Le saut et le pari


Le rêve est la présence de Dieu dans le JE absent, en sommeil, mort. Toute oeuvre humaine, cette tapisserie, est la présence de JE dans le dieu absent, lointain ou endormi.

LE SAUTE -MOUTON

Quelles que soient les combinaisons que JE s’autorise, il ne les formule qu’en un dessin, qui lui autorise le Voyage, comme d’un élément à l’autre, et que dans cet unique dessein: découvrir l’élément majeur, constant, qui lui permettrait de construire la combinaison qu’aucune autre ne surpasserait (en durée ou en étendue), éternelle ou universelle.

De cette précision en son dessin, et de cette règle (son dessein), il attend de remplacer Dieu par lui-même, JE, doublement créateur alors, d’un univers qui lui convienne, dans lequel il puisse voyager à l’aise, et que ne limite aucun seuil, non plus spatial que temporel. D’une certaine manière, le double projet demeure un leurre: JE ne découvre jamais, tout à la fois, cette carte, précisée et limitée, et cette constante, cette règle sans limite.

Mais d’une autre manière, il y atteint toujours – et d’autant plus sûrement que la carte se réduit, de l’univers à la Terre, de la Terre à l’Etat, de l’Etat au pays, et que la règle croît, en ses applications certaines (une réussite, alors, rendant illusoire l’autre). Mais il y parvient aussi, à l’inverse, en réduisant la règle au plus petit dénominateur commun (le paradoxe) qui se trouve annuler la règle, et en portant la précision jusqu’à l’indivision l’imprécision suprême: JE, le seul contenant connu de tous les univers. Les deux démarches, alors, concourent au même but: un paradoxe individuel, une exception universelle: l’UN. Dieu ou JE, il n’importe plus.

Nous l’avons vérifié tout au long des études qui composent  Le Rire du Verseau.

Par l’étude des « aspects » de l’objet, si je réduis le vocable à la lettre, le chiffre au nombre (positionnel ou tendancieux), la figure au milieu (moyeu, centre ou entour).

Par le contenu et le contenant, des signifiés ou signifiants la lettre. Par le Plus et le Moins le nombre; par l’ouverture et la fermeture (le discontinu, le continu, le visible ou l’invisible) la figure.

Par l’étude des 3 sens, ensuite, qui découlent seulement des aspects: sémantique, directionnel, sensoriel. Puis, par celle des lieux – ou milieux. Puis par celle du contenant (debout/couché, ouvert/fermé, plein/vide) et du contenu (stabilité/mouvance, entrée/sortie, libre ou conditionné). Etc.

Mais nous ne l’avons pas vérifié en ce qui concerne les Jeux, d’où découlent les combinaisons, conceptuelles ou ludiques. […] Inévitablement les jeux nous apparaissent divers, puisqu’ils sont le Tout-possible de JE.

Le jeu de mains a eu ses règles, puis les échecs, les dames les leurs. Le cartes ne jouent pas comme les dés, ni la Vache comme le Bridge, traitant des cartes. Quant aux jeux de l’oie, de Monopoly, de rôles, d’informatique, aux composants communs, je ne puis les rattacher aux pièces, aux dès, aux cartes, puisqu’ils les emploient tous.

J’avais achevé Le rire du Verseau sans même me soucier de trouver cette constante précise aux jeux (je la disais introuvable) lorsque une saynète de 1994 m’est revenue à l’esprit, l’envahissant bientôt: le saute-mouton. Je l’avais situé, en ma pièce, avant toutes les autres dialectiques: de l’amour et de la haine – Judas, de la prétention partiale et du Souffle égalitaire, de Mégane et de Canathos (la Vierge-Mère), le conflit du traiteur (du Dicteur, le conférencier) et de son entretien avec le public. Je me demandai pourquoi j’avais élu premier ce saute-mouton (S.M.), que l’aventure de la conférence/pièce situait en sa fin, quand le public, excédé, lapide le diseur, le recouvre et l’exclut.

C’était que le S.M. se retrouve en tous les jeux, du jeu de mains au jeu de l’Oie. Mais, primordial ici et là, aux deux extrêmes, il se présente comme partiel aux échecs (le saut du cavalier, le roque), moyen prédominant aux Dames, distinctif en certains jeux de cartes (quand, à la belote, le valet-atout prend le roi) ou moyen généralisé aux osselets, aux dés, etc.

Puis, adjoint à d’autres dialectiques lorsqu’il se fait totalisant: le courbe (le poing fermé, relâché), et le droit (la main tendue ou les deux doigts) dans le jeu de mains; l’avance ou la station (la prison?) dans le jeu de l’oie ou de rôles; aux démarches de la tour, du fou, des souverains au jeu d’échecs, etc. Prépondérant jusqu’à l’enjeu suprême quand il est seul en cause: le Roi d’échecs, Pat ou Mat (enclos et sauf ou libre et condamné); ou bien l’Atout, maître du coup quand il est le seul atout, dominé, sauté par un atout plus fort, etc.

Egalisé aux autres par handicap, ou distingué des autres par cap-in-hand ou déférence, s’il n’est pas seul (original, particulier, nouveau).

Mais, d’une manière ou de l’autre, par processus ou procédé, c’est toujours A mobile dans le saut, quand B stationne. Ou B mobile quand son tour vient (A immobile, localisé). En tous les jeux.

Jean-Charles Pichon

Pour écouter Jean-Charles, cliquez ci-dessous :

SAUTEMOUTON2 (audio)

Illustration Pierre-Jean Debenat

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La prophétie de Sir William Hope

La Prophétie de

Sir William Hope

Les textes prophétiques, plutôt rares du côté américain, sont surtout le fait des Amérindiens. Aussi le texte de Hope fournit-il un outil fort utile à l’historien et au mythologue.

Le texte de la prophétie

de Sir William Hope

Depuis 1879, la Bibliothèque du Congrès possède un curieux ouvrage publié en 1724, Vindication of the True Art of Self Defense. Ce traité d’escrime, qui porte la signature de Sir William Hope, député-gouverneur du château d’Edimbourg, passerait inaperçu si, d’après M. P. Hall, l’on n’y trouvait une prédiction étonnante du destin des Etats-Unis, quarante-quatre ans avant le début de la Révolution américaine. La prophétie commence par ces mots :

« Le Chaldéen dit qu’il aura un destin de grandeur

Celui dont les étoiles annoncent la fortune.

De ton proche destin, ô Amérique

Je lis la prophétie dans le ciel :

Quatorze divisés, douze demeureront identiques ;

Seize coupés en deux – chacun garde son nom ;

Quatre plus huit, plus sept, plus six – ajoutons un zéro,

Marqueront la ligne de vie de quatre grands hommes.

Ce jour naîtra, bien au-delà des mers,

Celui dont le destin, inscrit dans les étoiles,

Sera de gouverner esclaves et hommes libres.

Quarante-quatre sera le nombre que l’on ajoutera

Pour trouver la date fixée où les hommes à genoux

Se lèveront pour saluer la liberté.

Placez les six avant les dix qui donneront le nom du patriote

Dont les hauts faits lui assureront une gloire immortelle ;

Ajoutez quarante-quatre et le jour sera fixé

De celui dont l’amour sans cesse croissant et la confiance jamais

Démentie qu’il inspirera

N’existeront que pour le bien de tous

Et refléteront les couleurs de sa lumineuse vérité !

La porte de la mort claquera quand ce siècle encore

Ne sera point achevé ;

Et les planètes dessineront d’autres destins.

Jusqu’à ce que tous les noms s’effacent au parchemin de la liberté,

On creusera deux tombes et on élèvera son cénotaphe grandiose.

Six fois dix années s’écouleront,

Puissamment aidée par la Nature, guide fidèle et prudent.

Alors les deux sept du destin signaleront le fils héroïque

Que Mars et Jupiter frapperont, laissant son œuvre inachevée,

Le sort cruel le touchera sans user de l’épée,

Lui qui laissera la triste scène de la vie sans un mot d’adieu.

Etoile discrète, à demi-voilée par la nuée rouge de Mars,

Enveloppée du suaire de la vertu, son manteau de noblesse.

Les deux huit gouverneront une génération à venir,

Et l’éclat du passé, intact, resplendira dans l’aube du progrès.

Ajoutez six, et six encore,

Alors se lèvera le chef resplendissant, bon brave et sage,

Quatre fois six désignent une étoile scintillante

Qui brillera sur sa route

Et deux fois « quatre fois six » marqueront ses années,

De la naissance à la fleur de l’âge.

Ces prophéties verront leur achèvement

Avant que le dix-neuvième siècle ne disparaisse

Dans la nuit des temps !

Planètes, étoiles et douze signes de l’horoscope

Attesteront tous la véracité des prophéties de William Hope. »

Un parent de William Hope – peut-être son fils – a ajouté ces lignes :

« La main érudite qui a écrit ces vers

N’écrira plus pour moi ;

Pourtant s’élèvera toujours la voix,

Toujours battra le pouls

Pour les générations à venir.

Votre serviteur, l’âme épurée par l’amour des siens,

A d’abord déploré la vanité d’une existence laborieuse,

Puis découvert la vérité en cette quête de toute une vie.

Toute grandeur est un don du Seigneur. »

James Hope cité dans l’ouvrage de M. P. Hall, The secret Destiny of America, pp. 137-145, traduction d’Odile Garel et Michel Michaud.

Lauric Guillaud

Illustration Gilles Debenat

Le commentaire de

Jean-Charles Pichon

La prophétie s’ouvre sur deux paradoxes. L’un concerne sa datation, le second les deux décomptes qu’elle contient. Ces deux paradoxes n’en feraient-ils qu’un, comme si l’un justifiait l’autre, ou comme si celui-ci illustrait celui-là ? Il conviendrait dès lors de distribuer dans le texte et dans ses datations 2 modes de lecture et 2 dénombrements.

Les lectures

Le poème figure dans un ouvrage de 1724, « Vindication of Art of Self Defense » ou « Comment se défendre soi-même ? », qu’on a pu prendre pour un traité d’escrime, quand il s’agit peut-être de tout autre chose, quelque combat plus essentiel, que le traité imaginerait seulement. Mais le poème porte la mention : « Ecrit à Corn Hill, Londres, 1732 ». Comment un texte de 1732 figure-t-il dans un ouvrage de 1724, certainement composé avant cette date (entre 1720 et 1723) ? Quand le poème dit : « Ce jour naîtra bien au-delà des mers… », dit-il un jour de 1720, de 1723 ou de 1732 ?

La question est plus importante qu’il n’y paraît. Car les premières dates situent l’ouvrage au plein cœur de la transformation majeure de la Franc-Maçonnerie de l’opératif au spéculatif (1717/1728), tandis que paraît la première édition des « Principes de la science nouvelle » de Vico (1725), sur lesquels se fonderont deux siècles de « chronologie spéculative » : un partage trilogique de toute Histoire (d’une société, d’une nation, de l’humanité) : une phase royale ou divinisée, une phase aristocratique ou héroïque, une phase populaire et civilisatrice. De cette trilogie, les uns feront une décadence de la Foi (comme du sacré au sacerdoce, par le sacrifice), les autres une naissance et une croissance de la Raison (spéculative), tandis qu’une 3ème espèce d’humain y verra le travail – occulté – du romantique, du symboliste et du surréaliste vers l’élaboration d’une nouvelle croyance (un jeu).

Toute Franc-Maçonnerie, depuis la Renaissance, rejette la religion, de toute manière condamnée, par sa dégradation. Mais, d’abord, jusqu’en 1717, l’Opérative des princes (qu’on nous dit écossais) et des poètes, des artisans, des joueurs, libertins ou baroques, a fondé son ésotérisme sur une tradition vieille de cinq millénaires, « Chaldéenne » en effet, dont les constituants furent et demeurent : le Roi/Lion souverain, le Taureau créateur, le Scorpion (ou le Verbe intérieur, inconscient) et l’Arbre, depuis celui de l’Eden ou de Sumer (le kish-kanu) jusqu’à l’Arbre de Liberté – par Bacchus/Dionysos, nés de la Vigne ou de l’Arbre.

Cette Franc-Maçonnerie attend un « retour à l’Eden », dont toutes ses imageries portent la trace : l’Adam créé, Nemrod, Noé, Gilgamesh; des chaldéens. Aussi les appelle-t-on, ces croyants d’un autre Age, non seulement « enfants de la Ténèbre, occultes ensorcelés » mais « rétrogrades ou passéistes ». Leur Eternel Retour, d’abord, est prohibé. A l’inverse, les Spéculatifs, « fils de la lumière », opposent la « science nouvelle » de Vico aux délirants, aux fous. Leur donne n’est pas des 4 mais des 3 : des 3 phases mais aussi des 3 mythes d’Air : la Fraternité (gémellique), l’Egalité (de la Balance) et, tout différemment, l’Arbre de liberté. Leur drame ? Ils y confondent les 3 de la synarchie mosaïque : le Souverain, devenu le Peuple souverain, l’Archer ou Sagittaire, l’Arche de Moïse, devenu le grand Architecte, l’envoyeur du progrès, et le Bélier d’Abraham et d’Israël (Jacob). Quand cette trinité de Feu n’a rien à voir avec une trilogie d’Air…

La date 1732 a une signification tout autre. Alors, le mathématicien génial Euler aura tiré la sommation (e-1), terme de toute durée, du « e » logarithmique. Le Franc-Maçon Ramsay, compagnon des poètes et des Mères quiétistes, ainsi que de Fénelon, prépare sa révolution, qui est de rappeler aux F.-M. leur prestigieux passé. La date de son Discours célèbre sera sensiblement celle que Potocki donnera à l’écriture de son « Manuscrit trouvé à Saragosse », la première œuvre tout à la fois ésotérique et fantastique des temps modernes. Utilisateur des nombres positionnels et de leurs groupages, Potocki est lui-même l’auteur de « Principes de chronologies », plusieurs fois édités et toujours inconnus. Par sa constante, Euler oppose la « durée de vie » d’un corps, d’une particule, d’un homme à la rigueur des cycles; Ramsay, puis Potocki tentent de jouer des 2 lectures, des 2 nombrements. Mais le véritable auteur des « nombres de position » n’est pas Ramsay ou Potocki; c’est Sir William Hope.

Les nombres

Un tout premier calcul, en son poème, recouvre les millénaires, au moins Cinq (4876), dont nous savons seulement que l’Histoire les partage en 4 durées de vie, par la succession de 4 « grands hommes ». Pour l’instant, au début de notre lecture, nous ne pouvons en dire rien de plus, sinon que cette durée – et son partage en 4 – doit englober non seulement le déclin du Chaldéen (opératif), mais son renouveau, au terme de la période spéculative. Car Vico n’a jamais donné la 3ème phase de sa trilogie, populaire/civilisatrice, comme définitive et sans suite (pas plus que ne le serait la 3ème phase d’un jour, d’un mois ou d’une année).

C’est à ce jour, ce mois ou cette année que sir Hope donne la durée cyclique de 177 ans. Il nous la donne encore en nombres positionnels : 14 divisés en 7 et 7, le 12 insécable et 16 partagés en 8 et 8. Quantitativement, ce serait le nombre de l’Apocalypse : 14+12+16=42 (contenu en3,5 ans, contenant de 1260 jours). Mais, positionnés, les trois nombres donnent : 77+12+88=177.

Sir Hope l’ignore – car, en son temps, les planètes lointaines sont inconnues – mais 177 ans est la période au terme de laquelle Jupiter, Saturne, Neptune, Uranus et Pluton se retrouvent en ligne droite : un évènement qui ne peut être sans conséquence !

Illustration Gilles Debenat

Les 177 et la passe d’armes

Fidèle à l’esprit de son traité d’escrime ainsi qu’aux systèmes trilogiques de son temps, sir Hope a décomposé le nombre positionnel en 3 phases bien distinctes :

– une phase de 77 ans; les 7 dans un sens et les 7 dans l’autre de l’hindouisme ésotérique : 10/14 = 0,714 (pour les 0,718 de « e-2 »);

– une phase indivise de 12 ans = 6+6, dont il jouera, différemment, en même temps que des 10;

– une phase de 88 ans, qu’il dédoublera en 44 et 44.

La 1ère phase (a) peut être dite du Jeu pur, de mise en position, en marche, en train ou d’escarmouche : un engagement léger, tout de feintes et de reprises (à fleuret mouché parfois);

la 2ème phase (b) est dite « de garde », dans le double sens du mot : regarder, surveiller – et se protéger, se garder : la reprise en main;

la 3ème phase (c) sera le combat proprement dit, dont l’issue sera mortelle, ou du moins dramatique (une victoire, une défaite) pour l’un ou l’autre des adversaires. C’est 1636 que « combattre » a pris le sens : « se battre contre » et en 1740 le sens : « rivaliser avec ».

Le 1er cycle

Qu’il parte de l’an 1720 ou de l’an 1732 : les 12 ans de la Garde, sir Hope ne commence point par (a). Il laisse au passé les 77 ans de l’escarmouche, qui a suivi le double drame que furent le protectorat de Cromwell et la Fronde en France (1648/1658 ou 1653), les 1ères explosions puritaines, populaires.

La phase (c) seulement lui importe, première de la Prophétie, 88 ans (1732:1820), qu’il partage en 2×44. 44 ans, dit-il, séparent la date retenue (1732) de la proclamation de la Liberté. Ce sera, en 1776, la Déclaration d’Indépendance.

Les 44 ans suivants seront tout autres, riches en conflits de vingt natures : révolutions, Terreur, guerres entre Etats… Sir Hope annonce la mort du Héros de l’Indépendance, Washington, pour la fin de son siècle : il mourra en 1799. Mais alors Bonaparte se lève, qui fera trembler le monde jusqu’en 1815, tandis que les U.S.A. doivent combattre sur deux fronts : contre l’étranger (Angleterre, Espagne) et contre le peuple américain (indien). Le mot : Terreur dit tout, qu’elle soit rouge ou blanche, de part et d’autre des conflits mondiaux. Tout le romantisme en est sorti, fantastique en Allemagne, Angleterre et Russie, sentimental en France : un pâle reflet de l’Opérative…

Le 2ème cycle

C’est le seul complet dans le poème de Hope.

Les 77 ans de (a) se prennent évidemment de 1820 à 1897. Au point de vue spéculatif ou utopique, cette date achève la prophétie, qui prendra fin avant la fin du 19è siècle.

En cette prise d’armes, un seul conflit excède l’escarmouche : la guerre de Sécession, dont la nation américaine n’a pas encore guéri. Quant au reste, y compris le massacre des Indiens, comparable au massacre des peuples Latins par Rome, cela n’a guère troublé que les poètes, les sectes des Mormons, des Adventistes, de Brook Farm ou des « Red Men » : des occultistes.

Le héros triomphateur, ici, se nomme Abraham Lincoln, « qui ne mourra point par l’épée » : un coup de revolver le tuera. Il sera le seul qui méritera un cénotaphe, quand deux autres présidents devront se contenter du tombeau. Lesquels ? Les commentateurs du poème ont proposé plusieurs noms, dont Jefferson est toujours le premier; quant au second, il était, bien sûr, le président régnant au temps du commentaire.

Si l’arrivée du May Flower en Amérique correspond à la fondation de la Rome républicaine, anti-étrusque (vers 500 avant J.C.), cette phase (a) correspond à la période -300/-210, où Rome a promulgué ses lois et assuré sa république, en dehors des conflits mondiaux, ne se reconnaissant que cet ennemi : le Latin, jusqu’à son extermination. Comme nous le savons, une « belle époque » de quelque 12 ans achève ici et là le temps des escarmouches : de 1898 à 1910, en ce qui nous concerne. Une autre phase (b).

« La prophétie achevée », selon ses propres mots, Hope se montre moins prolixe. Deux vers lui suffisent pour dire le siècle qui suivra (le 20ème); « Les deux 8 gouvernent une génération à venir, Et l’éclat du passé, intact, resplendira dans l’aube du progrès ». Mais on ne peut en dire plus si courtement.

En ces 88 ans (1910/1998), l’enjeu ne sera plus la Liberté, ni la « Nature » : ce sera le Progrès, par la Science. Mais, en dehors de ses effets terribles : les nouvelles armes, les bombes puis l’atomique, les maladies nouvelles, l’empoisonnement de tous les vivants, l’effet de serre, la science se sera faite aussi archéologique, épistémologique, ethnologique. Elle ressuscitera le Passé, ses mythes et ses dieux, parmi lesquels le Chaldéen. L’occultiste, l’Opératif, ne sera plus seulement la Bête à détruire : des milliers de sectes le rénoveront.

On remarquera que, les 88 ans, sir Hope ne les partage pas en deux fois 44. Il le pourrait car, en 1954 (44 ans après 1910) Staline sera mort, ainsi que Mussolini, Hitler, tous les tyrans du siècle. Mais c’est alors que la Science a tout recouvert et que les plus grands fléaux menacent, jusqu’à l’attente du fléau terminal, le Jugement Dernier. Depuis cette même date (Watson invente sa machine en 1953), on distingue de moins en moins aisément le raisonnable du fantastique, et du progressisme le messianisme, etc.

Le 3ème cycle

En cette année même, 1998, devrait commencer une nouvelle période de 177 ans, par la phase (a) de l’escarmouche, du jeu. Mais Hope est désormais hors de toute prophétie et de toute utopie : il est esclave du Retour.

Il ne dit même plus les 77, mais les 66 (que nous devrons expliquer). Puis, aux 66 (1998/2064) ne suucéderont pas les 12 années de « garde », mais 24 (4×6) et 48 (2×24), qui nombreront la vie de quelque nouvel Empereur, son panthéisme et le retour du Chaldéen – et l’apparition de l’Etoile en leur milieu. Les nombres sont ce qu’ils sont; on ne peut rien contre eux.

Mais, pour éclairer et, peut-être, préciser les nombres de cette dernière partie du poème, il est utile – sinon indispensable – d’en revenir à la première, laissée dans l’ombre. Il apparait enfin que Hope connaît les nombres de l’ésotérisme et de l’astrologie classique (de Platon à Joachim de Flore, par l’Apocalypse) : une Grande Année de 25 920 an, une « ère » de 2160 ans, une « durée de vie » ou Unité de Temps de 1260, aux 7/12 de l’ère. Il les connait mais les refuse, dans l’intention de corriger l’astrologie par l’astronomie (les Lois de Kepler) et l’ésotérisme des 12/7 par la constante « e-1 » d’Euler, qui oeuvre vers les mêmes temps : sa grande « communication » sera de 1732. Selon les nouveaux calculs, la Grande Année ne serait plus de 25 920 ans, mais de 25 488; l’ère serait donc de 2124, non de 2160, et la phase « abraxale » de 177, non de 180.

Une ère (2124 ans) sépare l’ancienne Etoile, 6 ans avant l’an 0, de l’Etoile future, en 2118. Celle-ci rayonnera au centre ou milieu d’une période de 48 ans (« deux fois quatre fois 6 »), qui surviendra « quatre fois 6 » après l’avènement du futur Empereur et 24 ans aussi avant son terme. Comme 44 ans se sont écoulés du Pontificat d’Auguste à sa mort (-29/+15) et 48 ans depuis sa prise de pouvoir. La même date de l’Etoile chrétienne, -6, situe l’Evènement dans la Grande Année (de 12 ères précessionnelles). Elle s’impose 4248 ans (= 2 ères de 2124) après l’avènement du Taureau Créateur, le Chaldéen, en -4254. Et 628 ans (6+622) avant l’Hégire.

4248+628=4876.

