ascension, selon que je considère ce Dieu en sa durée ou ces Dieux en leurs cycles.

En B, car le concept est intervenu, mais dans un 2ème ordre en A : l’objet ésotérique, des prophètes juifs ou de l’Apocalypse (Ouvreurs des chemins, Upanishad dans l’Inde, les 5 Empereurs en Chine ou les 5 Règnes en Occident, etc.).

Autour d’un cœur, d’un centre ou d’un carrefour : le Livre de Miel de l’Apocalypse, Manu ou Amon ailleurs, la formation d’un dieu et le déclin de l’ancien se présentent comme simultanés. Par exemple, l’Apocalypse dit le déclin des Gémeaux, humainement les Deux Témoins, mesureurs, diaboliquement : les fomentateurs des « plaies » ; et la Renaissance du Sagittaire, le Cavalier à l’arc au moment de sa mort, le Cavalier Blanc au terme du récit, par l’Apolyon dans l’Adonaï, puis le dieu de Gloire, puis le Grand Architecte, etc.

Ce sera, dans la lecture juive (de la Kabbale, puis des cabales), le déclin du Serpent, depuis l’S du NASH, par le Sepher, puis le savoir des Sages, mais le renouveau de la Caper, depuis la Roche Première jusqu’à la future Scheschina, Couronne dans le Royaume.

En C, le 3ème ordre d’œuvres, ce sera le panthéisme des Assyriens et des Hittites, des Romains après les Grecs, ou le polythéisme des Noms, des Imams dans l’Islam, mais également les contes qui perdurent ou meurent au cours des âges, admis les uns, maudits et redoutés les autres.

Les 5 clairement ici : monothéisme, ésotérisme, panthéisme, les contes aimés ou maudits. Bien que les 6 soient indubitables : ancien/nouveau, en formation ou en déclin, imposés ou maudits (car, comme les contes, les panthéismes ont eu, auront leurs dieux, leurs anges ou leurs démons, djinns ou génies. Prométhée là, Iblis ici).

Ordre ou désordre ?

D’une certaine manière, dans le cadre de la foi, les croyances m’apparaissent historiquement ordrées. Ce fut, ce sera toujours :

a) le monothéisme d’abord, le Testament en soi, comme donné par Dieu,

b) l’ésotérisme en 2ème, des Nombres, du Lévitique et du Deutéronome — ou de l’Apocalypse,

c) le polythéisme en 3ème, lorsque le grand Dieu s’est dispersé, par les récits mythologiques ou par les Avars, les Imams, les anges et les démons.

Cette suite répète celle des questions : Pourquoi cet objet, là ? Pourquoi cette question ? Pourquoi questionner ?, où la 3ème ne peut venir qu’après la 2ème, celle-ci qu’après la 1ère.

Mais, si le concept intervient, nous voyons que le monothéisme (a) tend à quelque synthèse, que l’ésotérisme se fonde sur l’analyse et que le polythéisme ne m’offre qu’une hypothèse : des dieux lequel fut le plus grand ? Quel démon sera un jour dieu (après sa précipitation ou son supplice) ?

Il m’est devenu impossible de dire quel concept a précédé l’autre. Si la synthèse est mon enjeu, ne me faut-il point partir d’une hypothèse (sous la forme d’un axiome ou d’un pari) ? Ne me faut-il point partir des dieux et de leur danse avant que d’en choisir un ?

Toutefois, des 3 concepts en leur désordre, l’un pourra m’apparaître historiquement ordré en des niveaux divers. Tels, les 3 analystes du 20ème siècle : Freud, Jung, Lacan.

Or, Freud se fonde sur la figure : le patient couché, offert, l’inquisiteur debout, caché. Son allié ou complice est « le plus ancien » (dans la mémoire de l’humanité comme du patient).

Jung se fonde sur le nombre : ses figures — abstraites — sont toujours nombrées, par les 4 cardinaux le cercle ou les 4 vecteurs de sa « machine célibataire », par les 3 Personnes chrétiennes ou les triangles dissociés. Son allié ou complice est le Diabolus (le double symbole), dont Jung ne sait s’il doit en faire la 3ème Personne, l’Esprit, ou le situer comme 4ème hors des 3.

Lacan ne joue que du mot, vide de tout sens : le signifiant-maître. De ce Signifiant insensé (LOU), un contenant propose le sens : mammifère, poisson, masque pour Loup, selon la phrase qui le contient ; une demande de nourriture ou de sommeil, un plaisir ou un désespoir le cri du bébé perçu par la mère.

C’est ici l’analyse, contenue dans les concepts, qui apparaît ordrée — par les aspects : figure, nombre, vocable, quand les concepts ne le sont pas. Qu’en déduire ?