Le partage des 4876 en 4 « durées de vie » nous donne :

a) 1219 ans de l’Eveil du Taureau chaldéique au dernier roi de Kish, Gilgamesh, de -4254 à 3033;

b) 1219 ans, de Gilgamesh à la renaissance taurique en Babylone, ou de -3033 à – 1816, qui vit aussi le retour au culte d’Apis en Egypte et, sans doute, le triomphe du dernier patriarche, Josephe, le rêveur des Vaches et des Epis;

c) 1219 ans, de -1816 à -597, le triomphe de Nabuchodonosor sur Jérusalem et le Bélier : le nouveau taureau Mardouk/Bêl;

d) 1219 ans, de cette date à l’Hégire, et au triomphe de Mahomet le créateur du Coran, le rénovateur du Veau d’Or par la Vache Rousse du Coran. Selon ce décompte chronologique, c’est en 1841 que le renouveau de la Création serait à situer. Ni Edgar Poe ni Nerval et Baudelaire ni le Bab musulman n’en jugeront autrement. 1220 ans après 622, 1842 est sans doute l’année du siècle où le plus grand nombre de poètes, d’ésotéristes et de savants ont vu le jour. C’est aussi l’année où le grand Edgar Poe a créé les premières « machines célibataires », en prélude à son Eureka.Une autre création naît là, tout autre que les Babylone ou le Coran.

Quant au rapport :

ère ou cycle/durée de vie, il est passé de l’ésotérisme classique :2160/1260 à 2124/1220 ou (e-1), d’abord nombré : 1,723… avant son affinement à 1,7182… Cette sommation de la série des factorielles inverses nombre aujourd’hui la durée de vie de toute particule élémentaire.

La sixte

Un 3ème nombrement parcourt tout le poème (prophétie et retour) dont je n’ai rien dit. Ses constituants sont le 6 et le 10.

Des vocables l’explicitent; d’étranges « groupages » de nombres en tirent d’autres jeux.

Les sommes, produits et fractions nous ont donné :

4+3=7; 4×3=12; 12/2=6; 12/3=4; 12/4=3.

Le 3 (dernière des dimensions premières) et le 4 (premier des multiples) y demeurent les facteurs déterminants, sur lesquels s’est fondé l’enseignement scolastique, jusque vers 1453, où les étudiants parisiens ont rejeté le « trivium » et le « quadrivium » de Boèce (3 arts et 4 « sciences »), se moquant désormais, par le quolibet, « du tiers comme du quart ».

Au siècle suivant, la « quarte » ne subsistera guère que dans « le quart d’heure » de Rabelais (le règlement des comptes), tandis que l’écrivain lui-même recherchera dans la « quinte essence » comme un écho du Pentacle de Salomon ou des 5 âges d’Hésiode, les cinq « règnes » des prophètes médiévaux. Puis, la « sixte essence » succèdera à la quinte, en 1640. Jusqu’à Vico, la « tierce », rejetée, aura donné « le tiers exclu » des logiciens et le « tiers », l’étranger au procès dans le langage judiciaire. Tierce, quarte, sixte n’auront gardé un sens que dans les jeux : un « temps » en liturgie, un « intervalle » en musique, une suite dans les jeux de cartes, une « position » en escrime.

La tierce est une garde (3ème). La quarte est la 4ème des 8 positions d’attaque, dans le combat. La sixte est la parade « en ligne haute », dès le 18ème siècle.

Or, jouant du 10 (le doublement du 5 platonicien), dont la Révolution française fera la base de ses calculs, et du 6 (au1/2 de 12), sir Hope en tire de bien curieuses combinaisons – au moins ces 3 :

a)    il positionne le 6 avant le 10 (les 10 lettres du nom : Washington)… Puis, ces 610, au ½ de 1220, lui permettent de transformer le terme d’une « durée de vie », par exemple 1842, 1220 ans après l’Hégire, en date-pivot, centrale, entre le dernier grand éclat du christianisme (1232) et la proclamation de la religion future : 2452, 2124 ans après l’institution de Constantin.

Je suppose ces dates ? C’est vrai, mais elles sont conformes au reste. Ainsi qu’aux prophéties de Joachim de Flore à Nostradamus.

Mais, surtout, le renversement que permet le nombre 610 et le principe qu’il révèle, de l’inversion du terme au milieu, du centre au terme, nous éclairent sur les 2 lectures que sir Hope donne du cycle des 177 ans : dans son énoncé : 77+12+88, un temps que l’entropie et le désastre achèvent, et dans l’application à son époque : 88+77+12, qu’une garde achève (la Belle Epoque). Comme si le pire pessimisme et l’optimisme le plus ferme n’étaient que des lectures du temps : de l’après-dîner du jour à celui du lendemain, le Jour de la Genèse et du Coran; d’un grand midi à l’autre, celui de l’ancienne Egypte, de Sumer et de Rome, du Colloque des Oiseaux, de l’Aurora consurgens et de Saint Jean-de-la-Croix.

b)    Tout autrement, le 6 et le 10, quantitatifs, donnent les 60 de la Vindication, dont les datations ne tiennent aucun compte. Mais nous savons que ce fut le nombre de Sumer, d’Akkad, des Chaldéens – et de certains peuples d’Afrique jusqu’au début de ce siècle pour nombrer l’Unité.

c)     Alliant les 2 lectures, positionnelle/quantitative, sir Hope, en la dernière partie de son poème, trouve 6+60=66. Il ne poursuit pas le compte (afin de ne pas trop scandaliser le lecteur ?). Il trouverait en effet : 6+60+600=666, le nombre de la Bête selon l’Apocalypse – de la Bête chaldéenne et cornue, le Taureau. L’objet de toute sa quête. Car le mot anglais lui-même : Vindication peut porter les 2 sens : la vindicte, le combat (dès le 13ème siècle), ce qu’achève la mort, et la revendication (au 16ème siècle) pour dire la demande de l’obtention d’une chose interdite ou refusée. Vindication ne dit pas la quête – exemplaire – d’un Modèle proscrit sans dire l’exercice, la défense de soi-même, qui y conduit. Par le degré de liberté de la personne humaine (JE), d’une part; sa foi indestructible de l’autre.

C’est assez démontrer que, malgré l’apparente « vanité de son existence laborieuse », sir William Hope n’a pas perdu son temps.

Jean-Charles Pichon

Illustration Gilles Debenat

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Les signifiants et les dieux

CONFERENCE

Les 24 et 25 octobre 1998, une quinzaine de personnes se sont réunies à Magnac-Laval (Haute-Vienne), pour réfléchir sur le thème: les signifiants et les dieux. Nous rapportons ici la contribution de Jean-Charles Pichon. D’une conférence de deux heures, nous avons tenté d’extraire l’essentiel, avec la réduction que cela suppose…

C’est par les signes astrologiques que je suis arrivé à cette notion d’archétypes fondamentaux dans l’histoire de l’humanité. Puis par l’étude des mythologies, mais les mythes c’est encore les douze Dieux. Je me suis aperçu que tout ce qui touche aux douze est détesté aussi bien par les rationalistes que par les irrationnels.

Pourquoi? Les rationalistes n’aiment pas les trois de la Doxa. Ce sont des dialecticiens. Les irrationnels se méfient des quatre qui sont éléments de jeu (4 cardinaux, 4 éléments, 4 opérations). Ce côté ludique n’a pas le sérieux qu’ils attendent du divin.

Qu’en est-il de ce refus par la raison et par la foi?

La science

Dès le Moyen-Age, le problème est celui de l’essence et de la substance (de la forme et de la matière). Cette dialectique triomphe aux 13è et 14è siècles. Depuis ce moment, les rationalistes (nominalistes) n’ont pas quitté le plan dialectique: est-ce que le mouvement est de la forme ou de la matière? Rejetant les trois, il ne leur vient pas à l’idée que le mouvement puisse être une troisième entité.

Nous retrouvons le même problème au début du 20è siècle: le monde est-il quantique ou fondé sur la vitesse de la lumière?

Pendant six siècles, si les objets d’étude ont varié (Galilée, Newton, etc.), la démarche demeure fondée sur un rapport dialectique. On est donc dans le tiers exclu (cf Lupasco).

Il y a également le refus des quatre. Par exemple, la dialectique espace-temps ne prend pas en considération la double définition des deux termes (l’espace est à la fois étendue et intervalle, le temps est durée, c’est-à-dire fini et cycle, c’est-à-dire infini). La position du sujet qui s’interroge implique un jeu quaternaire des vocables: position, disposition; inclinaison, déclinaison. Ce que Jean-Charles Pichon développe dans ses oeuvres actuelles (note des rapporteurs: Marie-Jo Saurin, Pierre-Jean Debenat).

La foi

Sur une période d’au moins 5000 ans, nous constatons une succession d’hypothèses qui semblent se complexifier. Une façon de voir l’univers succède à une autre. Ici domine la trinité, autre obstacle à l’acceptation des douze, en tant qu’ensemble dynamique.

Ni la foi, ni la raison ne vont « comprendre » les douze, mais les ésotérismes (Graal, alchimie, etc.) vont  s’ouvrir aux quatre (opérations, éléments) qui vont jouer des trois (matières). Et dans les quêtes il y a toujours quatre instruments (l’arche, l’arme, la table, la nef).

Les sources que nous avons pour parler des dieux

La question que pose Heidegger dans « Introduction à la métaphysique »: pourquoi cela est-il là plutôt qu’autre chose?

– Qu’est-ce que cela?

– Qu’est-ce qu’être?

: où est-ce (temps, espace, durée, étendue …)?

C’est une question pratiquement insoluble. Pour y répondre, il faut jouer des lettres, des nombres et des figures. Il faut abandonner le concept et partir d’un objet.

Nous allons donc nous appuyer sur:

– les religions à travers les deux Testaments

– l’ésotérisme à partir de l’Apocalypse

– les panthéismes

– les contes.

Les deux Testaments

Ils concernent deux Dieux:

– le Dieu de Justice (IHV, le Bélier), dans l’Ancien Testament;

le Dieu d’Amour (IHC, le Poisson), dans le Nouveau Testament.

On pourrait se représenter l’évolution de ces Dieux à l’aide d’une image qui comprendrait un paysage composé de sommets et de plateaux.

Sommets: le Royaume des Justes. La Parousie (temps de Charlemagne), sommet de l’Amour.

Entre les sommets, il y a les plateaux, qui marquent le déclin d’un Dieu et/ou l’émergence d’un autre. L’Amour, par exemple, décline à partir du 13è siècle.

Les Testaments nous disent l’arrivée du Dieu et la marche vers le sommet. Ils ne parlent pas du déclin, ni de l’entrée en sommeil des Dieux, marquée par les périodes rationalistes. Ce n’est plus alors le temps de Dieu. C’est la Lokayata hindouiste (science du monde), monde sans avenir qui n’admet pas les cycles, qui s’enferme dans le progrès inéluctable.

Le sommet hébraïque c’est le clan (la tribu). Ce Dieu de Justice est inégalitaire. Il donnera à chacun selon sa position dans le clan. Il a résolu le problème du désir et de la loi: il a interdit l’arbre à Adam et Eve. Mais il s’amenuisera peu à peu. Ainsi Moïse inscrira sur les Tables de la Loi la prescription divine, pour que l’homme ne l’oublie pas. Cette inscription du prophète deviendra prescription (ordonnance) pour l’homme, marquant à la longue la dégénérescence du Dieu.

Va s’en suivre un plateau (2è, 3è siècles avant J.C.), caractérisé par la prédominance rationaliste (forme vide), l’imitation (des Romains par rapport aux Grecs), le recours à la technique. Mais en même temps c’est la préparation du Dieu à venir: le daïmon de Socrate.

Emergera ensuite le Dieu d’Amour, dont la montée est décrite dans le Nouveau Testament (apogée du Dieu au 8è siècle). Puis déclin, suivi à nouveau d’une période rationaliste.

Pour résumer, sur 6000 ans au moins on voit les trinités successives « constituer » les Dieux: Akh, Ba, Kha (en Egypte), la synarchie hébraïque, la doxa chrétienne et, depuis le 18è siècle, les prémisses du Verseau (Liberté, Egalité, Fraternité). Ces trinités s’élaborent dans les périodes de plateau pour s’affiner, s’affirmer et s’imposer à l’apogée de chaque Dieu.

L’ésotérisme

Une lecture de l’Apocalypse montre que ce qui était mont et plaine – ou plateau – pour la religion, est devenu « Royaume » et « catastrophe ».

De plus, ce texte, qui signifie « révélation », nous entraîne dans l’enchevêtrement des syncrétismes que nous ne pouvons aborder ici. (voir « Les jours et les nuits du cosmos », Jean-Charles Pichon, édition Robert Laffont, 1963).

Les religions n’ont fait que constater une succession. L’Apocalypse nous révèle des chemins qui s’entrecroisent: le fils succède au père, mais vit en même temps que lui.

Les panthéismes

L’Apocalypse parcourt 12000 ans, les panthéismes vont plus loin (25000 ans environ, la grande année).

Le panthéisme est axé sur le Tout-Puissant, celui entoure des millénaires et des millénaires, mais qui admet des complices, des mercenaires, des soldats et qui a en même temps des ennemis. Par exemple les Titans, puis PRométhée contre Zeus, Iblis contre Allah. On nous montre ici, sous la mythologie, le mystère. A travers les vicissitudes de l’Etre, le panthéisme boucle le cycle.

Les contes et les légendes

Le conte est sans doute à l’origine des mythologies grecques. Et après le COran, c’est dans les contes que vit l’Islam (Les mille et une nuits, les voyages de Sinbad).

Si on essaie de voir les plus grands contes qui nous animent depuis le Moyen-Age, on trouve:

l’âne qui aide à cheminer (il existait déjà il y a 2000 ans: il portait le Christ; c’était aussi « l’âne d’or » d’Apulée, etc.);

le serpent qui garde les trésors (« Le serpent vert » de Goethe);

les fées, capricieuses (Mélusine).

A chaque période mystique on trouve trois axes de contes principaux qui s’enchevêtrent ère après ère. Les contes évoqués ci-dessus agissent comme des remèdes pour l’humanité, mais il y a les « mauvais » contes (le vent mauvais en 2000 avant J.C., le typhon, le géant). Cependant, des cataclysmes qu’ils provoquent va lentement émerger l’espoir nouveau.

Plus tard, les femmes monstrueuses (Méduse, Mégane) donneront naissance à la Vierge Mère.

Quels sont les « mauvais » contes d’aujourd’hui?

D’abord le loup-garou puis le vampire.

Le loup-garou transforme l’homme en animal et l’animal en homme. Plus rien n’est sûr, avéré. Le vampire boit le sang, il vide la forme de toute matière. Il est partout, il a le don d’ubiquité.

Est-ce qu’on peut faire quelque chose de « bon » à partir du loup-garou et du vampire?

Quel est le vampire qu’aujourd’hui tout le monde adore? Le téléphone, la radio, la télé, internet. La forme est là, partout. Il n’y a plus de matière.

La rotondité de la terre et les moyens de transport actuels ne transforment-ils pas le loup en garou et vice-versa?

Pour conclure, il y a le monde de la plaine pour les religions: l’absence, le désert. Il y a le fléau, la plaie, périodiquement, alternativement pour l’ésotérisme. Pour le panthéisme, il y a le démon qui annonce la venue du Dieu suivant. Il y a le conte irréparable, irrémédiable, en dehors des contes-remèdes.

Et tout cela nous dit qu’il y a toujours un intrus dans le système: une forme vide, une marge, la mort. Mais cet intrus, si nous l’excluons, le chassons comme le font les religions, les apocalypses, les panthéismes, les contes, il va nous englober. C’est l’exclusion elle-même qui fait advenir le nouveau Dieu.

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Le parcours d’un thème

En 1959, Jean-Charles Pichon publiait chez Gedalge un ouvrage intitulé « Luttes et Jeux ». En 1992, il donnait à Nantes une conférence sur le thème « Sport et violence ». Voici des extraits de ses réflexions, à près de 25 ans de distance.

LUTTES ET JEUX

1959

[Document audio : extrait d’une conférence à l’IUT de Nantes.

Pour l’écouter, cliquez sur ‘LES JEUX ».]

LES JEUX

INTRODUCTION

J’avais réuni déjà une partie importante de la documentation nécessaire à l’étude que je projetais des « luttes et combats à travers l’histoire », lorsque je pris conscience qu’insensiblement je me laissais entraîner fort loin de mon projet initial.

Il m’apparaissait en effet qu’il n’était pas une forme de combat qui n’eût, à quelque moment de l’histoire d’une race ou d’un peuple, dégénéré en un jeu.

Prenant le problème à rebours, je me demandais alors combien, parmi nos jeux modernes, ne sont pas la survivance, l’adoucissement d’un combat primitivement meurtrier ou sanguinaire. Considéré sous cet angle, un spectacle aussi banal qu’une fête foraine pourrait être décrit comme la dernière expression de la volonté agressive de l’homme, qu’il s’agisse du cirque et de sa ménagerie, ultime évolution des anciens duels des bestiaires contre les fauves ou qu’il s’agisse de ce compétitions de tir, de billard chinois, de machines à sous, survivances de combats certes plus redoutables. Il n’est pas jusqu’aux loteries qui ne puissent être considérées comme la forme évoluée d’une compétition non plus des hommes entre eux mais de l’homme contre le destin.

Ces dangers forains, sans doute, ne sont que des faux-semblants. A la loterie, on ne risque pas de se ruiner; au stand de tir, la carabine peut-être est chargée à vraies balles, mais la cible proposée n’est qu’une silhouette de bois, un disque de carton. Les lions que le dompteur expose dans sa baraque sont vrais animaux sauvages, mais vieillis, affaiblis par la captivité, bien nourris au surplus. Le lutteur et le faiseur de tours possèdent une force, une adresse véritable; mais, très souvent, ils font appel à des compères qui rendent plus évidentes (et moins réelles) leur force, leur habileté.

Mais le joueur sincèrement participe au simulacre. Ce public d’enfants frémit au rugissement du lion. Le tireur s’applique de son mieux à toucher la silhouette qu’on lui propose; il y met une passion égale à celle qu’il éprouverait si, dans un pays hostile, il se trouvait en présence d’un ennemi. Ce jeune homme conduit sa voiture électrique comme si sa vie en dépendait et cette jeune fille, qui mise cinquante francs sur l’as de coeur, attend que la roue de la chance ait fini de tourner avec la même impatience que si, à la place d’un nougat, elle pouvait gagner une fortune.

Dire que tout combat tend à s’adoucir au point de devenir unjeu ne signifie pas que tout jeu fût d’abord un combat. La notion de vertige (qui explique aussi bien le « rotor » ou « La grande roue » que la corde à sauter de la petite fille ou la danse hystérique du sorcier noir) n’a rien à voir avec notre propos; sinon, peut-être, en tant que lutte contre soi-même, mais cela nous entraînerait trop loin que d’en tenter la démonstration. De même, le jeu de construction ou le puzzle, par exemple, font bien intervenir le principe d’émulation, mais à ce point modifié (ces jeux se pratiquant dans la solitude) qu’on ne peut guère parler de « combat » en l’occurence.

Il reste qu’à un moment de l’histoire de l’humanité, la lutte pour la vie semble avoir évolué en cette lutte sans objet, parfaitement gratuite et désintéressée qui fait le fond de la plupart des jeux.

Quand et comment le premier des combats – la lutte pour la vie – est-il devenu un jeu? Quand et comment le jeu a-t-il pris naissance? Question impossible à résoudre autrement que par des hypothèses.

Si pourtant on admet que le jeu est avant tout une évasion de la réalité (qu’il s’agisse du vertige ou du simulacre), il ne semble pas qu’il ait pu exister un temps où l’homme, s’il voulait survivre, ne pouvait s’évader, précisément, d’une réalité oppressante et dangereuse. Si le chasseur de la préhistoire poursuit des proies, c’est uniquement pour se nourrir; s’il s’aménage une retraite dans une grotte, pour se protéger. L’oiseau ne joue pas quand il construit un nid; le loup, quand il poursuit un lièvre. L’un et l’autre cèdent à un besoin: c’est une question de vie ou de mort.

De même les mouvements instinctifs du petit enfant ne semblent plus (à l’encontre de ce qu’on a cru longtemps) des manifestations ludiques. Lorsqu’il court dans un jardin, roule sur le sol et tout à coup bondit vers quelque chose qui bouge, pierre qui roule ou papillon, il ne joue pas, ne fait pas semblant: il vit.

Mais, quand l’enfant grandit, qu’il commence d’apprendre à respecter les règles des adultes et à leur obéir, il lui faut à de certains moments s’évader de cette contrainte péniblement imposée. Alors il fait comme s‘il était un cow-boy, un pirate, un aventurier, un homme libre. Ou bien – autre façon de se rêver libéré – il imite ses parents, ses maîtres, se fabrique des épées de bois, des fusils factices, manoeuvre des autos, des trains et des avions qui simulent ceux des hommes.

On imite seulement ce que l’on n’est pas; ainsi le jeu, imitation d’une vie libre et spontanée, exige d’abord qu’on ait quitté cette vie.

Ne peut-on pas penser que l’homme préhistorique a découvert le jeu comme une compensation, sinon une nostalgie, de la vraie vie, après que de nomade il fut devenu sédentaire, possesseur d’un champ et d’une demeure?

Sitôt que l’homme possède une tente et un troupeau, il se sent rassuré; il ne vit plus, comme le chasseur et comme l’enfant, dans l’oubli de la veille, l’ignorance du lendemain: la terre est toujours là – et les fruits qu’elle produit. Plus évolué, il acquiert l’expérience du temps et des saisons, il établit ses règles. Bientôt, il accroît ses biens, ses troupeaux; sa récolte est engrangée; les fruits, cueillis et mis en tas. L’homme n’est plus toujours sur la défensive et n’a plus besoin de tendre ses forces, à tout instant, pour assurer la continuation de sa vie. Il a du temps à perdre.

C’est alors, probablement, que (pour « tuer le temps » d’abord) il devient un « créateur »: il invente des outils, des parures, des chants. Il invente aussi des rêves. Il commence à regretter – à imaginer peut-être – une vie plus mouvante, plus gaie, plus pleine, qu’il nomme l’âge d’or, le paradis terrestre dans le souvenir. Mais c’est l’enfer, dans la réalité.

Partout dans la nature, l’homme découvre les signes d’une vie instinctive, furieuse, à laquelle jadis il a participé lui-même et dont sa prudence et ses possessions ne le protègent pas vraiment. Au contraire: il craint maintenant pour ses biens (une crainte que le chasseur nomade ignorait). Un cyclone détruit sa récolte, un raz de marée noie ses troupeaux, un séisme broie sa maison.

A tout moment, villages disparus, populations détruites viennent rappeler à l’homme désarmé que la nature même joue contre lui un jeu cruel et sans raison. D’où jaillit l’éclair et pourquoi frappe-t-il? Quel dieu méchant ensevelit vingt ans de travail, de peines et de joies, la maison, la femme et l’enfant sous l’imprévisible incendie, l’irrésistible inondation?

Des cataclysmes plus terribles, dont nous avons perdu le souvenir (mais conservé l’horreur dans nos légendes) – glissements, effondrements de vastes territoires, envahissements glaciaires – suppriment non seulement un village, une tribu, mais des pays et des peuples. La parfaite liberté de la vie change d’aspect; elle devient l’incohérence, l’injustice, la fatalité. Le « tout est possible » de la vie apparaît à l’homme prisonnier déjà de certaines habitudes une menace permanente (un peu de la même façon que le feu, l’eau, une simple promenade terrorisent l’enfant éduqué par des parents trop prudents).

Ces malheurs qu’il ne peut prévoir, l’homme cherche à les conjurer. Il s’interroge sur son destin, il s’invente des idoles qui seront les maîtres de la foudre, de la terre tremblante et de l’océan déchaîné. Son regret est devenu sa peur. Libéré de l’obsession de la nourriture prochaine, il cherche à retrouver la vie qu’il a perdue pour triompher de la vie qui le menace, sans concevoir sans doute que c’est la même. Il fait semblant de la reconquérir par le vertige, l’illusion, la gratuité folle d’un effort auquel lui-même ne voit aucune utilité.

CONCLUSION

J’ai souvent, au cours de ces pages, insisté sur le caractère de « gratuité » du jeu. Quand un champion se manifeste en public devant des spectateurs qui doivent payer leur place, ou quand un professionnel du bridge ne joue qu’à cent francs le point, on ne peut plus parler de divertissement. Adjoindre au jeu l’idée de gain, d’utilité, de récompense même, en dénature l’esprit. Je voudrais qu’il me soit permis,, en manière de conclusion, de déborder maintenant le cadre un peu étroit que je m’étais fixé, puisque aussi bien la notion nouvelle de « risque », que nous venons de mettre à jour, ouvre à l’esprit des horizons plus vastes.

Si l’on admet que l’alpiniste audacieux ou le pilote d’essai sont – au sens le plus noble du mot – des joueurs, il ne semble pas qu’on puisse dénier ce caractère à d’autres aventuriers, non plus du corps mais de l’esprit, poètes ou savants, qui risquent sinon leur vie, tout au moins leur bien-être (et parfois leur raison) dans d’autres quêtes incertaines. Au point où nous sommes parvenus, il semble difficile de distinguer le goût du risque qui jette un aventurier sur l’océan Pacifique de celui qui précipite un poète comme Rimbaud ou un peintre comme Van Gogh dans la folle recherche qu’on sait.

En effet, à première vue, que peuvent-ils espérer gagner?  Ni la fortune ni le succès (de leur vivant tout au moins): Rimbaud brûle et détruit lui-même ses manuscrits, dont il est insatisfait; Van Gogh, de son vivant, ne vend qu’une seule toile. Mais le goût du risque l’emporte sur l’inquiétude: ils persévèrent malgré la misère solitaire, la peur de la folie. Jusqu’à leur mort, ils ne reprennent pas leur enjeu.

[…]

Qui nous dira quel enfant fou, malade ou immobilisé, créa jadis – pour tuer le temps – la première étincelle jaillie du choc des pierres, la première roue ou le premier essieu?

Sur cette question sans réponse, nous pouvons achever une étude trop brève, qui nous a menés de la notion de combat à celle de gratuité; de la notion de gratuité à la notion du risque; de la notion du risque à celle d’ingénuité – sans quitter les limites du Jeu. Car cette question, sans doute, est la limite où l’instinct de la lutte, du risque et du défi ne se distingue plus du progrès même; où le Jeu enfin n’est plus différent de la Vie, dont il apparaît seulement l’émanation la plus humaine.

« Vivre, c’est combatttre ». La maxime latine alors se complète: si le jeu est un combat, vivre c’est encore jouer – atteindre cet accord de l’instinct et de la règle sans lequel l’homme remonte à l’animal ou devient le robot.

Illustration Michel Pichon

Les ésotéristes des temps à venir, qu’on aperçoit bien lorsque l’on étudie les grands poètes, les  grands écrivains de notre temps, diront ceci: il y a un rythme trinitaire qui fait que l’on va vers l’ouest à la quête de l’Amérique, après celle du Graal en Irlande. Puis le mouvement s’inverse, on retourne en Orient, c’est le retour au passé. Et en même temps qu’a lieu cette pulsion double, se succèdent et se mêlent des cycles (une civilisation après l’autre, une génération après l’autre). Ces cycles se présentent dans un sens de progrès, d’amélioration, et figurent une spirale. Tandis que le phénomène de pulsion ramène, lui, toujours du Big-Bang au trou noir et du trou noir au Big-Bang, de l’enfance à la mort et inversement. Les deux visions (la continuité et l’aller-retour) sont vraies en même temps. Aussi peut-on se demander si le problème a été bien posé jusqu’ici, par moi et par tous ceux qui en ont traité. Pour approcher l’univers du jeu il faudrait peut-être approcher celui de l’homme sérieux, c’est-à-dire l’univers contraire. Si l’on se demandait ce qu’il veut, ce qu’il exige, ce qu’il rêve on comprendrait peut-être l’utilité, la nécessité du joueur. L’homme sérieux veut que ses actes lui servent à quelque chose, il veut qu’il y ait une utilité à ce qu’il fait. En même temps son intérêt le porte à conserver ce qu’il a, l’accroître, l’enrichir, l’améliorer si possible. C’est dire que tous les actes de l’homme sérieux vont l’immobiliser dans une certaine conception de l’univers ou de ses propres forces. Il a besoin de ses limites et il jouit de ce qu’elles ont produit: les religions, les lois, les principes, les sciences. Le bonheur est de posséder pour toujours, tel est le rêve de l’homme sérieux.

Mais le joueur? Nous prendrons pour exemple un texte du Coran où Allah dit qu’il a cherché sur la terre entière une aide, un serviteur à qui il pourrait se fier et qui pourrait répandre ses enseignements. « Je l’ai cherché partout », dit-il: auprès des arbres, des animaux et  tous lui répondirent qu’ils n’étaient pas assez fous pour ça. Mais Allah trouva cet être assez fou qu’est l’Homme. Et cette folie de l’Homme dont Dieu se nourrit c’est le jeu, c’est-à-dire le dépassement de la limite.

Lorsqu’on a cherché à différencier l’Homme de l’animal, on a dit que sa spécificité était dans le fait de marcher debout. Ce qui est faux. Puis on a dit que c’était du fait de sa main, ce qui est également faux. Alors on a dit que seul l’Homme pouvait nommer quelque chose qui n’était pas là: la spécificité de l’Homme réside dans la parole abstraite. Il peut dire la vie qu’il aura, celle qu’il a eue, le danger qui est absent mais qui est possible. Mais le chef des éléphants peut connaître à l’avance la nourriture qui n’est pas là, qui a été, autrefois, ailleurs ou différemment. Le rat a son chef, et l’amibe, et la cellule. Qu’un membre du groupe pousse un cri ou s’éloigne et le groupe sait que la nourriture va manquer, qu’il faut se déplacer, se développer et s’étendre pour chercher cette nourriture. La différence est que les animaux obéissent à leurs maîtres alors que les hommes n’obéissent pas à leurs prophètes. L’animal a une loi, y obéit et n’en change pas. L’Homme n’a pas de règle propre. Il ne rêve que d’échapper à ses limitations, il cherche à faire ce qui n’a pas été fait, ce qui est le plus dangereux, le plus redoutable, bref ce qui est impossible. Ce dépassement est ce qui s’oppose à la maintenance de l’homme sérieux. Et ce dépassement est tellement fou que, selon le Coran, il est réellement et totalement gratuit. On ne sait pas pourquoi l’on fait ça. Ce n’est pas pour de l’argent. Simplement le jeu pur est l’expansion du corps, de l’esprit, le développement de ce qu’on est.

Et je voudrais parler de la danse qui est aujourd’hui l’un des derniers recours de l’Homme, le plus proche de ce dépassement et de cette divination. Ceux qui se tournent vers l’avenir, les grands poètes et les grands prophètes, doivent être danseurs. Tous disent que l’Homme doit danser avec Dieu, avec un autre Jésus-Christ, beaucoup plus fou que celui d’il y a 2000 ans, avec un Christ presque désincarné. C’est celui que l’on appelle le libérateur, celui que d’autres appellent le Verseau. L’autre Christ, le Dionysios qui ne s’est pas réalisé il y a 2000 ans. Les Pères de l’Eglise disaient de lui qu’il était un enfant, qu’il fallait s’occuper de l’homme Jésus-Christ mais que Dionysios avait le temps pour lui. Maintenant il n’a plus le temps, le sien est venu.

En effet, à l’heure actuelle, il apparaît à ceux qui s’occupent de jeux, des modifications de plus en plus curieuses au niveau des règles; elles vont contredire un peu les règles passées et peut-être complètement. Socrate disait: « Connais-toi toi-même » et c’est une première approche de ses propores possibilités ludiques mais cela ne suffit pas. Il ne suffit pas de se connaître soi-même, il faut connaître le partenaire, l’autre, la vie, la mort, l’animal, l’ennemi dont on ne triomphe pas si on ne sait rien de lui. Or pour connaître l’autre il faut s’oublier soi-même. Les jeux tels qu’on les a évoqués ce soir proviennent d’un rituel qui est l’oubli de soi-même. Mais l’oubli ne porte pas sur l’aujourd’hui car il faut que je sois là quand je parle ou que je me sers d’un bâton ou d’une épée. C’est le soi-même d’hier que je dois oublier pour que cette loi soit possible: « Deviens ce que tu es ». Nietzsche veut dire aussi: « N’accepte pas d’avoir été ». Ce que tu as été, nie-le, n’en tiens pas compte. Ce que tu sais, ce que tu as appris doit servir maintenant, tu as cette force d’intelligence.

Mais devenir tout ce que tu es ne suffit encore pas. Car si tu n’es pas tout ce qui est, si tu n’es pas la nature, l’animal, le tremblement de terre, la comète, il y a un jeu auquel tu ne pourras jouer, qui t’échappera. Si tu ne connais le Yi-King ou les règles de ces jeux africains où l’on joue des mots, des nombres que l’on apprend aux enfants dès leur plus jeune âge, si tu ne connais pas ces règles mythiques, tu ne peux pénétrer les destins et les chances. Il faut connaître les moeurs des animaux, les règles du soleil, du cosmos, de l’inconscient. Le véritable combattant sait tellement ce qu’est l’univers que par exemple, dans les arts martiaux, il va fermer les yeux lorsqu’il décochera sa flèche, pour se faire la flèche, et il ne rate pas son but. Cet autre monde qui s’ouvre est dans les jeux et dans les danses. Il faut devenir tout ce qui est, mais il faut devenir celui qui se tient en face, l’adversaire. Rabelais, dans sa page sur les jeux de Gargantua, dit: « Gargantua apprenait à monter à l’arbre comme le chat, à grimper au mur comme le rat, à ruminer comme la vache… » Il devenait la nature et ainsi il dépassait la sienne. Lorsque le combattant nippon, au plus haut stade du judo, se tait, se fait violence peut-être avant de pousser son cri mortel, il devient l’autre, son adversaire. De même quand le grand joueur d’échecs ou de dames fait le coup irrésistible et remporte la victoire, il s’est mis à la place de l’adversaire, il a compris que son éducation ne lui permettrait pas de répondre à ce coup. En devenant son propre ennemi il a pu dépasser sa propre limite.

A ce moment se dessine un progrès autre que celui, naïf, qui a marqué le début de cette causerie. L’Humanité ne va pas vers un adoucissement mais ne va pas non plus vers son contraire. Elle va vers ce qui hier était inaccessible mais qui demain sera atteint. Cette saisie de soi-même, par l’oubli du soi d’hier, par le devenir-autre, le devenir-univers, le devenir-ennemi, ne conduit pas à l’égalité ni à la justice. Il s’agit du balancier, qui fait que la vie est un fil, par delà le bien et lemal, l’ami ou l’adversaire. Ce danseur de corde est le Zarathoustra, pour qui le progrès n’est rien d’autre que lui-même: une remise en cause constamment reprise. Le jeu permet le dépassement d’une limite dans l’atmosphère purifiée, dans l’exaltation et le paradis de la gratuité. Ici enfin, ici seulement, le jeu fait de l’homme plus que le complice, l’égal d’un dieu.

Texte transcrit par Laurent Chabot et Julien Debenat

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Un potlatch littéraire

Jean-Charles Pichon : un potlatch littéraire

En 1994, au cours d’un congé sabbatique, Jean-Paul Debenat effectue des recherches sur l’Homme Sauvage dans le Pacifique Nord-Ouest. Il séjourne dans l’état de Washington et rassemble des documents et informations sur le Sasquatch, « l’homme de la forêt », en langue des Indiens Salish.

Rattaché administrativement à l’Université d’Etat de Washington, il y prononce une conférence le 18 mai 1994, introduction à la vie et l’oeuvre de son ami Jean-Charles Pichon. Le titre, « un potlatch littéraire », renvoie à la tradition cérémonielle de distribution de cadeaux – le potlatch – en usage chez les Amérindiens du Pacifique Nord-Ouest. Pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines, un village recevait un village voisin et, tout en festoyant, chargeait les bras des invités de cadeaux parfois somptueux. A charge aux heureux récipiendaires d’organiser à leur tour un potlatch pour le moins aussi brillant. Les clans et les tribus faisaient ainsi assaut de richesses, créant un système d’échanges – que les autorités blanches s’efforcèrent d’interdire

Jean-Charles Pichon : a literary potlatch

I met Jean-Charles Pichon for the first time in the winter of 1980. At that time, I was working on my dissertation for a Ph.D. in Comparative literature which was centered on American S.F. writer Robert Anson Heinlein.

My topic was: the esoteric structures in Robert Heinlein’s four Hugo Award-winning novels, including the cult-book Stranger in a strange land.

A man of impressive stature was facing me, with his long silvery hair and beard, dark eyebrows and piercing eyes. He listened to me attentively. Then he said:

« You wish to know whether the works of Robert Heinlein contain the great myths, or ideas as Plato defined them, or structures as Levi-Strauss called them, or archetypes as Jung termed them, or even gods or deities if you prefer, the myths which are driving forces behind the historical avatars of humanity. Your problem is a simple one: through the ages what are the great works that have survived? Precisely the ones which tell the mythical story of humanity, the real story, that which is apparently hidden, esoteric. These books will never die while hundred of publications are still-born.

They are called: the Gilgamesh epic, the Popol-Vuh, The Bible, Homer’s Odyssey, the Coran, the Divine Comedy,Cervantes’Don Quixote, Shakespeare’s plays, part of Victor Hugo’s writings etc. You will only have to re-read them in order to decide whether Heinlein’s mythology in its modern guise compares favorably with the great ebb and flow of ancient mythologies ».

I was dumfounded, almost speechless. On my way back, I kept trying to assess the Herculean task which lay ahead of me.

Jean-Charles Pichon had lent me his trilogy La Vie des Dieux (The Lives of the Gods) published in 1972. I read it seriously during the following summer in the small farm-house I used to rent in the countryside. On my desk lay an encyclopedia and several dictionaries of mythology. Every minute I had to check who were Marduk, Apis, Horus, Brahma, Osiris or Baal to name but a few among the most well-known. Volume I dealt with the Gods of the elements (Les Dieux Phénoménaux), fire or light, water, earth, air or space.

Indeed, one is confronted with a unique God, under His various aspects or modalities, that Teilhard de Chardin called the Omega or Omega point.

The shamans, the wise-men, the Gnostics and the cabalists among others strove at identifying His many names.

The book is divided into four parts:

1 – The God of Fire: Yahweh speaks.

2 – The Goddess of Water: Wisdom speaks.

3 – The God of Air: Wind speaks.

4 – The Goddess of Earth: Mother speaks.

What do these gods have to say?

Let us listen briefly to the Goddess of Water, Wisdom:

« You put my very presence into question, for it is quite recent and many of you do not even know testimony that I have come back. However, one thousand signs bear testimony to my return: holism and atomism, nuclear science and psychoanalysis, the all-powerful technocrat and the cosmic spiral, the thirst for knowledge and above all the urge to comprehend which gets hold of everyone. As well as the cult for skin-diving, for baths and hygiene and the revival of all the virtues of water.

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Without knowing it clearly-although you will know it tomorrow – you are worshipping me. My name is Sophia ».

J.-C. Pichon says that in order to approach God – through His names – Man must renounce what he calls reason, invert all his previous concepts (i.e. must convert himself) and deny what he used to hold for certain.

I tend to believe that Pichon was either sufficiently humble or boisterous to apply this rule to himself. A number of writers were foolish enough to identify with God and very few succeeded. One notable exception was Thomas Mann with his own interpretation of the Old Testament. If Pichon felt assured enough to use the first person in Volume I, he dons the second person – in French « tu » – in Volume II, Les Dieux Humains (The Human Gods), thus establishing dialogues between the gods; for instance in part II entitled « The Messiah », the Virgin speaks to the Messiah. (The Messiah in question bore many names before settling for that of Jesus or Buddha. He once was Osiris, Apollo-dolphin, Job’s Leviathan, Jonah’s Whale, Vishnu’s Great Fish).

« Minute by minute, over a stretch of one thousand years, your peoples shared your baptism in the Water, your quest and your mission on the Earth, step by step, and your passion in the Fire and your ascent towards the Heavens, worshipping you in turn as a god of Air, Earth or Fire and more continuously as the Ichtus, the One who nourished, who suffered, who vanquished, from the first to the eleventh century.

Thus when I think of the two thousand years which preceded you, of the two thousand years when you came to reign, and then the two thousand years when your reign will dissolve, I simply think indeed of the three moments of the day when any of us comes to life, then shines in all glory and at last meets an inevitable form of decay… »

In these first two volumes, Pichon showed the extent of his erudition mentioning his sources through hundreds of notes and quoting authorized specialists as well as innumerable ancient texts. Everyone had to admit that from a historical point of view Les Dieux Phénoménaux and Les Dieux Humains were well documented. However, for some readers, Pichon proved critical, in a sense, when he commented on the Four Gospels. In Les Dieux Humains, he clearly shows the major differences in Matthew’s, Luke’s, Mark’s and John’s accounts of Jesus’ life.

Matthew remains close to Hebraic messianism which would not tolerate that the Law be abolished! Luke’s own symbol is Taurus, the Bull that the Sumerians called Marduk or God of Creation. Thus Luke who wrote under Nero’s reign, the emperor-artist, emphasizes the power and beauty of Jesus’ word. Mark spells like Mars almost, the God of War and Pichon compares his concise style to the arrow which flies straight to its goal. Under Luke’s pen, Jesus appears as a violent man whose furor is aimed at the Pharisees and the merchants of the temple.

Matthew’s portrait of Jesus is based on upon the gods of Air, Luke’s upon the Earth and mark’s upon the Archer or Sagittarius with his bow and arrow. Ultimately John was to depict Jesus in his proper perspective through an alliance between the Archer and the Serpent, or if one prefers, between Eros and Sophia.

John describes Jesus as born from Hermes and Venus-Aphrodite: a hermaphrodite whose maleness is revealed through the long beard and burning fire of the eyes and whose feminine side is reflected through the floating hair and long robe.

John stresses in Jesus the presence of the god of the unconscious, the inner word which is to be symbolized by the scorpion. He shares with women a quality, intuition, which helps him understand and consider them as sisters. Be they Martha, Mary or Mary-Magdalene. Although the latter may have been more than a sister… A trait that Pichon suggested in a novel Ceci est mon corps (This is my body) published at his own expense in 1947, and which compares favorably with Nikos Kazantzakis novel The Last Temptation of Christ.

It is in the third volume that Pichon gave rein to the poetic gifts which turned his trilogy into a remarkable combination of erudition and style. In Les Dieux Etrangers (The Alien Gods), Pichon considers that the gods did not only shape the past but that they are preparing the future. Especially one of them, the Alien, the Outsider who comes from elsewhere. His various components are already at work: the bird, the robot, the tree, the balance, the Mirror, the Holy Grail, all have their role to play whether it is negative or positive.

For the birth of the new god already proves arduous.

In fact, the question Pichon asks himself is: « Quel génie remplit l’amphore? » [What genius fills the jar?]. It is too early for us to see Him but everybody is longing for Him; « Him » is the god of liberty indeed. Still, liberty means something different for the rebel and the citizen, for the socialist and for the poet. Nonetheless the answers that Pichon provides are among the most inspiring one could ever expect.

A few years ago, while on a holiday in Algeria, the one and only book I brought with me was Les Dieux Etrangers whose short paragraphs I would read like poems.

I made a few enemies by letting some Algerian acquaintances browse through the book. It hurt their fundamentalist and nationalist feelings. They would have been angrier had they studied L’Islam dans le Coran (Islam within the Coran) published in 1981 by Editions Sophon/Coherence. Incidentally, this publishing firm was created by a French industrialist out of her admiration for Les Dieux Etrangers. The firm’s catalog includes four of Pichon’s esoteric works.

Pichon’s later works as published by Sophon/Coherence became more and more complex and require some serious esoteric initiation on the part of the reader.

However, L’Islam dans le Coran is an attempt at deciphering the sacred book of the Arabs. According to Pichon, the mysterious letters one finds preceding the Surats should be translated into numbers. These numbers then provide clues in order to understand the prophetic dimension of the book. For the Coran should not only be read as a spiritual guide but as a commentary on the various historical periods Mankind has been confronted with and will be confronted with.

Also published by Sophon/Coherence, Le Jeu de la Réalité (The Game of Reality), Volume I & II, analyzes works as different as The Book of Ezechiel, Franz Kafka’s, Alfred Jarry’s or even painter Marcel Duchamp’s works.

In them Pichon found a common structure, a sort of machinery whose interactive cog-wheels, if I may say so, and their layout constitute a complex figure. It is meant to represent the great cycles of Humanity. The courageous reader feels rewarded for his efforts when he comes to the conclusion that a number of works would be practically meaningless if Pichon had not exposed their underlying machinery or structure.

Mircea Eliade himself in one of his later books affirmed that only a historian of religions could trace the hidden motif which might render contemporary works of art or even phenomena meaningful (Occultism, witchcraft and cultural fashions – 1976). In his own demonstration, Pichon admits that he originally was inspired by Michel Carrouges’ fundamental study Les Machines Célibataires (The Bachelor Machines).

However, in spite of the admiration I bear to the trilogy La Vie des Dieux, I am bound to admit that the work which left the deepest impression is L’Homme et les Dieux (Man and Gods); first edition: 1965; second edition: 1968; reprinted in 1986.

One has to remark that this book was out of print for 16 years and there was good reason for it.

Nethertheless L’Homme et les Dieux is a formidable achievement extending over 560 pages. The subtitle indicates that it is a « thematic history of Humanity ».

The themes in question are the religions of mankind from the earliest cults of the cavemen (15 000 to 20 000 years B.C.) to the latest developments of spirituality as reflected by thinkers such as Freud, Jung, Gandhi, Krishnamurti, René Guénon or Teilhard de Chardin. In a concise and at times elliptical style, Pichon analyses hundred of major and minor religious beliefs. He devotes enlightening pages to the birth and growth of North-America considered above all as a religious and masonic nation. Pichon himself was a free-mason for some time and his views are all the more accurate and critical.

Of course, one is likely to find extensive details on the sects and secret societies in Pichon’s Histoire Universelle des sectes et sociétés secrètes (Vol. I & II 1968, reprinted in 1994). Still, one will pay special attention to the transformations which turned operative Free-masonry into speculative free-masonry after Anderson’s Constitution in 1723, for they help us to understand the shaping of the beliefs which led to the American and French revolutions.

L’Homme et les Dieux unfolds a succession of cycles which the author deciphers for us. The history of mankind then appears as a coherent whole with its climaxes and ages of darkness, depending on what point of the cycle one is considering.

Before Pichon’s attempt, every scholar, researcher or author, including Mircea Eliade affirmed that it was impossible to envision such a book; although Eliade had written Le Mythe de l’Eternel Retour (The Myth of the Eternal Return).

Only after L’Homme et les Dieux was published did Eliade dare undertake his gigantic study on the history of religions.