3 — La ou les ribambelles (s), la 2ème relation

Au point où je suis parvenu, je me trouve devant une impasse. Non seulement les 1ères relations (une récit, un rapport) ne me suffisent plus pour justifier mon choix des 3 figures dialectiques, mais ces 3 objets eux-mêmes se présentent tout autrement que les 3 objets retenus pour illustrer le Plan : l’Ile et la Lettre, le Corps et le piquon, les 2 matrices. Pis : ils présentent en succession la dialectique que les objets du Plan me donnaient pour simultanés : le droit et le courbe.

1- le coquetier et le sablier : des droits,

2- l’œuf et la toupie : des courbes,

3- Le bris du jet et l’éparpillement, puis la retombée de la pluie. Lequel ou laquelle droit (e) ou courbe ?

Il en sera de même si je joue des concepts que je leur rattache :

l’espace (le coquetier) et le temps (le sablier),

le développement et la rotation, comme dans la raison et la foi,

la position à la limite et les mouvements d’ascension et de chute.

Laquelle, de ces dialectiques, contient les autres si je joue de cercles concentriques ? Laquelle est avant l’autre, si je joue de vecteurs directionnels ?

Ces questions, au cœur, m’imposent les 5 :

Objets/concepts — questions — aspects/jeux.

A partir de chacun des 3. Car les questions peuvent être concrètement perçues : Quoi ? Comment ? Où ? ou abstraitement disposées : pourquoi cet objet ? Pourquoi cette question ? Pourquoi questionner ?

C’est ce que montre la ribambelle plurielle, en tous ses sens :

une danse, du Moyen Age jusqu’à ce jour, une pluralité organisée ou non (ni valse ni ronde) ;

le mot en son origine, au 12ème siècle : des rubans (rideau, radeau) et une balance ;

une construction, occupation d’oisif par quelque opération.

Mais triple aussi la ribambelle/construction, par les replis de la feuille, en 4, les trous que j’y perce, le déploiement de la feuille, révélant la dentelle.

Ribambelle (s) n’est perçue/conçue, en sa totalité, que par 3 phases opératives dans les 3 sens ou aspects. Non par les 6, mais par les 5. Par la Question au cœur, objets et concepts d’un côté, aspects et jeux de l’autre.

La 2ème relation ne jouera plus du récit et du rapport, mais d’une jonction (la construction) par une disjonction centrale (le trou), ou de la disjonction, entre le nombre (la danse) et le mot, par une jonction centrale : la construction.

Ce sont ici les 3 phases de la construction qui offriront un ordre certain : je dois plier avant de trouer, trouer avant de développer la feuille. Ce doit être : a b c en B.

Les 3 aspects des ribambelles, en leur pluralité, ne peuvent être que désordonnés. Dois-je d’abord dire la danse (une figure) et pour finir le mot, constitué de rubans, d’où se tirèrent : ridelle, rideau (ce qui entoure et tourne) et radelle (radeau), ce qui préserve, sauve, et de balance, ce qui oscille, remplace une position par l’autre ? Ou plutôt, comme historiquement il semble, la création du mot, dès le 10ème siècle, n’a-t-elle pas précédé le choix du mot pour dire une danse informelle ? De toutes façons, la construction ou l’édification de la ribambelle n’apparaît que beaucoup plus tard, après le quolibet du 15ème siècle, le bilboquet du 16ème.

Mais, de toute façon, jouant des 5, ce sont les 3 contenus : a b c de la construction en B qui se présentent comme ordrés, quand les 3 aspects : la danse (un nombre), la figure de la construction et le mot ne présentent aucun sens, aucun ordre assuré.

C’est tout à l’inverse des 3 analyses (et de leurs aspects) ordrés dans les 3 concepts en désordre. Mais à l’inverse ou non des 3 questions abstraites (les pourquoi ?) et des 3 questions concrètes : quoi ? Comment ? Où ? qui renvoient aux aspects. Quant au dilemme : raison/foi, on sait qu’elles ne cessent d’interpréter toutes deux, afin d’être la mieux ordrée.

Une certitude ? Il semble — je ne peux employer un autre mot — que le Même, cette chose : une question, une croyance, un concept, un objet, implique un ordre déterminé — et que l’Autre (différent dans l’autrement, étranger dans l’autre chose) tolère le désordre ou des sens divers.

Une telle distinction suffit en notre temps. Mais elle n’a pas suffi, elle n’existait même pas au temps de l’Israélite et du brahman, où la dialectique maîtresse était du mouvement (approche/éloignement) et du positionnement (peuplement/dépeuplement), à laquelle nos physiciens quantiques reviennent. Lequel, alors, jouissait-il d’un ordre, d’une mesure, le positionnement ou le mouvement ? Dieu conseille à Moïse le cens des 12 tribus, mais c’est le Serpent/Satan qui le conseille à David, et Dieu punit le roi pour avoir obéi. Il faudra Ezéchiel pour oser recenser les tribus aux cardinaux. Heisenberg montre que la constante de Planck n’est que la mesure d’une indétermination. Le jeu de la position et du mouvement n’est pas plus aisé à conduire que le jeu du même et de l’autre : plus risible seulement celui-là, que celui-ci, comme plus ancien.

Il est de fait que, parmi les 6 schèmes, 3 semblent se suffire de la dialectique du Même et de l’Autre, à condition de la dédoubler : la chose même ou la même, l’autre chose, la chose autrement.

Ces 3 sont les Questions : quoi ? comment ? où ? dans le même objectif : répondre à la question 1ère : Pourquoi cet objet est-il là plutôt… ?

Ou les questions tout autres : celle-là, puis : Pourquoi cette question ? Pourquoi questionner ?, que la logique dote d’un ordre.

Les Jeux : enjeu, donne, partie dans le Même : ce jeu ; et, seule ordrée — historiquement — la suite des jeux : d’échecs, de dés, de cartes.

La ou les ribambelle (s), globale (s). Dans le Même (cette construction), les 3 ordrés : le pli, le trou, la dentelle ; dans les autres (sens du mot) : la danse, l’opération figurée, le mot, hors de l’ordre.

Les 3 autres schèmes, qu’on pourrait dire intermédiaires, sont de fait les plus anciens par l’Hébraïsme ou les plus récents, par Planck. Ils jouent de la position et du mouvement.

Les croyances, ordrées dans l’Histoire : monothéisme, ésotérisme, panthéisme ; dans le désordre le polythéisme (panthéons, anges, démons).

Les concepts en désordre : synthèse, analyse, hypothèse, ou les analyses au cœur, de Freud, Jung, Lacan, historiquement ordrées.

Les objets, liés à d’autres concepts : espace/temps, raison/foi, limitation/éclat. Statiques : le coquetier, l’œuf, le bris ; ou dynamiques : le sablier, la toupie, la retombée en pluie d’eau ou de feu. Ordrés en succession (mouvement), sans ordre en positions statiques. Libératoires là, conditionnels ici.

L’énigme cesse d’en être une si je joue des 4 :

des 2 mouvements : déplacement et mue ; des 2 positionnements : disposition, groupage ;

OU des 2 ordres : historique ou logique ; des 2 désordres, par excès des sens, la foule, ou par manque de sens, la mort.

L’Ordre sera contenu ou contenant selon que JE aura joué d’une quadrilogie ou de l’autre (en notre époque, par le Même et l’Autre, comme, dans l’ère précédente, par la position et le mouvement).

Dans l’ensemble de ces 4 et de ces 4 là, le chaos l’emporte à coup sûr (le hasard des Arabes et de Monod). JE n’y atteint à nulle synthèse, à nulle inversion assurée, à nulle nécessité d’un retour : les 3 objectifs de JE. Mais la Ribambelle m’a fait rire.

Les Lettres

 

Il est certain que, de prime abord, l’illustration de la ou des ribambelle (s) semble complètement étrangère aux dialectiques et aux niveaux que projette l’édification : les soulèvements et versements d’une part, ces objets duels de l’autre : le coquetier et le sablier, l’œuf ou la toupie, la limite et l’éclat, qui recouvrent les notions abstraites d’espace et de temps, de position et de mouvement, de fermeture et d’ouverture, mais aussi des questions, des concepts ou des jeux.

Je n’aurais sans doute jamais songé au très étrange rapprochement sans le jeu célèbre de Raymond Roussel, contant comment il a écrit ses livres. L’exemple qu’il en donne consiste en les 2 phrases qui ouvre et ferme l’une de ses nouvelles :

« La lettre qu’écrit le blanc sur la bande du vieux pillard »,

et :

« La lettre qu’écrit le blanc sur la bande du vieux billard ».

La 1ère lettre est une correspondance qu’un homme blanc échange avec un ami policier ou seulement curieux. La seconde lettre est une notation, une note nombrée que la craie (l’autre blanc) inscrit, pour la rappeler après un coup brillant.

Car la lettre est, bien sûr, une correspondance pour l’un, cette note de valeur pour l’autre, le A, le B, le C que le professeur ou l’examinateur inscrit sur la copie de l’élève, dans la marge ou la bande (une 3ème « blanc »). V pour 5, X pour 10, C pour 100 sont de telles lettres nombrées. Mais également Pi pour 3,14, « e » pour 2,718, Phi pour le nombre d’or : 1,618 ou le nombre que j’ai trouvé : Tau pour 2,155 : des sommations.