As usual with Pichon, his book met with a divided audience : those who wholly admired it and those who found it too poetic, too partial, too lyrical, in brief too far from academic standards. In my view, Pichon dared what very few writers achieved except R. Graves or Roger Caillois, a harmonious blend of poetic intuition and undaunted knowledge. It is worth noting here an anecdote which I hold from Professor Behler (chairman of the Department of Comparative Literature of the University of Washington in Seattle) to whom Eliade declared : « I consider myself as a novelist first and a historian of religions second ».

Pichon was a novelist first and perhaps he has never ceased to be one in a certain way.

Pichon’s experience as a journalist left him with a profound understanding of human nature. As a chief reporter he covered the main criminal cases of the post-war decade. He often witnessed imposture on all corners of the court-room and more than once sided with the accused especially when justice was but a pretext to revenge in the years following WWII.

Where were the monsters? On the bench between two policemen, testifying at the bar, presiding in long black robes, sitting among the jury or watching eagerly as spectators?

In Le Juge (The Judge), a novel of 1951, Pichon shows apt at describing the landscape, the inhabitants of a small mining town of Peru with its affluent families, hard-working miners and poor peons. The precision and veracity of the descriptions led me to ask the author: « I did not know you had ever visited South America. When did you stay there? » He answered he drew all his information from a Peruvian friend of his.

The main characters are Sam, the Indian judge who marries the daughter of a wealthy citizen, blonde and beautiful Margaret. The latter’s sister is almost a teenager, dark-haired and seductive Dalia. Very soon, Sam realizes that he is expected not to serve justice but to apply the laws as dictated by the important families of the town, everyone of which underlines that Sam may hold a university degree but that he remains an Indian, an outcast.

On his way to a hacienda where he knows the owner has hidden the criminal record file which he stole from the police-station, Sam is attacked by a half-tame puma set loose by the owner himself. Sam kills the beast with his bare hands, a feat which reminds us of the Book of Judges (14, 8): « And after a time he returned to take her and he turned aside to see the carcass of the lion: and behold, there was a swarm of bees and honey in the carcass of the lion ».

Let us quote Pichon now: « Nobody could understand him, unless one had eaten honey from the decaying carcass of an eighteen months lion ». Nothing could be clearer for bees are a symbol of Justice and there they feed on the rotting of a lion, a symbol of Hierarchy.

On the very day of his wedding, Sam puts forth a riddle while all the guests are assembled: Out from the eater came forth meat, and out of the strong came forth sweetness ». But nobody could answer the riddle for everyone had forgotten the Book of Judges and thus paid no attention to the warning, the same Samson issued to the Philistines.

Then Sam takes justice into his own hands killing those who out of blackmail pushed Sylva, his best friend and the honest owner of a small mining operation, to commit suicide. Sylva is a Frenchman, an alien like Sam. His name comes from the Latin Silva, forest, and we all know that the tree is a symbol of Liberty.

Following Samson, the judge is bound in the end to be betrayed by the woman he has fallen in love with, Dalia.

The Judge follows very closely the story of Samson and Delilah, proving through the author’s transposition that the Old Testament still makes a fabulous – in the proper sense of the term – thriller and adventure story.

The novel is interspersed with phrases which read like aphorisms. For instance: « The Spirit of Revenge is red, but the Spirit of Justice is the pillar of the Temple; it is a rock, erect and bathed in Golden Light ». Or one of Sam’s last thoughts: « I entered the world of injustice the moment I was able to distinguish good from evil ».

Pichon showed a marked preference for the format of the roman noir whose American exponents were popular in the 1950’s after the Liberation of France; the French readers and critics greatly contributed to give this genre its lettres de noblesse.

During the same year 1951, another of Pichon’s novels, La Loutre (The Otter) was published. The hero, a travelling salesman, meets a young woman, Claire, a childhood playmate and falls in love with her. He decides he will kill his current wife, a trustworthy and amiable lady.

He elaborates an intricate alibi for himself and comes back to his house to commit the crime. He pours poison into his wife’s customary aperitif. But the drug is not potent enough and she manages to drag herself to the bed-room. Spying from the garden, he sees her silhouette staggering to the bed. He enters the house, and while she is almost unconscious hangs her to the bed-post with the electric cord of the bed-lamp and leaves. Hardly has he left the scene that he decides he had better check on his deed. The figure on the bed is still moaning. So he stifles her with the pillow, killing her at last and one might say for the third time for good measure.

He then catches the train to reach his alibi-place and learns, later, that his wife has been arrested for the assassination of the would-be lover of her husband. Actually, Claire, a friend of the couple had paid a visit and drunk the poison while waiting for the wife, late from work.

The salesman explains how he made up his alibi but the police do not believe him. They think he is trying to protect his wife who serves a fairly short term in prison. When she is released, her husband faces the same dilemma: how to get rid of her, for good this time.

The Otter in Western mythology is evidently linked with water, with the Moon and is to be taken as a symbol of Womanhood and Love. But Love has seemingly lost its meaning. The hero of La Loutre is an ordinary man who conceives an elaborate plot in order to escape the dullness of his marital life. The atmosphere of the novel is characterized by the lack of spiritual interests on the part of the protagonists and at the same time one can feel and almost measure the depth of some form of spiritual longing.

What distinguishes Pichon’s novels from the roman noir (of a Dashiell Hammett or James Hadley Chase for instance) is that there is no private detective. In fact, the private detective is the reader placed in a position to observe and appreciate the various elements of the drama.

Also typical of Pichon’s bitter irony is Il faut que je tue M.Rumann, 1950 (I must kill Mr Rumann) which was awarded a literary prize, Prix Sainte-Beuve, and was made into a television movie in 1960.

The hero is a printing-press operator at Mr Rumann’s printing firm. He punches in every morning like every worker. However, the time-clock falls one minute and a half behind each day. On Friday morning, when the hero gets up, he benefits from 7 and a half extra minutes before going to work. He then enjoys his breakfast at leisure for he feels a free man.

But one day, Mr. Rumann whom nobody has hardly ever seen pays a visit to his factory and he orders the foreman to check the time-clock every day.

On the following Friday, the hero deprived of his extra seven and half minutes looks at himself in the shaving-mirror and says aloud : « Il faut que je tue M. Rumann » [I must kill Mr. Rumann]. And then adds: « But why? » as if the phrase had been dictated by someone else. The answer comes in a flash: « Because he is the boss and I have got a revolver ».

Still Mr. Roman habits are quite secretive and the hero begins an investigation in the manner of a detective in order to find where he lives. For even the executive secretary whom he tries to seduce will not reveal this secret.

At last, one day the hero is on his way to take his revenge. He manages to walk, with a group of guests, into the large home of Mr. Roman who is giving a party. When the master of the house momentarily leaves his guests, he follows him to his bed-room, pulls out his revolver and tells him he will kill him. Unfortunately the master of the house is not Mr. Rumann. This home is the wrong place. Discovering this, our hero runs away, pursued by the guests. Fleeing through various gardens, he climbs up a wall and rings at the door of an imposing mansion. He tells the man in an evening gown who opens the door: « The police are after me! » The man lets him in and asks him why.

The hero tells his story: his only passion is literature; he wants to become a writer. He doesn’t derive the slightest pleasure from his job as a press-operator. Besides, Mr. Rumann has robbed him of his degree of freedom, those seven and a half minutes.

The man answers: « When I was your age, I burned with the same fiery passion. I wanted to write, ideas filled my mind but my style was miserable so I gave up. Rumann could never have made a name as an author ».

Our hero is even more startled when Mr. Rumann, for this is him, offers him a deal: « you will keep your salary but instead of working at my factory I will give you my journal and you will write my autobiography which I will sign with my own name ».

Little by little, the book takes shape to the delight of Mr. Rumann for the young man has put all his passion and talent in the account of his boss ‘life. In the end, after much toil, the book is completed. Mr. Rumann could not have hoped for a more perfect rendering of his own thoughts. He hands his ghost-writer his last check, pours two glasses and picks up his fountain-pen in order to sign the manuscript. Then our hero realizes he is not only being robbed of his time. He exclaims : « Il faut que je tue M. Rumann » and pulls out his revolver.

This crime is to be committed in the name of Liberty and Creation. The murderer is certainly likely to serve a longer term than the one who kills out of jealousy.

Remember A. Camus’ The Outsider? Wasn’t the hero’s crime placed under the sign of the Burning Sun ?

What court of justice could consider such motives as Liberty and Creation?

Couldn’t they at least explain, give some reasons, in a word couldn’t they try to justify their acts? And what of their intolerable coldness? Don’t they have a heart? Not only are they guilty for their deed but all the more for their attitude. This is why those culprits should be punished with the utmost severity. Incidentally the American Heritage Dictionary says under the word culprit: origin unknown. It simply means like the adjective culpable that the culprit who has cut himself from society should be removed from it. At the time the Outsider was written, it could – and did – mean having one’s head cut off.

In one of his autobiographies – Un homme en creux (The Hollow Man) – Pichon wrote : « … despair (or the sentiment of absurdity) was not bred from the lack of coherence of the Universe, but from the will, stronger than evidence, to find a meaning to all of our deeds, and from the belief instilled in us that we need a set of values ».

There are many ways of cutting oneself from the rest of society.

For example if you are a creator, creating entities, called Sam, the judge, or the salesman of the Otter and then the ghost-writer of Mr. Rumann. For Jean-Charles Pichon affirmed and demonstrated personally that the unity of the I, the much celebrated ego, in French je, was but a lure or a fiction.

And he showed that he was multiple, or rather that he was born with a number of potentialities that he had to express, shedding them like skins after they were exhausted, until death comes, which is the only moment perhaps when the individual can say I, having at last reached his unity: a view that Pichon confirmed or destroyed when he wrote: « I refuse to die since I is another entity ». [Je ne veux pas mourir parce que je est un autre].

However, the student of literature might ask: « Is there any sort of unity in Pichon’s impressive literacy output? »

André Gide, Jean Cocteau and Colette might provide an answer. Pichon met A. Gide one morning strolling in the Jardin du Luxembourg. In his typical manner he did not say he was an aspiring writer; but during the conversation with the old master, Gide declared looking Pichon straight into the eyes that he could detect a stamp of strangeness about him.

Jean Cocteau who admired Pichon’s works wrote to him that strangeness was the most striking and appealing feature of his literary output.

And when Colette, the celebrated female writer died she left Pichon’s novel Les Clés et la Prison (The Keys and the Jail) open on her bed-side table at a page containing an aphorism on the strangeness of human condition.

The student and the researcher would find a wealth of information in The Hollow Man (Un Homme en Creux) for it covers one decade of French literary history from 1946 to 1956. In it, Pichon speaks of Antonin Artaud, André Gide, Samuel Beckett, Ionesco, Paul Valéry, Hervé Bazin, Roland Barthes, Albert Camus. He also describes the birth of the « Théâtre de Poche » founded by his wife, actress France Guy, and his participation as a playwright in its creation.

But The Hollow Man is also a confession, most abrupt and devoid of any artifice, that of the terrible, violent and passionate relationship which marked his married life until his wife died in 1954 after a prolonged and mysterious illness dubiously termed tuberculosis.

Pichon confesses his liaisons with numerous lovers, women of letter, teachers and prostitutes. All the more politically incorrect, he invents a word: « carmiger » from the verb « charmer » (to charm, to seduce) and the verb « corriger » (to correct, to punish). « Carmiger » means to whip and « le carmige », this sweet sounding word means the whip that J.C. Pichon used for some years to satisfy the masochist desires of his lovers and his own sadistic tendencies. For another term could characterize his career: scandal. And it is true that his behavior, his approach of reality or realities were and remain scandalous. To the extent that some readers burnt their copy of Les Dieux Etrangers or Un Homme en Creux. For that matter, during the Second World War, let us remember that Pichon published his clandestine poems under the pen-name of Jean Noll (John the Devil in the Breton language).

But above all, one should consider, always, this other confession: « I lived the Judge from January to September 1951, Serum and Co. from September 1951 to June 1952. But between each experience, there was a crisis on which I can precisely put a date ».

The constant involvements, the utter poverty, the all encompassing meditation, the inbred need to pursue a long quest which led him to study the history of religions, appear to me as evidence of Pichon’s unquestionable sincerity and courage.

Seattle, 1994

Jean-Paul Debenat et Jean-Charles Pichon 1997

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Nero

NERO

Encyclopedia Britannica

fifteenth edition

1974

History has branded the Roman emperor Nero with the reputation of being a monster of cruelty and has also credited him, on doubtful evidence, with the burning of Rome and the first persecution of the Christians. His appalling family background, stained as it was with incest and murder, no doubt accounted for his instability of character. This displayed itself in the unbounded vanity that caused him to nurse artistic and histrionic pretensions that seriously undermined his imperial dignity and helped to bring about his early death and, with it, the extinction of the Julio-Claudian line, which had descended from Julius Caesar. Proclaimed when he was not yet 17, he was the first boy emperor.

Nero was born Lucius Domitius Ahenobarbus in AD 37 in Rome. His father died in about AD 40, and Nero was brought up by his mother, Agrippina the Younger, great-granddaughter of the emperor Augustinus. After poisoning her second husband, Agrippina incestuously became the wife of her uncle, the emperor Claudius, and persuaded him to favor Nero for the succession, over the rightful claim of his own son Britannicus, and to marry his daughter Octavia to Nero. Having already helped to bring about the murder of Valeria Messalina, her predecessor as the wife of Claudius, in 48 and ceaselessly pursuing her intrigues to bring Nero to power, Agrippina eliminated her opponents among Claudius’ palace advisers, probably had Claudius himself poisoned in 54, and completed her work with the poisoning of Britannicus in 55. Earlier, Nero had passed his childhood under the menace of the mentally deranged emperor Caligula (Gaius Caesar), his mother’s brother, until Caligula was murdered and succeeded by Claudius.

Promising start. Brought up in this kind of atmosphere, Nero might well have begun to behave like a monster upon his accession as emperor in 54 but, in fact, behaved quite otherwise. When he was required to sign a death warrant for the first time, he cried « Why did they teach me how to write? » The testimony of his contemporaries depicts Nero at this time as a handsome young man of fine presence but with soft, weak features and a restless spirit, entirely under the influence of his terrifying mother, whom he censured and feared while he adored her. His first speech to the Senate was universally praised as heralding a new Golden Age. Up to the year 59 his biographers cite only acts of generosity and clemency on his account. Indeed, the measures he instigated were those of a wise and virtuous man: he forbade contests in the circus involving bloodshed, banned capital punishment, reduced taxes, and accorded permission to slaves to bring civil complaints against unjust masters. He pardoned writers of epigrams against him and even those who plotted him again, and secret trials were few. More independence was granted to the Senate. The law of treason was dormant: Claudius had put 40 senators to death, but, between the murders instigated by Agrippina in 54 and the year 62, there were no like incidents in Nero’s reign. He inaugurated competitions in poetry, and in athletics as counter-attractions to gladiatorial combats. He saw to it that assistance was provided to the city that had suffered disaster and at the request of the Jewish historian Josephus gave aid to the Jews. In all this, he was pursuing an intention that the philosopher Seneca, his old tutor and now his adviser, considered as mad – to remain innocent of any crime.

Artistic pretensions and religious mania. Although it must be admitted that his nocturnal rioting in the streets was a scandal as early as 56, the emergence of real brutality in Nero can be fixed in the 35-month period between the putting to death of his mother at his orders in 59 and his similar treatment of his wife Octavia in June 62. He was led to the murder of Agrippina by her insanity and her fury et seeing her son slip out of her control, to the murder of Octavia by his having fallen in love with Poppaea Sabina, the young wife of the senator (and later emperor) Otho, and by his fear that his repudiated wife was fomenting disaffection in court and among the populace. He married Poppaea in 62, but she died in 65, and he subsequently married the patrician lady Statilia Messalina.

Nero gave rein to inordinate artistic pretensions. He fancied himself not only as a poet but also as a charioteer and lyre player, and in 59 or 60 began to give public performances; later he appeared on the stage, and the theatre furnished him with the pretext to assume every kind of role. He dreamed of abandoning the empire in order to fulfill his poetical and musical gifts, saying « They would adore in me what I am ». But this puerile ambition took hold of him: « No one has known all that a prince could do », he said, desiring now to create God. This form of insanity was nethertheless in keeping with the messianic spirit of the age: all peoples – Jews, Greeks, Syrians, Romans, and even Indians and Chinese – were waiting for the new god. From about 63 or 64 Nero was drawn to preachers of novel cults, to Zoroastrian mages, esoteric Judaists, to such men as the Gnostic magician Simon Magus, the Neopythagorean sage Apollonius of Tyana, and perhaps even to St. Paul, who is depicted in a fresco from the Palatine Chapel conversing with the Emperor. His predecessors Caligula and Claudius had shown interest in Eastern religions, but Nero was to go further than they did. Obsessed by the misery-religion symbols of the sea and the fish, he became a devotee of the Syrian virgin-mother Atargatis, to whom the fish was sacred, then of the virgin-mother Juno-Canathos; the ecstasy that seized him in the Temple of Vesta in 64 showed that there was no limit to his bizarre delirium. Taking advantage of the fire that ravaged Rome in that year, he had the city reconstructed in the Greek style and built the most prodigious palace that a man had ever consecrated to the new god – the fabulous Golden House, which, had it been finished, would have covered a third of Rome. During the fire Nero was at his villa at Antium 35 miles (56 kilometers) from Rome and therefore cannot be held responsible for the burning of the city. Nor, despite the apocryphal additions made centuries later to the Annals of the Roman historian Tacitus and to the Nero of Suetonius, the Roman biographer and antiquarian, should he be charged with the first persecution of the Christians, because there were then so few Christians in Rome. Paul had just arrived in the city, and the Jews were anxious to learn from the Apostle the nature of this new sect, proof enough that no one had yet told them about it. Nero corresponded with Tiridates, the Armenian prince, and learned the religion of Mithra from him. He gave himself up to debauches and vice but also imposed the wearing of the white toga and had the floral festivals of the Field of Mars transformed into sacred proceedings.

The approaching end. The imperial government had had some success in the east. Their general, Gnaeus Domitius Corbulo, was able to impose an advantageous settlement on Armenia, which had long chafed under Roman suzerainty. Rome now recognized the Armenian ruler Tiridates, but he was now compelled to come to Rome to receive his crown from Nero. This secured Armenia as a buffer state against Parthia, Rome’s implacable foe in the east. Nevertheless, the provinces were increasingly uneasy, for they were oppressed by exactions to cover the imperial court’s extravagance. A revolt in Britain was headed by Queen Boudicca (Boadicea) in 60 or 61, and an insurrection in Judaea lasted from 66 to 70. Nero had many antagonists by this time. The great conspiracy of the Piso family in 65 reveals the diversity of his enemies – senators, knights, officers, and philosophers.  The Emperor did not give way to panic; the slaves kept him out of danger by warning him of plots hatching among their masters. And he did not altogether abandon his lenient attitude. Out of 41 conspirators, only 18 died (including Seneca and the poet Lucan), either by order or from fear; the others were exiled or pardoned. At the end of the year 66 he undertook a long visit to Greece, the « country of the gods », which was to keep him away from Rome for 15 months, and during his absence he entrusted the consulate to one of his freedmen. He freed Greek cities in honor of their glorious past, suppressed the pagan gods, and went everywhere garbed and ascetic, barefoot and with flowing hair. He returned to Rome to establish there the worship of Apollo in his manifestation as the dolphin god, to free slaves, and in his own way to instruct the young nobles, to distribute money among the people, and to surround himself with « priests of the sea » (followers of Neptune.

In the four months following his return (from February to June of 68) these delirious actions aroused the enmity not only of the Christian Jews, who called him the Antichrist, but also of the Senate and the patricians, whom he insulted openly, and especially the great Roman families who had been dispossessed by him. Even the soldiers of the legions were scandalized to see the descendant of Caesar publicly act the parts of ancient Greek heroes and re-create in Greek fashion the legend of a savior born of a virgin-mother (Canathos). « I have seen him on stage », Gaius Julius Vindex, the legate who rebelled against him, was to say, « playing pregnant women and slaves to be executed. »

At the news of revolts brewing throughout the empire – that of the principal governor Servius Sulpieius Galba in Spain, the rebellion of Vindex at Lyons in Gaul (France), and others on the eastern frontier – Nero only laughed. Instead of taking action, he composed hymns and had hydraulic organs made. Arming his priestesses with light shields, he said « I have only to appear and sing to have peace once more in Gaul ». Meanwhile, the legions made Galba emperor, and the Senate condemned Nero do die a slave’s death: on a cross and under the whip. The Praetorian Guard, his palace guard, abandoned him, and his freedmen left to embark on the ships he kept in readiness at Ostia, the port of Rome. He was obliged to flee the city. According to Suetonius, he stabbed himself in the throat with a dagger, and his Christian mistress Acte buried him piously in a white sheet in conformity with his wishes.  According to another version (recounted by Tacitus and almost certainly fiction) he reached the Greek islands, where the following year (69) the governor of Cythnos (modern Kithnos) recognized him in the guise of a red-haired prophet and executed the sentence passed by the Senate.

The emperors Otho and Aulus Vitellius honored his memory, and the people adored images of Nero for 20 years. The historians Plutarch and Josephus protested against the « calumnies that soiled his memory », but all in vain. Trajan and subsequent Roman emperors execrated his memory, destroyed his works, including the Golden House, as well as the many works in which Lucan, Plutarch, Rusticus, and many other writers commemorated the period of his reign. Under these emperors, Tacitus, Suetonius, and later Dio Cassius wrote the biographies of Nero known today. Lastly, the Christian Church, triumphant under the emperor Constantine I the Great, furthered the legend of Nero as a monster and even added to it in the 15th century by drawing upon the apocrypha of Sulpicius Severus, a Christian ascetic and historian of the early 5th century, to transform Nero into Antichrist, the first executioner of Christians.

Jean-Charles Pichon

 

 

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Saint Néron


Editions e-dite 2000

Présentation parue dans « Les Portes de Thélème »,

N°3, juillet 1999

En 1961, Jean-Charles Pichon signe un essai historique intitulé « Saint Néron » (Robert Laffont). L’ouvrage déchaîne les passions au sein de la critique francophone. En 1971, l’auteur poursuit sa quête audacieuse par la publication d’une version augmentée et révisée: « Néron et le mystère des origines chrétiennes » (Robert Laffont). En 1990, Jean-Paul Debenat se penche sur le texte de Jean-Charles Pichon et lui consacre une étude, « Néron ou le Combat des Dieux » (éditions Recto-Verso, Bruxelles, épuisé) avec une postface de Jacques Van Herp. Jean-Paul Debenat y effectue un travail de comparatiste, plaçant l’ouvrage de Pichon en regard des textes traitant de Néron – sous la plume d’historiens, de romanciers, voire d’auteurs de science-fiction – publiés depuis un quart de siècle. Voici un extrait de l’essai de Jean-Paul Debenat.  La notation (JCP) renvoie à des extraits de l’ouvrage paru en 1971.

Illustration Pierre-Jean Debenat

L’ouvrage complété et commenté [1971] apparaît dix ans après « Saint Néron ». J-C. Pichon y conclut comme suit son « avertissement »:

« Si je devais être encore (cet) objet de scandale, je donnerais à nouveau rendez-vous au lecteur dans une dizaine d’années »(JCP). A ce rendez-vous, J-C. Pichon n’est plus dans la même mesure, loin s’en faut, l’objet de scandale qu’il demeurait en 1971. Si « l’opinion commune ne s’émeut que lentement et après bien des refus »(JCP), les spécialistes considèrent en effet aujourd’hui que Néron ne fut pas responsable de l’incendie de Rome. Ne serait-ce qu’en cela, l’ouvrage a contribué à modifier le portrait d’un personnage qui restait immuable depuis dix-neuf siècles.