Cependant, la Lettre en soi est autre chose que cette correspondance ou ce nombre positionné : une note. C’est d’abord un vocable signifiant, courbe (C ou O), droit (A, V ou X).

L’ordre et le désordre : le sens et le cens.

Il apparaît à l’évidence que la lettre nombrée présente un sens : elle n’est que pour cela. De V à X, je double ; d’X à V je réduis de moitié. Il faut 12 nombres d’or au carré pour donner la même somme que 10 Pi : 31,416.

Correspondance, la lettre n’a pas de sens déterminé : elle peut contenir n’importe quoi, dans n’importe quel ordonnancement.

Nous n’avons cessé, en ce 2ème livre, de distinguer l’ordre du désordre, le sens du cens. Par un contenant : l’ensemble des questions possibles, les phases du jeu, les 3 concepts : synthèse, analyse, hypothèse, où l’ordre n’est pas notable, ni démontrable souvent. Et par un contenu : les questions relatives à l’objet : Quoi ? Comment ? Où ?; les analyses dans les concepts ; les instruments du jeu : pièces, dés ou cartes, historiquement ou logiquement doués d’un sens.

J’ai fait remarquer, mais sans m’y attarder, dans une certaine incertitude, que les contenus ne disent que des aspects :

Quoi ? Lacan ou la pièce (des échecs ou des dames), une nomination ;

Comment ? Jung ou le dé, des nombres ;

Par quelque figure : Où ? Freud et les cartes.

Bien que les ordres historiques y puissent être différents : de Freud à Lacan mais des échecs aux cartes, ils nous demeurent imposés, comme le processus logique, du Quoi ? au Où ?

La ou les ribambelle (s) inversent l’évidence, car les aspects, ici, ne sont aucunement ordrés : du jeu contenu dans le mot (ruban/balance) ou de la danse primitive, lequel a précédé ? Historiquement je l’ignore, logiquement je ne puis le déterminer. Mais je sais, historiquement, que la ribambelle (figure construite) a suivi, de plusieurs siècles, le mot et le nombre. Et ce fait rend dérisoire l’espérance d’un ordre.

Au contraire, il est sûr que les 3 opérations centrales, de la figure : le pli, le trou, le déploiement de la dentelle, exigent un ordre déterminé. Je ne dois pas trouer la feuille avant le pli, ni déployer mon œuvre avant d’avoir troué.

Des 5 qui englobent le tout : mot — pliure — trou — dentelle — danse, ou des 3 : pliure, trou, dentelle, qui disent les phases de l’édification, ce sont les 3 qui ordonnent et les 5 qui dispersent dans la danse, rassemblent dans le mot.

Selon que je joue de la note inscrite sur la bande, sur la marge (un trou) ou de la correspondance qui dit tout ce que je sais sur la bande du pillard, dans le désordre évidemment, bien que j’y donne le nombre des complices, des agents, et peut-être des noms…

La relation 2

Une note — historique — a tenté de justifier la dialectique de l’île et de la gare, mais ce ne fut pas sans situer l’île (du naufragé, au trésor) entre les lettres : un message dans la bouteille ou un rébus, un cryptogramme, sans traiter d’une correspondance, parlant de la gare. Considérées d’abord comme parallèles, l’île et la gare m’ont évoqué au terme des perpendiculaires : l’horizontal, le vertical, comme en tout plan. Par les matrices l’île, par l’espace et le temps la gare. Mais tout cela par le seul jeu de mots sur « relation » : un récit, un rapport… Une tout autre relation m’éclairerait-elle ici sur l’ordre et le désordre, le contenu ou le contenant, les aspects de la concrétude, et le non-spectaculaire, quoique spéculatif, des abstractions ?

Ce seront les aboutissements de toute relation : le relais qui unit, la relaxe qui sépare.

Dans le conte et le compte, comme récits ou rapports, la lettre ou la correspondance, les 2 figures notables n’ont cessé d’évoluer au cours des âges, sur les mille ans : de l’île du naufragé à l’île au trésor l’une, du relais postal (sous Louis XI) à la gare du 19ème siècle l’autre. Bien que, de l’île — et de la lettre — à la correspondance le droit et le courbe n’aient cessé d’y coexister, comme du rayon au cercle ici (l’île au trésor, la matrice concrète), comme de l’angle à sa bissectrice (l’île du naufragé, la matrice abstraite) par l’une ou l’autre relation.

C’est tout différemment que, dans l’édification, les 2èmes relations opèrent leurs partages. Dans le récit devenu la correspondance (sur le vieux pillard) ou dans la notation devenue un nombre. Les courbes ici succèdent aux droits, l’œuf/la toupie au coquetier/sablier : ils ne sont plus simultanés. Mais la disjonction et le joint ne s’offrent pas comme simultanés au terme : l’éclat et la limite dans le bris sans l’être dès le départ, où le bris se nomme : déliement.