Il convient maintenant d’examiner cet ouvrage de plus près.

Tout d’abord, dans la préface de 1961, l’auteur définit sa méthode. Reporter enquêtant à l’occasion sur des causes célèbres, les assassinats de Lurs, l’affaire Paule Guillon, le procès de Marguerite Marty ou du curé d’Uruffe, il procède en journaliste:

 » – Ne pas rejeter une hypothèse, si surprenante ou scandaleuse qu’elle soit, lorsque seule elle permet de comprendre l’inexplicable.

– L’hypothèse trouvée, la juger moins en fonction des faits affirmés et des opinions reçues qu’en fonction des raisons qui purent y faire prétendre: par là s’explique la forme inhabituelle qu’emprunte cet essai. On le considérera comme un reportage parmi les morts, les textes mutilés et les ruines »(JCP). Puis l’auteur précise les circonstances qui l’amenèrent à rédiger « Saint Néron ». Il s’agissait à l’origine d’une commande de Robert Laffont destinée à sa collection Ce jour-là, portant sur un sujet classique, « l’incendie de Rome sous Néron, en l’an 64 de notre ère ». J-C. Pichon avoue qu’il pensait, comme tout un chacun, que Néron était « le génie créateur, dénaturé par le pouvoir, capable de tous les crimes et de tous les excès, placé sur la route du jeune christianisme comme tout exprès pour lui interdire le passage »(JCP).

Rédiger, après bien d’autres, un ouvrage supplémentaire sur Néron, revenait à se livrer à un exercice de style auquel s’adonna J-C. Pichon. Mais après avoir rédigé plusieurs chapitres – pages délirantes – il découvrit le livre de l’historien britannique Arthur Weigall « Nero, Emperor   of Rome », qui prend en compte, à partir des textes, officiels ou non, les actes de clémence et de générosité de l’empereur, l’oeuvre du constructeur, les mesures de tempérance vis-à-vis des impôts…

« Il faut bien s’étonner que trop d’historiens n’en aient pas tenu compte. Sans doute, chrétiens, préféraient-ils à ces documents sûrs mais imprévus le mythe commode de l’Antéchrist; universitaires, jugeaient-ils littéraire et dangereux de chercher à concilier de telles contradictions »(JCP).

Il est possible aussi que les spécialistes aient jugé suspecte l’ambition, avouée, d’Arthur Weigall: se faire autre par un retour en arrière, tenter de modeler sa sensibilité sur celle de l’époque étudiée tout en conservant la rigueur du véritable historien. J-C. Pichon adopte la même attitude: « Ainsi, quand je crus avoir compris Néron, j’ai commencé de l’écouter et de l’entendre, de le regarder dormir, alourdi de boissons, de mets et de fatigue, manger sans faim et sans retenue, approcher ses grosses lèvres d’un verre plein de Falerne ou refléter le visage surpris d’un de ses hôtes dans ses yeux de poisson »(JCP).

L’écrivain imagine les conversations entre Néron et ses invités: Josèphe, l’historien juif, Simon le magicien, l’acteur Aliturion, Pétrone. Il souligne la contradiction entre l’énergie infatigable déployée par l’empereur pour soulager les victimes de l’incendie et l’accusation monstrueuse portée contre lui. S’il n’est pas coupable du désastre, Néron s’en réjouit peut-être: il reconstruira une Rome conforme à ses rêves d’artiste.

« Il me fallait, m’appuyant sur tout ce que nous savons du caractère de l’empereur, expliquer « de l’intérieur » la scène insensée et y montrer l’aboutissement d’une lente évolution secrète… »(JCP)

En mars 1960, J-C. Pichon séjourne à Rome, où, dit-il, « j’allais découvrir une autre réalité ».

Comme d’autres avant lui, J-C. Pichon subit l’influence du décor. Maintenant, l’incendie de Rome se déroule sous ses yeux, mais cette fois, comme s’il y assistait vraiment. Devant l’ampleur de la catastrophe, le peuple cherche un coupable car le hasard ne suffit pas à expliquer les faits. Mais, s’il est plausible de supposer que Néron n’aimait pas Rome et rêvait de la remodeler, il est admis aujourd’hui qu’il n’en devint pas pour autant incendiaire. Qui donc avait intérêt à l’accuser de crime et à répandre cette accusation dans le peuple? Jean-Charles Pichon répond en citant le complot découvert en 65, à peine sept mois après l’incendie. Néron condamnera 18 conspirateurs sur 41 à mourir (parmi eux le consulaire Pison, le philosophe Sénèque et le poète Lucain). Des griefs divers unissaient les conjurés: mépris de l’empereur vis à vis d’un sénateur, insulte à un poète, offense à l’égard d’un général.

« Mais d’autres se sentent seulement honteux et las d’obéir à un prince qui préfère la déesse syrienne Atargatis à la Mère Primordiale et les succès – fort douteux – d’histrion aux honneurs que lui rend le Sénat. Tout est bon à leurs critiques: la taxation insuffisante du blé (qui permet à chacun de manger à sa faim); l’abaissement du poids des pièces d’argent (qui consolide l’or, universellement reçu); le droit latin accordé aux populations des Alpes maritimes (bien que, plus gravement, on ait vu Claude accorder le droit de cité à des provinces entières sans que les sénateurs s’en plaignissent). Ils reprochent à l’empereur, tantôt la mort de sa mère ou de sa femme, tantôt sa dangereuse faiblesse envers les poètes insolents, les consuls ambitieux, les généraux vaincus. Ils ont pincé les lèvres et froncé le sourcil la première fois que Néron a joué dans un théâtre – c’était à Naples; ils ont cru que la voûte du ciel s’écroulait lorsqu’ils ont entendu, cette même année, sur l’étang d’Agrippa, l’Empereur du Monde, chevauché par son bouffon, hurler comme une femme que l’on force… »

Les conspirés ne parviennent pas à soulever le peuple: Tigellin, le préfet de police reste maître du prétoire; le sénat est divisé et trop de généraux demeurent fidèles à Néron.

« Ils découvrent à la fois que le moment d’agir est venu et passé, car on peut exploiter le désarroi d’une foule mais non pas sa panique »(Tacite).

Imitant Arthur Weigall, J-C. Pichon insiste sur la mansuétude de Néron: 18 conjurés seulement périrent, les autres seront exilés, graciés ou acquittés, modération remarquable comparée à celle des autres empereurs.

Afin de détourner la rumeur infamante, Néron aurait inventé des coupables. Ainsi le prétend Tacite. L’empereur profita alors de la mauvaise réputation dont jouissait une petite secte juive, celle des chrétiens, « convaincus  moins du crime d’incendie que de haine contre le genre humain »(Tacite). Le texte de Tacite autorise J-C. Pichon à soulever plusieurs questions qui méritent d’être résumées ici:

1) Le peuple romain était-il capable de faire le partage entre les diverses sectes juives de cet an 64?

2) Comment Néron aurait-il pu massacrer des milliers de chrétiens alors qu’ils ne sont que quelques uns à Rome puisque la secte vient de naître?

3) Comment parler de répression romaine en 64, alors qu’aucune sanction n’est votée et qu’il faudra plus d’un siècle pour que la croyance en Jésus devienne un crime?

Jean-Charles Pichon, comme l’historien Charles Louandre, soupçonne Tacite de malhonnêteté et suggère en outre la possibilité d’un ajout apocryphe, concernant les persécutions, au texte de Tacite. De même, un passage de Suétone relatant les mesures rigoureuses édictées sous le principat de Néron, semble suspect:« taxées, les dépenses luxueuses, ramenés à des distributions de vivres, les festins publics; interdite, toute vente dans les cabarets, sauf de légumes et d’herbes potagères, alors qu’on y servait naguère toutes sortes de mets; livrés au supplice, les chrétiens, gens adonnés à une superstition nouvelle et maléfique; prohibés, les jeux de cochers de quadriges qu’un vieil usage autorisait à vagabonder en tous lieux, trompant et volant chacun; etc. »

J-C. Pichon se montre fort surpris de voir les chrétiens placés entre les herbes potagères et les cochers de quadrige! D’autant plus que l’ouvrage de Suétone abonde en passages consacrés spécifiquement aux religions du temps et aux excès de l’empereur. Il remarque aussi que le supplice des chrétiens peut difficilement entrer dans le cadre d’une énumération d’institutions nouvelles puisqu’aucun texte de loi n’est venu légiférer de tels supplices. C’est pourquoi l’hypothèse d’un ajout maladroit et tardif, par quelque copiste chrétien, lui paraît tout à fait défendable, et applicable également à l’oeuvre de Tacite. Le massacre des chrétiens, dans ce contexte, est incompréhensible: « les lois qui l’eussent permis ne font pas moins défaut que les victimes! »(JCP)

Qui Néron a-t-il persécuté? Les Juifs? Cela est fort improbable: « L’empereur aimait la compagnie des Juifs. »

En 63, il écoute le jeune historien Flavius Josèphe plaider la cause de ses compatriotes assignés à comparaître. Par la suite, il répond favorablement à la requête d’une délégation juive, soutenue par Josèphe, afin qu’un mur de Jérusalem soit préservé. L’historien dans les « Antiquités Juives », en 93 (soit 25 ans après la mort de Néron) continue de défendre l’empereur et s’élève contre les auteurs qui l’accablent de mensonges impudents.

La question demeure: qui fut la victime des persécutions?

« Pendant ces deux années 65 et 66 où la Ville s’inquiète, où les sénateurs s’irritent, où les patriciens se révoltent, où ses intimes l’abandonnent, que devient Néron? De moins en moins un empereur, de plus en plus l’un de ces hommes insaisissables que les historiens pour s’en débarrasser, prétendent atteints de folie.

Dans le même temps où il gracie trop de coupables, il se montre impitoyable pour des hommes du passé auxquels il ne reproche qu’une rigoureuse vertu. »(JCP)

Pourtant, ces persécutions insensées suffisent-elles, au regard de celles de ses prédécesseurs et de ses successeurs, pour que l’on qualifiât Néron d’ennemi du genre humain ? N’y a-t-il pas un crime encore plus impardonnable, que la destruction de ses créations – la Maison Dorée, ses textes poétiques et ceux de ses chroniqueurs (Rusticus, Cluvius Rufus) – nous interdit de connaître?

« … pourquoi, s’il a été un monstre, le peuple romain le vénéra-t-il pendant un demi siècle comme un bienfaiteur de l’humanité? »(JCP)

La réponse viendra lors du second séjour romain de J-C. Pichon, précisément dans les ruines de la Maison Dorée, car « toutes les routes mènent à l’architecture »(H-G. Wells)

La Maison Dorée

La troisième partie du livre, » L’Hypothèse », commence par la description du palais que l’empereur fit construire sur le Palatin et l’Esquilin. L’édifice évoque la patrie des dieux. Pourtant là où certains ne reconnaissent que la nostalgie de la tradition grecque ou l’expression de la démesure, l’auteur décèle en contemplant les peintures murales, les mosaïques ou les fresques, mutilées, l’empreinte du christianisme.

« J’ai vu ou j’ai cru voir des figures et des ombres où je reconnaissais les contours esquissés des premiers symboles chrétiens: des poissons et des palmes; et, dans la salle des mosaïques, le sentiment qui me tenait était exactement celui que j’avais ressenti dans les plus anciens lieux de la chrétienté. »(JCP)

Illustration Pierre-Jean Debenat

J-C. Pichon combat cette impression profonde où le raisonnement n’avait que faire, jusqu’à ce qu’en dépit de son absurdité, elle s’impose définitivement.

On admet, à la rigueur, que « Néron n’ignorait rien du christianisme », lui qui accueillait les devins et les astrologues, préférait à l’adoration des Lares les rites « étrangers », s’initiait aux religions perses, syriennes, égyptiennes. Cependant, l’hypothèse d’un Néron adepte du christianisme n’a pas fini de surprendre. Considérons les arguments qui la soutiennent. Parmi ceux-ci, la présence de Paul de Tarse à Rome pèse d’un poids particulier.

En 58, Paul, arrêté dans le temple de Jérusalem est accusé de susciter la rébellion du peuple juif. Il passera deux ans en prison, jusqu’en 59 ou 60. Transféré à Césarée, gouvernée par Festus, il demande à être jugé à Rome en tant que citoyen romain, et fait appel à l’empereur. Il est clair qu’il ne craint pas l’arbitraire de ce dernier. A Rome, en 62, on l’autorise à prêcher: « Paul demeura deux ans entiers dans une maison qu’il avait louée. Il recevait tous ceux qui venaient le visiter, prêchant le royaume de Dieu et enseignant Jésus-Christ en toute liberté et sans obstacle. »(Actes des Apôtres 28: 30-31)

Paul semble effectivement jouir de la protection de l’empereur et en se rendant à Rome, l’apôtre nourrissait certainement l’ambition de s’entretenir avec Néron. La tradition a d’ailleurs sauvegardé le souvenir des rapports entre Paul et Néron, puisqu’une fresque de la Chapelle Palatine à Palerme montre l’empereur arbitrant un débat entre Paul, Pierre et Simon le Magicien.

Pour J-C. Pichon, la rencontre de Paul et de Néron ne fait aucun doute. Paul lui-même fournit un argument irréfutable dans une épître où il laisse éclater sa joie: « j’ai de tout et en abondance » et qui se termine ainsi: « les frères qui sont avec moi vous saluent. Tous les saints vous saluent, particulièrement ceux de la maison de César. » (Epître aux Philippins 4: 21-22)

Ainsi Paul est reçu dans la maison de César, car l’empereur attendait la prodigieuse nouveauté de la parole de Jésus. Dans son entourage, l’influence de son indéfectible amie Acté le portait à entendre cette parole; l’enseignement  de Simon le Magicien et d’Apollonius de Tyane également. L’astrologie constituait une partie du savoir des hommes de ce temps. Par l’intermédiaire d’Apollonius, ou par d’autres, Néron connaissait la précession des équinoxes: tous les deux mille ans à peu près – l’ère de 2150 ans selon Platon – les constellations se déplacent sur la roue du Zodiaque.

« Au 1er siècle, les temps sont arrivés où les Poissons, avec leur double sens astrologique – l’amour, Vénus (le vendredi), et l’océan-humanité – allaient être le signe d’une religion nouvelle, appelée à porter témoignage de Dieu pendant deux mille ans. Misant sur les Poissons, Néron mise sur l’avenir. » (JCP)

On sait que les chrétiens ont fait du Poisson, en grec ICHTUS (initiales de Iesous Christos Theou Vios Soter: Jésus-Christ, le Fils Sauveur de Dieu), leur signe de ralliement.

Au printemps de 65, Néron donne son nom au mois d’avril (le mois de l’ouverture), « parce que ce mois, que nous plaçons encore sous le signe du Bélier comme le firent Jacob et Joseph, était en fait depuis un demi-siècle déjà recouvert par la constellation des Poissons, comme il doit l’être, en notre temps, par la constellation du Verseau. » (JCP)

Les déclarations de Paul éveillent des échos singuliers: il ne fait pas le bien qu’il veut et fait le mal qu’il ne veut pas; Romain, il ne s’attache pas à ce qui meurt car la mort doit être vaincue; les tours de Memphis, Ur et Babylone égalèrent celles de Rome, puis elles furent précipitées: la Parole seule demeure.

La passion de Paul dépasse de beaucoup les propos des stoïciens et des astrologues. L’empereur se lasse des dieux officiels du Panthéon romain. Avide de dépassement, il écoute Paul. « A quoi bon le pouvoir illimité de César, si César se contente de paver des routes en Thrace? C’est Rome qu’il faut réinventer; des provinces entières qu’il faut rendre libres; le ciel qu’il faut doter d’un Dieu! Cette joie fulgurante porte une montagne de rêves. Mais les rêves de César sont des réalités. Car vraiment, César, que ne peut-il pas? » (JCP)

Il faut renaître. Alors, le Prince, amant des Grecs, se fait comédien, car s’il faut changer pour vivre, l’acteur, lui, est immortel. L’acteur et l’architecte, ajouterons-nous: rêvera-t-on plus somptueux modèle que la Maison Dorée, modèle que l’empereur, artiste suprême étendra à l’empire tout entier?

« … comme un maître architecte, j’ai posé les fondements: un autre bâtit dessus. Seulement, que chacun prenne garde à la manière dont il construit. En fait de fondement, personne ne peut en poser d’autre que celui qui a déjà été placé: Jésus-Christ. Si maintenant sur ce fondement, on bâtit avec de l’or, ou de l’argent, ou des pierres précieuses, ou du bois, ou du foin, ou du chaume, l’ouvrage d’un chacun sera manifesté… Si l’ouvrage construit résiste, l’ouvrier recevra sa récompense. Si son ouvrage est consumé, il la perdra. Quant à lui, il sera sauvé, mais en passant en quelque sorte par le feu. » (1ère épître aux Corinthiens 3 : 10-15)

C’est Paul qui parle et Néron reçoit son enseignement à la manière d’un prince romain doté d’une âme d’artiste. Dion Cassius, l’historien, dit qu’il a vu l’empereur endosser tous les rôles légendaires, d’OEdipe à Thyeste, mais dorénavant, Néron se transforme en femme enceinte, en mendiant, en héros.

« Si quelqu’un parmi vous se prend pour un sage, à la manière de ce siècle, qu’il se fasse fou, afin de devenir sage. » (1ère épître aux Corinthiens 3 : 18)

Puis, en 66, lors de cérémonies grandioses, l’empereur dépose le diadème de souverain sur le front de Tiridate, qui devient ainsi roi d’Arménie sous le protectorat de Rome. Il ferme également les portes du temple de Janus, symbole de la guerre. Ainsi il acquiert la paix pour l’empire et un ami politique en la personne de Tiridate. Il en profite pour se faire initier par ce dernier à la légende et à la doctrine du Dieu Mithra.

Au travers des rôles qu’adopte l’empereur au théâtre, de ses engouements pour divers dieux et déesses, transparaît l’histoire miraculeuse du Christ: « Le Christ ainsi devra naître d’une vierge – vierge et mère comme l’Eau – et dans une grotte ainsi que Mithra. Comme le dieu de Tiridate, d’humbles bergers d’abord l’adoreront. Aux mages et aux grands prêtres des diverses religions, venus d’Egypte et de Chaldée, de Phrygie, de l’Inde lointaine, les étoiles du ciel désigneront le lieu de la naissance. Alors porté par un tel mythe, le christianisme pourra devenir l’Eglise Unique, promise aux deux mille ans où règnera le Poisson! » (JCP)

Néron se veut le metteur en scène du spectacle grandiose: la création du Dieu universel. Dans ce but, il recrute des agents: il s’entoure d’étranges prêtresses vêtues de blanc; en 68, il prend aux riches pour donner aux pauvres, et les esclaves, les affranchis tiennent le haut du pavé. Il les enrôle dans des cohortes bizarres, qui s’ajoutent aux Augustiani. En 68, après le long voyage en Grèce – pendant lequel il osa confier le consulat à Hélius, un affranchi -, il crée un corps de prêtres de la mer.

Les agents de Néron – que l’on pourrait qualifier de Jeunesses néroniennes – dénoncent le maître injuste, l’avare, le citoyen qui ose porter une toge pourpre au mépris du règlement. Leurs excès, et ceux de l’empereur, mécontentent les dépossédés.

A l’extérieur, la révolte gronde, menée par Vindex, Galba, Othon, Rubrius Gallus. Mais l’empereur se contente de perfectionner ses orgues hydrauliques! Paul réprouve la parodie de la foi, la folie mystique qui pousse Néron à se présenter comme Dieu.

Galba investit la capitale. Il massacre des milliers de soldats sans armes, les fidèles de Neptune, les pêcheurs d’hommes de Néron. Rome ne s’appellera jamais Néropolis. La comédie est terminée. Néron, réfugié dans la villa d’un de ses affranchis, Phaon, se perce la gorge à l’aide d’un poignard, le 9 juin 69.

Paul mourra peu après Néron, sans doute le 29 juin, victime des épurations.

« L’empereur n’avait agi ainsi que par orgueil, si humains que fussent parfois apparus ses actes. Si douteux que les siens aient semblé aux jeunes communautés chrétiennes, l’apôtre n’avait cessé d’agir comme « hors de lui », dans le plus parfait désintéressement. L’un ambitionnait sa gloire et l’autre la gloire de Dieu. Le vrai créateur, dont les oeuvres durent, n’est-il pas celui qui s’est renoncé pour sa création, sans s’inquiéter d’en être applaudi? » (JCP)

Un quatrième et dernier chapitre, de dix pages seulement, intitulé « L’Histoire », précise le sort réservé à la mémoire de Néron. Le peuple, après avoir adoré, puis haï l’empereur mort à 33 ans, espère son retour – ou sa résurrection.

Parmi les qualités de l’ouvrage, certaines méritent d’être soulignées.

La première est d’avoir pris Néron au sérieux, en tant que bon administrateur d’abord, en tant qu’artiste passionné ensuite. Musicien, poète et comédien, Néron ne fut pas un bouffon – même si certains de ses contemporains jugèrent sa présence sur les planches incompatible avec ses fonctions. J-C. Pichon le montre se livrant à des exercices astreignants afin d’améliorer sa voix; angoissé, comme il est fréquent chez les acteurs avant le lever de rideau.

Néron

Rassemblant les chefs-d’oeuvre (peintures et sculptures, grecques pour la plupart), s’entourant d’écrivains, Néron ne se contente pas de cultiver l’art pour l’art. L’intuition qui le guide se reflète dans les personnages qu’il incarne à la scène; elle transparaît de même dans son attirance envers la déesse Attargatis, Dea Syria, que les esclaves vénèrent dès le 2ème siècle av. J-C., et pour laquelle le poisson est un animal sacré; envers la vierge-mère Junon-Canathos; envers Apollon enfin, sous sa forme de dieu-dauphin.

Cette intuition se nourrit en outre de rencontres: avec les ésotéristes juifs, le mage gnostique Simon, le sage néo-pythagoricien Apollonius de Tyane, Tiridate, instrument de la conversion au zoroastrisme, et Paul de Tarse.

J-C. Pichon insiste sur les mesures significatives prises par l’empereur: l’interdiction de la mise à mort lors des combats de gladiateurs (mesure fort impopulaire), l’importance sociale, politique et religieuse grandissante accordée aux esclaves et aux affranchis.

On remarquera, incidemment, que lorsque Néron favorise les pauvres – s’aliénant ainsi les notables – il les prive également, dans un monde avide de brutalité, du spectacle des effusions de sang dans les arènes.

Les mesures adoptées par l’empereur sont trop nombreuses à aller dans le même sens pour qu’on continue à les ignorer.

Le second mérite de l’auteur consiste à décrire avec minutie l’évolution de Néron, qui balayant le Panthéon romain, tente d’instaurer le dieu nouveau.

L’humanité connut une tentative similaire, également malheureuse: celle d’Akhénaton, au 14ème siècle av. J-C., qui brisa avec le polythéisme de son époque, et essaya d’établir par la force le culte d’un dieu unique, dont le Soleil aurait été la manifestation. Comme Rome après la mort de Néron, Akhénaton à sa disparition laissa l’Egypte – pays pour lequel Néron nourrissait un profond intérêt – en proie au chaos. Comme Néron, Akhénaton suscite toujours les réactions les plus violentes et les plus contradictoires: « Pour certain savant moderne, c’est la première personnalité que l’histoire enregistre; pour tel autre, c’est un excentrique, un maniaque, à demi-fou, peut-être même débile. » (C.S. Lewis, Reflections on the Psalms)

Chez Néron, le renversement des valeurs mène aux pires excès: J-C. Pichon décrit, sans l’atténuer, la démence religieuse qui envahit un homme dont l’ambition ultime n’est rien moins que de créer Dieu.

Enfin, J-C. Pichon a mis toute son énergie à déchiffrer Néron dans son contexte, et cela est primordial.

« Ceux qui parlent de lire la Bible comme si c’était de la littérature, veulent dire, je suppose la lire sans se préoccuper de l’essentiel; comme si on lisait Burke sans s’intéresser à la politique ou l’Enéide sans s’intéresser à Rome. » (C.S. Lewis, Reflections on the Psalms)

On ne traite pas, en effet, la Bible comme un roman. On n’aborde pas un homme de guerre comme un poète.

Il fallait appréhender l’émergence d’une nouveauté singulière par le truchement de Paul et de Néron, faire le compte-rendu de leur double échec, dans un monde de complots et de massacres.

Il fallait saisir et rassembler, au travers des ruines et des textes fragmentaires défigurés, les liens à la fois émotionnels et logiques.

Jean-Charles Pichon, croyons-nous, y est parvenu.

Jean-Paul Debenat

Document audio (26′) :

Néron

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Les 4 Poèmes suivis de l’Absurde raisonné

OU BIEN… OU BIEN…

1-    Hasardeux nécessaire ambigu le poème

ne sera pas donné sans que le soit tout être

sans que dans l’œuf renaissent

les germes du Verseau.

2-    Ils se dénombrent deux. Mais où sont-ils ?

Dedans dehors. Comment ?

Par ouverture ou fermeture. En quelle

figure courbe ou droite ?

3-    Mais que sont-ils ? A deviner. Garçon ou fille.

Qu’est-ce qui s’ouvre et se ferme ?

La bouteille, la porte. Unit et désunit ?

Les mains, le poing ? Pénètre mais contient ?

4-    Debout ou couchée, ouverte ou fermée

la bouteille emplie ou vidée,

le sang, le vin dedans, dehors.

Mais s’il n’est qu’un seuil qu’ouvrir ? Que fermer ?

5-    De porte la poignée a pour fonction l’imposte.

De sabre ou de poignard elle assure la prise

pour manipuler l’arme et resserre les doigts

qui vont miser de grains, d’écus le manipule.

6-    Objet ou sujet, mutante

de la queue à la tête et dans le tête-à-queue

la chose frémit. Mais dans le transfert

le Trou Noir la condense et le Bang l’éparpille.

Illustration Pierre-Jean Debenat

7-    Chacun des trois dès lors danse un autre quadrille.

Dedans dehors le plein le vide.

Unis ou désunis par la prise ou la mise.

Une flèche dans l’arc, le pénis au vagin

8-    horizontale, verticale, oblique aiguille.

Mais horloge un manège ou boussole cet arbre

dans la foire ou dans la forêt qui se proposent,

Loterie ou zodiaque à terme disposé.

9-    Par la permanente inversion des lettres

qui sans cesse défait et refait l’univers

de l’unité sans faille au zéro sans repère

et que sans fin je clique interné en ce Net.

11 août 2000

LE JARDIN ET L’ELEPHANT

Pour Geneviève

Illustration Pierre-Jean Debenat

1

Pour l’aveugle affolé le monstre est indistinct,

vaguement circulaire, un serpent, une enceinte,

pour le savant aveugle un cube symétrique.

Mais l’animal se fait infirme au terme

puis un tas d’os quand le quadrilatère

révèle une constante en son désossement.

Lequel est plus réel, du concret, de l’abstrait?

Aucun des deux sans doute ou c’est désespérant:

la chair vit pour mourir, le nombre pour renaître

autrement, indéfiniment

2

L’éléphant va paisible entre les cardinaux,

s’inscrivent au jardin l’année et ses saisons.

Dressé l’animal, couché le parterre,

mais courbe le cycle et droit le massif

ornement de tous les zoos

(que formule de fleurs et de buissons l’artiste,

sinon le blasonneur expert en floraisons).

Quel cycle contiendra la vie de l’éléphant?

On aura dit l’enfance et la jeunesse,

l’adultération, le vieillissement:

au lieu des saisons les quatre âges.

3

Le jardin nous en dit bien plus que l’éléphant,

quoique il puisse de même être carré ou cercle,

que la pousse des fleurs et leur effeuillement

y soient une autre vie et comme en d’autres âges

le rythme assuré des mois.

L’hiver s’y fait trou noir aux germes innombrables

quand le vieillard persiste en son big bang.

Le désert de l’été que peuplent les mirages

semble ne rien devoir au trop-plein de l’enfant.

Dois-je dire un Noël naissance

et le Quinze Août Assomption?

De l’éléphant le parc n’est-il que ce contraire?

4

D’où renaît le jardin? Du pollen que l’abeille

et la brise ont porté de ca de là?

Ou de la mutation chronique

qui de l’hiver, trou noir, fait l’été, ce trou blanc

et de la forme éparse, illusoire, un foetus?

De mille façons ou des douze au moins

l’humanité s’efforce à traiter un problème

dont elle dit traiter.

Longtemps je t’ai ouverte, aimée avec mon sexe,

puis jugée au hasard, cent fois meillleure

que celui qui osait te préjuger,

semblable à moi dans la fraternité du couple,

me contenant ou contenue au gré des heures,

dominante et servante en la splendeur

de l’heure exquise, vierge ou balancier selon,

ma retraite et l’élan à jamais relancé

vers la cible sans nom qui bornait nos regards,

mais toujours une terre ou gaste ou fructifiante

en tes jardins floraux et potagers

ou concise aux balcons des chambres passagères.

Amour, justice, farce ou symétrie,

n’importe quoi en fait – qu’importe?

Car les mots que je donne à nos dialogues

ne sont que pour unir l’éléphant au jardin,

l’éléphant que je suis au monde que tu ornes,

dans l’au-delà du coeur qui nous libère encore,

l’univers inversé, l’inévitable union.

Le 4 septembre 2000 (ton anniversaire)

Illustration Pierre-Jean Debenat

L’UNIVERS DU VERSEAU

(36 dialectiques en 11 points)

I LA BOUTEILLE

1-    Je dirai l’univers inversé une amphore

2-    pleine ou vide toujours en soi-même autrement :

pleine, de vin, de sang dont je m’abreuve,

vide le vaste espace où le jet se répand.

3-    Non plus ceci et ça ou çà et là,

mais là, dehors, dedans, et la sève épandue

toujours ailleurs entre les univers.

II LA PORTE ET LA POIGNEE

4-    Ferme, close et debout la bouteille ou la porte;

couché, ouvert, l’hôte parti,

le flacon ou le seuil à nouveau désertés.

5-    Une porte ou bien sa poignée ?

Disjointe et béante ouvrant le passage,

Impasse fermée elle réunit.

6-    En l’autre mêmement, imposte ou manipule.

Prise de l’épée ou des mains poignée,

mise en garde ou mise à l’écart

le manipule de soldats ou d’herbes rares,

d’écus, d’objets sacrés l’autre poignée.

7-    Droite ou circulaire : autrement.

Mais où le domaine et quand l’instrument ?

III LE CADRAN ET L’AIGUILLE

Illustration Pierre-Jean Debenat

8-    Dans l’arbre, le manège et le drapeau

le vertical est droit, courbe l’horizontal.

Mais dans la loterie et le zodiaque,

l’horloge et la boussole

l’aiguille et le cadran seront horizontaux.

9-    Ni le reflet dans le miroir

ni le mirage par la vitre

ne seront dits réalité

au cadre dépourvu d’aiguille.

10-        A tous les duos épuisés

se substitue une autre paire :

du Même la trousse et son inventaire,

vers d’autres cieux tournure et trublion.

Illustration Pierre-Jean Debenat

IV LE JARDIN ET LA BETE

11-        Assujettis aux mois et aux âges, qu’importe ?

la Bête se résume à l’entrée, aux sorties

quand l’hiver et l’été m’offrent d’autres jardins.

12-        Dois-je aller mon chemin sans chercher à comprendre

ou me nourrir et me vider comme un tonneau ?

Questionner à tout va ou remettre en question

à toute heure le fruit éphémère des sciences ?

13-        Je dois sans plus me faire attentif au silence

et dire seulement ce que j’ignore encore

de la divine Alliance.

Le 11 septembre 2000

Sans rire ni raison

(Le poème de l’enfant)

– Dis-moi pourquoi je suis ici le jour

et autre part la nuit?

Pourquoi mon veston il a des boutons

et mon blouson l’éclair?

Pourquoi il neige sur la ville?

Pourquoi la queue du chien est noire

et blanche la queue de la dame

qui sourit au mur du salon?

Pourquoi l’aiguille fait tout le tour de l’horloge

et tremble seulement dans ta boussole?

Pourquoi je dois fermer la porte à clé?

Pour que maman elle entre pas?

Pourquoi je me vois dans la glace

et des tombeaux par la vitre?

Pourquoi tu dois le soir vider le litre

que tu vas remplir le matin?

– Vois-tu, fils, ce litron est peut-être mon âme,

il n’est pas ton habit, ni le rêve l’éveil

ni l’autre part ici, ni la vie dans la mort

ni la mort dans la vie.

Mais ne demande pas pourquoi car, entre nous,

je l’ignore encore.

– Moi, je le sais.

Pour que demain je te questionne encore

et joue encore au jeu de Monsieur Je-sais-tout.

18 septembre 2000

Illustration Pierre-Jean Debenat

L’ABSURDE RAISONNÉ

(de la question au jeu de mots)

1-    L’acte et le dit.

Constant et peut-être éternel, le dilemme pour JE est de ne pas trahir le dit par l’acte (une manipulation) et de ne pas déformer l’acte par le dit (une imposture).

2-    Le mouvement et la position.

L’un des problèmes (scientistes) de notre époque est celui que posent le mouvement (ses quantités) et la position (sa probabilité). Qui dit mouvement dit sens, qui dit position dit localisation.

3-    Les sens disent des actes : des prises : chasser la proie, ou des mises (en lumière, à l’écart) – chasser l’intrus. Une occupation ou une opération.

Les lieux disent les positions : contenant/contenu, dehors/dedans. Comment dire les sens en croyant dire les lieux, ou à l’inverse ? Par la poignée (sa prise) et l’habit (une mise).

4-    Leurs sens (sémantiques).

La poignée : qui prend ?

Tu serres la poignée de la porte ou de l’épée.

La poignée serre les mains ou ton trésor.

La mise, en condition ou valeur,

L’habit dit l’habitude et le recouvrement, la coutume ou le costume ?

La poigne et l’habit contiennent et maintiennent.

Mais qu’est-ce qui, hors d’eux, libère et change ? L’inversion des sens de la poigne ou de l’habit, plutôt que l’inversion de la poigne à l’habit, de la mise à la prise.

5-    Du contenant au contenu la poigne, du dedans au dehors l’habit. Comme le disait déjà la divine bouteille – pleine ou vide.

6-     JE ne peut plus dire le Dit et l’Acte sans dire le maintien et le change. Le discours et le dialogue, le maintien et le change dans le traitement et l’entretien (transitifs ou intransitifs). Le jeu de mots sur traitement/entretien conclut le dilemme sur le dit et l’acte, mais ce n’est pas sans le dédoubler, par les 2 dialectiques internes.

7-    Non moins abstraits que la position et le mouvement, d’autres dilemmes : l’espace et le temps, la raison et la foi exigeront d’autres objets : la bête et le jardin, le bouton et l’éclair. Mais ce ne sera pas sans traiter de la bouteille ou la traiter, entretenir ou m’entretenir de l’ouverture, de la fermeture du flacon, de la porte ou de l’habit. Car, là encore, c’est le dilemme interne qui fait le maintien ou le change. Comme dans les questions et les jeux. Ou, entre deux, les 4 poèmes.

Car l’espace et le temps, la question et le jeu, la raison et la foi – et sans doute tout autre dialectique conceptuelle – ne s’inversent d’un terme à l’autre sans se détruire ou provoquer quelque ravage. Mais ils s’inverseront en soi aisément et continûment, sans drame, par le double sens des mots, leur double usage ou l’emplacement des lettres. L’espace par l’étendue et l’intervalle; le temps par le cycle et la direction.

Le jeu par ses instruments et ses phases; la question par ses aspects : quoi ? Comment ? Où ? et par les 2 sens de Pourquoi ? – depuis la cause ou depuis les fins. La raison et la foi, par l’exercice et l’exemple : la religion du modèle divin à l’exercice « spirituel », la science de l’expérience concrète à l’imaginaire isotope.

Les poèmes ne disent rien d’autre, par leurs dialectiques internes, particulières, d’une part; par les sens de « parti » (qu’on prend ou disparu) et de « partie » (d’un tout, à jouer), d’une autre part.

C’est toujours le partiel, le personnel, l’intérieur, le contenu qui fait le change et le maintien, qui œuvre, jamais le général, la diversité, l’extérieur, le contenant. Dieu a besoin de JE, son contenu, à cause de cela, si Dieu est le contenant que la foi imagine. Mais si JE contient Dieu, le nomme, le nombre ou le figure, ainsi que la raison le prétend, c’est le dieu contenu qui, par sa croyance, maintient et change l’univers.

L’homme de foi est acteur, l’homme de raison agi.

Les 4 et les 3

JE peut donc dire qu’une dialectique générale quelconque se positionne entre les termes de deux autres. Comme la foi et la raison entre les questions et les jeux; ou le paradoxe position/mouvement entre étendue et intervalle, aller de la direction et retour du cycle; ou la vie et la mort, la présence et l’absence entre l’incertitude (hypothétique) et l’affirmation catégorique des donnes. Etc.

Car les Droits ne sont horizontaux ou verticaux entre les 4 cardinaux de la croix, sans être diagonaux dans le triangle rectangle isocèle, au 1/8 du carré. Horizontaux et verticaux comme rayons d’un cercle, diagonaux comme rayons d’un autre cercle. Le 1er est inscrit dans le carré; le 2ème le circonscrit. Etc.

Selon que JE invente les dieux (parmi lesquels l’Inverseur) ou que l’Esprit verseur utilise ses serviteurs au maintien et au change de l’univers.

Le jeu est-il toujours possible ? Comment ?

Ne l’est-il pas ? Pourquoi ?

Les 3 en 2

Tantôt, 2 mots étant donnés, contradictoires, ils comporteront chacun les 3 acceptions. Tels, « relation » entre les propositions, « passage » dans le mouvement.

Relation dit un récit ou un rapport, nominé ou nombré;

Ensemblier dans un système, le mot dit l’équivalence ou l’ordre; systématique dans un ensemble, il dit le dehors ou le dedans (de quelque système dans l’ensemble);

Au terme, le mot dit un relais (l’union) ou la relaxe (la désunion).

Passage dit le carrefour : un passage à niveau, ou le combat : un passage à tabac. S’il dit l’opposition entre les passagers. Mais, s’il se fait lui-même passager, il dira le peuplement dans la position : une rue passagère – ou une vitesse en mouvement : un vol passager.

Borné à son acte : passer, le verbe dira le don, l’ajout : je te passe le ballon, ou le retrait : je passe mon tour, je te passe tes travers.

En jouant de « passant », je dirai celui qui passe ou cela par quoi on passe quelque chose, le passant du pantalon. La passe dira un orifice (une serrure ou un moment d’amour payé) ou le passe, la clé.

On remarquera qu’alors, la dialectique première s’est dédoublée en 4.

La relation joue entre des « articles » : masculin/féminin, abstrait ou concret, à faire (dans la bricole ou la brocante).

Le passage exige des axes : l’accès (la crise ou l’accession), l’accueil ou son refus de l’hôte reçu ou recevant, l’accent mis sur l’accès ou sur l’accueil. Nous serons passés ou nous aurons relationné par d’autres comptes : les 4 dans les 3.

De la même manière, lorsque je dis les 3 préfixes hors du mot : PRE, ce qui fut avant, PRI, ce qui domine, PRO vers l’avenir, il me reste à dire l’élection du Président, l’héritage du Prince, la technicité du Pro (fessionnel) – leurs 3 primautés.

Puis, aux Préfixes ou Primautés, je ne puis m’empêcher d’adjoindre quelque Pro généralisé, comme en promesse, projection, projet.

Ici encore, la dialectique première s’est faite quadrilogie : le dehors, le dedans, le plus (opposé au moins) – ou le plus et le moins, l’avant, l’après. Sinon, bien sûr, l’avant, l’après, la réussite, l’échec. Les 4 se feront 6, 12 ou 8, 16 aisément.

Mais la quête d’une synthèse entre le vocable et le nombre n’aboutira jamais qu’à une multitude de figures, dans le champ de la probabilité.

Soit, en jouant des figures (contenue, contenante, horizontale, verticale) :

A                                         B

contenant      contenu               droit         courbe

C

vertical ou debout                  horizontal ou couché

ou à l’inverse, car l’oblique peut jouer des 2 sens.

Ou bien, jouant des dialectiques internes :

a  (droit)   b  (courbe)          a  (contenant, -)  b  (contenu, +)

c                                                c

(l’hypoténuse, le rayon                (la moyenne ou le seuil

dans le triangle ou le cercle)           entre les extrêmes)

N=n+1                                           2n=N+1

Même si la « matrice » de Mandeleief joue de 2n², elle ne donne que des isotopes fictifs, très vite démentis par la réalité. Parce que l’expérience dément qu’on puisse porter l’exercice jusqu’à l’exemple réel à l’infini. Le système à l’ensemble.

Même si « l’exercice spirituel » d’Ignace de Loyola prétend introduire le mouvement dans le modèle ou l’exemple sacré, par le fractionnement de N par n, l’invention d’Ignace ne peut que réduire le réel au dogme, enrichi du catéchisme, du séminaire, du rite adjoint, etc. – jusqu’à la négation de la croyance, de la foi première. Car le support de la foi est l’exemple divin, le Modèle, inaccessible, non pas un exercice, quel qu’il soit.

A partir de 2 dialectiques données (4, si j’en fais le produit : 2X2 ou la somme 2+2), je ne peux qu’hasardeusement remonter à la dialectique première ou autre – ou mensongèrement, lorsque le plus grand nombre (la foule) y croit : cela ne dure jamais longtemps : le temps d’un spectacle admis. Et cela quels que soient les relations entre les articles ou les passages par les axes.

Mais JE peut jouer des 4 Parts (le parti à prendre, le parti qui n’est plus là, la partie du tout, la partie à jouer). Ou des 4 Coups : le coup et les coupezs, le cours et le coût. Pourrai-je jouer des 2 sans projeter un joint entre eux – par le JE contre l’autre, le projet à l’encontre de la cause, le genre, le génie (ou le gène), autres que les espèces ou aspects ? Afin d’instituer les 4 dans les 3 : les Parts, les Cou (p ou t)s et les Joints ? Comment puis-je dire les 2 et ses multiples en 3 ? Evidemment par un calcul tout autre. Plus étrangement, ce sera par des figures, des nombres et des vocables tout autres. Non plus par le dit et l’acte, la position et le mouvement, le moins et le plus, mais par le Même et l’Autre.

Voyons.

Les 4 dans les 3

Je n’en ai guère donné qu’un exemple, ludique et contingent plutôt que démonstratif et convainquant : les 2 tableaux (tavelle, tapon) et les 2 tablatures : l’étable et l’établi d’une part, les 3 Tables de l’autre : des lois, de couleur et ronde. Car les grands machinistes ne s’ hasardent pas, alors que le jeu des 3 dans les 4 les acharne : les 3 tribus en chacun des 4 cardinaux depuis Moïse jusqu’à Ezéchiel, ou les 3 arts dans les 4 sciences Boèce, sinon les jeux complexes des 4 dans les 7 (l’Apocalypse) ou des 4 dans les 10 : les Ages grecs et les Yuga.

Contingent, hasardeux, ludique, le calcul des 4 dans les 3 doit être dit aussi paradoxal. Parti de lui en 1944, par quelque juvénile ardeur, je n’y reviens qu’aujourd’hui, jouant des Paradoxes.

En 1944, les 4 étaient : l’expansion/la condensation, la condition/la libération. Les 3 nombraient les Personnes, les Lieux et les Vertus :

1ère : Je-moi, l’entendement, le Vrai;

2ème : Je-toi, la passion, le Bien;

3ème : Je-lui, la sensation, le Beau ou l’Harmonie.

En chacun des 3 lieux, les flèches conditionnelles (expansion/condensation) se font libératoires (condensatrices ou expansives tout autrement).

Illustration Pierre-Jean Debenat

6 facultés reliaient les lieux et constituaient l’appareillage, que j’ai nommé depuis facultant ou facultatif. Vers 1988/89, reprenant la machine ancienne, je lui ai opposé les « factrices », que m’avaient découvertes vingt études sur les machinistes passés et présents. Puis, il me fallut encore 5 ou 6 ans pour concevoir que la 3ème sorte de machines, « sacrées », tentait seulement d’unir ou d’associer les deux premières : le « Livre de l’homme qui a vu », le Pentateuque, l’Apocalypse, le Coran.

Or, les 3 types de machines comportent une part de paradoxe (lié aux « parts » et au « para » : à côté, similaire, protecteur ou hostile).

Mais il m’aura fallu encore ces deux années  (juillet 98/juillet 2000) avant de nombrer précisément les paradoxes et de les nombrer 4, comme les « parts » et les « para ».

a)     le 1er paradoxe. Il en contient 3 qui englobent les 4.

–       JE ne peut aller que du contenant au contenu, jamais du contenu au contenant (où le contenu est déjà);

–       le contenu excède toujours le contenant, par la condensation, la densité, les jeux de la somme et du produit, etc;

–       JE ne peut donc aller que du moins au plus : la grande loi progressiste et rationnelle.

Les 4 dialectiques sont :

–   le contenu et le contenant,

–       le dehors, le dedans,

–       le vide ou le plein

–       le plus et le moins.

b)    le 2ème paradoxe.

Il semble ne jouer que de 2 dialectiques : de position ou de mouvement.

–       Relationnel entre des positions, il dit l’union et la désunion.

–       Dynamique, il formule le passage ou l’impasse.

–       Mais, la jonction dit à la fois l’union et l’impasse; la disjonction, ensemble le passage et la désunion. D’où la 3ème dialectique : ouverture/fermeture.

Devenu une loi rationnelle, le 4ème paradoxe est nommé loi de polarité. Il s’énonce : l’opposition entre 2 pôles unit les corps; leur similitude les sépare.

L’union et la désunion, le passage et l’impasse, l’ouverture et la fermeture, le +n et le – polaires ou polarisés me redonnent les 4 dialectiques dans les 3 : position, mouvement, polarité.

La similitude fait la disjonction, la contradiction l’union.

L’union fait l’impasse, la désunion le passage.

c)     Les 3ème, 4ème, 5ème paradoxes. A l’infini ?

Dès 1954, un 3ème paradoxe (le 1er pour moi) m’avait été révélé par l’observation de la terrine de pâté dans le four.

Logiquement, jouant des autres ou des choses discontinues, le contenu est dans le contenant.

Mais, dans la chose même (la terrine ici), la face contenue dans le four englobe la face contenante du pâté. L’objet contenu englobe l’objet contenant.

Le paradoxe ici se démontre à l’infini. Le JE contenu dans un espace ou dans un temps, une étendue ou une durée, mon CORPS, englobe évidemment le JE contenant de son entendement, de sa passion, de ses sensations (par les sens sensitifs) et, notamment, de toute appréhension (saisie ou peur) qu’il se fait de l’univers.

Contenu le système solaire dans la Voie Lactée englobe évidemment le même système contenant de ses planètes et de son astre. La chambre contenue dans la maison est plus vaste que ce que mon regard perçoit : la partie de la chambre contenante du lit et d’un fauteuil, d’une commode et d’un pouf ou de mon bureau, des livres et des papiers, etc.