Le Haut Moyen Age avait inventé le mot : délit pour dire les 2 efforts et les 2 risques, au plus haut de leur synthèse, dans l’Or. Le 1er déliement devait être du bloc aurifère ou d’ardoise à sa cache dans la terre profonde (le 1er délit). Le 2ème délit était le joint qui liait ensemble les feuillets, et sa brisure le déliement deuxième.

Par les estimations des aspects de la chose arrachée à la terre : espèces, spécialités, spéculations, et par celle du joint, de la gêne, du genre, de sa généralité (du génie ou du gène aussi), les 2 déliements ont occupé JE plus d’un millénaire, dressé contre lui-même ; imposé les combats, déplacé les carrefours. Que le JE soit la seule humanité ou la personne (sur moins d’un siècle alors).

C’est alors que, pour y voir clair, JE dit le coquetier, le sablier, l’œuf, la toupie, un autre bris au terme — et que la ou les ribambelle (s) lui propose (nt) sa ou ses clés, ses passes.

Questions, concepts ou jeux disent une chose claire :

Généraux, ils me sont donnés dans le désordre ; particuliers, spéciaux, dans un ordre — historique ou logique : Quoi ? Comment ? Où ?, les analyses de Freud, Jung et Lacan, les pièces, les dés, les cartes.

Non moins clairement, « ribambelle » dit tout l’inverse :

En sa diversité contenante mais dans le désordre, le mot, la danse, la construction ou autrement ;

en sa construction, contenue mais ordrée : le pli, le trou et la dentelle.

Les premiers disent les aspects : le vocable, le nombre, la figure dans le désordre ; la seconde ne les dit pas, ne disant que les phases de la figure. Dans les questions, concepts ou jeux, le genre désordonné tient les 3 aspects ordrés. En « ribambelle », les 3 aspects, désordonnés, contiennent les 3 phases de la construction, ordrés.

L’usage des lettres

Cherchant à définir clairement le nouveau dilemme, je n’ai pu qu’en dénommer — en mon langage, le français — les parties dans le tout, et le Tout (la partie), même en des langues autres que la mienne car ce dilemme-là occupe des millénaires, non plus 10 siècles, ou des générations plutôt que l’individu.

Le vocable n’est pas le mot sans être la lettre.

Le jeu de l’Ancien Grec, il y a quatre mille ans, portait sur le klino et le kline : le lit et l’inclinaison, en jouant du K (ou C) d’une part, du L, à ne pas négliger, du O et du E d’autre part.

Le L a vécu son destin, du licnon (panier/casque) après le lituus (trompette, bâton) mais en même temps que le lictuus et ses licteurs, jouant des flèches du Sagittaire. Il changera de place dans le mot, de la coulpe au couple, avant de disparaître (dans la coupe).

Mais le O et le E disent tout autre chose.

CON (ou M) dit le complet ou le trou : le complot ou la combe, par déviement. La bande des complices du bandit, du pillard, ou celle du billard ou de la copie (la marge).

La combe n’est rien qu’un vide, un creux. En tant que Tout, le complet dit à la fois : une coiffe et une coupe pour le coiffeur, ou l’étoffe et la coupe pour le tailleur, l’effigie et l’alliage pour le faux-monnayeur comme pour le vrai. Toujours : l’effet d’une part, jouant du 1er délit, le joint ou le partage jouant du second.

COU a donné la coulpe en la Justice, le couple en l’Amour, la coupe pour finir (pleine, puis vide dans le Saint Gréal, le Sang Réal, puis le Saint Graal, le ciboire vide), la Coupe de Galaad aussi : la croix sur le bouclier, qui devient le blason.

Mais, autrement, le O a comme tourné en E. OU (OV, puis OF) est devenu EU, par EF ou EV.

Dans le désordre : bref ou brève, ce qui ne dure pas, bief (le fossé, le trou), puis le rêve ou la crève, du spectacle ou de la vie.

En des ordres divers, depuis les deux, les cieux, les dieux, le feu, le neuf et le vieux autour du creux. Comme des Gémeaux, dieux d’air, jusqu’à l’inspiration et l’expiration du Souffle et de la Balance, par la cohérence du Cancer, le feu solaire, la préservation virginale, dans le sens « direct » des entités.

OU dans le sens précessionnel des signes, depuis le bœuf créateur (divinement le Taureau) jusqu’aux Vœux de notre époque, à la fée ou du monastère, par l’œil d’Œdipe et le Loup aveugle, le nœud des Gordiens et d’Alexandre, le cœur, l’œuf de Colomb et de Swift. Par la double diphtongue : OEU.