Mais il n’est pas de loi rationnelle pour dire le paradoxe de la terrine car toute raison se volatilise ici. Le paranoïaque aussi croit qu’il contient le monde – et tous les déments officiels, généraux, juges, professeurs, présidents. Et de même l’amant (comblé ou rejeté), le savant imbu de son système. Dirai-je ces JE rationnels ? Ils le prétendent, c’est la preuve de leur folie.

Depuis 1 ou 2

Car une raison digne de ce nom constate seulement l’évidence la plus claire du monde.

Si JE part d’une dialectique, il peut toujours tirer 2 dialectiques de ses 2 termes. En toute certitude, il dispose de ces 3 : A, B, C :

A

b                  c

B                  C

1        2        3          4

Les 4 (1, 2, 3, 4) sont contenus dans les 3 (A, B, C) et même dans l’unique : A.

Mais, si JE part de 2 dialectiques : A et B, il ne peut qu’accidentellement, au terme d’un nombre presque infini de probabilités, trouver la dialectique C, unifiante, restauratrice. Une vie semblable à l’humain, à l’animal, à la plante peut avoir été ou naître demain sur Mars : elle n’est sûrement pas aujourd’hui. Une vie semblable à celle de la matière (en sa dispersion entropique) peut  exister parmi les milliards de planètes et d’astres épars dans notre galaxie; et peut-être un autre mortel dans les milliards de milliards de corps qu’on suppose à l’ensemble des galaxies. Si une étincelle ou une goutte de pluie porte en elle le germe d’un autre univers, ce doit être au terme de quel Big Bang ? Du 2 et de ses multiples JE ne peut tirer – à jamais – que la probabilité la plus infime, ainsi que Pascal l’a compris.

Illustration Pierre-Jean Debenat

Que deviennent alors le 3 et le 4 ? Ils subsistent encore, en leurs relations ou par leurs passages de l’un à l’autre. Comme des personnes aux cardinaux (concrets les 3, abstraits les 4), ou comme des paradoxes, des parts ou des paras aux machines (de l’abstrait au concret).

Comme dans le plus logique et ludique des tableaux, dans le schème alterné des 4 verticaux et des 3 horizontaux. Mais pourquoi ne serait-ce pas à l’inverse ? De quelle importance, en fait ?

Le plein ou le vide réalisés, JE oublie la Bouteille : il ses désespère de l’un ou de l’autre – ou tend vers l’un ou l’autre (par l’appropriation de la raison ou par l’appropriement de la foi).

La position et le mouvement nommés, il oublie portes et poignées;

l’horloge ou la boussole créées, le cadran et l’aiguille;

le couple survivant, la Bête et le Jardin;

le dialogue permis (entre le père et le fils), la fermeture-éclair et le bouton qui ouvrent et ferment l’habit. L’absente elle-même n’apparaît plus qu’en filigrane, comme l’Etre dans la bête et le jardin, l’Ille dans la quille et la bille, un dieu dans le plein et le vide, le dieu de la bouteille (Dieu) dans le vide et le plein.

LE QUATUOR DOXAL DES POEMES

Les questions                          Les titres et les donnes          Les parts et

et l’enjeu                                          (verbales)                      la partie

Pourquoi 1 :                            Ou bien… Ou bien…      hypothétique : quel

dans quel but ?                                                                     parti prendre ?

Qui ? Quand?                          Le poème d’anniversaire    la partie à jouer

Quoi ? Où ?                             Le tour du Verseau             les parties du tout

(les présences)

Pourquoi 2 :                            Sans rime ni raison             La partie ailleurs

(qu’en sera-t-il ?)                           (l’absence)                  catégorique négatif

Les 6 en 4                                Les 9 en chacun des 4 :        Les 24 et les 36 :

4 X 6 = 24                                          9 X 4 = 36                    24 + 36 = 60

4 + 6 = 10                                           9 + 4 = 13                    24 X 36 = 864

Ici et maintenant, les 3 phases du Jeu sont horizontales, qui peuvent être les 3 aspects : figures, vocables, nombres, les 3 sens : sensoriels, sémantiques, directionnels, et les 3 lieux ou milieux : moyeu, moyenne, entour. Mais aussi bien les 3 personnes, les 3 vertus de Platon ou les 3 arts de Boèce : grammatical le Je-moi, dialectique le Je-toi, rhétorique le Je-lui.

Les 4 plans de questions, les ‘ parts et les 4 poèmes, verticalement, disent tout autre chose, que JE formule aussi bien par les 4 éléments, cardinaux, opérations de l’alchimie, instruments de la quête.

Ou les 3 par les Tables : des Lois, la Ronde ou des couleurs,

les 4 par les 2 tableaux (tavelle, tampon), l’étable et l’établi.

Les 3 seront, sont, furent universels et éternels, mais inversibles – par le pendule et le pendant;

les 4 sont éphémères et limités en leurs systèmes, mais JE peut toujours les positionner, dans une direction ou l’autre de la roulette, car ils ne sont jamais, les 4, ni tous concrets ni tous abstraits, ni tous actuels ou virtuels… Partout et toujours l’un des 4 au moins sera abstrait ou virtuel – absent dans l’espace ou le temps, dans le jardin ou la bête, dans le boutonnage ou dans la fermeture-éclair.

Le plus souvent, 2 des 4 ne seront pas ici et maintenant.

Le seul avantage des 4 poèmes est leur simultanéité (fictive ou contingente, tout hasardeuse). Ou dans la pendule, cependant – par la rotation du cercle, dans l’illusion que je puis saisir le courbe, la spirale, le cercle sans avoir dit le droit, l’hypoténuse et le rayon, sans avoir dit la triangulation de l’Etre. Dire, inventer, établir les 4 verticaux dans le mépris des 3 horizontaux. Jouer des choses qui s’offrent ou non, dans le rejet, l’oubli ou l’ignorance des aspects de la chose ou de mes 3 personnes. Une erreur fatale ou inévitable puisque le schème ci-dessus (les 4 et les 3) ne traite pas de leur somme : 7 et de leur produit : 12.

Aux 4 poèmes dialectiques la mémoire du Je-humanité et sa projection la plus aventurée ne peut qu’adjoindre un 5ème (conceptuel, imaginaire) que je dis de l’espace et du temps et délirer dans le 6ème, jusqu’au dérisoire du bouton et de l’éclair. La saisie rationnelle du 7 lui demeure interdite, hors des Livres Sacrés : les 7 jours de Moïse, les 7 églises de l’Apocalypse – a fortiori celle des 12, hors du panthéisme zodiacal, qu’aucun rationaliste ne peut admettre. Car une direction y dément l’autre ou tel aspect, d’opposition, un autre aspect de conjonction, ou la position des signes, des dieux, leur mouvement éternel.

JE devrait savoir questionner, mais c’est ce que l’homme de foi, dogmatisé refuse. Il devrait pouvoir jouer, mais c’est cela dont le scientiste s’indigne. Le dogmatique prétend la question hérétique, maudite. Le systématique prétend le jeu indigne de lui, contingent, dérisoire. Le premier réfute l’appellation « tyran » que le dogme impose. Le second hait l’appellation « clown » dont le système l’orne. Le premier tue le questionneur et le second le joueur – pour la même raison : le refus de l’Autre, le plus secret, caché en leurs entrailles, car, au départ, l’homme de raison a questionné, l’homme de foi a joué – mais, à l’inverse, l’homme de foi questionne éperdument, l’homme de raison joue – de quelques mots, nombres ou figures : c’est cela même dont ils haïssent le souvenir, l’ayant proscrit. Car le dogmatique assure que son dogme répond à toutes les questions; et le scientiste que son système est trop sérieux pour être un jeu. Ils refusent tous deux l’Inversion – l’univers même du Verseur.

L’identification du réel et de la chose leur est devenue partout et toujours impossible. Sinon ici et maintenant, dans le relief d’humain (vestige/remblais) qui demeure en chacun d’eux. Toujours et partout, le Doute. « Et si JE était libre ? » dit le prêtre. « Et s’il ne l’était pas ? » dit le professeur. Ils s’étreignent alors et unissent leurs mains. Exactement comme la femelle et le mâle – abstraitement à l’église ou la mairie, concrètement en la couche commune.

Jean-Charles Pichon

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Histoires sous le vent

Alain Le Goff vit à la frontière du Morbihan et du Finistère. Les vents de mer et de terre lui soufflent des récits – légendes du temps jadis ou quêtes d’aujourd’hui – qu’il cisèle et transmet en ses pérégrinations. Sa voix vibrante et chaleureuse nous promène dans une réalité : celle des conteurs, colorée et vivante, qui résonne en cette part intime de nous-mêmes, trop secrète et enfouie pour se dévoiler à tout va.

Il connaît Jean-Charles Pichon depuis quelques lustres. Il l’a fait participer à des séminaires à Guidel. Les rencontres entre ces deux quêteurs furent empreintes de connivence et de joie mutuelle.

Je remercie Alain Le Goff de m’autoriser à transcrire ici un texte qui accompagne son CD « Histoires sous le vent », paru aux éditions L’Autre Label.

Pierre-Jean Debenat

Dessin Michel Pichon

Histoires sous le vent

Il y a toujours 4 horizons dans le monde sans quoi il ne tournerait pas rond, mais personne n’a jamais le regard, le pied ou le cœur assez grands pour les embrasser tous ensemble. On est toujours d’une part du monde, d’un côté du ciel. J’ai toujours habité celui de l’Ouest, par naissance, par histoire, par choix. C’est, sans doute, qu’ici on est déjà en face. Pays de bout, pays de bordure, pays d’attente et de bascule. Chaque soir le soleil qui se couche dans l’océan s’enfonce dans l’Autre monde et il suffirait d’un rien, qu’il n’entraîne avec lui tout cet enchevêtrement de collines, de vallées, de bois et de ruisseaux, toute cette terre mêlée de landes, d’ajoncs, de genêts, de chênes et de pommiers, et qu’il ne reste que l’immensité du ciel comme un désir sans fin. Le soleil est une porte, un entonnoir, un siphon, un œil ou le trou fait par une balle entre les yeux d’un soldat. Par là, toute réalité, toute certitude, toute terre peut s’en aller dans un vertige d’infini. Par là, glissent les noyés pensifs, les barques noires des morts, les vaisseaux fantômes et les sorcières des îles qui s’en vont au sabbat.

Chaque soir le monde s’absente, chaque soir le pays entier est au risque de se perdre à jamais, et ce n’est pas l’immensité des terres dans son dos qui pourrait le retenir. Bien au contraire, ça pousse. Un continent entier tend son museau toujours plus avant pour renifler le soleil dans son terrier du soir. Il est des heures fragiles où les amarres peuvent se rompre, et les gens de ce pays le savent bien; alors sur les bancs de bois, face à l’océan, les vieux viennent s’asseoir en silence, alors les aventuriers immobiles, les rêveurs du dedans, les voyageurs de l’envers, les marcheurs infatigables de l’absence, viennent se poser le coude sur le comptoir en zinc du Bistrot du Grand Large. Ils sont comme des tournesols hallucinés, et leurs yeux avalés par la lumière mâchent lentement l’horizon. On pourrait les croire déjà partis ailleurs, mais ils ne sont que présence, ils veillent. En dedans. Sans demander ni louange, ni attention, ni regard. Sans rien demander d’autre que l’immense bonheur de la lumière, que le galop des anges à l’horizon de la mer, que la fureur incendiée du ciel, que le souffle de l’océan dans les brancards du monde. C’est à peine s’ils daignent parler, mais ils savent bien ce qu’ils font et ça leur suffit! S’il n’y a plus personne pour porter le ciel dans son regard, les oiseaux finiront par tomber, s’il n’y a plus personne pour parler aux arbres, les arbres finiront par s’enfoncer dans la terre, s’il n’ y a plus personne pour écouter le vent dans les murets de pierres sèches, elles retourneront à la mer d’où elles viennent.

Tant qu’il y aura encore des veilleurs pour marcher dans la lande, droits dans le vent, la tête enluminée de nuages et le cœur enlacé au ciel, il n’y aura pas beaucoup de souci à se faire. Mais ce temps ne les aime pas beaucoup, il cherche à les pousser hors du jeu, sans doute parce qu’il ne sait plus très bien à quoi servent tous ces rêveurs ou parce qu’il le sait trop bien : ils sont dangereux car on ne sait jamais où ils sont. Toujours perdus dans leur tête, ils fricotent avec les dieux anciens, païens et paillards, ils parlent avec les puissances de la nuit, ils gardent ce monde unique et vivant.

Mais eux, ils ont bien trop à faire pour se soucier de ce que ce temps pense d’eux, car le pays est en danger de ciel. Il est si léger qu’il pourrait bien s’envoler au premier coup de vent comme une chemise qui bat sur un fil à linge. Le ciel est là partout, autour, au-dessus et même au-dedans, emplissant l’horizon d’un bord à l’autre comme le café dans les bols à liseré doré de Marie Tallec, la patronne du Bistrot du Grand Large.

Le ciel est une mémoire plus archaïque, traversée encore de formes non accomplies, un creuset où s’élaborent des architectures futures, des vies possibles, des rêveries insomniaques, des délires fiévreux, des douceurs d’enfance. Le même n’existe pas ici, ni la durée, ni l’éternité; tout bouge, tout change, tout se forme, se déforme, se transforme et file ailleurs. Le ciel est labour de nuages, corps à corps d’ombre et de lumière, douleur d’âme. C’est une houle dans un cerveau en transe. On ne peut vivre ici que dans la verticale de l’instant et l’extase de l’éphémère. La vie est ce qui passe et la mort, dit la patronne du Bistrot du Grand Large, est seulement le milieu d’une longue vie.

Le café-épicerie est un creux où la vie se niche  doucement, ce n’est que silence et immobilité, c’est le lieu du même sans cesse répété. Les mêmes mots roulés sur les lèvres, le même coude sur le comptoir, la même odeur de café « bouillu… ». Il n’y a pas de place pour le temps ici, hier et demain n’existent pas, il n’y a que l’éternelle évidence des choses, rangées sur les étagères : boîtes de pâté Hénaff, sardines à l’huile la Quiberonneraise, Gauloises, paquets de bougies, papier tue-mouche, épingles à linge, chaussons, sabots et le casier plastique rouge garni des 12 bouteilles au col étoilé, remplies de vins de différents pays de la communauté européenne; il ne peut y en avoir plus, c’est l’ordre du monde. Sur le mur, le Christ en croix s’écaille doucement – les dieux aussi naissent, grandissent et meurent – et à côté, sur le calendrier, la princesse des camionneurs en débardeur rose lui sourit. Dehors le vent siffle dans la lande, et la mer rage sa fureur blanche à l’horizon; la vie est un creux où se nicher.

Autant dire que le vent de mer, gardien des troupeaux cornus des nuages, a de quoi hululer joyeusement au ras des landes! Alors, pour éviter qu’il n’emporte tout avec lui, on a mis des pierres partout, comme des galets sur une nappe étalée pour les pique-nique de l’été : murets de pierres qui courent le long des falaises, dolmens et menhirs assoupis dans leur méditation silencieuse, croix écartelées où sèchent le Christ de douleur et les mauvais larrons, calvaires aériens où la Vierge de miséricorde apaise l’enfant, saints barbus de lichens, chapelles envoûtées aux bas plafonds de bois bleu, comme des barques inverses en attente de navigations incertaines.

Tout est bon pour tenir le pays en laisse, et au cas où ça ne suffirait pas, on a mis partout des cafés : « A la Descente de la soif », « Au retour de la Pêche », « Aux Bons Amis », « Aux Embruns », « Chez Gisèle », « Aux Trois Pierres ». Les enseignes des cafés disent la vie des hommes, le champ clos que l’on traverse entre la naissance et la mort. Il en faut quatre à chaque carrefour de routes, car les lieux sont venteux, sept sur la place du bourg, car les vivants doivent garder l’œil sur les morts qui se pressent en rangs serrés autour de l’église. On finira bien, un jour, par passer d’un état à l’autre, la verticale n’est jamais qu’une horizontale redressée. Quant au bord de mer, il peut y avoir autant de cafés que l’on veut, car il n’y a plus que le large et la face offerte de Dieu… ou du Diable.

Voilà! Vous savez tout, ou presque, des horizons que j’arpente, du matin au soir et du soir au matin, et s’il m’arrive plus souvent qu’à mon tour de raconter des histoires – la même histoire, peut-être, encore et toujours – c’est que les mots ne sont jamais assez larges pour dire la beauté du monde, jamais assez hauts pour contenir la verticale de l’homme, jamais assez fous pour enlacer l’infini des possibles et changer la vie.

Alain Le Goff

Texte paru dans « Lettres du Ponant » aux éditions Terre de Brume

Le site d’Alain Le Goff : www.alainlegoff.com

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Autour de la Question

Septembre 2000

Limoges

Une conversation à bâtons rompus, qui peut parfois sembler décousue, pleine de détours, mais qui, finalement, nous fait assister à la genèse d’un poème.

Quel est le titre général que tu vas donner à tous ces ouvrages?

Le rire du Verseau, ou l’univers du Verseau. Plutôt le rire du Verseau.

Et si je ne me trompe pas, tu étais parti de la question de Heidegger?

C’est ça. C’est toujours elle qui est en question. Si on traite d’un objet, on ne s’occupe pas de l’objet, en fin de compte, ça peut être n’importe quoi. Le problème c’est : pourquoi cela est-il là plutôt qu’une autre chose? C’est le seul problème que se pose l’homme. Ça c’est clair et net. Ce n’est jamais que cette question-là.

Cette question est intemporelle, dans sa formulation.

Oui, elle prétend être intemporelle, universelle, éternelle, etc.

Toi, tu vas étudier les diverses croyances, c’est-à-dire pourquoi cette chose est là, et pas autre chose, à ce moment-là.

Tous les mots de la question sont ambigus. , ça peut être maintenant, et ça peut être ici. Dans l’espace ou dans le temps. Le pourquoi aussi peut être ambigu : comment cela a été fait, ou bien pour quel objet, pour quel but? Quant à l’objet lui-même, finalement, cela, je me suis rendu compte qu’on ne le connaissait que de l’extérieur, par ses aspects : c’est un nombre, un vocable ou une figure; ou alors de l’intérieur, comme un jet, comme un jeu, un objet ou un sujet, etc. Mais on ne connait pas la chose en soi, bien entendu, ou alors, si on la connait en soi, ce sera comme genre, par opposition aux espèces. On ne peut connaitre soi que de l’intérieur, on ne connait l’objet que de l’extérieur. Si on ne connait soi que de l’intérieur, ça ne signifie pas grand-chose, parce que, notre intérieur, on dit que ce sont des pensées, des sensations, mais en fin de compte, c’est un foie, c’est une rate, c’est un cœur, des reins, ça n’intéresse pas l’homme de foi; ou au contraire, ce qui est extérieur, c’est ce qui est vu, ce qui est perçu, mais ce n’est pas l’objet en soi.

Donc on ne connait l’objet que de l’extérieur, on ne connait le sujet que de l’intérieur. Si on dit question, c’est le passé ou l’avenir qui est en question, si on dit objet, c’est l’objet ou le sujet, c’est le jet; et si on dit l’autre pourquoi, ce qui va advenir, et bien on sait que ce sera toujours une absence en fin de compte. C’est la présence qui devient absente; ou alors, dans le domaine métaphorique, dans le domaine illusoire, chimérique, l’absence qui deviendrait présence. Mais on s’occupera peu de cet aspect de la question. On pense plutôt à la présence qui disparait, parce que ça semble se passer comme ça. Ça se passe aussi de l’autre façon, puisqu’une croyance naît d’une croyance morte, mais enfin ça justement on ne peut pas en tenir compte. La phase récurrente – dont on a besoin – pour espérer, pour croire, nous gêne quand même. La seule qui nous semble logique, c’est celle qui va du passé au devenu, à la disparition du passé. Voilà. Ce sont les six hypothèses que lève la question.

Je ressens ça comme une approche du Réel.

Oui, sauf que déjà, dès le départ, cette approche du Réel bifurque en approche de la chose, cela : pourquoi cela est-il là? Evidemment, ça se greffe sur l’objet. L’objet devient un prétexte. On ne s’occupe pas de l’objet, on se demande pourquoi il est là. Mais, en réalité, la quête générale est obligée de sortir de cette quête particulière. C’est-à-dire l’objet, son sens et le lieu où il se trouve.

Pour quelqu’un qui ne connaitrait rien à tous ces domaines, quelle définition donnerais-tu de l’objet?

Et bien, justement, il y a beaucoup de dialectiques fausses, et celle de l’objet et du sujet est une dialectique fausse, secondaire, parce que l’objet et le sujet traitent du jet. Le jet, c’est le je, c’est le genre, la généralité, le gène. C’est la chose en soi, par opposition à ce qu’on connait de la chose extérieure, c’est-à-dire l’aspect. Mais l’objet et le sujet sont tous les deux ou des jets distincts l’un de l’autre, ou bien des jections, des injections, des surjections, etc.

En fait le sujet et l’objet n’existent en eux-mêmes que par leur mouvement. L’objet, on peut dire qu’il est déplacé, le sujet mue, il se transforme. Le change est extérieur dans un cas et intérieur dans l’autre. C’est tout ça qui est contenu dans l’idée de genre, depuis le Moyen Age. L’objet, c’est la chose, ce que le Moyen Age appelait la chose, c’est-à-dire quelque chose de limité et d’individuel, par opposition au réel, qui n’est pas personnel et qui n’est pas limité. (…)

La chose est vue abstraitement dans la question d’Heidegger, mais dès que tu la vois concrètement, elle devient un élément de jeu et le jeu va ouvrir la même dialectique, c’est-à-dire que le jeu en lui-même est triple : il y a une donne, une partie et un enjeu; mais, au cours des âges, qu’on considère les jeux de table ou des jeux extérieurs à la table, on trouve qu’ils jouent, en fin de compte, ou bien d’une nomination, d’un vocable, ou bien d’un nombrage, ou bien d’une figuration. Par exemple, les trois jeux de table, ça a été les échecs, puis les dés, puis les cartes. Il y a une nomination de pièces (tour, etc.), puis il y a le nombrage des dés et puis il y a la figure des figures des cartes. Il y a 3 aspects d’un côté, dans la succession, ou bien il y a 3 phases dans le jeu, la donne, la partie et l’enjeu. Et on retrouve les 6. Alors, quand tu as en face de toi ces deux conceptions de la chose, la chose pensée, conçue ou la chose jouée, agie, tu es obligé de faire appel à d’autres mots, pour y voir clair. En fin de compte, les 2 tu les appelles le même et l’autre, au plus simple; mais ce même et cet autre, ils sont positionnés, l’un d’un côté, l’autre de l’autre, et alors il faut chercher entre eux des relations, ou bien ils peuvent s’interpénétrer, s’atteindre, se modifier et on doit parler de passage. Et dans la Préface, je parle surtout de ça, des relations et des passages. Je n’avais pas tous les mots quand j’ai écrit le livre, aujourd’hui je m’aperçois que les relations jouent entre autres des articles : les articles, ce sera le féminin et le masculin, abstraitement, le le et le la, dans la grammaire – ça peut être le neutre dans d’autres langues –, l’article c’est aussi ce qui est concret ou ce qui est abstrait : tu peux parler d’article d’un inventaire ou d’article d’un raisonnement. Et, en troisième position, l’article est toujours à faire. C’est la brocante ou la bricole.

Si tu joues des passages, il faut bien passer par des axes. Alors ou bien tu vas vers quelque chose pour y accéder, mais le mot accès a un autre sens, qui est la crise, ou bien c’est l’accueil. L’accueil peut être le refuge et puis l’hôte reçu et l’hôte recevant. Ou bien c’est l’accent que tu mets sur l’un ou l’autre, qui est aussi un axe. Donc tu auras 3 relations, 3 passages, 3 articles, 3 axes.

Mais cela est très confus, parce que les uns utilisent le langage des autres. L’homme de foi utilise le langage de l’homme de raison. Il ne faudrait pas parler de foi et de raison, il faudrait parler d’exercices et d’exemples. La foi se fonde sur des exemples, sur des modèles sacrés, et la raison se fonde sur des exercices, des expériences. Or le savant, il lui manque terriblement de positionner ces choses, il invente des choses – des isotopes par exemple – c’est-à-dire qu’il fait comme s’il y avait une station qui n’existe pas dans l’application mathématique : on invente des positions pour suppléer à l’exercice sacré manquant. Ou bien on invente les exercices spirituels de Loyola, c’est-à-dire qu’on essaye de créer un exercice propre à la foi, un mouvement dans la foi, mais un mouvement qui est irréalisable puisqu’il ne peut pas être hérétique, il ne peut pas être en dehors, il ne peut pas être particulier, donc ça sera des exercices liés à un dogme.  Dans un cas, tu crées le système qui n’est plus de la science, dans l’autre tu crées du dogme qui n’est plus de la foi. Le dogme est aussi systématique que le système scientiste, et la prétention scientiste est aussi du domaine de la croyance. Alors on est dans la confusion complète.

L’objet qui me semble échapper à cette confusion, c’est la gare, parce que la gare… [Allusion au récit Un handicapé gare de Nantes, paru dans la revue « Les portes de Thélème] Au départ c’est l’île, c’est l’île que nous sommes tous. Nous sommes en nous-mêmes, et nous cherchons des communications, des correspondances avec l’extérieur, mais autour c’est la mer, c’est le vide, et donc on ne peut pas faire de correspondances, sinon par la lettre dans la bouteille… Alors que la gare, elle, n’est que correspondances. La gare est une île avec correspondances. A ce moment-là, tu peux jouer, tu peux montrer les paradoxes du passage et de la relation, c’est-à-dire que tu ne peux aller que du contenu au contenant et jamais à l’inverse. Le contenu est plus grand, plus dense, plus massif que le contenant, donc ne pouvant aller que du contenant au contenu, je vais toujours du moins au plus, et tu rejoins une prétention rationnelle, curieusement. La loi découle des paradoxes.

A ce moment, il te manque quelque chose, il te manque le texte, le mot; il te manque quelque chose qui ne sera ni de la question ni du jeu, qui prétendra répondre à la question et qui prétendra immortaliser le jeu : c’est le poème, en fin de compte. [Voir L’univers du Verseau, dans la rubrique « Les 4 poèmes] Mais ça, je ne l’avais pas vu très clairement à l’époque, je cherchais – enfin je l’avais trouvé sans le nommer, parce que je ne nommais pas le poème, mais je nommais les images, le vocabulaire des images, les textes d’abord, les livres, les machines… et puis d’autre part les paradoxes qui font mouvoir les machines. C’est-à-dire les concepts d’une part et les analyses de l’autre. Les concepts qui sont eux-mêmes ou hypothétiques ou analytiques, ou synthétiques et, à l’intérieur, les analyses qui sont aussi triples, depuis les débuts de la psychanalyse.

Et là encore tu tombes sur une confusion, tu tombes sur des tableaux incomplets, parce qu’il manque toujours quelque chose, pour accomplir ton raisonnement jusqu’au bout… Jusqu’au jour où j’ai pensé à la ribambelle. Parce que dans la ribambelle, tu as d’une part la totalité des acceptions de ribambelle, c’est-à-dire un nombre de danseurs, le mot lui-même, qui veut dire balance et ruban, et puis la figure de la ribambelle. Mais si tu prends la figure, elle est elle-même triple : tu as la feuille, tu la plies, tu fais des trous, tu déploies et c’est la dentelle. Le pli, le trou et la dentelle sont contenus, en quelque sorte, sous le nom de figure, entre le mot et le nombre.

Mais, comme la gare était en dehors de l’île, la ribambelle est un ensemble de mots particuliers, qui ne sera pas vrai dans d’autres circonstances. A ce moment-là, n’ayant toujours pas le troisième terme, le poème, tu vas essayer de trouver une synthèse entre la gare et la ribambelle. Apparemment, il n’y en pas du tout. Sauf que les deux jouent de l’ouverture et de la fermeture, ou du contenant et du contenu. Tu peux trouver des éléments communs. oui, le troisième élément, c’est les nombres qui sont fixes, constants, ou bien variables, et puis c’est les ronds, le carré, c’est la ligne, la droite, et l’objet recherché c’est la quadrature du cercle. Or elle est démontrée par Platon; moi j’ai trouvé des nombres quadrants, c’est le 5 fixe et le 7 libre, c’est le 864 par exemple, qui peut faire un carré d’un cercle. Mais la quadrature est quelque chose d’aussi extérieur que la ribambelle ou la gare. C’est ce qui est mis dehors. C’est l’illustration du texte, ce n’est pas le texte lui-même.

Alors, étudiant tout ça, tout ce que j’ai fait dans ces cinq livres, j’étais arrivé à un tableau, pour contenir les 9 éléments dans les 3 verticaux, et les 9 dans les 6, et je me suis demandé : pourquoi ce tableau? Pourquoi les 9 dans les 6? J’ai découvert que tout ce que j’avais décrit, c’était une bouteille, tantôt pleine, tantôt vide, le dehors, le dedans, le contenu, le contenant. Puis en analysant le contenant, la bouteille pleine est debout, elle est fermée, ou bien elle est ouverte, elle est couchée, elle est vide. A ce moment-là, il y a 23 éléments de combinaisons. Mais, à partir de la bouteille, j’ai été amené à démontrer les figures faites par les droites, c’est-à-dire les chevrons, ou bien la croix centrale; et puis, de la croix centrale un sens crée un autre cercle qui est inscrit, et puis un autre qui est circonscrit : en somme, pourquoi la bouteille se remplit ou se vide.

Et à ce moment-là je me suis rendu compte que je ne pouvais pas en parler sans parler de l’ouverture et de la fermeture, du debout et du couché, du courbe et du droit. Je me suis aperçu que je devais parler de la bouteille comme d’une porte, ouverte ou fermée, et en même temps comme d’une poignée, qu’on serre ou qui contient; ou tu serres l’épée, ou tu contiens le manipule. Imposte ou manipule. Et puis, voulant résumer tout cela, je me suis aperçu que je parlais toujours du même, l’objet même, ou bien de l’objet parmi les autres, ou des autres en général, de la bête en soi, entre son entrée et sa sortie, et du jeu, le jeu du jardin, de l’harmonie de l’univers, à travers les saisons, les âges, etc.

Arrêté à cette idée de bête et de jardin, de même et l’autre, surtout avec l’idée de poignée de porte précédemment, je devais être amené à l’idée d’union, d’union possible et de serrement de mains, par exemple le serment du Jeu de Paume. Mais il est certain que les mains ne sont pas unies, elles sont séparées aussi, et heureusement, donc il faut qu’elles soient jointes et qu’elles soient disjointes. Quand elles sont jointes, elles font impasse, quand elles sont disjointes elles font passage : ce qui était bon devient mauvais, ce qui était mauvais devient bon.

C’est comme ça que je suis arrivé au dernier objet : c’est l’habit.

Je reprends ce qu’on disait ce matin. Ces choses, ces objets, tu les as trouvés, ils te sont venus ou tu les as cherchés?

Oh, je les ai cherchés, mais chercher ça ne rime à rien puisque, en fin de compte, je vois que les objets, quand je les trouve, ils sont étrangers à ma quête. La gare était extérieure à l’île, la ribambelle était extérieure au problème que me posait le vocabulaire des images, la quadrature est extérieure, par sa définition même, au carré et au cercle. Donc, quand l’objet survient, il survient comme un démenti presque à tout ce que tu avais cherché. Bien sûr, tu cherchais une correspondance dans l’île, mais tu ne la trouves que dans la gare, qui n’est pas l’île. Tu cherches une sorte de rapport de contenance et de contenu entre les mots, mais en fait, tu trouves la ribambelle, qui est un cas très particulier. Tu cherches une troisième figure au cercle et au carré, et ce n’est pas une troisième figure, c’est un rapport de nombres, pas de figures, etc. La chose survient comme quelque chose d’autre, inattendue, paradoxale. Et d’ailleurs l’objet peut être donné avant la quête : la terrine, par exemple, qui caractérise bien l’idée du même, la chose qui se passe dans l’objet même, par opposition à l’objet dans les autres, dans les chemins, cette distinction entre la terrine et le chemin, je l’avais déjà presque avant que je ne pense toute cette quête. [La terrine fait son apparition dans Un homme en creux, puis est analysée dans Le petit métaphysicien illustré] Et je ne la comprenais pas clairement. L’objet est là, bien sûr, il peut être perçu avant ou après, mais il pose différemment le problème. Et en fin de compte, l’objet n’est qu’un objet, il ne peut pas faire la généralité, il ne peut pas expliquer le réel, ou même illustrer le réel, il est en dehors. Il faut trouver quelque chose qui est commun à l’île et à la gare, et il n’est pas évident que c’est la bouteille, alors que c’est la bouteille. Il faudrait quelque chose qui joue à la fois des concepts et des ribambelles, et il n’est pas évident non plus que c’est la roulette, avec son cadran et son aiguille. Et il n’est pas évident non plus que la quadrature, c’est le problème de l’habit. L’objet t’est imposé. Ou bien tu le vois – mais tu peux le voir sans le comprendre – ou bien tu le conçois vaguement, ou tu peux le concevoir sans le voir.

Ce qui est sûr, c’est que la raison et la foi se fondent sur l’objet, sur la chose, mais vus différemment; c’est-à-dire que pour la foi, l’objet est dans Dieu, dans le réel, et pour la raison, le sujet à ce moment-là contient les créations qu’il se fait de Dieu. (…)

Il faut bien comprendre que le sujet et l’objet ne sont pas une dialectique au niveau des autres, parce que c’est une dialectique intérieure au jet. C’est ça qui est très difficile à comprendre. Les gens confondent, parce qu’ils croient que quand ils ont résolu une dialectique, ils ont résolu les autres. Ce n’est pas du tout sûr. J’ai mis beaucoup de temps à comprendre que l’objet et le sujet sont de l’ordre du genre, et pas des aspects, pas des espèces.

Voir la chose de l’extérieur ou la concevoir de l’intérieur, c’est tout à fait différent. Or, de l’intérieur, elle est sujet – sujet dans l’objet – mais, en même temps, l’objet tu le vois de l’extérieur, tu vas le voir par ses aspects. C’est tout à fait autre chose.

En fin de compte, l’eau, le pain ou le vin, tu peux en parler, tu les fabriques. Mais, si tu parles du sang et du corps, c’est tout à fait autre chose, c’est beaucoup moins saisissable. C’est insaisissable. (…)

D’une certaine manière – on prétend que c’est Cantor qui l’a trouvé – mais moi j’imagine que Pascal sait déjà cette chose extraordinaire, que d’une infinité d’objets, tu peux tirer d’autres infinités… à l’infini! De l’infinité des nombres, tu vas tirer l’infinité des pairs, qui sont contenus dans les nombres. Mais ça, Pascal le sait. Il ne l’a peut-être pas formulé mathématiquement, mais ça ressort de tout ce qu’il a écrit. Donc, l’infini n’est pas limite. Il est scindable en une infinité de parties. Alors que l’Un, l’Unité n’est pas saisissable non plus. Elle est, indiscutablement, mais elle n’est pas saisissable parce que tu ne sais jamais, quand tu dis « un », si tu veux dire la totalité de ses parties, ou ce qui va régir le genre. Il y a le 1, u n, et puis il y a le nombre. Et ce sont deux choses tout à fait différentes. Donc l’unité est duelle et l’infini n’est pas l’infini, alors… (…)

Pour moi il y a 5 nombres. Il y a N et n, dont Poincaré traite : N = n + 1, pour expliquer les puissances, et que moi je traite d’une autre façon avec la série des moyennes : n = N = 1 sur 2, mais qui, dans les deux cas, indiquent un plus ou un moins. Et les 3 autres nombres, ils sont très étonnants, parce que c’est 1, x, 0. Or, 1, x et 0, c’est à la fois des nombres, ce sont des figures, cercle, croix ou verticale et ce sont des lettres. Et ça va plus loin, parce que quand tu analyses le 0, par exemple, il est clair que nous jouons de trois 0 constamment aujourd’hui : il y a le 0 relatif, qui fait le positif et le négatif, tu as le 0 qu’on dit absolu, en thermodynamique, c’est-à-dire le froid après lequel tout éclate, et puis tu as le 0 de Planck, qui est un nombre infiniment petit, puisque c’est 6 puissance -27, et qui est le point où la position et le mouvement devraient se confondre, bien que évidemment, ils ne se confondent pas. Tu as trois 0 totalement différents : un 0 relatif, un 0 absolu et un 0 quantique, en quelque sorte. Mais ça ne nous gêne pas. On joue de ces nombres comme si c’était certain. Il n’y a aucune certitude dans tout ça. Ce sont des objets. Ce ne sont pas seulement des aspects, ce sont des objets. O, 1, x ne sont pas des aspects, puisqu’ils sont les 3 aspects à la fois (lettre, figure et nombre). Ce sont vraiment des objets. Alors que N et n sont des mouvements, ou des passages, des relations entre les objets. Donc, même dans les nombres, tu retrouves le même jeu!

Dans l’approche du réel, je tente de saisir des objets et de les étudier, jusqu’à présent, sous une forme dialectique …

Et trilogique tout de suite.

Je voulais en arriver à la trilogie, qui est quand même…

Elle est partout. En fait l’objet est trilogique, il n’est pas dialectique. Il est trilogique, puisqu’on ne le connait que par ses aspects, ses sens, mais ça sera toujours trilogique.

Ce qui veut dire que, à l’intérieur de la trilogie, vont se développer des dialectiques.

C’est pourquoi tu arrives aux 6, d’ailleurs. Mais dans la suite des nombres, tu auras 6 qui multiplient 2 puissance quelconque – 2² pour commencer, ça fait 24, tu as 2 douzaines. Ou bien tu joues des trilogies dans les trilogies et à ce moment-là tu as 36, tu as 3 zodiaques, 36 structures. Et moi, je pense qu’on peut, de même qu’il y a produit ou somme entre les nombres, on peut continuer : 24 + 36, c’est 60, le nombre de l’Unité de Sumer. Ou bien 24 qui multiplient 36 donnent 864, le nombre auquel j’aboutis de différentes façons, parce que c’est e-1, c’est le cycle moins l’unité, c’st un cycle quadrant qui fait le cadrage entre le cercle et le carré, etc.

Et mes poèmes aussi font – enfin les questions, les poèmes et les jeux reconstruisent ces mathématiques, 24, 36 et puis le produit de 24 et de 36, ou leur somme. Mais ça, ça fait partie des jeux, c’est comme ça, mais pourquoi? Je n’en sais rien. Je ne vois pas l’intérêt de se demander pourquoi, d’ailleurs. On cherchait le comment, on trouve le comment. Si on cherche le pourquoi, ça va être autre chose. A ce moment-là, on va trouver la presse ou la pulsion, on va trouver les tableaux, les tablatures, les tables. On retrouve toujours la même chose, les tables sont 3 : il y a la Table des Lois, il y a la Table Ronde et puis il y a la Table colorée, la Table d’Emeraude, par exemple. Et ce sont des objets que tu ne peux pas distinguer l’un de l’autre, ils peuvent se suivre dans l’Histoire, mais tu ne peux pas ramener l’un à l’autre; et en même temps, tu as les 4 tablatures d’une part, l’établi ou l’étable, selon que l’on veut se nourrir ou créer, et puis les tableaux, qui sont, au Moyen Age, le plus petit : tavelle, pour dire la petite table, ou bien tapon, tampon, qui bouche. Et en fait, c’est le champion ou la pioche, si vous voulez. Ou la vrille et le tire-bouchon. Ce qui fait le trouve ou ce qui le comble. Etc.

Il n’y a pratiquement pas de mot usuel, qui nous serve à un métier quelconque, il n’y a pas de mot qui ne comporte ce jeu des 2, 3, des 4 avec une rigueur hallucinante.

Au Moyen Age, les saintes, quand elles ont dit réel ou chose, elles savaient ce qu’elles disaient, ce qu’elles voulaient dire, mais qui est-ce qui a régi l’évolution des mots accès, tavelle, tapon, depuis mille ans? Ça s’est fait comme ça. Personne ne l’a fait. Donc ça échappe à l’homme. Ça a évolué de cette manière-là et pas d’une autre. (…)

Du réel, nous ne saisissons que l’évolution, le mouvement, le changement des choses. C’est-à-dire le jet, les jets.

Et c’est par là que tu as commencé.

Et c’est par là que j’ai commencé.

Par l’étude des cycles, à partir des années 50.

Oui, mais sans savoir du tout ce que je faisais à ce moment-là. En réalité, ma chance incroyable, c’est que j’ai commencé par une machine parfaitement correcte et indiscutable, que ‘appelle machine facultante ou facultative, fondée sur les facultés, qui était une synthèse des 4 et des 3. Les 4, c’étaient les 4 états de la chose, c’est-à-dire extension, condensation, condition, libération, et, d’autre part, 3 lieux, 3 vertus, 3 personnes, Je-moi, Je-tu, Je-lui, ou l’entendement, la passion et la sensation. Et le jeu des 4 à travers les 3 m’imposait les 6 facultés. C’était l’Objet même, l’objet en soi. Il m’a fallu, après, 40 ans pour analyser les machines factrices que les hommes ont inventées, ou la plupart d’entre elles. Mais l’étrange, c’est qu’il y a en ce système, au départ, cette machine facultative, et puis j’ai bafouillé là-dessus pendant 10 ans, parce que je sentais que c’était primordial. D’ailleurs ça stérilisait ma vie, ça la bloquait, elle devenait systématique. Ça explique en partie que je n’aie pas fait pour mes enfants tout ce que j’aurais pu faire, ni pour mes femmes d’ailleurs. Ça donnait certainement aux autres le sentiment d’un égoïsme forcené. J’étais obsédé par cette machine, dont je sentais absolument la réalité, mais qu’on ne peut pas appliquer à longueur de journée sans devenir à moitié fou… Jusqu’au jour où j’ai trouvé la terrine. Brusquement, la terrine m’a révélé que je n’avais dit que l’objet en soi, l’objet même, mais qu’il y avait aussi l’objet dans l’autre.

A ce moment-là, j’ai abandonné mon système pour m’ouvrir aux astrologiques, alchimiques, quête du Graal, Pentateuque, Kabbale, etc.

Mais l’accumulation des machines factrices m’a montré une autre façon d’approcher la chose, mais n’a pas résolu non plus le problème. De toute façon, il ne pouvait pas se résoudre en passant d’une méthode à une autre, tu changes de méthode et c’est tout.

Alors, il restait l’idée d’une synthèse qui était les grandes machines sacrées qui, effectivement – le Livre de l’homme qui a vu, le Pentateuque, l’Apocalypse, le Coran – arrivent, avec des nombres tout à fait étranges, comme le 19, à une sorte de synthèse des 7 et des 12.

Il y avait certainement d’autres façons d’approcher ces machines, et on les approche, entre autres, par les paradoxes. Et à la fin, particulièrement depuis un an, depuis que je suis ici, vraiment il n’y a plus que des objets : la bouteille, la poignée, la porte, la bête, le jardin, l’habit, etc.

On ne voit pas ce que ça apporte à première vue. On se dit : bon, c’est un jeu parmi d’autres. Ce jeu, tout le monde le refuse. C’est un jeu et une question, toujours, un jeu qui relance la question. Les hommes de foi rejettent la question, rejettent ma manière de traiter la question, parce qu’elle est forcément hérétique à un moment donné, et elle remet en cause le dogme. Et les savants refusent le jeu qu’ils trouvent dérisoire, indigne de la science, donc tous refusent ma démarche.

Qui est une démarche préparatoire au Verseau…

Ça ne peut être que ça, c’est évident. La Liberté est indiscutablement une conception, et c’est aussi un ensemble d’objets : la preuve, c’est qu’au cours des âges, on lui a donné une forme d’objets – d’objets ou de personnages – mais les personnages, en quelque sorte, avaient pour mission de ramener un objet à l’autre. Il y a eu l’arbre et puis il y a eu Bacchus ou Dionysos, mais Bacchus et Dionysos avaient pour mission de ramener l’arbre à la vigne, au vin, ou bien à la tragédie, au jeu. Ensuite il y a eu les quêteurs du Graal, Galahad surtout, qui avaient pour objet de ramener la bouteille à l’urne, et l’urne… à quoi? Et bien, à ce que contient l’urne : est-ce que c’est un liquide, est-ce que c’est – ce que je crois aujourd’hui – l’odeur même, l’odorat, plutôt ce qu’on sent que ce qu’on voit ou qu’on entend. C’est comme ça : il y a eu l’arbre, il y a eu Dionysos, il y a eu le licnon, le casque et le panier, il y a eu l’urne, il y a eu les quêteurs de l’urne, il y a l’urne aux voix aujourd’hui. (…)

Ça a l’air de traiter toujours des mêmes objets, mais ça en traite tout à fait différemment; tantôt comme un choix, tantôt comme une totalité. Ou comme une présence, ou comme une absence. (…)

Il y a un poème que j’ai fait cet été : Ou bien ou bien.

Hasardeux nécessaire ambigu le poème

ne sera pas donné sans que le soit tout être

sans que dans l’œuf renaissent

les germes du Verseau.

Ils se dénombrent deux. Mais où sont-ils ?

Dedans dehors. Comment ?

Par ouverture ou fermeture. En quelle

figure courbe ou droite ?

Mais que sont-ils ? A deviner. Garçon ou fille.

Qu’est-ce qui s’ouvre et se ferme ?

La bouteille, la porte. Unit et désunit ?

Les mains, le poing ? Pénètre mais contient ?

Debout ou couchée, ouverte ou fermée

la bouteille emplie ou vidée,

le sang, le vin dedans, dehors.

Mais s’il n’est qu’un seuil qu’ouvrir ? Que fermer ?

De porte la poignée a pour fonction l’imposte.

De sabre ou de poignard elle assure la prise

pour manipuler l’arme et resserre les doigts

qui vont miser de grains, d’écus le manipule.

Objet ou sujet, mutante

de la queue à la tête et dans le tête-à-queue

la chose frémit. Mais dans le transfert

le Trou Noir la condense et le Bang l’éparpille.

Chacun des trois dès lors danse un autre quadrille.

Dedans dehors le plein le vide.

Unis ou désunis par la prise ou la mise.

Une flèche dans l’arc, le pénis au vagin

horizontale, verticale, oblique aiguille.

Mais horloge un manège ou boussole cet arbre

dans la foire ou dans la forêt qui se proposent,

Loterie ou zodiaque à terme disposé.

Par la permanente inversion des lettres

qui sans cesse défait et refait l’univers

de l’unité sans faille au zéro sans repère

et que sans fin je clique interné en ce Net.

C’est un poème étonnant, non? Je ne sais pas qui peut lire ça.

Ceux qui auront lu les 1200 pages précédentes…

(Rire). C’est ça, oui. Mais il faut les amener à lire!

Illustration Pierre-Jean Debenat

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