Illustration Pierre-Jean Debenat

Illustration Pierre-Jean Debenat

Les 2 et les 3

 

Quelle que soit la formulation de l’Enigme, sa figuration, son nombrement ou sa nomination, elle ne requiert — à jamais — que les 2 et les 3. Mais quelle dialectique ? Quelle trilogie ? Au premier regard, le choix en parait hasardeux, car il n’est pas de raison, ni de croyance assurée pour préférer celles-ci à celles-là. Hasardeusement, j’ai dit le Plan (de la gare dans la ville) et l’Edification de la ou des ribambelle(s) comme dialectique première ; les 3 phases du Jeu : la donne, l’enjeu et la partie pour trilogie certaine.

Mais le 2 sera-t-il pris pour l’un des 3 « premiers » ou pour le fondement des multiples pairs ? Pour un pair ou pour un premier ?

Le 3 sera-t-il pris pour le 3ème premier (la dernière dimension observable et vivable) ou pour le premier des impairs ?

Je ne peux jouer du 2 et du 3 sans me voir opposer une quadrilogie : le pair, l’impair, le premier, le multiple.

Il en sera toujours ainsi. Pour me tenir à mon choix : nous avons vu que la Plan réunissait des observations distinctes, mais que ces observations ne sont que des souvenirs et, donc, le champ du Plan celui de la mémoire : le Passé. Différemment, je n’édifie que selon un projet, parmi tous les projets possibles — ou seulement envisageables. C’est au départ un choix, une restriction motivée, justifiée par quelque projection, dans un avenir lointain ou proche.

Le Plan n’est pas horizontal sans être une appropriation dans l’espace et un souvenir du Passé. L’Edification n’est pas verticale sans être un appropriement, par la restriction, et une projection dans l’Avenir. Les 2 sont en fait 4, que je l’accepte ou non.

Que je l’accepte ou non, ma trilogie, de la donne, de l’enjeu et de la partie, se fragmentera sitôt que je l’aurai nommée, nombrée ou figurée.

Pour chaque joueur, la donne n’est que partielle (au 1/2, au moins, entre 2 joueurs). Mais 2 donnes pourront être semblables (aux échecs, aux dames), en toutes leurs pièces, diversement nommées : pions ou figures, pions ou dames. Elles pourront être crues dissemblables, aux cartes (figurées). Elles pourront être crues semblables, aux dés, à la loterie, pareillement nombrées, alors que l’un des partenaires, le tenancier (le casino, l’Etat) en aura ordonné diversement les chances, les probabilités, de manière à s’assurer toujours du gain.

De fait, les donnes seront non seulement semblables ou dissemblables mais définies en position ou mouvement (les pièces), valeur et figuration (les cartes), groupages et destinées vers le gain ou la perte (les dés). Adjointes au semblable et au dissemblable, cette technique et cette chance reconstituent les 4 ; que je nomme technique le choix de la position, l’art du groupage, la considération de la figure ; et que je nomme chance le produit de la tendance, de l’inclination (inclinaison) ou coup.

Pour l’un quelconque des joueurs, l’enjeu peut précéder la donne, quand celle-ci est semblable pour les joueurs (aux échecs ou aux dames). Il suit la donne mais précède la partie lorsque les chances sont dissemblables (aux cartes). Il se modifie, change au cours de la partie, coup après coup, aux dés, à la loterie (et au poker). Au poker comme au baccara, où le nombre prime comme aux dés.

La distinction situe le point où l’enjeu doit se formuler avant la donne, après la donne ou dans le cours de la partie, mais d’autre part précise s’il doit se fonder sur l’espace ou le temps, la raison ou la foi, la position ou le mouvement pour faire court. Et voici de nouveau les 4, bien qu’il soit malaisé de les distinguer des 6 : les 3 positions de l’enjeu et ses 3 fondements.

La partie pose un dilemme différent, toute entière contenue dans le Vocable. Quand je dis « partie », dis-je un fragment du Tout ou l’ensemble des coups ? Ici, les 3 aspects se retrouvent en toutes les distinctions imaginables : des questions, des concepts, des jeux, etc. Mais ils disent le Tout dans les ribambelles : un nombre, une figure, un mot, et un court fragment des concepts : les analyses : figures pour Freud, nombres pour Jung, mot pour Lacan. Ils disent la plus courte question : quel objet ? Pourquoi est-il là plutôt qu’un autre ? Pourquoi cette question ? Pourquoi questionner ?

En chaque jeu particulier — et donc en tous — je pourrai distinguer la donne, la partie, l’enjeu, qui ne doivent rien aux aspects ; mais, historiquement, l’ordre des aspects fut tel : les noms des pièces d’échecs, les nombrements des dés, les figures des cartes.

Tantôt ordrés, historiquement ou logiquement, tantôt dans le désordre les aspects sont présents en toute dialectique, en dépit de la variété des questions, des concepts ou des jeux.

Les 3 ne sont pas ce que, hasardeusement, j’ai avancé, mais ces 3 aspects, sans cesse présents. Les 2 ne sont pas ce que j’ai dit d’abord mais, hors du semblable et de l’ordre, du contenu et du contenant, du continu et du discontinu, du peuplement et du dépeuplement, de l’éloignement et de l’approche, du même et de l’autre : le Tout et la Partie : un Tout dont l’homme de raison fera le Système et l’homme de foi l’Ensemble, une partie dont la raison fera un ensemble et la foi un système.

Les 4

Les 4 me sont apparus clairement démontrables dans les phases du Jeu : horizontal, vertical, une appropriation par la mémoire, un appropriement dans l’avenir.

Ils me sont apparus considérables

dans la donne : le semblable, le dissemblable, la position et le mouvement ;

dans l’enjeu : l’avant, l’après, le maintien, le change ;

dans la partie : système pour la raison, ensemble pour la foi, mais fragmentaire d’un tout ou recueil de tous les coups, selon que je les situe aux termes ou dans l’intermédiaire.

Dans l’opposition à laquelle j’aboutis, de mon choix hasardeux, premier, et de ma démonstration finale, que deviennent les 4 ?

Soit : le plan et l’édification de » mon début, les 2 parties au terme : contenue dans le tout ou contenante des coups.

Soit : le choix de JE et les 3 phases du jeu d’une part, les 3 aspects et le jeu de mots sur « partie » de l’autre.

Dans le premier cas, je laisse les trilogies en dehors du décompte, comme le rationaliste rejette la Doxa : j’en fais de simples annexes, à coup sûr négligeables.

Dans le second cas, j’annexe les trilogies à mon décompte, comme l’irrationnel le fait de la Doxa, et me voici loin du compte. Je ne dis plus les 4 mais 10 ou 2 fois 5. Les 3 phases et les 3 aspects s’adjoignent à la quadrilogie.

Nécessaires partout, les 4 m’imposent un manque, par le rejet de l’annexe, ou un excès, par l’annexion. Inventés pour ordrer, ils ne font que le désordre, par le vide ou le chaos. Ou le Réel est ce désordre, mais je constate qu’il ne l’est pas ; ou le 4 n’a pas d’existence réelle. Ce sera l’un ou l’autre.

Les 2 et les 3 suffisent au compte comme au conte. Sinon leur somme : 2+3 = 5, ou leur produit : 3 X 2 = 6.

A l’approche d’un centre dans le plan ou d’un sommet dans l’édification, il n’est pas démontrable que les 5 aient toujours précédé les 6, car ces temps sont trop éloignés et le plus récent (de Justinien à Charlemagne) nous demeure obscur, mais nous savons que les 3 Personnes d’une part, le manichéisme des conciles de l’autre ne s’adjoignaient que dans la vie du Saint. Légendairement, deux millénaires plus tôt, le 5 demeure lié aux personnages mythiques d’Orphée et de Jason, des Chang en Chine et des vieux peuples amérindiens : Hopis, Mayas.

Il est assuré que, sitôt la sortie du « Royaume », l’éloignement de la Présence, le 6 doit céder au 5 : l’étoile de David au Pentacle de Salomon, et deux mille ans plus tard, la dialectique double des premières kabbales à l’Arbre du Zohar, les 6 d’un Erigène Scott aux 5 règnes des Chinois ou des prophètes chrétiens, des « quintessences » déjà.

Avant les Justinien, après les cathédrales, les 3 d’une part, les 2 de l’autre ne peuvent que s’opposer, par grand malheur !

Des 4, historiquement, il n’est jamais question, si ce n’est dans les systèmes de Platon et de Boèce, naguère, de Kant aujourd’hui, jusqu’aux 4 forces de notre dernière physique. Car la 4ème dimension n’est qu’une invention systématique, abstraite, dénuée de la moindre concrétude. A moins que ce ne soit l’ultime alibi de JE.

D’un JE analyste :

le divan de Freud, et le recours du « plus ancien » quand le 3ème est déjà là ; le recours du plus ancien : la représentation ;

l’ultime jeu de mots : le signifiant-maître de Lacan ;

la part du Diable, du diabolus jungien.

Afin de sauver, toujours, l’Inexistant, de l’arracher au scandale de son inexistence.

Le chaos et le choix

Depuis Sumer et son Taureau, depuis l’invention du mythe de Création en quelque Eden, JE n’a cessé qu’en de courts moments (le temps des Juges, le temps des Saints) de rêver d’un Tableau Général sans jamais le réaliser, car l’ajout d’entités nouvelles, de Justice, d’Amour et de Hiérarchie, de Préservation, etc., le rendaient de moins en moins réalisable.

Aujourd’hui même, l’union des 2 Livres, le Plan et l’Edification, exigerait que je rassemble en une seule œuvre :

le début et la fin, les délits médiévaux, les déliements au terme, en quelque espace-temps,

la position et le mouvement, comme par la constante de Planck : « h », la fermeture et l’ouverture, le continu et le discontinu, en toute limitation,

mais aussi le contenu et le contenant,

le pluriel et le singulier,

l’entrée et la sortie,

le trait et le point, le droit et le courbe, l’horizontal et le vertical (couché/debout) dans la figure,

et toujours le désordre et l’ordre, etc.

Pour seulement dire tout à la fois les relations du 1er livre : le récit, le rapport, et celles du 2ème livre : le relais et la relaxe, en même temps que les sens divers (3) de note, lettre et correspondance. C’est évidemment impossible.

Je n’aurais pas dû avoir besoin, pour le démontrer, de rappeler les successions des EV, EU et OEU dans le COUplet ou l’antinomie du complot et de la combe, mais l’accord de l’effet et de la coupe dans le COMplet. Je n’ai même pas eu besoin des « bandes », une association de bandits ou une marge, un trou (que disent la foule et la mort, l’X et le O) : l’abstraction plurielle du Trust, la concrétude de la Truelle, tous deux issus du Trou… jusqu’aux multiples sens que notre histoire récente (celle de Marx) en tire — entre le capitalisme et le prolétariat. Mais les trous médiévaux les contenaient déjà, ces sens, en tant que déliements : le trou dans la terre pour en extraire le bloc, la disjonction du lien ; ils ont subsisté pendant les mille ans, dans le conflit sans cesse renaissant entre l’espèce et le genre : spécialités, spéculations, depuis l’aspect, généralité, gênes ou gènes, génie depuis le joint.

Il n’était besoin de rien de tout cela pour admettre le chaos où tout cela conduit… Mais des constructions, des ribambelles réduites, minutieusement choisies, échappent à ce destin.

Ce ne sont pas seulement les périples, ordonnés par les îles mythiques — de Gilgamesh, Ulysse, Simbad vers l’ouest, puis l’est, mais des ouvrages, des poèmes intermédiaires, comme surgis des temps rationalistes : le livre des Deux Chemins ou les parcours d’Enlil-Outoul en l’avènement de la Justice, ou les derniers Upanishad indiens, puis les Apocalypses, dont la plus parfaite, celle de Jean, en l’avènement de l’Amour.

Pour ne traiter que de ce dernier poème (modèle pour les mille ans qui ont suivi), on sait que 6 entités diverses s’y succèdent, comme des rubans ou des bandes diversement colorées : les Sceaux, les Trompettes, les Tonnerres, les Signes, les Coupes, les Cités/montagnes ; mais qu’en l’histoire de chaque entité, 7 phases (sceaux, trompettes, tonnerres (non dits), signes, coupes, cités en disent l’inévitable déclin.

Mais, d’une autre manière, depuis un pivot-centre : le Livre de Miel, des cercles ou des cycles concentriques s’y offrent :

le M du Livre de Miel au cœur,

puis le T de trompette ou de tonnerre,

le S des sceaux, le S des Signes,

le C des 4 cavaliers en son début, celui des Coupes, des Cités et du Cavalier Blanc au terme.

En cette balance, ce balancement, le Cavalier à l’arc commence, le Cavalier Blanc finit — tous deux le Sagittaire.

Au cœur, le Livre de Miel est l’UN, par les 24 vieillards assis en cercle autour du Trône de l’Agneau.

Depuis la mort du Sagittaire, en l’ère cancérique, se sont succédés les 3 autres cavaliers, les 3 autres sceaux et les 3 premières menaces des trompes. Vers le renouveau du Sagittaire, depuis le Livre de Miel, se seront succédés et se succèderont les signes, les coupes et les cités-montagnes, par les Bêtes, les Plaies, les Marchandages, comme par les Cornes bestiales, les Simulacres des deux Témoins jumeaux, les replis des serpents ou des Reptiles — dans les 3 têtes de l’Hermès Trismégiste.

Mais, dans une lecture autre, 2 entités séparent la mort du Cavalier à l’Arc du Livre de Miel : les deux Témoins gémelliques, puis le Taureau. 2 entités séparent le Livre de Miel de la Jérusalem Nouvelle : les Poissons, le Verseau.

Selon que Jean joue du sens direct ou du précessionnel.

Dans le déplacement des entités cycliques, ou dans la durée de chacune…

Ici et là, des ordres divers triomphent du désordre, quelque choix du chaos. Me faudrait-il donc écrire un 3ème livre, où je dirais le déplacement et la mue — une dialectique absente des deux premiers ?

Jean-Charles Pichon

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